Intervention de Sébastien Pietrasanta

Réunion du 28 janvier 2014 à 17h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta, rapporteur :

Notre Commission est donc saisie cet après-midi du projet de loi relatif à la géolocalisation, adopté en première lecture par le Sénat le 20 janvier dernier. Le Gouvernement a fait de l'aboutissement de ce projet de loi l'une de ses priorités en engageant la procédure accélérée sur ce texte et en faisant en sorte qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée le 11 février prochain, durant une semaine réservée au Gouvernement.

La géolocalisation en temps réel est une technique d'enquête de plus en plus utilisée par les services de police, de gendarmerie et des douanes en complément de la filature traditionnelle, pour suivre en temps réel les déplacements d'un objet ou d'un véhicule détenu ou utilisé par une personne suspectée d'avoir participé à la commission d'infractions graves.

Les techniques de géolocalisation en temps réel sont aujourd'hui de deux ordres : le suivi dynamique, en temps réel, d'un terminal de télécommunication aux fins de localiser un téléphone portable et l'utilisation d'une balise GPS posée sur un objet ou, plus fréquemment, sur un véhicule afin de déterminer en temps réel la position d'un individu.

Ces dernières années, le recours à la géolocalisation a connu une croissance exponentielle : le nombre des balises posées, estimé à environ 4 600 en 2011, dépassait 5 500 en 2012, soit une croissance de près de 25 % en un an. Quant à la géolocalisation par des téléphones portables, le chiffre est passé d'une fourchette approximative de 1 000 à 3 000 utilisations en 2009 à 20 000 utilisations environ en 2013, dont 70 % seraient ordonnées au stade des enquêtes préliminaires.

À la lumière de ces données, la géolocalisation en temps réel est incontestablement devenue un outil indispensable au bon déroulement des missions d'investigation des services de police et de gendarmerie. Il est cependant problématique qu'aucune loi n'encadre aujourd'hui expressément le recours à cette technique. La question de la validité de celle-ci a été posée aux différents stades de la procédure pénale, dans la mesure où ce procédé peut constituer une ingérence dans la vie privée de la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction.

Une première réponse a été apportée dès 2010 par la Cour européenne des droits de l'homme qui a indiqué, dans son arrêt Uzun contre Allemagne, que le procédé de la géolocalisation ne méconnaissait pas en lui-même le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, à condition cependant que la mesure de surveillance par géolocalisation respecte deux conditions cumulatives : elle ne peut être autorisée que pour des infractions particulièrement graves et uniquement si aucune autre mesure d'investigation, moins attentatoire à la liberté individuelle, n'est envisageable ; elle doit également être prévue par la loi dans des termes suffisamment clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions l'autorité publique est habilitée à y recourir.

Plus récemment, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la conformité de la géolocalisation en temps réel avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l'homme en matière de protection du droit au respect de la vie privée. Dans deux arrêts du 22 octobre 2013, la Cour de cassation a ainsi invalidé les opérations de géolocalisation en temps réel menées sous le contrôle du parquet, au double motif que les dispositions générales du code de procédure pénale relatives à la police judiciaire et au procureur de la République ne prévoyaient ni les circonstances ni les conditions dans lesquelles une mesure de surveillance judiciaire par géolocalisation pouvait être mise en place, et que la mesure en question était placée sous le seul contrôle du procureur de la République, lequel n'est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme donne à cette notion, en raison de ce qui serait son manque d'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif et des parties.

À la suite de ces deux arrêts, le ministère de la Justice a rédigé en urgence une dépêche demandant aux procureurs de la République de mettre fin à toutes les opérations de géolocalisation en temps réel menées par les forces de l'ordre dans le cadre des enquêtes préliminaires ou de flagrance conduites par le parquet.

L'objet même du texte dont nous débattons est de permettre la reprise rapide des opérations de géolocalisation en temps réel dans un cadre juridique rénové, conciliant le respect de la vie privée et les nécessités de l'enquête et définissant les modalités d'intervention des magistrats du parquet et du siège dans la conduite de ces opérations.

Sans bouleverser la législation existante, ce projet de loi tend à lui apporter d'importantes améliorations et clarifications. Il comble en effet le vide juridique créé en la matière par les arrêts rendus en octobre dernier par la Cour de cassation en matière de géolocalisation.

Je tiens à cet égard à saluer la rapidité avec laquelle le Gouvernement cherche à répondre à l'insécurité juridique dans laquelle les arrêts de la Cour de cassation ont plongé nos services de police et de gendarmerie.

Je voudrais également saluer la qualité du travail effectué par le rapporteur du texte au nom de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-Pierre Sueur, qui s'est efforcé de conforter et de préciser le dispositif sur plusieurs points.

