La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission examine la proposition de loi constitutionnelle pour un article 49 respectueux de la représentation nationale (n° 940) (M. Jérémie Iordanoff, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/vz2mE0

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Mes chers collègues, nous examinerons deux propositions de loi déposées dans le cadre de la journée réservée au groupe Écologiste, prévue le jeudi 4 avril. Nous débutons par celui de la proposition de loi constitutionnelle pour un article 49 respectueux de la représentation nationale, et je cède la parole à M. Iordanoff, qui en est le rapporteur.

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Cette proposition de loi constitutionnelle, déposée en mars 2023, a été cosignée par plusieurs de mes collègues écologistes et des membres de groupes de gauche. Elle a pour objet de rendre l'article 49 de la Constitution respectueux de la représentation nationale, dans un contexte de dérive de la pratique de la Ve République, marqué par un fort niveau de défiance envers les institutions et un flagrant déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. N'en déplaise à ceux qui m'ont affirmé le contraire, le sujet est très sérieux.

Cette proposition ne vise que le seul article 49, parce que, dans le cadre d'une niche parlementaire, nous sommes contraints par le temps. J'aurais eu, sinon, grand plaisir à réécrire la Constitution dans son ensemble.

Même si elle est réelle, j'aimerais dépasser la charge symbolique de l'article 49, alinéa 3, et apporter des arguments de fond, issus des auditions passionnantes que nous avons conduites. Je tiens à remercier ici tous les universitaires auditionnés, professeurs de science politique comme constitutionnalistes. Avec leur éclairage, nous avons repris la genèse de la Ve République pour penser les équilibres institutionnels sur le temps long – le sujet réclame de prendre du recul et de se détacher de l'actualité. Je remercie également l'ancien Président de la République François Hollande et l'ancien Premier ministre Manuel Valls, qui ont accepté d'apporter un point de vue plus politique sur cette proposition de loi.

Cette proposition de loi constitutionnelle concerne le cœur de l'équilibre institutionnel de la Ve République. Elle est simple et concise dans sa formulation : en premier lieu, nous proposons de modifier l'alinéa premier de l'article 49 de la Constitution en imposant à tout gouvernement nouvellement formé de demander à l'Assemblée nationale un vote de confiance ; en second lieu, nous souhaitons supprimer l'alinéa 3 de l'article 49.

Dès l'origine, la Ve République a été marquée par un déséquilibre entre les pouvoirs au profit de l'exécutif : avec l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, décidée en 1962 et appliquée en 1965, puis avec le passage au quinquennat et la synchronisation du calendrier électoral en 2000.

Cette hyper-présidentialisation du régime aboutit aujourd'hui à une impasse. Parce que tout tourne autour de l'élection présidentielle, les autres institutions sont dévitalisées. Les élections législatives sont rendues invisibles et l'Assemblée nationale est reléguée à l'arrière-plan. Toutes les attentes de nos concitoyens sont tournées vers la figure providentielle du Président de la République qui, chef de la majorité, préside et gouverne, se faisant tout à la fois arbitre et protagoniste. Tout le reste est écrasé et certains diraient que nous sommes en monocratie.

Lorsque le fait majoritaire prévaut, le contrat est simple : le président élu a un mandat pour exécuter son programme, avec le soutien d'une majorité de députés. En 2017, Emmanuel Macron s'était inscrit dans ce schéma classique ; il avait un programme, des idées présentées durant sa campagne et une majorité. En 2022, la situation était différente. Emmanuel Macron n'a pas proposé de programme précis, et sa campagne avait été vaporeuse. Il a été élu au second tour, avec le soutien des voix de la gauche pour écarter Marine Le Pen. Il avait reçu mandat pour battre l'extrême droite, plus que pour réaliser un programme.

En juin 2022, les Français lui ont envoyé un message clair, en refusant de lui donner une majorité, fait rare depuis que l'élection législative suit l'élection présidentielle. L'intelligence politique aurait commandé de tirer les conclusions du verdict des urnes, de reconnaître qu'il n'y avait pas de majorité autour d'un programme, de tout remettre à plat et de chercher une majorité sur de nouvelles bases. Emmanuel Macron a choisi de considérer, comme d'autres avant lui, que l'article 49, alinéa 1er, de la Constitution n'imposait pas à sa Première ministre d'engager sa responsabilité sur un programme ou une déclaration de politique générale. Il a décidé d'ignorer le résultat des urnes et de nommer sciemment un gouvernement minoritaire.

Comment gouverner sans majorité ? La réponse tient en trois chiffres : 49.3. Trois chiffres pour effacer des milliers d'amendements et faire avaler aux députés, sans débat ou presque, deux budgets, deux lois de financement de la sécurité sociale et une réforme des retraites. Trois chiffres pour faire oublier le péché originel du gouvernement Borne : l'absence de vote de confiance.

Alors qu'il était initialement conçu comme un mécanisme exceptionnel, l'article 49, alinéa 3, est devenu, sous le gouvernement Borne, la procédure de droit commun pour faire adopter les textes financiers sans débat. Or, ne l'oublions pas, les parlements sont nés pour garantir le consentement à l'impôt. En d'autres termes, l'usage actuel du 49.3 prive le Parlement de sa vocation essentielle et dénature les institutions.

Ce qui a été conçu comme un instrument de stabilité devient facteur d'instabilité. Chaque utilisation du 49.3 est vécue par nos concitoyens comme une brutalité. Chaque fois, cela alimente une colère qui ne trouve pas d'exutoire au sein d'une Assemblée réduite au silence dès le début de la discussion. Cela sème un peu plus la division, non seulement au sein de l'hémicycle, mais aussi dans la société. Devenu un facteur de troubles, de dissension et d'agitation, le 49.3 contribue aujourd'hui à la défiance envers les institutions.

Parce que nous sommes convaincus que les conflits doivent se résoudre avant tout au sein des institutions, nous entendons redonner à l'Assemblée nationale tout son rôle.

Cela passe, dans un premier temps, par un retour à la pratique orthodoxe de la Constitution. Si chaque nouveau gouvernement devait se soumettre à un vote de confiance devant la représentation nationale, les mouvements politiques n'auraient pas d'autre choix que de s'asseoir autour de la table pour trouver une majorité sur un programme. Dès lors que le Gouvernement disposerait d'une majorité pour la mise en œuvre d'un programme déterminé, l'utilisation du 49.3 deviendrait inutile.

Toute comparaison à l'emporte-pièce avec les IIIe et IVe Républiques traduit soit une mauvaise foi assumée, soit une méconnaissance de l'histoire politique française. Sous la IIIe République, le droit de dissolution était tombé en désuétude dès 1877 et l'échec de Mac Mahon, et il était tellement encadré sous la IVe République qu'il apparaissait quasiment impossible à mettre en œuvre. Cela a grandement contribué à l'instabilité gouvernementale sous ces deux régimes. Tel n'est pas le cas sous la Ve République, dont l'article 12 de la Constitution garantit une arme très puissante au Président de la République. Une seule motion de censure a été adoptée, le 5 octobre 1962, ce qui prouve la puissance dissuasive du droit de dissolution – y compris dans l'actuelle législature. C'est bien ce pouvoir, qui n'est pas remis en cause par notre proposition de loi constitutionnelle, qui assure la stabilité des gouvernements sous la Ve République, pas le 49.3.

En outre, la Ve République donne à l'exécutif bien d'autres outils que le 49.3 pour assurer la stabilité et surmonter l'obstruction. Nous ne connaissons que trop bien le vote bloqué, le temps législatif programmé ou encore les articles 47 et 47-1, que je vous invite à relire : ils encadrent la durée de l'examen des projets de loi de finances (PLF) ou de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et permettent au Gouvernement, par recours aux ordonnances, de légiférer et ainsi éviter tout shutdown à l'américaine.

D'aucuns nous diront que la culture de coalition n'existe pas en France, qu'il est impossible de gouverner sans la confiance présumée de l'Assemblée nationale et l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Pourtant, l'Histoire a montré le contraire : Lionel Jospin a gouverné cinq ans, dans un contexte où aucun parti n'avait de majorité. Parce qu'il a su bâtir une coalition solide, prenant acte de la composition morcelée de l'Assemblée, Lionel Jospin n'a jamais eu recours au 49.3 ; François Fillon non plus.

Il est possible de gouverner sans brusquer le Parlement, c'est-à-dire en le respectant, à condition de s'en donner les moyens ; c'est l'esprit de cette proposition de loi.

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Nous en venons aux interventions des orateurs de groupe.

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L'auteur de la proposition de loi fait état d'un encadrement excessif des prérogatives du Parlement par la Constitution et souligne qu'il en résulte un déséquilibre flagrant qui se traduit par un pouvoir exécutif structurellement organisé pour décider seul. Par les deux articles de sa proposition, il a pour ambition de revenir sur deux points totalement distincts de l'article 49 de la Constitution : le principe de la confiance présumée et le mécanisme de la légalisation forcée.

L'article 1er de la proposition de loi tend à rendre obligatoire l'engagement de responsabilité du Gouvernement, à l'initiative du Premier ministre, sur son programme ou une déclaration de politique générale. Or, le Gouvernement tire sa légitimité de l'élection même du Président de la République, puisque ce dernier procède à la nomination du Premier ministre et qu'il met fin à ses fonctions. Il n'y a donc pas lieu de rendre obligatoire le vote de confiance.

L'article 2 vise à supprimer l'avant-dernier alinéa de l'article 49 de la Constitution, symbole pour les rédacteurs de la proposition de « brutalité à l'encontre de la représentation nationale ». Le 49.3 suscite depuis longtemps passions et critiques. Ses pourfendeurs dénoncent à l'envi le « déni de démocratie », « l'abattoir de la démocratie », « l'abaissement du Parlement ». De grands mots qui claquent aux oreilles des citoyens, mais à l'effet nul et à la justification brumeuse. Effet nul, car dénoncer haut et fort une procédure et un texte n'égalera jamais des actes politiques en cohérence avec les mots, à savoir le dépôt et le vote d'une motion de censure portant sur un texte combattu et décrié. Or, les calculs politiques de certains les conduisent, par idéologie, à ne pas voter les motions de censure déposées par d'autres groupes.

Par ailleurs, en dépit des critiques multiples, l'article 49, alinéa 3, n'a jamais été supprimé, car ses opposants d'aujourd'hui n'ont pas manqué d'y recourir lorsqu'ils gouvernaient. « Le 49.3 est une brutalité, le 49.3 est un déni de démocratie, le 49.3 est une manière de freiner ou d'empêcher le débat parlementaire », déclarait François Hollande en 2006, alors que Dominique de Villepin faisait adopter le contrat première embauche (CPE) au moyen du 49.3. Or, une fois au pouvoir, sa majorité l'utilisa à six reprises.

L'article 49 est le garant d'un nécessaire équilibre entre les différents pouvoirs. Si le troisième alinéa était retiré, il ne resterait plus qu'un pouvoir unilatéral de l'Assemblée sur le Gouvernement, sans aucune contrepartie, une capacité de l'Assemblée de retarder, voire de bloquer, toute action du pouvoir exécutif pour des motifs potentiellement contestables et que ce dernier ne pourrait contrebalancer.

La supposée dialectique du discours au sein de l'Assemblée, censée justifier l'aptitude du Parlement à faire émerger de « bonnes lois », ne résiste pas à l'épreuve du réel. D'aucuns, pour de mauvaises raisons qui n'ont que peu à voir avec le débat, ont choisi de faire de l'obstruction systématique en déposant des milliers d'amendements et de sous-amendements, en multipliant les rappels au règlement qui n'en sont pas et en contrevenant ainsi eux-mêmes à l'expression du fait démocratique, dont ils se prétendent pourtant les ardents défenseurs.

Le 49.3 n'est pas antidémocratique, il est un outil constitutionnel au service de la démocratie. En revanche, certains personnages politiques contemporains ne sont peut-être pas à la hauteur de notre Constitution. C'est peut-être pourquoi ils cherchent, pour certains, à la remplacer.

