Intervention de Stanislas Guerini

Réunion du jeudi 2 novembre 2023 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Stanislas Guerini, ministre :

On s'éloigne parfois du programme 148. Je salue l'intérêt de la représentation nationale pour un sujet qui concerne aussi le lien à la nation et le capital donné à ceux qui n'en ont pas.

Même s'il nous reste du chemin à parcourir, les choses ont bougé depuis la dernière audition budgétaire : réforme de la haute fonction publique ; suppression du classement de l'INSP ; réforme du recours aux cabinets de conseil ; développement de France Services ; loi visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique ; accord sur la prévoyance ; mesures salariales importantes ; plan de protection des agents ; politique d'accessibilité numérique ; plan en faveur du logement des agents publics ; politique en faveur de l'apprentissage ; plan de formation sur la transition écologique ; plan de sobriété, etc.

Nous avons intérêt à tenir un discours volontariste sur les évolutions de la fonction publique. Je pense porter un regard assez lucide sur nos difficultés d'attractivité mais je considère que nous avons une responsabilité car notre discours un peu défaitiste – rien n'irait dans la fonction publique – entretient un cercle vicieux qui nuit à l'attractivité. Nous avons intérêt à montrer la diversité des métiers, à valoriser les transformations opérées.

Madame la rapporteure pour avis, je partage la nécessité d'une vision d'ensemble. L'examen d'un seul programme sur les cinq qui composent la mission est inévitablement réducteur.

Les décisions qui sont prises au ministère de la fonction publique ont des répercussions sur l'ensemble des missions sur lesquelles vous avez à vous prononcer. Le meilleur exemple en est l'augmentation du point d'indice, qui s'applique aux trois versants de la fonction publique.

En ce qui concerne l'attractivité, il n'y a pas de fatalité. Les cinq instituts régionaux d'administration (IRA) le montrent. Je note avec intérêt vos suggestions et vous propose de mener un travail spécifique sur le temps passé par les élèves sur le terrain, sur les promotions ou sur la réforme de la scolarité que vous mettez sur la table.

Quant à l'INSP, jamais depuis la création de l'École nationale d'administration (ENA), le nombre de candidats au concours n'avait été aussi important. La réforme – je rends hommage à ma prédécesseure Amélie de Montchalin, qui l'avait engagée – avait suscité des inquiétudes. Elle risquait, entendait-on, de mettre à bas l'attractivité de la haute fonction publique. Je vois dans le nombre record de candidats un signe de vitalité.

Les moyens que nous avons engagés doivent nous permettre d'atteindre les 5 000 places en crèche.

J'en viens à l'attractivité de la fonction publique. Nous avons pris des mesures volontaristes en matière de rémunération et de conditions de travail, qui n'épuisent toutefois pas le sujet. Le dialogue social, en ce domaine comme dans d'autres, est essentiel. J'ai proposé aux organisations syndicales que, dans les semaines et les mois à venir, nous construisions ensemble, dans le cadre de l'agenda social, une négociation salariale annuelle – rappelons qu'en vertu des ordonnances de 2021, la question salariale n'entre pas dans le champ de la négociation.

À des fins de bonne gestion, j'ai suggéré aux organisations syndicales que nous appliquions dès l'année n + 1 les décisions que nous prenons au cours d'une année n. Il faut commencer les discussions plus tôt dans l'année, dès le début du printemps, pour identifier les enjeux avant de discuter des leviers sur lesquels agir : le point d'indice, les indemnités, les sujétions – telles que le travail de nuit –, l'action sociale – qui peut avoir une incidence sur le pouvoir d'achat, à l'image de l'indemnité de transport. Nous devons instaurer une obligation de négociation pour acter les décisions à l'été et les traduire dans les discussions budgétaires. Nous examinerons tous les outils qui ont un effet sur la rémunération. À titre d'exemple, nous allons verser l'indemnité de résidence, qui représente 3 % de la rémunération indiciaire, aux agents des trois versants de la fonction publique en poste en Haute-Savoie et dans la zone limitrophe du pays de Gex.

