Intervention de Jérémie Iordanoff

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérémie Iordanoff, rapporteur :

Madame Bordes, dans un régime parlementaire, la légitimité du Premier ministre et du Gouvernement ne découle pas du chef de l'État, mais de l'Assemblée nationale – c'est le cas dans tout régime parlementaire. Le Président de la République dispose certes d'un pouvoir de nomination, mais cela n'implique pas qu'il décide de l'ensemble de la politique du Gouvernement, ni qu'il puisse contourner le Parlement. Allons au bout de la logique et supprimons le Parlement – ce sera plus simple.

Vous parlez d'obstruction ; en la matière, il existe aussi le vote bloqué et le temps législatif programmé. Je vous invite à relire l'article 47 et l'article 47-1 de la Constitution, qui préviennent tout risque de blocage en matière budgétaire.

Michel Debré, qui a grandement contribué à la rédaction de la Constitution, reconnaissait lui-même que le recours abusif au 49.3 rendrait le Gouvernement illégitime. Il faut revenir à l'esprit de la Constitution et abandonner la pratique actuelle.

Votre propos suggérant l'usage de l'article 11 m'a convaincu que si, par malheur, vous arriviez au Gouvernement, vous chercheriez à réformer la Constitution par ce biais. J'en suis extrêmement inquiet. La démocratie mérite mieux que cela.

Monsieur Léaument, depuis 1962, il y a une confusion dans l'esprit de nos concitoyens sur la question de savoir qui représente le peuple. En tant que défenseurs du régime parlementaire, nous considérons que la représentation nationale s'exprime par les députés, mais les Françaises et les Français envisagent l'élection présidentielle comme l'expression de la volonté générale. Certes, à cette occasion un homme est élu, mais sur un programme et, à l'époque où existaient deux modes de scrutin distincts, la légitimité allait à l'Assemblée nationale. Il faut corriger cette confusion, en redonnant au Parlement son plein pouvoir de contrôle de l'action du Gouvernement et en renvoyant le Président de la République à sa fonction d'arbitre, qui lui est assignée par l'article 5. Il n'est pas nécessaire, pour cela, de revenir sur le mode scrutin ; dans d'autres pays, comme l'Autriche ou le Portugal, le président est élu au suffrage universel direct sans pour autant occuper tout l'espace.

Au sujet de la distance entre le peuple et ses représentants, je vous invite tous à écouter ce que disent nos concitoyens en circonscription, lors de bilans de mandat ou après que le budget a été adopté à coup de 49.3, et à en tirer les conclusions qui s'imposent.

Monsieur Gosselin, je comprends qu'en tant que membre de votre formation politique, vous puissiez avoir la nostalgie de la Ve République originelle, mais la pratique des institutions a évolué, comme la lettre elle-même de la Constitution – elle a été modifiée à vingt-cinq reprises. La Constitution dont vous parlez est fantasmée. Quant à la stabilité, notre proposition ne la met pas en cause, puisque nous ne touchons pas au pouvoir de dissolution du Président de la République – celui-là même qui crée la stabilité. Par ailleurs, la Constitution contient de nombreux outils qui organisent un parlementarisme beaucoup trop rationalisé – un constitutionnaliste auditionné a même évoqué une « Constitution orthopédique » –, dans le cadre duquel les parlementaires sont trop contraints.

Monsieur Balanant, je ne partage pas votre défaitisme. Je pars du principe que cette proposition de loi peut, qu'elle doit être adoptée – ce serait salutaire. Le débat parlementaire n'est pas symbolique ; il est utile. Je vous rappelle que l'inscription dans la Constitution de la liberté garantie de recourir à l'IVG a débuté par une initiative parlementaire dans les deux chambres, avant d'être reprise dans un projet de loi constitutionnelle.

Monsieur Brun, le 49.1 et le 49.3 constituent effectivement des exceptions françaises. S'agissant du premier, nous proposons non pas un vote d'investiture, mais un vote de confiance, plus souple. Le vote d'investiture existe dans d'autres démocraties parlementaires et a même existé en France. Le débat à ce sujet n'est pas complètement absurde. S'agissant du 49.3, je vous invite à lire l'« Avis intérimaire sur l'article 49.3 de la Constitution » de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, qui montre que, vu d'ailleurs, cet article un peu particulier constitue une véritable étrangeté.

La proposition de recours au référendum en cas de rejet sera discutée en séance, si j'ai bien compris.

Madame Poussier-Winsback, l'esprit de la Constitution du général de Gaulle ne se retrouve pas dans la pratique actuelle. Bien sûr, l'article 49, alinéa 2, rend possible le recours à la motion de censure, mais il n'a été utilisé qu'une seule fois dans l'histoire de la Ve République et aucune motion de censure n'a été adoptée dans le cadre du 49.3. En réalité, la motion de censure est impossible, il n'y a pas de contre-pouvoir réel.

À propos des éventuels blocages en matière budgétaire, je vous invite à relire les articles 47 et 47-1 : si au bout de quarante jours de débat à l'Assemblée nationale, plus quinze au Sénat, et à l'issue d'un délai de soixante-dix jours, un texte n'est pas adopté, le Gouvernement peut légiférer par ordonnances. Soixante-dix jours de débat, à qui cela fait-il peur ? Le consentement à l'impôt est au fondement de la démocratie et du parlementarisme. Si l'on peut légiférer sur tout, sauf le budget, ce n'est pas sérieux. La révision constitutionnelle de 2008, par laquelle on a cherché à limiter le recours au 49.3, n'a pas porté ses fruits. Désormais, toutes les réformes structurelles importantes, à l'image de la réforme des retraites, sont intégrées à des textes budgétaires, et le 49.3 est devenu systématique et insupportable.