Je ferai miens les mots de Jean-Louis Debré, selon qui ce n'est pas le 49.3 en lui-même qui pose problème, car il est la résultante de notre Constitution de 1958 approuvée par référendum – à l'époque c'était possible –, mais l'image renvoyée par l'exécutif recourant de façon abusive au 49.3. Dès lors, ce n'est pas parce que le Gouvernement s'est livré ces derniers mois à une utilisation dévoyée de ce mécanisme, en y recourant de façon excessive, que cet article ne conserve pas pour autant son utilité pour l'équilibre des institutions, en évitant des situations de blocage prolongé.

Le groupe Rassemblement national votera contre ce texte.

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Les masques tombent : le Rassemblement national défend le 49.3. Nous allons, pour notre part, proposer de le supprimer.

En utilisant le 49.3 à répétition pour faire adopter le budget de l'État, Emmanuel Macron fait pire que Louis XVI. Avec cette proposition de loi visant à supprimer le 49.3, nous voulons donc remettre les choses en ordre dans le pays qui doit son drapeau tricolore, son hymne et sa devise – Liberté, Égalité, Fraternité – à une révolution qui s'est faite contre la monarchie.

Ce dont il est question aujourd'hui a à voir avec la naissance de la droite et de la gauche. Laissez-moi vous la raconter : le 28 août 1789, deux jours après l'adoption de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'Assemblée doit se prononcer sur le droit de veto du roi, par lequel celui-ci peut s'opposer aux décisions de l'Assemblée. Le président demande à ceux qui y sont favorables de s'installer sur sa droite – où se trouvent aujourd'hui les Républicains et le RN – et à ceux qui y sont opposés de se placer à sa gauche – les Insoumis, les écologistes, les communistes et les socialistes d'aujourd'hui. À droite, l'autorité d'un seul ; à gauche, la souveraineté de tous.

Je crois évident que si la question nous était posée aujourd'hui, nous nous placerions tous à gauche. Pourtant, certains s'apprêtent encore à se placer du mauvais côté de l'Histoire et de la politique.

Nos prédécesseurs ont décidé d'accorder un droit de veto suspensif à Louis XVI, à l'exception des questions budgétaires. En utilisant sans arrêt le 49.3 sur des questions budgétaires, Macron fait donc pire que Louis XVI. En vous proposant de supprimer le 49.3, nous vous invitons à affirmer votre pouvoir de Parlement souverain face à ceux du monarque républicain. Pour nous, Insoumis, cela est bien sûr insuffisant, puisque nous prônons une VIe République, avec une intervention populaire permanente : le référendum d'initiative citoyenne pour proposer ou abroger une loi, ou bien encore la possibilité de dégager en cours de mandat un élu dont on ne serait pas satisfait. Mais ce serait déjà ça, car sans 49.3, pas de retraite à 64 ans ni de coupes budgétaires, pas de coup de force contre le peuple.

Que sommes-nous ? Les paillassons de la volonté d'un seul, ou bien l'expression de la souveraineté du peuple ? L'article 3 de notre Constitution est clair à ce sujet : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. » Or, quand il fait passer par le 49.3 des réformes dont personne ne veut, Macron s'attribue bien l'exercice de la souveraineté. Nous ne sommes pas d'accord avec ça, car l'article 2 de notre Constitution dispose que le principe de notre République est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Sommes-nous encore en république quand s'impose le gouvernement d'un seul, sans le peuple et contre lui ? Non. Nous sommes dans autre chose : un système autoritaire que nous appelons « monarchie présidentielle ».

Le 49.3 est peut-être constitutionnel, comme vous vous plaisez à le rappeler, mais il n'est ni démocratique, ni républicain. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de le rendre non constitutionnel, en le supprimant de la Constitution.

Vous pouvez faire honneur à la France républicaine, à son drapeau, à son hymne, à sa devise – mais on voit que le Rassemblement national n'est pas très intéressé par cette idée –et cela très simplement, en votant la suppression du 49.3. Cela demande moins de courage qu'à Mirabeau lançant à l'envoyé du roi : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes. » Nous tous ici sommes là par la volonté du peuple et il est plus que temps de faire ce qu'il attend de nous : servir loyalement sa volonté. C'est ce que nous ferons, députés insoumis, fidèles à la longue histoire de la patrie républicaine des Français.

Nous avons compris que le Rassemblement national défendait le 49.3 et le 49.1, c'est-à-dire la possibilité pour le Gouvernement de gouverner sans l'assentiment de l'Assemblée ; mais nous, républicains et Français convaincus par cette histoire républicaine, voterons la modification de l'article 49, alinéa 1, et la suppression de l'article 49, alinéa 3.

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Qu'il s'agisse de l'alinéa premier ou troisième de l'article 49, rarement une procédure aura été aussi décriée, fantasmée et même connue de l'ensemble de nos concitoyens – un micro-trottoir pourrait le démontrer.

Il s'agit du mécanisme d'une rationalisation, peut-être poussée à l'extrême, mais qui a permis à la République, depuis 1958, de s'affirmer et de traverser bien des vicissitudes. En 1958, en pleine guerre d'Algérie, la IVe République était celle du « gouvernement à secousses », disait Edgar Faure – vingt-quatre gouvernements en douze ans –, un régime en réalité aux mains des partis. Il fallait donner de la stabilité non seulement aux institutions, mais surtout à la République. C'est ce qu'a tenté de faire la Ve République.

Certes, c'est une république très rationalisée, dont on dénonce certains blocages par moments, mais en réalité, cette vieille dame de 65 ans est le plus long régime politique depuis la Révolution française. Grâce à la Ve République, et parfois ses excès, on a pu gérer la fin de la guerre d'Algérie, l'alternance, la crise de mai 1968 et inventer la cohabitation – un régime qui n'aurait pas été envisageable avec d'autres institutions.

Même si nous dénonçons parfois des fonctionnements chaotiques, nous avons aujourd'hui une République qui tient dans un monde tourmenté, malgré la guerre en Ukraine et des chiffres budgétaires alarmants. Le 49.3 n'y est pas nécessairement pour grand-chose, c'est plutôt la capacité des gouvernants à proposer des alternatives politiques crédibles.

Revenons à l'esprit de la Ve République, ou bien préférons-nous le chaos ? Une république ingouvernable ? En réalité, derrière la révision de l'article 49 se cache une remise à plat de la République, et carrément une VIe République.

On peut pointer les excès de ce 49.3, utilisé vingt-trois fois par le gouvernement d'Élisabeth Borne, mais on est loin du record de Michel Rocard, qui y a eu recours vingt-huit fois ! Cela a quand même permis au pays d'avancer.

On peut évidemment s'élever contre le 49.1 et le 49.3, mais en réalité, la question est plutôt de savoir si le Parlement est capable de déposer une motion de censure, et surtout de la voter. Si aucune motion de censure n'a été votée jusqu'à présent, c'est parce qu'il n'y a pas de majorité alternative. Je le regrette, étant dans l'opposition. Au lieu d'accuser nos institutions, interrogeons-nous sur nos propres forces politiques et sur ce qu'attendent nos concitoyens.

Plutôt que de tirer sur l'ambulance, révisons éventuellement nos institutions, mais faisons-le globalement et pas par petites touches illusoires.

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Personne n'est dupe : en proposant de réformer la Constitution dans le cadre d'une niche, vous voulez en fait ouvrir un débat sur nos institutions. C'est très bien, très sain, mais il y avait d'autres moyens de le faire que la suppression de l'article 49, alinéa 3. C'est populaire, mais je n'irai pas jusqu'à vous accuser de populisme.

Chiche ! Attelons-nous à cet exercice seulement le temps de votre niche, puisqu'on ne révise pas la Constitution dans un tel cadre.

Vous avez dressé un constat, que l'on peut certes partager, et qui a donné lieu à quelques imprécisions de la part de M. Gosselin : l'article 49.3 a été utilisé à vingt-trois reprises, mais pour un ensemble de cinq textes seulement. Cela est à mettre en perspective avec les nombreux textes qui ont été votés durant cette législature, dont une part considérable à l'unanimité.

Vous souhaitez une révision ; je vais vous présenter trois dispositifs défendus par le groupe MoDem, puis un que je défends à titre personnel.

Révisons l'article 49 avec également son alinéa 2, de façon à instituer une motion de censure constructive, à l'image de ce qui est pratiqué en Allemagne : les députés qui ont fait voter une motion de censure doivent s'engager à former un gouvernement dans les deux jours, et ont dix jours pour le présenter définitivement. La censure s'appuie normalement sur une volonté de certains groupes politiques de proposer une alternative ; cette mesure permettrait de la vérifier.

Nous vous proposons également de modifier l'article 38 de la Constitution, moins connu, qui a trait aux ordonnances. Nous souhaitons limiter la nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui considère être compétent pour examiner, par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), les dispositions des ordonnances non ratifiées à l'expiration du délai d'habilitation. Nous considérons que ce point pose problème et nous vous proposons un dispositif pour l'améliorer.

À votre souhait de passer à des gouvernements de projet et de former des coalitions, dépassant ainsi le réflexe français d'être pour ou contre, nous répondons en proposant d'inscrire à l'article 24 de la Constitution, qui détermine les modalités d'élections des parlementaires, le recours au scrutin proportionnel pour l'élection des députés – j'espère que vous voterez pour. Une loi organique réglerait les modalités du scrutin.

Enfin, à titre personnel, je souhaite que l'élection du Président de la République se fasse, non plus au scrutin universel direct, mais au scrutin universel indirect, avec un collège électoral à définir – probablement pas le même qu'en 1962. C'est un débat que nous devons avoir pour que nous institutions retrouvent leur équilibre.

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La France est probablement le pays d'Europe occidentale le moins démocratique, en raison même de l'article 49 de la Constitution. Le premier défaut de ce dernier, auquel tente de remédier la proposition de loi, est l'absence de responsabilité réelle du Gouvernement devant le Parlement. Que le premier n'ait pas à demander obligatoirement le vote de confiance du second fait de la France une vraie exception. Dans toutes les démocraties européennes, le gouvernement est responsable devant le parlement et se soumet à un vote d'investiture, condition même du respect de la souveraineté populaire ; ce n'est pas le cas en France. Même la Commission européenne, qui n'est pourtant pas l'organe le plus démocratique, se soumet à un vote par le Parlement européen et ne peut être investie si elle ne recueille pas la majorité des suffrages. L'une des solutions aux difficultés institutionnelles que nous rencontrons est donc la réelle responsabilité du Gouvernement devant le Parlement.

Je suis d'accord avec M. Balanant sur la nécessité de développer une culture de coalition dans notre pays. C'est bien une coalition qui devrait aujourd'hui diriger le pays pour respecter la volonté des électeurs. À défaut, comparée aux autres pays européens, la France a le gouvernement le moins représentatif du suffrage populaire. Nous devons corriger cela, et c'est ce que permettrait l'article 1er de cette proposition de loi.

L'alinéa 3 de l'article 49 est aussi une exception française. La loi fondamentale allemande comporte un article semblable, mais la faculté de vote demeure soumise à l'accord du Bundesrat – ce qui n'est pas le cas en France. Cette disposition n'a d'ailleurs jamais été utilisée dans l'histoire de la République fédérale allemande, tandis que le 49.3 a été massivement utilisé en France. À l'instar de nos collègues écologistes, nous considérons que cet article doit être supprimé, non seulement parce qu'il empêche le Parlement de voter et d'exprimer librement la souveraineté populaire, mais aussi parce qu'il crée un système fondé sur le gouvernement d'un seul – absolument insupportable en démocratie et que nous ne pouvons accepter.

Si la proposition de loi est discutée en séance, ainsi que nous l'espérons, nous déposerons un amendement tendant à toiletter l'article 49 et à maintenir la possibilité d'adopter un texte sans vote en cas de blocage – ce qui peut arriver. Nous aimerions créer la possibilité de recourir au référendum, afin de modérer la violence du 49.3.

Pour toutes ces raisons, les socialistes voteront favorablement cette proposition de loi.