Je partage votre point de vue sur les conditions de travail. J'ai proposé aux organisations syndicales d'engager une négociation sur cette question, dans le cadre du dialogue social. Il faut mettre en cohérence quatre sujets qui, à mon sens, sont liés. Premièrement, le temps de travail : aucune disposition législative n'empêche la semaine de quatre jours dans la fonction publique, mais il faut évaluer les conséquences de cette organisation et accompagner les pratiques managériales. Deuxièmement, les espaces de travail : j'ai mobilisé 15 millions, notamment par le biais du fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), pour accompagner des projets de transformation en ce domaine. Troisièmement, le télétravail, qui a donné lieu à la conclusion d'un accord en 2021 – on doit continuer, à cet égard, à travailler sur l'équipement numérique, en lien avec les deux questions précédentes. Quatrièmement, la sobriété énergétique, qui est liée à ces trois sujets. J'ai proposé aux organisations syndicales que ces quatre dimensions constituent une thématique de négociation particulière.

Madame la rapporteure, madame Chassaniol, j'ai indiqué mon intention de présenter un projet de loi pour réformer la fonction publique. Tout d'abord, il faut pouvoir y entrer plus facilement, ce qui implique parfois de lever des verrous – en particulier, une exigence académique – sans rapport avec les compétences nécessaires. À titre d'exemple, un maire ne peut pas titulariser directement un apprenti à l'issue de son contrat de dix-huit mois. Je proposerai que, dans ce cas, l'intéressé ne soit plus tenu de passer un concours.

Pour certains métiers, par exemple ceux du secteur médico-social, il existe parfois des voies d'accès différenciées selon les versants : un hôpital peut recruter sur titre alors que la structure médico-sociale voisine, qui dépend de la fonction publique territoriale (FPT), impose un recrutement sur concours. En lien avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), nous avons modifié les dispositions réglementaires applicables, mais il faudra aller plus loin sur la question de l'égalité du recrutement.

Il nous faut aussi mieux valoriser les années passées à l'extérieur de la fonction publique, par exemple pour accéder à un grade d'emploi supérieur : cela concerne notamment les métiers de la santé et les professeurs.

Par ailleurs, un maire ne peut pas promouvoir un agent méritant s'il n'a pas recruté trois agents venant de l'extérieur, conformément aux quotas de promotion applicables dans les collectivités territoriales. Un travail réglementaire est à mener – qui est à l'ordre du jour du prochain CNFPT – pour assouplir ces quotas. Nous pourrons peut-être définir de nouveaux principes dans la loi en matière de promotion et de mobilité dans les trois versants. Comme vous l'avez fait récemment dans la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie, il faut ouvrir des voies de promotion accélérée par la formation qualifiante, mais aussi au moyen de la validation des acquis de l'expérience, insuffisamment développée dans la fonction publique.

Il me paraît essentiel d'appréhender le recrutement à l'échelle des bassins de vie. Nous développons des comités locaux de l'emploi public (Clep), qui réunissent, à l'échelle de ces bassins, les employeurs des trois versants de la fonction publique et définissent une stratégie commune de marque employeur. Parallèlement, nous renforçons les moyens engagés dans les plateformes régionales d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines (PFRH), en leur affectant 45 ETP (équivalent temps plein) supplémentaires. Cela permettra de gérer un vivier d'emplois publics commun et de faire de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences à l'échelle des bassins de vie.

Enfin, je souhaite que l'on poursuive notre effort de réinternalisation d'un certain nombre de fonctions. Nous avons conclu un nouvel accord-cadre en ce sens – déjà entré en vigueur – qui applique bon nombre des propositions formulées par la commission d'enquête du Sénat sur l'influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques. Le recours aux cabinets en matière de conseil en stratégie a diminué de 35 %. La DITP (direction interministérielle de la transformation publique) comprend désormais un pôle de conseil interne. En dehors du conseil en stratégie, il faudrait aussi parler de la capacité de maîtrise d'ouvrage de l'État. Nous devons renforcer nos moyens de réinternalisation numérique, en matière de recrutement comme de formation. Dans leur rapport de juin 2023 sur les ressources humaines de l'État dans le numérique, l'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGE) préconisent de réinternaliser 3 500 emplois numériques. Nous avons endossé ces conclusions et avons déjà acté, pour 2024, la réinternalisation de 500 emplois dans les ministères.

Madame Chassaniol, l'accord qui a été conclu en matière de prévoyance renforce de manière substantielle les garanties offertes aux agents en cas d'incapacité, d'invalidité ou de décès. Outre sa dimension statutaire, qui concerne la protection assurée par l'État, le texte prévoit l'obligation de protection des agents par les mutualistes et les assureurs. Nous appliquerons l'accord à la fonction publique de l'État (FPE). Concernant la FPT, je respecterai l'accord que les employeurs territoriaux ont signé avec les syndicats. Ils ont fait le choix, ambitieux, d'une protection exclusivement fonctionnelle, qui repose sur les marchés conclus avec les assureurs et les mutualistes. Nous n'appliquerons pas les dispositions statutaires à la FPT pour ne pas déséquilibrer l'accord qu'elle a conclu.