Ainsi, le Sénat a simplifié les conditions de recours à la géolocalisation en cas d'urgence, en autorisant l'officier de police judiciaire, en pareille situation, à prendre l'initiative du recours à la géolocalisation, à charge pour lui d'en informer le procureur ou le juge d'instruction par tout moyen. Il est prévu, dans ce cas, que l'autorisation écrite du magistrat compétent intervienne dans les douze heures.

Le Sénat a également reconnu au magistrat la faculté, en cas de criminalité organisée, de disjoindre du dossier principal de la procédure les circonstances de la mise en place de la géolocalisation, de manière à protéger les témoins ou les informateurs des services d'enquête. De fait, dans certains cas, l'obligation de verser au dossier toutes ces circonstances ferait peser un risque sur ces personnes.

Finalement, tel qu'il ressort des travaux du Sénat, le nouveau cadre juridique relatif à la géolocalisation en temps réel repose, à mes yeux, sur un équilibre satisfaisant entre les nécessités de l'enquête et la protection de la vie privée. C'est la raison pour laquelle je vous inviterai tout à l'heure à voter ce projet de loi, moyennant toutefois l'adoption de certains amendements qui sont le fruit de mes réflexions et des auditions que j'ai menées.

D'abord, il nous faut mieux définir le champ d'application de la géolocalisation en temps réel. Le texte adopté par le Sénat circonscrit le recours à cette technique aux délits contre les personnes punies d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, ainsi qu'à tout autre crime ou délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à cinq ans.

Le compromis auquel est parvenu le Sénat ne me semble pas satisfaisant à ce stade de la procédure parlementaire, car il repose sur une définition trop restrictive du champ d'application de la géolocalisation en temps réel et conduit à exclure du champ de la mesure des délits punis de trois ans d'emprisonnement ne constituant pas une atteinte aux personnes, mais pour lesquels une opération de géolocalisation sera à l'évidence indispensable.

Je n'en donnerai que deux exemples. Tout d'abord, nul ne peut nier qu'en cas d'évasion d'un détenu – délit puni, en application de l'article 434-27 du code pénal, de trois ans d'emprisonnement –, les services de police et de gendarmerie doivent pouvoir recourir à une opération de géolocalisation.

Par ailleurs, les représentants de syndicats de policiers que nous avons auditionnés ont démenti l'idée, avancée par certains, selon laquelle les techniques de géolocalisation ne devraient pas être utilisées pour des faits de vol simple – délit puni de trois ans d'emprisonnement aux termes de l'article 311-3 du code pénal. En effet, si un véhicule volé est soupçonné d'être utilisé pour commettre d'autres infractions, comme le trafic de stupéfiants au moyen de « go fast », les services d'investigation auront besoin, dans une enquête pour vol simple, de recourir à une mesure complémentaire de géolocalisation en temps réel.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai un amendement visant à fixer à trois ans au moins, toutes infractions confondues, la durée minimale d'emprisonnement encouru justifiant le recours aux opérations de géolocalisation en temps réel. Je note d'ailleurs que ce seuil de trois ans était celui qu'avait initialement retenu le Gouvernement dans son texte.

Il convient ensuite de mieux définir les conditions d'intervention des magistrats du parquet et du siège dans les opérations de géolocalisation en temps réel. En effet, dans sa rédaction issue des travaux du Sénat, le projet de loi dispose que le recours à la géolocalisation doit être décidé par le procureur de la République et que la décision de celui-ci doit ensuite être confirmée dans les huit jours par le juge des libertés et de la détention (JLD).

Dans sa rédaction initiale, le projet de loi fixait à quinze jours, au lieu de huit, la durée pendant laquelle une opération de géolocalisation pouvait être autorisée par le procureur de la République avant d'être soumise à une décision du JLD. Cette durée de quinze jours, qui correspond à celle de l'enquête de flagrance prolongée, en application de l'article 53 du code de procédure pénale, est suffisamment courte pour justifier que le parquet, qui fait partie de l'autorité judiciaire, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel à de nombreuses reprises, puisse exercer des prérogatives particulières.

La solution initialement retenue par le Gouvernement était de surcroît équilibrée et conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, laquelle n'oblige pas le législateur à prévoir une autorisation d'un juge du siège préalablement à toute mesure de géolocalisation. La durée de quinze jours est très clairement compatible avec les décisions de la Cour, qui considère qu'un délai d'un mois est satisfaisant. Je vous proposerai donc un amendement ramenant à quinze jours la durée initiale pendant laquelle une opération de géolocalisation peut être autorisée par le procureur de la République avant d'être soumise à une décision du JLD.

Notre Commission est aujourd'hui saisie d'un texte important et particulièrement attendu par les services de police et gendarmerie, qui se trouvent aujourd'hui bien démunis pour recourir à la géolocalisation en temps réel et mener à bien leurs investigations. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi modifié par les amendements que je viens d'évoquer.

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