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La proposition de loi constitutionnelle prétend modifier substantiellement l'équilibre de nos institutions, en exigeant du Gouvernement qu'il sollicite un vote de confiance dans les meilleurs délais après sa nomination et en supprimant la possibilité d'engager sa responsabilité sur le vote d'un texte, comme prévu à l'alinéa 3 de l'article 49. Je ne partage ni l'analyse, ni la réponse apportée, cela ne vous étonnera pas ; mais je salue l'initiative du groupe Écologiste d'amener ce débat essentiel sur notre fonctionnement démocratique interne.

Sans surprise, nous sommes profondément attachés à l'esprit de la Constitution imaginée par le général de Gaulle, et nous ne voterons donc pas cette proposition de loi, pour plusieurs raisons.

D'abord, il nous semble que le vote de confiance doit demeurer une possibilité, et non une obligation, et cela conformément à la pratique constitutionnelle qui prédomine depuis 1962. L'esprit de la Ve République repose sur un équilibre subtil qu'il convient de conserver : le Gouvernement dispose de la plénitude de ses capacités dès sa nomination par le chef de l'État ; il n'a ni juridiquement, ni politiquement besoin d'une investiture parlementaire, car en cas de désaccord, l'Assemblée nationale dispose de la motion de censure. Au demeurant, si le Premier ministre était tenu d'engager sa responsabilité, la seule sanction possible à son abstention serait justement la censure ; or, le Parlement dispose déjà d'un tel pouvoir.

Il ne semble pas pertinent de supprimer l'alinéa 3 dans sa version issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Cet article est essentiel à la stabilité institutionnelle du pays. Peu utilisé dans les situations de majorité absolue, il est devenu indispensable dans les cas de majorité relative, tels que nous en vivons aujourd'hui. Depuis 2022, aucun budget n'aurait pu être adopté sans recourir à cet outil.

Il est souvent fait abstraction de l'équilibre de cet alinéa : si le Parlement est majoritairement opposé à l'adoption d'un texte, il peut censurer le Gouvernement. Or, depuis 2022, et malgré les nombreuses motions de censure qui ont été discutées, aucune majorité alternative n'a émergé. Je salue à ce titre l'enjeu que soulève l'amendement déposé par le groupe Démocrate : fondamentalement, la censure du Gouvernement n'a de sens que si elle ouvre la voie à un gouvernement alternatif. Or, aucun groupe dans cette Assemblée n'a davantage de majorité. L'absence de cet alinéa ne conduirait donc qu'à un blocage institutionnel, sans aucune solution alternative, permettant au pays d'avancer, aux fonctionnaires d'être payés, aux médicaments d'être remboursés – je pourrais continuer ainsi pendant un quart d'heure.

En outre, la révision constitutionnelle de 2008 a considérablement réduit la portée de cet alinéa, en limitant son utilisation à un texte, hors textes budgétaires. Ainsi, en dehors du cas dans lequel les finances du pays sont examinées, le Gouvernement ne peut en faire qu'un usage extrêmement limité. En somme, nous considérons que l'esprit de la Constitution de 1958 est celui d'une République stable et respectueuse des droits fondamentaux, ainsi que de l'équilibre des pouvoirs. Elle a permis de consolider nos institutions et de garantir le fonctionnement efficace de notre démocratie depuis plus de six décennies.

Le groupe Horizons et apparentés ne votera pas pour cette proposition de loi constitutionnelle.

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L'élection présidentielle ne peut pas être la seule élection qui donne le la à tout un peuple. Le présidentialisme minoritaire que nous connaissons actuellement pousse aux limites la Ve République et la place qu'y occupe le Parlement. Un hyperprésident peut nommer des gouvernements sans jamais avoir à demander la confiance du Parlement et sans jamais chercher à travailler avec une majorité fondée sur la clarté d'une ligne politique. Un hyperprésident a aussi dans sa main la possibilité, par l'intermédiaire du Gouvernement, de poser sur le tapis de la démocratie des jokers que nous pensions en quantité limitée mais dont la réforme des retraites nous a fait découvrir qu'ils étaient presque illimités : il suffit que le sujet soit budgétaire – au fond, tout pourrait être budgétaire.

Il est devenu si facile, d'un coup de baguette magique, de dessaisir le Parlement de son rôle le plus fondamental : faire la loi, c'est-à-dire coconstruire, débattre, voter, évaluer. Dès lors, que reste-t-il aux parlementaires ? La voix, l'affrontement, l'obstruction, les motions de rejet et de censure utilisées à l'envi. Nous sommes ainsi devenus les personnages d'un théâtre bien triste, dans lequel la volonté d'un homme peut à chaque instant faire tirer le rideau et interrompre la pièce qui se joue, au mépris de ses acteurs et surtout des électeurs.

La démocratie est fragile, très fragile même. Il suffirait de presque rien, comme dit la chanson, pour qu'elle soit balayée comme un fétu de paille par le vent mauvais de l'autoritarisme. Alors, oui, il faut obliger les Premiers ministres nommés à constituer des majorités, à travailler des lignes politiques, à proposer des accords de gouvernement en lieu et place d'un seul rapport de force. Il faut restreindre le droit à ces jokers, les supprimer même. Chacun se verra alors contraint d'évoluer : l'opposition – nous –, devra négocier, proposer pour obtenir des bouts de ce pour quoi nous avons été élus ; le Gouvernement aura à rendre compte au Parlement. Il est déplorable qu'un lobby ayant l'écoute du Gouvernement ait plus de chances d'obtenir des avancées dans la loi qu'un ou une parlementaire de l'opposition. Telle est la limite de notre démocratie aujourd'hui.

À force d'usages et de mésusages, vous videz la démocratie de sa substance ; à force de rapports de force, vous faites monter la colère ; à force d'imposer ce qui doit être discuté, vous ouvrez grand les portes à un avenir démocratique incertain, dont nous avons entendu précédemment quelques signes avant-coureurs.

Le groupe Écologiste votera pour ce texte, car le 49.3 est la limite profonde de notre fonctionnement démocratique.

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« Période stable », « équilibre subtil entre l'exécutif et le Parlement », j'ai l'impression que nous ne vivons pas tout à fait dans le même régime démocratique.

La Ve République a largement atteint l'âge de partir à la retraite ; elle a même dépassé celui que vous avez relevé à coup de 49.3. La présente proposition ne vise pas le basculement vers un nouvel âge démocratique, mais elle ferait tout de même beaucoup de bien à notre démocratie. En principe, le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée, qui peut le révoquer à tout moment ; en pratique, la responsabilité du Gouvernement est particulièrement difficile à mettre en cause. L'article 49 définit pour ce faire trois procédures, qui peuvent aboutir, conformément à l'article 50, à la démission du Gouvernement, remise par le Premier ministre au Président de la République. Or, selon le non-usage ou l'usage qui est fait de ces mécanismes de responsabilité politique du Gouvernement, le 49.1 et le 49.3 participent non seulement à la dévaluation institutionnelle du Parlement, mais aussi à celle de la démocratie. La réforme des retraites a bien montré un piétinement de la volonté du peuple et la démocratie sociale.

L'article 49, alinéa 1 pose la façon la plus simple et la plus claire pour le Gouvernement d'engager sa responsabilité : « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. » Ces lignes sont très éloignées de ce que nous vivons ces derniers temps.

L'engagement de la responsabilité n'est pas obligatoire lors de l'entrée en fonction d'un Gouvernement et certains n'y ont jamais eu recours. Cet article est surtout utilisé pour rassembler la majorité parlementaire. Comme le soulignent les auteurs de la proposition de loi, cela a, en quelque sorte, retiré la puissance politique à l'Assemblée nationale d'accorder sa confiance au Gouvernement. De fait, ni Élisabeth Borne, ni Gabriel Attal n'ont engagé la responsabilité de leurs gouvernements devant la représentation nationale.

Afin de remédier à cette contradiction de l'esprit de l'article 49, alinéa 1, de la Constitution, l'article 1er de cette proposition vise à rendre explicitement obligatoire l'engagement de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement – je ne vois pas ce qui vous effraie là-dedans.

En application de l'article 49, alinéa 3, le Premier ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Cet article est un moyen efficace pour le Gouvernement de faire voter rapidement des textes auxquels il est attaché, en accélérant la procédure législative et en clôturant les débats. On a vu, lors de la réforme des retraites, qu'un Président de la République, à lui seul, peut imposer une loi contre l'avis d'une grande majorité du peuple, contre des syndicats particulièrement unis et contre une majorité parlementaire. Depuis le 16 mars 2023, date historique de bascule où les citoyens et les corps intermédiaires ont été dépossédés de leur forme de pouvoir et à ce point piétinés et écrasés, on ne peut plus considérer que nous vivons pleinement en démocratie. Voilà qui nous invite à voter la proposition de loi.

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Notre démocratie est vraiment à bout de souffle. La hausse de l'abstentionnisme et des votes extrêmes, la remise en cause de tout par nos concitoyens doivent nous alerter. C'est extrêmement grave. Jamais je n'aurais pensé que notre démocratie puisse être mise en danger ; maintenant, je crois cela possible.

Nos institutions fonctionnent de plus en plus inefficacement, notre pays est parmi les plus dépensiers, notre dette, parmi les plus importantes, et nos services publics n'ont jamais aussi mal fonctionné. Vous aurez beau mettre à la tête de notre pays n'importe quel génie pourvu d'un cerveau dix puissance dix, casseur d'assiettes ou bateleur de foire, rien ne changera réellement si nous n'engageons pas un rééquilibrage profond et total de nos institutions.

Le pouvoir exécutif est tout sauf exécutif : son contrôle presque complet du Parlement en fait un pouvoir législatif. Il devient même parfois un pouvoir judiciaire, à voir sa capacité à anticiper les décisions de justice grâce aux pouvoirs excessifs confiés à ses représentants.

Cette hyper-concentration des pouvoirs se conjugue à un affaiblissement complet des corps intermédiaires. On assiste à la fin du paritarisme, censé assurer le contrôle des dépenses sociales dans notre pays. La décentralisation, réduite voire marginale, n'existe pas vraiment, tout comme la consultation de nos concitoyens. Cerise sur le gâteau, le Conseil constitutionnel n'est pas une cour constitutionnelle : tantôt il applique la Constitution, tantôt il juge en opportunité politique. Comment voulez-vous que cela fonctionne ? Ce n'est pas possible, avec un pouvoir exécutif qui prend toutes les décisions, appuyé par des hauts fonctionnaires sûrs d'eux.

Le bon sens le plus élémentaire commanderait de rendre obligatoire l'engagement de la responsabilité du Premier ministre lors de son investiture. Ce serait un grand pas pour la démocratie, car cela garantirait le respect permanent du Parlement. Ne pas le rendre obligatoire, c'est permettre à n'importe quel Premier ministre d'utiliser la boîte à outils constitutionnels du contournement permanent du Parlement, même lorsque nos concitoyens disent ne pas vouloir d'une majorité absolue. Ce n'est pas possible et je remercie le groupe Écologiste pour cette initiative, que j'ai toujours soutenue.

Supprimer le 49.3 est radical, j'en conviens, mais nous n'aurions pas besoin de le faire si la responsabilité du Premier ministre et celle de son gouvernement étaient systématiquement engagées devant le Parlement. Chacun constate le dévoiement de cet article, auquel 79 % des Français jugent le recours inacceptable. C'est pourquoi le groupe LIOT votera avec enthousiasme cette proposition de loi à caractère symbolique.

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Cette proposition de loi va nous permettre d'avoir des débats utiles, attendus par nos concitoyennes et concitoyens.

Je veux d'abord dire, au nom de mon groupe, que nous sommes heureux de vivre dans un pays où il est possible de répéter matin, midi et soir que nous ne sommes pas en démocratie, où l'on peut débattre et critiquer ses représentants, le Président de la République en tête. Bref, nous sommes heureux de vivre dans une démocratie, aussi imparfaite soit-elle, car nous pouvons la corriger.