J'ai proposé aux syndicats que nous engagions, d'ici à la fin de l'année, une concertation sur le projet de loi, en y associant toutes les parties prenantes, en particulier la coordination des employeurs territoriaux et les employeurs hospitaliers. J'effectuerai un certain nombre de déplacements dans les semaines à venir pour préparer cette échéance. J'entends ainsi coconstruire le texte.

En matière d'égalité professionnelle, nous avons dressé, avec les organisations syndicales, le bilan de l'accord pluriannuel précédent. Les écarts de rémunération ont diminué de 10 % en dix ans dans la fonction publique, mais il existe toujours une différence de 11 à 12 %, qui n'est pas acceptable. Nous devons poursuivre nos efforts. Je suis un peu surpris, monsieur Rambaud, de vous entendre dire que nous manquons d'ambition en la matière, alors que le Rassemblement national est le seul groupe qui n'a pas voté la proposition de loi visant à renforcer l'égalité professionnelle dans la fonction publique, en raison de son opposition à la logique des quotas. Ce texte, qui est entré en vigueur en juillet, prévoit une répartition équilibrée des nominations aux postes d'encadrement et une présence minimale de 40 % de personnes de l'un ou l'autre sexe dans les emplois supérieurs de la fonction publique.

Nous devons accroître notre effort dans deux domaines en vue de la conclusion d'un nouvel accord. En ce qui concerne, en premier lieu, la santé des femmes, nous avons certes progressé au cours des derniers mois, notamment grâce à la suppression du jour de carence pour les femmes ayant subi une fausse couche, mais nous pouvons aller plus loin : je pense en particulier à la prévention des cancers et des maladies chroniques. En deuxième lieu, nous pouvons accomplir des progrès en matière de parentalité et, en particulier, mieux prendre en considération les nombreuses familles monoparentales. Je souhaite que l'employeur public renforce son ambition en ces matières.

Le plan de protection des agents s'articule autour de trois axes : mieux mesurer, mieux prévenir et mieux protéger. Je souhaite que l'on confère à l'administration la capacité de porter plainte à la place de l'agent public, pour faire droit à une demande unanimement exprimée sur le terrain. Des agents, qui ont été menacés ou agressés, vivent comme une double peine le fait de devoir aller porter plainte et de se trouver ainsi exposés. En inscrivant cette mesure dans la loi, nous leur signifierons que nous serons toujours à leurs côtés face aux violences de plus en plus graves dont ils sont l'objet. Nous devons renforcer l'action interministérielle en ce domaine.

J'en viens à la question du logement. Au sein du comité interministériel pour le logement des agents publics, nous travaillons dans une triple direction. Tout d'abord, nous agissons sur la demande. Nous avons chargé M. David Amiel de formuler des propositions sur les outils d'accompagnement des agents publics. L'idée d'un bail dédié aux agents titulaires ou contractuels, contenant des clauses liées aux fonctions, ne me paraît absolument pas taboue. Cet outil offrirait plus de flexibilité pour accorder des logements.

Nous devons également renforcer la mutualisation de l'offre. Nos systèmes ne sont pas assez transparents. La plateforme Balae (bourse au logement des agents de l'État), actuellement circonscrite à l'Île-de-France, devrait être étendue à l'ensemble du territoire national. Par ailleurs, elle devrait offrir une meilleure visibilité sur l'offre de logements car, chaque année, par manque d'information, 600 logements ne trouvent pas preneur dans la région.

Il nous faut également produire du logement public. J'ai débloqué 1 million pour finaliser des études sur le sujet. Nous avons conclu des contrats prévoyant la cession de foncier de l'État à des opérateurs en contrepartie de la production de logement intermédiaire ou social, qui sera destiné à des agents publics. Nous allons renforcer notre action en la matière.

Monsieur Rambaud, l'État a accompli beaucoup d'efforts pour numériser les démarches administratives. J'ai souhaité que l'on se concentre sur les 250 démarches effectuées par plus de 200 000 Français chaque année. Je voudrais insister, à cet égard, sur l'accessibilité des personnes en situation de handicap. Nous ne devons pas aggraver la fracture numérique existante en créant des services numériques qui ne sont pas accessibles à tous les Français. J'ai affecté 60 millions, sur la durée du quinquennat, à l'accélération de l'accessibilité des démarches numériques. Cela doit aller de pair avec l'humanisation de nos services publics et l'investissement dans les réseaux physiques.