Madame Rousseau, effectivement le 49.3 est considéré comme un joker contre la démocratie. Il permet au Président de la République de contourner le Parlement. Il alimente la colère et, concernant l'avenir incertain de la démocratie en France, je partage votre analyse. Si le 49.3 est normalement à l'initiative du Gouvernement, en réalité c'est le Président de la République qui le déclenche, en concertation avec le Premier ministre – les auditions nous l'ont confirmé.

Madame Faucillon, en effet, la responsabilité du Gouvernement est inversée. Normalement, dans toute démocratie parlementaire, on s'assure d'abord que le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée, puis celui-ci applique son programme. La Constitution, à l'inverse, comporte des mécanismes qui empêchent les parlementaires de renverser le Gouvernement. L'enchaînement des élections présidentielle et législatives en est un. Dès lors que parmi les députés qui siègent aujourd'hui à l'Assemblée nationale, une majorité reçoit son investiture et sa circonscription des mains mêmes du Président de la République, comment voulez-vous qu'ils exercent réellement leur rôle de contre-pouvoir ?

Le 16 mars 2023, le 49.3 est effectivement devenu tout à fait insupportable. Il n'a pas toujours été employé dans des circonstances identiques. Certes, il a été conçu à la fin de la IVe République, mais son usage dans un contexte de gouvernement minoritaire le rend particulièrement insupportable.

Monsieur Pancher, la démocratie est en danger, je vous suis sur ce point. Vous avez raison d'insister sur la fragilisation et l'effacement au sein de nos institutions des corps intermédiaires. Les partis politiques, très décriés en France depuis la IVe République, sont également effacés. La structuration du débat politique est pourtant une condition de la démocratie.

En effet, l'obligation d'appliquer le 49.1 rendrait inutile le recours au 49.3, donc autant l'effacer. Ce n'est pas seulement symbolique, ce sont aujourd'hui des mécanismes qui fragilisent la confiance de nos concitoyens dans la démocratie – vous-même vous en êtes inquiété.

Monsieur Gouffier Valente, nous sommes certes dans une démocratie, mais aussi dans une monocratie. La démocratie française se résume à l'élection du Président de la République une fois tous les cinq ans et, dans l'intervalle, c'est « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Il n'y a plus de référendum. Il n'y a plus la respiration démocratique qu'apportait le décalage entre le septennat et le mandat législatif de cinq ans, et qui permettait aux Français de valider ou non la politique du Gouvernement. Cette démocratie est alors comme une tomate qui n'aurait ni goût, ni odeur : c'est sympathique, mais l'on préférerait quelque chose de plus savoureux.

La Constitution a été révisée par petits bouts à vingt-cinq reprises ; il faut continuer. Il n'y a pas de consensus, ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat, pour réviser la Constitution dans son ensemble ; les visions de ce qu'elle devrait être divergent. Mais il existe un consensus, dans la société et à l'Assemblée nationale, sur le déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Sur ce point, nous pouvons avancer. Ne nous dites pas que vous le ferez plus tard, car cela n'arrivera pas – en un quinquennat et demi, rien n'a été fait en matière institutionnelle. Nous proposons aujourd'hui quelque chose de précis, de facile à mettre en œuvre et de relativement consensuel : n'ayons pas peur, allons-y ! Nous sommes des parlementaires, ne soyons pas dans la paresse et la servitude volontaire. Souhaitant qu'ils votent ce texte, je ne critiquerai pas trop les parlementaires de la majorité, mais la servitude volontaire peut s'avérer pratique pour ne pas avoir à assumer les conséquences de son vote devant les concitoyens.

Madame Ménard, le vote d'investiture fragilisait effectivement la IVe République, mais parce que le droit de dissolution était tombé en désuétude. Ce n'est pas le cas dans la Ve République, il n'y a donc pas de risque d'instabilité. Le 49.2 est extrêmement difficile à faire aboutir, parce qu'une grande partie des députés doit son mandat au chef de l'exécutif.

Nous reviendrons sur la question de la dernière version retenue dans la discussion des amendements.

Madame Garrido, le Président de la République qui gouverne en lieu et place du Gouvernement, c'est la réalité. Il confond les articles 5 et 20 de la Constitution. Du fait que celle-ci le rend irresponsable – c'est ainsi qu'elle a été conçue – cela crée une difficulté pour gouverner ce pays.

Monsieur Breton, si on déconnectait les élections législatives de l'élection présidentielle, on retrouverait une respiration démocratique. Aujourd'hui, on ne discute pas des programmes à l'occasion des élections législatives.

Vous nous invitez à ne pas figer le Gouvernement dès le départ, mais s'il ne convient pas, il peut tomber et redemander la confiance, ce que permettrait la réécriture de l'article 1er que je propose.

Quant à repenser les modalités du 49.3, il y a suffisamment d'outils dans la Constitution pour légiférer, y compris par ordonnances en matière budgétaire. Si l'on ne veut pas que le 49.3 soit utilisé, il faut le supprimer. La Constitution est bien mais mal utilisée, selon certains. Or, l'objet d'une constitution, c'est de limiter la pratique du pouvoir. Une mauvaise utilisation ne doit pas être possible, il faut donc en retirer toutes les possibilités d'abus. Allons au bout et supprimons le 49.3 !

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