Le groupe Renaissance votera contre cette proposition de loi constitutionnelle, en raison de son désaccord sur la méthode. On ne peut pas réviser la Constitution par petites touches, dans le cadre de niches parlementaires, surtout lorsqu'il s'agit d'articles qui forment la clé de voûte de l'équilibre entre les différents pouvoirs dans la construction de la décision. Nous sommes favorables à des révisions visant à actualiser le contrat social ou touchant à des questions territoriales, comme l'introduction dans la Constitution de la liberté garantie de recours à l'IVG ou les évolutions concernant la Nouvelle-Calédonie et la Corse.

Cette proposition de loi est néanmoins utile, car il est en effet nécessaire de discuter des deux dispositifs constitutionnels qui font débat parmi nos concitoyens. Nous reviendrons sur l'intérêt des alinéas 1 et 3 de l'article 49, qui sont le fruit, non pas de la Ve République naissante, mais des travaux qui ont été menés durant la IVe République pour lutter contre l'instabilité, retrouver de la gouvernabilité et restaurer la capacité de prise de décision.

Par voie d'amendement, nous soulèverons, nous aussi, le sujet de la motion de censure constructive, car, dans le présent mandat, ce n'est pas le 49.3 qui est dévoyé, c'est la motion de censure, déposée à répétition à des fins de communication politique – certaines recueillent même moins de voix que de signataires. Il serait pertinent d'adjoindre à leur dépôt une présentation de l'alternative politique souhaitée.

Ce texte est utile également pour échanger sur l'état de notre démocratie tel que nous le constatons, ses imperfections et les améliorations que l'on pourrait souhaiter. Le constat qu'avait dressé Renaissance en 2017, d'un déséquilibre entre les pouvoirs, d'un défaut de représentativité et de difficultés liées à notre procédure législative reste valable, mais il suppose de discuter de cet ensemble de dispositions de manière liée. C'est pourquoi nous continuons d'appeler à un échange avec l'ensemble des forces politiques, ainsi qu'entre les deux chambres du Parlement, afin de réussir, dans les années qui viennent, à moderniser en profondeur notre Constitution. Les institutions sont ce que nous en faisons en tant que politiques.

Le groupe Renaissance a déposé des amendements d'appel et votera contre cette proposition.

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En 1958, en rupture avec la tradition parlementaire de la République française, c'est au tour du pouvoir exécutif d'être renforcé. Sous l'impulsion du général de Gaulle, Michel Debré conduit la rédaction de la Constitution de la Ve République, qui sera adoptée par référendum à 82,6 %.

L'article 49 a été conçu pour mettre fin au système d'investiture du Premier ministre par le Parlement, qui plaçait immédiatement le Gouvernement dans une position de fragilité à son égard, pour ne pas dire de dépendance. Pour autant, la nouvelle Constitution n'a pas laissé l'Assemblée nationale sans arme, puisqu'en cas de désaccord avec le Gouvernement, il lui est possible de déposer une motion de censure, ainsi qu'en dispose l'article 49, alinéa 2. L'alinéa 3 du même article, qui fait grincer tant de dents au sein de l'Assemblée nationale, n'en est qu'une variante.

Là réside tout l'équilibre voulu par la Constitution. En 1958, on recherchait la stabilité du Gouvernement, certes, mais pas à n'importe quel prix. S'il est vrai que le recours à l'article 49 semble s'être banalisé ces dernières années, rien n'empêche les députés de voter la motion de censure et de destituer le Gouvernement. Reste qu'il faut savoir évaluer les conséquences d'un tel acte.

Comme tout parlementaire attaché à sa prérogative de faire la loi, je suis naturellement consciente que ce pouvoir nous est conféré par nos administrés, mais je reste favorable à l'équilibre voulu par le constituant de 1958, d'autant plus que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a opéré un rééquilibrage, en limitant fortement le recours à l'article 49, alinéa 3.

Ce rééquilibrage pourrait être encore amélioré en faisant en sorte, en cas de recours au 49.3, de retenir le dernier texte voté par l'Assemblée nationale et non pas un texte laissé au bon vouloir du Gouvernement. J'ai déposé un amendement en ce sens.

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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Collègues, vous trouvez normal que les parents soient responsables de leurs enfants, que les salariés soient responsables de leurs fautes professionnelles, que les auteurs de dommages soient responsables des réparations auprès de leurs victimes. Quid de la politique ? Comment accepter que les gouvernants ne soient pas responsables de leurs gouvernements ? J'entends les membres de la majorité défendre cette impunité gouvernementale ; j'entends le RN expliquer qu'il ne faudrait pas contraindre le Gouvernement à engager sa responsabilité au prétexte qu'il tirerait sa légitimité de l'élection du Président de la République, comme s'il existait des élections par ricochet et que le Président de la République était lui-même responsable politiquement, ce qui n'est pas le cas – c'est bien le souci. C'est là quelque chose de socialement, éthiquement, politiquement, moralement, fondamentalement inacceptable, et la société ne l'accepte plus. Elle n'accepte pas que des gens qui exercent autant de pouvoir sur son quotidien soient dans l'impunité et refusent absolument la sanction démocratique du peuple et des parlementaires.

Sans cette impunité, l'âge de départ à la retraite n'aurait pas été relevé à 64 ans, et la rénovation thermique des bâtiments bénéficierait des 12 milliards d'euros que nous avions votés à l'Assemblée nationale. C'est par un 49.3 tricheur, dictature de la minorité, que vous avez imposé cela. Les Français le savent et ne le toléreront plus. C'est bien heureux que nous en parlions aujourd'hui pour le supprimer.

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Nos institutions sont vivantes, elles ne sont pas figées une fois pour toutes. La démocratie est fragile et il est important d'en prendre soin, et un débat tel que celui d'aujourd'hui y contribue. L'évolution de la Ve République prête en effet à interrogation, voire à inquiétude : tout tournant autour de l'élection présidentielle, les autres élections s'en trouvent dévalorisées, et le débat politique est dévitalisé. Sa dimension collective est asséchée par cette personnification du débat présidentiel.

Nos institutions sont solides et nous pouvons en être fiers. La Ve République a permis de surmonter des moments compliqués : l'alternance, la cohabitation et différentes crises sociales. Mais cette solidité n'empêche-t-elle pas, d'une certaine manière, des respirations démocratiques ? On le constate avec l'abandon du recours au référendum, sans doute regrettable.

Le 49.3 éloigne un peu plus nos concitoyens du Parlement, de la vie politique ainsi que des institutions. Il s'ajoute à d'autres dispositifs provoquant des atteintes au bon fonctionnement du Parlement : le vote bloqué, le temps législatif programmé, l'utilisation parfois abusive de l'article 40 et désormais de l'article 45, ou les atteintes répétées au droit d'amendement.

Ces questions, nous pouvons les partager, mais il faut être prudent sur les réponses à apporter. En particulier, il ne faut pas se crisper sur l'article 49. D'une part, l'alinéa 1 laisse une latitude pour faire vivre une majorité – qu'elle soit relative ou absolue, une majorité se construit et ne doit pas être figée dès le départ ; d'autre part, mieux vaudrait réfléchir aux modalités de l'alinéa 3, comme le moment de son déclenchement ou le contenu du texte retenu, qui doit pouvoir reprendre des amendements et pas seulement les mesures qui conviennent au Gouvernement.

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Madame Bordes, dans un régime parlementaire, la légitimité du Premier ministre et du Gouvernement ne découle pas du chef de l'État, mais de l'Assemblée nationale – c'est le cas dans tout régime parlementaire. Le Président de la République dispose certes d'un pouvoir de nomination, mais cela n'implique pas qu'il décide de l'ensemble de la politique du Gouvernement, ni qu'il puisse contourner le Parlement. Allons au bout de la logique et supprimons le Parlement – ce sera plus simple.

Vous parlez d'obstruction ; en la matière, il existe aussi le vote bloqué et le temps législatif programmé. Je vous invite à relire l'article 47 et l'article 47-1 de la Constitution, qui préviennent tout risque de blocage en matière budgétaire.

Michel Debré, qui a grandement contribué à la rédaction de la Constitution, reconnaissait lui-même que le recours abusif au 49.3 rendrait le Gouvernement illégitime. Il faut revenir à l'esprit de la Constitution et abandonner la pratique actuelle.

Votre propos suggérant l'usage de l'article 11 m'a convaincu que si, par malheur, vous arriviez au Gouvernement, vous chercheriez à réformer la Constitution par ce biais. J'en suis extrêmement inquiet. La démocratie mérite mieux que cela.

Monsieur Léaument, depuis 1962, il y a une confusion dans l'esprit de nos concitoyens sur la question de savoir qui représente le peuple. En tant que défenseurs du régime parlementaire, nous considérons que la représentation nationale s'exprime par les députés, mais les Françaises et les Français envisagent l'élection présidentielle comme l'expression de la volonté générale. Certes, à cette occasion un homme est élu, mais sur un programme et, à l'époque où existaient deux modes de scrutin distincts, la légitimité allait à l'Assemblée nationale. Il faut corriger cette confusion, en redonnant au Parlement son plein pouvoir de contrôle de l'action du Gouvernement et en renvoyant le Président de la République à sa fonction d'arbitre, qui lui est assignée par l'article 5. Il n'est pas nécessaire, pour cela, de revenir sur le mode scrutin ; dans d'autres pays, comme l'Autriche ou le Portugal, le président est élu au suffrage universel direct sans pour autant occuper tout l'espace.

Au sujet de la distance entre le peuple et ses représentants, je vous invite tous à écouter ce que disent nos concitoyens en circonscription, lors de bilans de mandat ou après que le budget a été adopté à coup de 49.3, et à en tirer les conclusions qui s'imposent.

Monsieur Gosselin, je comprends qu'en tant que membre de votre formation politique, vous puissiez avoir la nostalgie de la Ve République originelle, mais la pratique des institutions a évolué, comme la lettre elle-même de la Constitution – elle a été modifiée à vingt-cinq reprises. La Constitution dont vous parlez est fantasmée. Quant à la stabilité, notre proposition ne la met pas en cause, puisque nous ne touchons pas au pouvoir de dissolution du Président de la République – celui-là même qui crée la stabilité. Par ailleurs, la Constitution contient de nombreux outils qui organisent un parlementarisme beaucoup trop rationalisé – un constitutionnaliste auditionné a même évoqué une « Constitution orthopédique » –, dans le cadre duquel les parlementaires sont trop contraints.

Monsieur Balanant, je ne partage pas votre défaitisme. Je pars du principe que cette proposition de loi peut, qu'elle doit être adoptée – ce serait salutaire. Le débat parlementaire n'est pas symbolique ; il est utile. Je vous rappelle que l'inscription dans la Constitution de la liberté garantie de recourir à l'IVG a débuté par une initiative parlementaire dans les deux chambres, avant d'être reprise dans un projet de loi constitutionnelle.

Monsieur Brun, le 49.1 et le 49.3 constituent effectivement des exceptions françaises. S'agissant du premier, nous proposons non pas un vote d'investiture, mais un vote de confiance, plus souple. Le vote d'investiture existe dans d'autres démocraties parlementaires et a même existé en France. Le débat à ce sujet n'est pas complètement absurde. S'agissant du 49.3, je vous invite à lire l'« Avis intérimaire sur l'article 49.3 de la Constitution » de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, qui montre que, vu d'ailleurs, cet article un peu particulier constitue une véritable étrangeté.

La proposition de recours au référendum en cas de rejet sera discutée en séance, si j'ai bien compris.

Madame Poussier-Winsback, l'esprit de la Constitution du général de Gaulle ne se retrouve pas dans la pratique actuelle. Bien sûr, l'article 49, alinéa 2, rend possible le recours à la motion de censure, mais il n'a été utilisé qu'une seule fois dans l'histoire de la Ve République et aucune motion de censure n'a été adoptée dans le cadre du 49.3. En réalité, la motion de censure est impossible, il n'y a pas de contre-pouvoir réel.