Madame Desjonquères, nous avons progressé en matière d'inclusion des personnes en situation de handicap dans la fonction publique, à une exception près : ces personnes ne constituent que 2 à 3 % des apprentis. Pour y remédier, nous avons inscrit dans le code de la fonction publique la fonction de référent en matière de handicap et avons facilité la titularisation des jeunes apprentis en situation de handicap.

Vous m'avez interrogé, à l'instar de Mme Poussier-Winsback et de Mme K/Bidi, sur la transition écologique. La fonction publique assume une responsabilité très importante en la matière, ne serait-ce que parce que le bâti public de la FPE représente 94 millions de mètres carrés. À cet égard, elle constitue un levier de transformation écologique essentiel. Nous devons agir tant sur l'investissement dans le bâti public que sur la formation. Nous avons lancé un plan de formation de 25 000 cadres de l'État aux enjeux de la transition écologique, ce qui n'avait jamais été fait à une telle échelle. Nous conduisons des plans de sobriété dans les domaines de l'énergie et de l'eau. En l'espace de six mois, l'État a réduit de 10 % sa consommation énergétique, ce qui a économisé une énergie équivalente à la consommation de la ville de Montpellier. Nous y sommes parvenus car nous nous en sommes donné les moyens financiers et humains. Nous avons créé des postes et accompagné les agents.

Nous œuvrons d'une façon très volontariste en faveur de l'humanisation des services publics, et la politique que nous menons fonctionne – vous le voyez dans vos circonscriptions. Nous avons tenu la promesse relative à la granularité du réseau. Le Président de la République avait dit, en effet, qu'il souhaitait une présence physique des services publics à moins de trente minutes de chacun de nos concitoyens. C'est désormais le cas, grâce aux 2 650 – et bientôt 2 700 – espaces France Services, qui se trouvent à moins de vingt minutes de 93 % de nos concitoyens. Par ailleurs, lorsque ces derniers sortent des espaces France Services, leurs demandes ont été traitées dans plus de huit cas sur dix, et le taux de satisfaction s'élève à 93 %.

Néanmoins, nous devons faire connaître davantage cette politique publique – c'est la raison pour laquelle nous relançons des campagnes de communication – et mieux accompagner les collectivités. Mme Arrighi a évoqué un transfert de charges, mais c'est le contraire qui a lieu : nous accompagnons les collectivités. Le chiffre de 30 000 euros de financement par espace France Services qu'elle a évoqué est daté : j'ai déjà indiqué que l'effort allait être porté à 50 000 euros, et je n'ai pas fait un déplacement au cours duquel l'investissement supplémentaire de l'État n'a pas été salué. Nous avançons par paliers successifs : nous en sommes déjà à 35 000 euros et nous passerons à 40 000 dès janvier prochain.

France Services fonctionne parce que tout le monde pousse dans la même direction : il n'y a pas l'État d'un côté et les collectivités de l'autre. Nos concitoyens veulent des réponses, peu importe qu'elles soient apportées par la mairie, le département, la région ou l'État. France Services permet un décloisonnement, et nous allons continuer à investir dans le réseau. Le travail très précieux qui a été mené par Mme Poussier-Winsback et le sénateur Delcros a notamment abouti à des propositions en matière de « aller vers ». Nous allons, de plus, mobiliser des fonds de la Banque des territoires pour les espaces France Services touchés par les émeutes. S'agissant des treize d'entre eux qui ont été complètement mis à sac, nous mettrons en place des bus dans l'attente de la reconstruction des bâtiments.

Madame K/Bidi, je souhaite le maintien de l'égalité d'accès aux postes dans la fonction publique, et je sais que nous partageons cette vision. Dans les faits, la notion de centre des intérêts matériels et moraux, au sujet de laquelle je salue votre travail et vos propositions, peut faciliter l'affectation dans un territoire. J'avais pris l'engagement, effectivement, qu'une nouvelle circulaire – la précédente datait de 2007 – permette de mieux prendre en compte et d'homogénéiser les pratiques ministérielles. Cette nouvelle circulaire est à votre disposition ; elle comporte une avancée très concrète, qui est la reconnaissance à vie pour certains critères. Quand un fonctionnaire a démontré, par exemple, que ses parents étaient nés et enterrés dans tel territoire, cela ne risque pas d'avoir changé trois ans plus tard. La reconnaissance à vie permettra de faciliter le travail des administrations et d'assurer davantage de fluidité pour les congés bonifiés ou les affectations.

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