À propos des éventuels blocages en matière budgétaire, je vous invite à relire les articles 47 et 47-1 : si au bout de quarante jours de débat à l'Assemblée nationale, plus quinze au Sénat, et à l'issue d'un délai de soixante-dix jours, un texte n'est pas adopté, le Gouvernement peut légiférer par ordonnances. Soixante-dix jours de débat, à qui cela fait-il peur ? Le consentement à l'impôt est au fondement de la démocratie et du parlementarisme. Si l'on peut légiférer sur tout, sauf le budget, ce n'est pas sérieux. La révision constitutionnelle de 2008, par laquelle on a cherché à limiter le recours au 49.3, n'a pas porté ses fruits. Désormais, toutes les réformes structurelles importantes, à l'image de la réforme des retraites, sont intégrées à des textes budgétaires, et le 49.3 est devenu systématique et insupportable.

Madame Rousseau, effectivement le 49.3 est considéré comme un joker contre la démocratie. Il permet au Président de la République de contourner le Parlement. Il alimente la colère et, concernant l'avenir incertain de la démocratie en France, je partage votre analyse. Si le 49.3 est normalement à l'initiative du Gouvernement, en réalité c'est le Président de la République qui le déclenche, en concertation avec le Premier ministre – les auditions nous l'ont confirmé.

Madame Faucillon, en effet, la responsabilité du Gouvernement est inversée. Normalement, dans toute démocratie parlementaire, on s'assure d'abord que le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée, puis celui-ci applique son programme. La Constitution, à l'inverse, comporte des mécanismes qui empêchent les parlementaires de renverser le Gouvernement. L'enchaînement des élections présidentielle et législatives en est un. Dès lors que parmi les députés qui siègent aujourd'hui à l'Assemblée nationale, une majorité reçoit son investiture et sa circonscription des mains mêmes du Président de la République, comment voulez-vous qu'ils exercent réellement leur rôle de contre-pouvoir ?

Le 16 mars 2023, le 49.3 est effectivement devenu tout à fait insupportable. Il n'a pas toujours été employé dans des circonstances identiques. Certes, il a été conçu à la fin de la IVe République, mais son usage dans un contexte de gouvernement minoritaire le rend particulièrement insupportable.

Monsieur Pancher, la démocratie est en danger, je vous suis sur ce point. Vous avez raison d'insister sur la fragilisation et l'effacement au sein de nos institutions des corps intermédiaires. Les partis politiques, très décriés en France depuis la IVe République, sont également effacés. La structuration du débat politique est pourtant une condition de la démocratie.

En effet, l'obligation d'appliquer le 49.1 rendrait inutile le recours au 49.3, donc autant l'effacer. Ce n'est pas seulement symbolique, ce sont aujourd'hui des mécanismes qui fragilisent la confiance de nos concitoyens dans la démocratie – vous-même vous en êtes inquiété.

Monsieur Gouffier Valente, nous sommes certes dans une démocratie, mais aussi dans une monocratie. La démocratie française se résume à l'élection du Président de la République une fois tous les cinq ans et, dans l'intervalle, c'est « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Il n'y a plus de référendum. Il n'y a plus la respiration démocratique qu'apportait le décalage entre le septennat et le mandat législatif de cinq ans, et qui permettait aux Français de valider ou non la politique du Gouvernement. Cette démocratie est alors comme une tomate qui n'aurait ni goût, ni odeur : c'est sympathique, mais l'on préférerait quelque chose de plus savoureux.

La Constitution a été révisée par petits bouts à vingt-cinq reprises ; il faut continuer. Il n'y a pas de consensus, ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat, pour réviser la Constitution dans son ensemble ; les visions de ce qu'elle devrait être divergent. Mais il existe un consensus, dans la société et à l'Assemblée nationale, sur le déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Sur ce point, nous pouvons avancer. Ne nous dites pas que vous le ferez plus tard, car cela n'arrivera pas – en un quinquennat et demi, rien n'a été fait en matière institutionnelle. Nous proposons aujourd'hui quelque chose de précis, de facile à mettre en œuvre et de relativement consensuel : n'ayons pas peur, allons-y ! Nous sommes des parlementaires, ne soyons pas dans la paresse et la servitude volontaire. Souhaitant qu'ils votent ce texte, je ne critiquerai pas trop les parlementaires de la majorité, mais la servitude volontaire peut s'avérer pratique pour ne pas avoir à assumer les conséquences de son vote devant les concitoyens.

Madame Ménard, le vote d'investiture fragilisait effectivement la IVe République, mais parce que le droit de dissolution était tombé en désuétude. Ce n'est pas le cas dans la Ve République, il n'y a donc pas de risque d'instabilité. Le 49.2 est extrêmement difficile à faire aboutir, parce qu'une grande partie des députés doit son mandat au chef de l'exécutif.

Nous reviendrons sur la question de la dernière version retenue dans la discussion des amendements.

Madame Garrido, le Président de la République qui gouverne en lieu et place du Gouvernement, c'est la réalité. Il confond les articles 5 et 20 de la Constitution. Du fait que celle-ci le rend irresponsable – c'est ainsi qu'elle a été conçue – cela crée une difficulté pour gouverner ce pays.

Monsieur Breton, si on déconnectait les élections législatives de l'élection présidentielle, on retrouverait une respiration démocratique. Aujourd'hui, on ne discute pas des programmes à l'occasion des élections législatives.

Vous nous invitez à ne pas figer le Gouvernement dès le départ, mais s'il ne convient pas, il peut tomber et redemander la confiance, ce que permettrait la réécriture de l'article 1er que je propose.

Quant à repenser les modalités du 49.3, il y a suffisamment d'outils dans la Constitution pour légiférer, y compris par ordonnances en matière budgétaire. Si l'on ne veut pas que le 49.3 soit utilisé, il faut le supprimer. La Constitution est bien mais mal utilisée, selon certains. Or, l'objet d'une constitution, c'est de limiter la pratique du pouvoir. Une mauvaise utilisation ne doit pas être possible, il faut donc en retirer toutes les possibilités d'abus. Allons au bout et supprimons le 49.3 !

Article premier (art. 49 de la Constitution) : Consécration du caractère obligatoire de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale

Amendements de suppression CL3 de Mme Emmanuelle Ménard et CL5 de Mme Marie-France Lorho

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Le souhait des rédacteurs de la Constitution de 1958 était bien de mettre fin au système de l'investiture du Premier ministre par le Parlement, voire, sous la IVe République, de la double investiture, du Président du conseil d'abord, puis du Gouvernement dans son ensemble. Ce système mettait le Gouvernement en position immédiate de fragilité, voire de dépendance à l'égard de l'Assemblée nationale, ce qu'a très justement modifié la Constitution de 1958.

Certes, durant la IVe République, il n'était pas fait usage du droit de dissolution, contrairement à la Ve République, mais si le Parlement veut montrer son désaccord avec le Gouvernement, il peut déposer une motion de censure au titre de l'article 49, alinéa 2. Si cela n'est pas le cas, cela relève de la responsabilité des parlementaires. Il me semble que la composition de l'Assemblée permettrait aux parlementaires de l'opposition d'aller jusqu'au bout. Si ce n'est pas le cas, c'est sans doute que nous n'avons pas tous la même envie, à un moment donné, de déclencher cette motion de censure.

C'est l'équilibre voulu par la Constitution de 1958. La question est d'oser ce vote, d'oser aller jusqu'au bout. Cela n'a pas été le cas ces deux dernières années ; cela pourrait l'être à l'avenir.

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L'article 1er n'est, de notre point de vue, pas légitime. À l'occasion de l'élection présidentielle, les Français votent pour une figure incarnant un programme auquel les électeurs doivent nécessairement adhérer, en tout ou partie. Rendre obligatoire le vote de confiance sur la déclaration de politique générale du Gouvernement par la représentation nationale revient, ni plus ni moins, à mettre en cause la légitimité du vote des Français. J'entends l'aspiration à un respect accru de la représentation nationale, mais le respect dû au vote de tous les Français ne doit pas pour autant être relégué au second rang.

Par ailleurs, l'article, en ne faisant pas mention de la temporalité de cette déclaration de politique générale, reste approximatif.

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La question de la temporalité est réglée par l'amendement 28.

J'ai une vision opposée à celle qui fait découler de l'élection présidentielle la légitimité du Gouvernement et du programme qu'il développe pendant cinq ans. Le Président de la République est un arbitre. Le Gouvernement doit gouverner ; il tire sa légitimité de l'Assemblée nationale. Les parlementaires ont un rôle à jouer, sinon ce n'est pas une démocratie parlementaire. On peut trouver d'autres formes de régimes, comme le régime présidentiel, dans lequel l'Assemblée nationale ne peut toutefois pas être dissoute. Je vous renvoie aux débats qui ont accompagné l'écriture de la Constitution. Les versions dans lesquelles l'engagement de la responsabilité du Premier ministre était facultatif ont été retirées. Les constitutionnalistes en débattent, mais la logique d'un régime parlementaire requiert un engagement de la responsabilité.

Avis défavorable.

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L'article 49, alinéa 1, dispose que le Premier ministre « après délibération du conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Voilà l'esprit des rédacteurs. Ce n'est que par des arguties, des pratiques validées a posteriori par le Conseil constitutionnel et par une sorte de magie que cet alinéa a été interprété comme n'imposant pas au Gouvernement l'obligation d'engager sa responsabilité. Cette proposition de loi constitutionnelle ne vise donc qu'à écrire expressément ce qui était prévu à l'origine, y compris par Michel Debré – il avait eu l'occasion de le dire.

Quand j'entends, dans les paroles de l'extrême droite, que l'engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale mettrait en cause l'expression démocratique et le vote des Français, les bras m'en tombent. Vous êtes élus, vous aussi ! Vous êtes quatre-vingt-huit dans votre groupe et vous percevez 5 000 euros par mois pour être ici. Si vous pensez qu'engager la responsabilité devant vous, c'est mettre en cause le vote des citoyens, je ne comprends pas bien votre conception de l'élection législative et de votre fonction de député. C'est nous qui sommes élus, pas le Gouvernement. Vous devriez vous satisfaire de ce que la représentativité à l'Assemblée nationale est peut-être plus large que jamais – quand bien même elle pourrait être améliorée par un recours à la proportionnelle intégrale –, mais à quoi bon si vous niez votre propre fonction parlementaire ?

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Cet article est très important, car il permet de travailler à la construction d'une majorité et d'une ligne politique. On ne peut pas naviguer en permanence à vue, en fonction de majorités purement conjoncturelles et opportunistes, texte par texte, voire amendement par amendement. Ce texte permet de construire une majorité, une ligne politique, un accord de gouvernement, qui indiqueraient aux Français où nous allons et, partant, de construire une opposition et une majorité. On ne peut pas procéder uniquement par coups de force, chercher ici et là un groupe en fonction de chaque ligne d'amendement sur chaque texte. Cela dépouille la démocratie de sa valeur profonde, qui est d'incarner une ligne de politique publique et de la mettre en œuvre pour un pays entier.

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Le groupe Renaissance votera contre ces amendements de suppression, par principe. Depuis le début de la législature, il y a une surutilisation des amendements de suppression, comme des motions de rejet, dans le but de brider le débat, voire de l'empêcher. Pour le coup, ce n'est pas le Gouvernement qui en prend l'initiative, mais les parlementaires eux-mêmes.

Comment passer d'une démocratie fondée sur le rapport de force à une démocratie de compromis ? La question est importante, mais nous ne voterons pas pour autant l'article 1er, car il ne peut pas être décorrélé du sujet du mode de scrutin. Dans la plupart des autres démocraties que vous avez mentionnées, où le mode de suffrage est universel direct et proportionnel, les coalitions se font après les élections. Je suis assez sensible à cette proposition, mais ce n'est pas encore notre culture, ni la résultante du mode du scrutin que nous avons.

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J'ai entendu des choses contradictoires dans les propos de Mme Rousseau. D'un côté, l'histoire de son mouvement politique est marquée par la volonté du compromis – je le salue, parce que je suis sur cette ligne. D'un autre côté, il ne serait plus possible de chercher des accords amendement par amendement. Pourtant, c'est aussi ça la culture politique du compromis : trouver des solutions sur un texte.

Dans une situation complètement bloquée, quand une majorité se trouve en minorité, il doit être possible de trouver un accord de gouvernement. Si les Socialistes nous rejoignaient, nous aurions peut-être alors une majorité. Vous pourriez peut-être en faire de même pour certains projets.

Historiquement et traditionnellement, de façon pavlovienne, les blocages surviennent dans notre pays au sujet du budget. Dans tous les conseils municipaux de France, 90 % des bordereaux sont adoptés, parfois à l'unanimité, alors qu'il s'agit d'être pour ou contre. Je vous invite à y réfléchir. On peut envisager que des oppositions puissent voter pour tout ou partie du PLF, et que l'on sorte de cette opposition systématique.

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Il y a eu en France des cohabitations et des coalitions qui se sont créées après les élections, avec notre mode de scrutin.

La responsabilité du Gouvernement a été engagée en application de l'article 49, alinéa 1, à quarante et une reprises – c'est donc plutôt la règle. L'exception, c'est qu'elle ne le soit pas, et dix fois, elle ne l'a pas été. Cela pose un problème aujourd'hui parce qu'on n'a pas de programme de gouvernement pour cinq ans.

En réalité, la majorité relative dispose déjà d'une majorité grâce au soutien sans participation du groupe Les Républicains. Former une coalition prend du temps : il faut remettre à plat l'ensemble du programme, trouver les points d'accord sur lesquels le construire. Si vous la cherchez, vous trouverez l'ensemble des oppositions ouvertes à la discussion. Ce qui a été proposé au début du deuxième quinquennat, c'est de vous rejoindre sur le programme d'Emmanuel Macron. Évidemment, cela n'est pas possible, puisque nous n'avons pas été élus pour cela. Mais si on cherche un compromis, on le trouve.

Il est faux de dire que ce n'est pas notre culture. La règle surdétermine le jeu et si celle-ci impose de trouver des coalitions, on les trouve. Cela a été le cas par le passé avec les cohabitations.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL28 de M. Jérémie Iordanoff

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Il s'agit d'un amendement de réécriture du premier alinéa. J'avais initialement proposé que l'engagement de la responsabilité du Gouvernement intervienne « dans les meilleurs délais ». Les auditions m'ont conduit à préciser ce point : il faut fixer un délai ferme, afin de rendre l'obligation incontestable, et celui d'un mois est assez long pour bâtir une coalition. Il est de quatre jours au Portugal, de dix jours en Italie et de deux mois en Espagne.

Il est également indispensable d'affiner la rédaction pour traiter les cas de la nomination du Premier ministre au lendemain de l'élection présidentielle et de la dissolution, de sorte que le délai coure à partir de l'élection d'une nouvelle assemblée.

En outre, le Premier ministre peut décider de poser la question de confiance à tout moment pour conforter sa majorité.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL6 de Mme Marie-France Lorho

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Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 janvier 1977, donne une acception analogue des termes « programme » et « déclaration de politique générale ». L'amendement permettrait de clarifier la rédaction, en n'envisageant la notion de confiance que par le biais de la notion de déclaration de politique générale.

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Cet amendement vient affaiblir, une fois de plus, la responsabilité du Gouvernement et du Premier ministre devant l'Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel a indiqué qu'il tendait à conférer une égalité entre ces deux termes. La rédaction les distingue quand même, puisque la responsabilité du Gouvernement sur une déclaration de politique générale se conçoit plutôt en cours de mandat et celle sur un programme à son début, comme on le voit notamment à l'alinéa 4. À choisir, entre les deux termes, je supprimerais la déclaration de politique générale et je garderais l'engagement de la responsabilité sur un programme. Les Françaises et les Français veulent savoir selon quel programme ils vont être gouvernés. Avis défavorable.

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Les assemblées communales au Moyen-Âge, en France, avaient déjà une pratique démocratique : celle des commis de confiance. L'idée de déléguer une part de sa souveraineté est consubstantielle à la démocratie. Mais pour que cela marche, il faut que les personnes ainsi mandatées se fondent sur un programme. Il n'y a pas de démocratie sans programme. La politique, ce ne sont pas des gouvernants qui disent quoi faire à des citoyens mais des citoyens qui disent quoi faire à des gouvernants. Cela ne peut marcher que si les candidats au gouvernement disent ce qu'ils vont faire ; sans quoi c'est l'arbitraire total et l'abus permanent.

La conception de la démocratie défendue par le RN devrait tous vous alerter : un président tout-puissant, un gouvernement croupion, une Assemblée nationale qui ne sert qu'à donner des indemnités à des gens dans les partis, et même pas de programme ! C'est le césarisme et le bonapartisme le plus absolu ! Il faut absolument réaffirmer notre fonction. C'est pour lutter contre cette culture de l'impunité, ressentie par nos concitoyens, que nous défendons l'instauration du droit de révoquer les élus en cours de mandat – regardez ce qu'a proposé mon camarade Fernandes à ses électeurs. Si les citoyens pouvaient révoquer les élus en cours de mandat, les programmes seraient appliqués.

La commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'article 1er.

Après l'article 1er

Amendements CL18 de M. Guillaume Gouffier Valente, CL22 et CL23 de M. Erwan Balanant (discussion commune)

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L'amendement vise à instaurer la motion de censure constructive, qui doit prévoir le remplaçant du chef de gouvernement renversé. Cette idée est apparue dès la IVe République, parmi les premières propositions de rationalisation du parlementarisme, en lien avec ce qui deviendra l'alinéa 3 de l'article 49. Elle n'avait finalement pas été retenue dans la Constitution de 1958. Autant, au cours de ce mandat, l'article 49, alinéa 3, n'a été utilisé que pour des raisons budgétaires – contrairement à l'époque où François Hollande s'en servait pour tenir sa majorité –, autant le recours à la motion de censure a, lui, été dévoyé, à tel point qu'il y a parfois eu moins de votants que de signataires.

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La proposition de loi ne peut se passer d'une réflexion sur l'équilibre global de l'article 49 de la Constitution, notamment pour le pouvoir législatif. C'est la raison pour laquelle cet amendement d'appel vise à proposer une modification de l'alinéa 2 de l'article 49 de la Constitution, afin de mettre en place le mécanisme célèbre de l'article 67 de la Constitution allemande : la motion de censure constructive.

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Avis défavorable. Adopter vos amendements alourdirait la proposition de loi et allongerait le temps de débat. Mais, surtout, la motion de censure constructive serait impraticable en France : elle risquerait d'instituer une irresponsabilité de fait du Gouvernement.

J'entends que la motion de censure soit utilisée trop souvent. Elle l'est, en réalité, pour exprimer une position de vote sur un texte qui n'a pas été débattu. Certes, ce n'est pas ce pour quoi elle a été conçue, mais le 49.3, lui non plus, n'a pas été conçu comme une arme systématique. Les deux mécanismes ne sont sans doute pas utilisés à bon escient. Sans 49.3, il y aurait beaucoup moins de motions de censure. Toujours est-il qu'en France, les motions de censure ne participent en rien à une quelconque instabilité gouvernementale.

Par ailleurs, je ne comprends pas bien le principe du délai de six mois.

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Même si ce sont des amendements d'appel, présentés pour ouvrir un débat, interrogeons-nous sur leur philosophie. Selon l'amendement CL18, les députés désignent le Premier ministre et, selon les amendements CL22 et CL23, les députés doivent former un nouveau gouvernement. Nous voilà à l'opposé des dispositions de l'article 8 de la Constitution, qui dispose que le Président de la République nomme le Premier ministre et que c'est sur la proposition de ce dernier que le Président nomme les autres membres du Gouvernement. C'est le cœur de la responsabilité de l'exécutif. Les députés se mettraient à jouer au Meccano et à bricoler un gouvernement. Imaginez le spectacle que l'on donnerait ! Il faut que chacun s'en tienne à ses compétences. Nous avons une action de vote et de contrôle de l'exécutif. Nous immiscer dans la nomination du Gouvernement viendrait remettre en cause beaucoup de principes qui ne sont pas seulement ceux de la Ve République.

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La responsabilité de former un gouvernement reviendrait à l'Assemblée nationale, alors que ce pouvoir est normalement détenu par le Président de la République. Cela ne va pas sans quelques problèmes. Vous nous citez le merveilleux exemple allemand, sauf que vous oubliez un détail : les Allemands ont une proportionnelle et il n'y a donc pas la même assemblée en Allemagne qu'en France. Si l'Assemblée était au scrutin proportionnel en France, la NUPES y serait majoritaire, car nous avons fait le plus gros score au premier tour. J'entends bien que cela vous embête, mais c'est la vérité ! Je comprends que l'idée d'avoir Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre vous fasse hurler, mais c'est ce qui s'est passé. Votre réaction montre assez bien à quel point vous n'aimez pas la démocratie parlementaire mais préférez que des articles autoritaires s'appliquent.

Je vous rappelle que « ministre » vient du latin « minister », qui signifie « serviteur ». Les ministres sont les serviteurs de l'Assemblée nationale. Nous, députés, nous sommes étymologiquement l'autorité du peuple, dont nous sommes les représentants.

Monsieur Balanant, c'est gentil de nous dire que, dans les mairies, tout est voté tout le temps. Il y a une prime majoritaire de 50 % à l'élection municipale, ce qui explique qu'il y ait très peu d'opposition.

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Ce sont bien des amendements d'appel, pour avoir un débat. Le sujet, c'est l'équilibre des pouvoirs entre la représentation la plus parfaite possible du peuple et la capacité de déployer des politiques publiques et de prendre des décisions. Nous voulions faire remarquer le déséquilibre des pouvoirs au sein de nos institutions. Indépendamment de la personnalité du Président de la République, elles favorisent la présidentialisation du pouvoir et sa concentration dans les mains de l'exécutif – à l'Élysée et à Matignon, d'ailleurs. L'enjeu est de rééquilibrer pour rendre la démocratie plus fluide. Si les motions de censure étaient adoptées, nous n'aurions aucune alternative. C'est pourquoi nous pointons leurs limites, ainsi que celles du dispositif de l'article 49, qu'il faut revoir en cohérence, notamment, avec les modes de scrutin.

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Je retire l'amendement CL18. Toucher à l'article 49 n'est pas chose évidente. Même si l'idée mérite d'être débattue, elle pose un certain nombre de questions, comme l'a dit Xavier Breton.

Je remercie, par ailleurs, Antoine Léaument d'avoir confirmé ce que je disais : on ne peut pas discuter des évolutions de l'article 49 sans discuter de l'évolution du mode de scrutin. Soit dit en passant, la construction de la NUPES a été plus facile dans un système de scrutin uninominal majoritaire à deux tours que dans celui, proportionnel, des élections européennes…

L'amendement CL18 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CL22 et CL23.

Article 2 (art. 49 de la Constitution) : Suppression de la procédure d'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte

Amendements de suppression CL1 de Mme Pascale Bordes et CL4 de Mme Emmanuelle Ménard

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Ce n'est pas l'article 49.3 qui pose problème, mais son application, à la fois par le Gouvernement et par certaines oppositions de gauche et d'extrême gauche qui, par sectarisme et dogmatisme, se refusent systématiquement à mettre en adéquation leurs paroles et leurs actes, en ne votant pas les motions de censure d'autres groupes, notamment les nôtres, alors qu'elles pourraient aboutir. Ce sectarisme dogmatique est également le fait de la majorité minoritaire du Gouvernement. J'en veux pour preuve qu'elle ne votera pas cet amendement de suppression, mais qu'elle votera, dans quelques instants, contre l'article 2. Nos concitoyens apprécieront à sa juste valeur cet art de perdre du temps.

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C'est un amendement de cohérence avec mon amendement de suppression de l'article 1er. Des contre-pouvoirs ont été prévus dans la Constitution entre le Gouvernement et le Parlement. Si l'on en supprime un, c'est tout l'équilibre de la Ve République qui est remis en question, ce qui ne me semble ni pertinent, ni judicieux, ni souhaitable.

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J'ai bien noté, madame Bordes, que le débat était une perte de temps. Je comprends pourquoi vous voulez supprimer cet article, puisque vous vous apprêtez à gouverner à coups de 49.3. Sans débat ni Assemblée nationale, ce sera beaucoup plus simple. Il est curieux, de la part d'une parlementaire, d'attaquer frontalement cet article. J'entends les arguments de Mme Ménard, selon lesquels il risque de déstabiliser l'équilibre existant. Mais vous, vous faites remarquer le dévoiement d'une pratique sans en tirer les conclusions, ce qui n'est pas très honnête intellectuellement. Avis défavorable.

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Cette pratique, que l'on juge à la dérive, est bel et bien permise par la Constitution. Cela justifie de la changer pour éviter de tels usages.

Les députés du Rassemblement national n'en ont rien à faire que la volonté du peuple soit piétinée. Ils veulent faire en sorte que le 49.3, qui est l'incarnation d'un hyper-présidentialisme autoritaire, continue à s'appliquer. Voilà un rappel pour vous empêcher à tout prix de prendre le pouvoir.

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Face à un mésusage de la Ve République, nous voyons que la Constitution ne garantit pas suffisamment le respect de la représentation du peuple. Ce sujet fondamental dépasse votre ressentiment sur qui vote ou non une motion de censure. Le sujet, ce n'est pas vous, mesdames et messieurs du Rassemblement national. Vos ouin-ouin permanents sont insupportables ! On parle de la Constitution et du respect de la voix du peuple à l'intérieur de la démocratie.

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Le groupe Renaissance votera contre ces amendements de suppression. Premièrement, ils manifestent un refus de débattre. Nos concitoyens nous ont fait part de questionnements sur cet article, qui interroge le fonctionnement de notre démocratie. Nous leur devons ce débat. Vos amendements de suppression sont révélateurs des aspirations de votre famille politique. Deuxièmement, nous assumons de conserver cet article, qui nous permet de passer outre les coalitions temporaires conclues pour bloquer, à un moment donné, un programme qui a été voulu par les Françaises et les Français, aussi bien au moment de la présidentielle que de l'élection législative.

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Vous auriez donc des capacités d'écoute et de dialogue. C'est remarquable de la part de personnes appartenant à une majorité minoritaire qui est le chantre de l'application à outrance du 49.3 ! Pour ce qui concerne l'extrême gauche dans sa globalité, je vous rassure, lorsque nous arriverons au pouvoir, nous serons totalement respectueux de la Constitution et du Parlement. C'est même la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement de suppression. Ce qui pose problème, ce n'est pas le 49.3, c'est son application par certaines oppositions, dont l'extrême gauche, qui refuse de voter des motions de censure, alors que, dans des capsules vidéo, à la radio ou à la télévision, elle affirme qu'elle fait tout pour les faire voter. Si vous les votiez, nous pourrions tous parvenir à nos fins.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL2 de Mme Emmanuelle Ménard

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Une précision préalable : je ne m'apprête pas à gouverner avec ou sans 49.3, même si je le regrette, bien évidemment.

Pour vous montrer que je suis tout à fait favorable au débat, je vous propose cet amendement qui vise à rééquilibrer le pouvoir de l'article 49.3. Le texte adopté devrait pouvoir être le texte voté par l'Assemblée nationale dans sa dernière version, avant le déclenchement de l'article 49.3. L'idée est de limiter le recours abusif au 49.3 par le Gouvernement, afin que ce dernier n'oublie pas que l'Assemblée nationale est la représentation élue du peuple, contrairement à lui, et que, à ce titre, il ne peut pas abuser de ses prérogatives constitutionnelles.

Par ailleurs, cela inviterait probablement aussi les parlementaires à faire preuve de mesure et de raison dans le choix des amendements, pour éviter, par exemple, d'adopter des dépenses abusives au nom de coups politiques ou de communication, qui pourraient mettre en danger les finances de l'État. Cela aurait pour mérite principal de faire prendre leurs responsabilités aux deux camps.

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En première lecture, aucun texte n'a été adopté. Votre amendement présente donc un problème rédactionnel. Quant à sa logique, si l'on veut le débat, on accepte aussi le vote de l'Assemblée nationale sur le texte, dût-il avoir lieu en application des articles 47 et 47-1 pour la matière budgétaire. Il faut aller au bout des choses. Ce passage sans vote devant l'Assemblée me pose problème.

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L'article 49.3 dispose que : « est considéré comme adopté » un texte qui, en fait, n'a pas été voté. Dire que le Gouvernement engage sa responsabilité sur le dernier texte voté n'a pas de sens. C'est une contradiction dans les termes. La question qui nous est posée, c'est : qui est pour et qui est contre le 49.3 ? Point barre. La retraite à 64 ans est passée à cause du 49.3. Nous avions voté majoritairement une taxe sur les superdividendes, mais la minorité n'a pas accepté les votes majoritaires. C'est le 49.3 qui a privé cette taxe d'existence : 12 milliards d'euros pour la rénovation thermique des bâtiments ! L'antisocial naît dans l'antidémocratique, l'antiécologique naît dans l'antidémocratique.

Nous sommes à l'heure de vérité. Souvent, l'extrême droite a été qualifiée de souverainiste. C'est une usurpation. La souveraineté est la caractéristique de celui qui n'a pas de maître. En République, il n'y a qu'un seul maître, c'est le peuple. Par conséquent, quand l'extrême droite vient nous dire que le 49.3, c'est mal quand c'est utilisé par Macron mais que ce serait super si c'était utilisé par Le Pen, elle révèle une absence totale de compréhension de la notion de souveraineté. Si, par malheur, Mme Le Pen devait gouverner, on comprend qu'elle usurperait la souveraineté du peuple, qu'il s'agit de rétablir aujourd'hui en supprimant purement et simplement l'article 49.3. Il faudra se souvenir que les seuls qui ont voté pour cette suppression sont les quatre groupes de la NUPES.

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L'amendement de Mme Ménard est intéressant. Il faut réfléchir aux modalités du 49.3, qui est brutal et radical, et donne tout le pouvoir au Gouvernement. Ce serait utile de responsabiliser les députés dans le dépôt d'amendements. On l'a bien vu – et cette tentation est normale –, la perspective du 49.3 produit des débats d'affichage, idéologiques, alors que c'est un principe d'équilibre budgétaire qui devrait nous guider. Si cet amendement présente sans doute un problème de rédaction, il n'en est pas moins très intéressant. Il prouve aussi que nos institutions peuvent exister dans une certaine nuance, loin des polémiques et des débats caricaturaux que nous avons depuis quelques minutes.

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Je ne me suis peut-être pas très bien expliquée et je remercie M. Breton d'avoir précisé ma pensée. Vous me dites que l'amendement n'a pas de sens, sauf que ce n'est pas le texte initial ou rien. Je vais prendre un exemple tout simple. La mission Justice a été amendée et adoptée. Mon amendement aurait eu pour conséquence que, au moment où le Premier ministre monte à la tribune pour annoncer le 49.3, on prenne le texte tel qu'il avait été voté. Il ne s'agit donc pas du texte initial, ce qui donne un blanc-seing au Gouvernement, qui peut finalement mettre tout ce qui l'intéresse dans le texte. Cela favoriserait la responsabilisation du Gouvernement et du Parlement, en évitant les coups de communication, la démagogie, le toujours plus irresponsable. Je retravaillerai ma rédaction en vue de la séance.

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Si le Gouvernement a peur que le texte issu des travaux de l'Assemblée ne soit pas le sien, il déclenchera le 49.3 avant même les débats.

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En ce cas, cela signifierait qu'il ne veut pas de débat !

La commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'article 2.

Après l'article 2

Amendement CL11 de M. Guillaume Gouffier Valente

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Je vais retirer l'ensemble de mes amendements, dans la mesure où les deux articles ont été rejetés. L'objectif n'est pas de dénaturer en commission le texte proposé par le rapporteur. En revanche, je les redéposerai en séance, afin d'en débattre. Un certain nombre d'entre eux avaient d'ailleurs été déposés sur une précédente proposition de loi constitutionnelle du groupe LR, et adoptés.

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Je remercie M. Gouffier Valente de ce retrait. Ces amendements sont effectivement si intéressants que je pourrais même vous suivre sur certains. Je suis tout à fait disponible pour y travailler dans un autre cadre, car vous savez que celui des niches parlementaires est particulièrement contraint. Nous n'avons pas le temps de débattre de toute la Constitution, même si j'en aurais très envie.

L'amendement est retiré de même que les amendements CL12, CL17, CL13, CL14, CL15, CL16, CL19, CL20 et CL21 de M. Guillaume Gouffier Valente.

Amendement CL27 de M. Erwan Balanant

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Cet amendement d'appel vise à ouvrir un débat sur l'équilibre des pouvoirs au sein de la Ve République, actuellement absent du fait d'une trop forte présidentialisation. Il s'agit de revenir sur le quinquennat et la quasi-concomitance des deux élections qui a pour effet d'inciter nos concitoyens à élire pour député un candidat qui soutient le Président de la République ou qui s'y oppose. Un président élu pour sept ans par un collège électoral détiendrait beaucoup moins de pouvoir que s'il tient sa légitimité du suffrage universel. Le Parlement, renforcé, se rapprocherait des parlements des grandes démocraties européennes.

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Demande de retrait ou avis défavorable, toujours pour la raison que, dans une niche parlementaire, nous n'avons pas le temps de discuter de tous les sujets. L'élection de 1962 a en effet modifié la place du Président de la République dans la Constitution, mais je vous invite à regarder le rôle qu'il joue en Autriche et au Portugal en étant également élu au suffrage universel direct. De plus, le temps politique s'est accéléré et il n'est pas envisageable de revenir au septennat.

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La réponse est un peu courte. Tout est lié : on ne peut pas réviser la Constitution en ne supprimant que l'alinéa 3 de l'article 49. Il faut aller jusqu'au bout – en commission des lois, on doit pouvoir débattre de l'équilibre des pouvoirs. Le système ne fonctionne pas, car l'hyper-présidentialisation fait porter tous les espoirs ou toutes les détestations sur un seul homme – un jour peut-être, sur une seule femme. La démocratie consiste en davantage d'intelligence collective, de partage, de recherche de compromis et de consensus, ce que nous atteindrions avec une vraie représentation proportionnelle. Car être élu à la proportionnelle, c'est être élu sur des convictions, non pour ou contre un président.

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La durée du mandat présidentiel et le mode de suffrage ne peuvent pas être débattus au débotté dans une niche parlementaire. Sur des sujets aussi graves, c'est au peuple de décider : il faut un référendum, et rien d'autre.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL7 de Mme Raquel Garrido

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Les débats sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG), la Corse ou la Nouvelle-Calédonie ont montré que la société a le désir de se saisir du débat constitutionnel avec les députés. Un mécanisme devrait le permettre. Si la niche n'est pas appropriée, il faut un autre lieu.

Par cet amendement, nous proposons de donner la possibilité aux citoyens de convoquer par référendum une assemblée constituante en modifiant l'article 11 de la Constitution. Le référendum, qui est actuellement la marque d'un pouvoir présidentiel empreint d'une logique plébiscitaire très bonapartiste, doit être rendu à l'initiative citoyenne en sorte de rétablir l'ordre dans les notions de démocratie et de souveraineté. Il s'agit de rééquilibrer les pouvoirs et de s'assurer que ceux qui gouvernent sont responsables devant le peuple. Si vous êtes frustrés du manque de discussion dans la niche, votez notre amendement instaurant ce mécanisme d'assemblée constituante par voie référendaire.

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Je souscris à l'idée. Les auditions ont montré l'intérêt du mécanisme d'initiative citoyenne en matière constitutionnelle, qui existe ailleurs. Il amène toutefois de nombreux questionnements, auxquels le cadre de la niche ne permet pas de répondre. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable, pour des questions de forme, non de fond.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL8 de M. Antoine Léaument

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Cet autre amendement d'appel vise à supprimer, dans l'article 12 de la Constitution, les alinéas relatifs au pouvoir du Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale. Il n'est pas équilibré qu'en face, celle-ci n'ait qu'un faible pouvoir de destitution du Président de la République. Les conditions de l'article 68 qui s'y rapporte sont en effet très strictes : la majorité est requise d'abord au bureau de l'Assemblée nationale puis en commission des lois, puis la majorité des deux tiers à l'Assemblée nationale et au Sénat, puis la majorité des deux tiers du Parlement réuni en Congrès. Bref, ce pouvoir est inutilisable, à moins que le Président et l'assemblée élue ne soient pas du même bord. En tant que députés, vous ne pouvez qu'adopter cet amendement pour défaire le Président de la République d'un pouvoir monarchique.

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Le droit de dissolution est un débat ancien et complexe, mais c'est l'un des principaux mécanismes du parlementarisme. Sa suppression s'imposerait dans un régime présidentiel mais, dans un régime parlementaire, elle recréerait l'instabilité de la IVe République qui a conduit à l'avènement de la Ve République. J'y suis défavorable. Il faut éviter les excès de l'une et de l'autre.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL9 de Mme Raquel Garrido

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Chercher à rééquilibrer le pouvoir entre le législatif et l'exécutif – qui est en réalité bicéphale –, revient à poser la question du Président de la République. La concentration du pouvoir entre les mains d'un seul homme est toxique ; elle contrevient à nos grands standards démocratiques. C'est pourquoi notre amendement tend à modifier l'article 13 de la Constitution, qui confère au Président de la République un pouvoir de nomination par lequel il se crée des obligés. Le Parlement dispose également de prérogatives en la matière, notamment celle d'auditionner les candidats, mais c'est le Président qui décide. On ne peut pas tolérer que cette tradition monarchiste, césariste, subsiste.

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Ce pouvoir de nomination est une question centrale dans l'équilibre des pouvoirs. Des systèmes de contrôle existent déjà, et il conviendrait de les renforcer. Je pourrais partager votre point de vue, mais les conséquences de la suppression de l'ensemble des pouvoirs de nomination du Président de la République et les modalités du processus de remplacement doivent être examinées de manière approfondie – il ne faudrait pas que, par exemple, le président de la commission des lois s'arroge tous ces pouvoirs. Cela demande de mener toute une réflexion. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL10 de M. Antoine Léaument

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Cet amendement d'appel vise à supprimer l'article 16 de la Constitution, qui traite des pouvoirs exceptionnels du Président de la République. Lorsque celui-ci considère que des problèmes graves imposent qu'il décrète les pleins pouvoirs, il « en informe la nation par un message ». Une situation de guerre qui impliquerait la France pourrait l'inciter à prendre une telle décision – face aux annonces répétées que la Russie envahirait la France, il n'est pas impossible que M. Macron décide d'activer l'article 16.

Au bout de trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, soixante députés peuvent saisir le Conseil constitutionnel et celui-ci rend un avis public. Si, au bout de soixante jours, il n'a pas été saisi, il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions. Et c'est tout ! L'Assemblée nationale n'a aucun pouvoir : nous ne pouvons ni voter, ni nous prononcer. Les pouvoirs exceptionnels du Président de la République peuvent continuer ad vitam aeternam. La Constitution contient la possibilité d'un putsch ; nous vous proposons de la supprimer.

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L'article 16 n'est pas le plus connu, mais il est sans doute le plus problématique de notre Constitution. Ce régime d'exception, aujourd'hui anachronique, ne présente pas de garde-fous suffisants, bien qu'il ait été réformé. Il faut toutefois pouvoir répondre à une vacance du pouvoir. La niche parlementaire ne laisse pas assez de temps pour ce débat. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL25 de M. Erwan Balanant

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Le groupe Démocrate est depuis toujours favorable à la proportionnelle, et la meilleure façon d'avancer sur ce sujet est de l'inscrire dans la Constitution.

La proportionnelle modifie les ressorts de l'élection : avec le scrutin uninominal à deux tours, surtout après l'élection d'un Président de la République, un député est élu soit parce qu'il est favorable au Président, soit parce qu'il incarne le mieux l'opposition à celui-ci. Par conséquent, durant tout son mandat, il sera pour ou contre le Président. Avec la proportionnelle, il sera élu sur un programme, sur des idées, ce qui rend possibles les coalitions et les projets communs. Nous pourrions ainsi travailler tantôt avec les écologistes, plus souvent avec les socialistes, pour avancer vers des politiques publiques efficaces, pour le bien commun.

Les groupes Rassemblement national, Écologiste et la NUPES voteront certainement l'amendement, car ils sont favorables à la proportionnelle.

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Je suis particulièrement attaché à la proportionnelle, et j'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi en faveur de celle-ci. Le groupe Démocrate en avait fait de même, et je regrette qu'ayant dû retirer son texte, il ne l'ait pas redéposé. Introduire le mode de scrutin dans la Constitution paraît une bonne idée, car il surdétermine beaucoup de choses dans la construction des élections, des majorités, des manières de gouverner et de faire de la politique. Je suis disponible pour travailler à une rédaction si vous souhaitez déposer un texte transpartisan.

Je vous invite, en revanche, à retirer l'amendement, car nous n'avons pas le temps de discuter de cette question dans le temps imparti. À défaut, l'avis sera défavorable.

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Je remercie le collègue Balanant pour sa proposition. Nous voyons ce matin que les thématiques constitutionnelles nécessitent un espace de délibération au sein de l'Assemblée, comme peuvent l'être le groupe de travail de l'intergroupe NUPES sur la VIe République ou le groupe parlementaire sur la démocratie participative et l'e-démocratie, animé par Cécile Untermaier.

La commission des lois constitutionnelles doit se saisir de ces questions de façon plus permanente, plus systématique. Il nous revient d'être actifs, car il nous remonte du terrain que faute de n'être pas nous-mêmes acteurs de l'amélioration de notre Constitution pour la rendre plus démocratique, la société sécrétera des modalités violentes de règlement des conflits. La violence est déjà à l'œuvre, dans notre pays et entre les nations. Pour la paix et la protection de nos principes démocratiques, j'en appelle à la commission pour qu'elle fasse ce travail. Jérémie Iordanoff, Elsa Faucillon, Marietta Karamanli et moi-même sommes à votre disposition pour partager le travail déjà effectué et continuer en ce sens.

La commission rejette l'amendement.

Amendements CL24 et CL26 de M. Erwan Balanant

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L'amendement CL24 vise à réécrire l'article 38 de la Constitution après le revirement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel des 28 mai et 3 juillet 2020. Il s'agit de préciser que les ordonnances seront caduques si elles ne sont pas ratifiées par le Parlement dans un délai de dix-huit mois.

Quant au second amendement, le CL26, il a trait aux langues régionales. En nous fondant sur le travail de nos anciens collègues Yannick Kerlogot et Christophe Euzet, nous proposons de compléter l'article 75-1 de la Constitution afin que la loi détermine les conditions dans lesquelles ces langues peuvent être utilisées comme langues principales d'enseignement et de communication dans les établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou lui sont associés. Ces dispositions font suite à la saisine et à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac. La proposition du groupe Démocrate permettrait de sécuriser l'idée que le français est la langue de la République, tout en permettant à des enfants d'apprendre des langues régionales en immersion.

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Ces amendements, intéressants sur le fond, sont loin de l'objet de ma proposition de loi. Demande de retrait.

Les amendements CL24 et CL26 sont retirés.

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Je remercie l'ensemble des membres de la commission pour la qualité de leurs interventions. Même s'il reste beaucoup à débattre, nous sommes parvenus à aller au fond des sujets. Je vous invite à lire le rapport, qui expose aussi des points de vue différents du mien : vous verrez que sur l'interprétation de l'article 49 de la Constitution, les choses ne sont pas toujours très tranchées.

La question du 49.3 doit être examinée sous deux angles : celui du coût politique pour son utilisateur et celui du coût pour les institutions, qui augmente avec l'usage répété de ces dispositions, l'absence de débat ou la situation minoritaire du Gouvernement. Il faut l'évaluer au regard de la question démocratique dans son ensemble. Je reste disponible pour travailler sur les thématiques évoquées, qui ne relevaient pas de l'article 49.

Pour la séance, je vous invite à ne pas déposer d'amendements en dehors de cet article. Je serai contraint, comme aujourd'hui, de formuler des demandes de retrait, car nous ne pourrons pas approfondir le débat compte tenu des autres propositions de loi et du temps contraint de la niche.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi constitutionnelle, l'ensemble de celle-ci est rejeté.

Puis, la Commission examine la proposition de loi portant dépénalisation de l'accès à la nature (n° 1835) (Mme Lisa Belluco, rapporteure)

Lien vidéo : https://assnat.fr/vz2mE0

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Ce texte est inscrit en huitième position de l'ordre du jour qui lui est réservé, le 4 avril.

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En deux siècles, le monde occidental s'est urbanisé : au milieu du XIXe siècle, les trois quarts des Français étaient des ruraux ; aujourd'hui, 80 % d'entre eux habitent en ville. Le numérique occupe aussi une place toujours plus grande dans nos vies : en 2022, les Françaises et les Français ont passé en moyenne 4,6 heures par jour devant un écran. Plus on passe de temps devant un écran, moins on en passe dans la nature.

L'urbanisation et la numérisation sont l'une des causes fondamentales de la crise environnementale que nous traversons. Sans expérience de la nature, nous ne tissons aucun lien avec elle, nous n'apprenons pas à la connaître et ne développons aucun sentiment d'attachement à son égard. Dès lors, comment pourrions-nous vouloir la protéger ? Un projet politique doit retisser ce lien distendu, en organisant l'accès aux espaces naturels, aujourd'hui empêché par la loi du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.

Cette loi partait d'une intention louable : elle devait permettre de remplacer les clôtures existantes par des grillages laissant passer la faune sauvage, limitant ainsi leur impact sur les paysages et la biodiversité. En contrepartie, le simple fait de se trouver sur une propriété rurale et forestière – que la loi ne définit pas clairement – est devenu passible d'une contravention de quatrième classe, donc d'une amende de 135 à 750 euros. Se promener dans une forêt privée ou la traverser sur un chemin, même sans rien dégrader ni voler, sans déposer de déchets, est devenu aussi grave que conduire en état d'ivresse ou rouler à 170 kilomètres à l'heure sur l'autoroute.

Lors du vote de la loi, le groupe Écologiste s'était abstenu, craignant que l'amende n'incite de nombreux propriétaires à fermer leur domaine resté jusque-là accessible. C'est ce qui est en train de se passer : en octobre 2023, dans une réserve naturelle nationale du parc naturel régional de Chartreuse, un marquis a décidé de fermer 750 hectares à tous les usagers de la nature ; en novembre 2023, à Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes, un autre marquis a fermé 1 100 hectares. En janvier 2024, dans le Haut-Rhin, un groupement forestier a acheté 64 hectares dans la vallée de la Doller et fermé, ou plutôt détruit, les sentiers balisés par le Club vosgien. Des tranchées ont été creusées, des arbres déracinés : on s'est ainsi assuré que plus personne n'y passe.

Aucun de ces trois espaces n'était initialement entouré d'un grillage. Cette loi a donc été utilisée, non pour désengrillager, mais pour fermer des terrains. Des pétitions ont été ouvertes dans les trois régions concernées, qui ont recueilli respectivement 40 000, 10 000 et 14 000 signatures. Elles demandent le retour à l'état antérieur du droit et la suppression de la contravention.

Cette dernière comporte, selon moi, cinq risques majeurs : elle freine la transition écologique, aggrave la santé de nos concitoyens, pose un problème démocratique, menace les acteurs du tourisme et multiplie les tensions entre usagers de la nature.

On ne protège que ce que l'on connaît ; on ne connaît que ce que l'on côtoie. Si les Français ne peuvent pas se promener dans la nature, comment les sensibiliser à la crise environnementale, à la fragilité des écosystèmes, à la beauté du vivant ? Il faut remettre les humains dans la nature, pas leur en interdire l'accès.

L'enjeu de santé publique, à la fois physique et mentale, a été révélé pendant la crise du covid, par la détresse manifestée par nos concitoyens. Les revues de littérature scientifique récentes montrent que côtoyer la nature est bénéfique pour lutter contre le stress aigu et chronique, chez les adultes comme chez les enfants. Sur le plan physique, les risques cardio-vasculaires sont réduits, la régulation des fonctions immunitaires et la qualité du sommeil sont meilleures, le risque de myopie est réduit et les capacités cognitives sont renforcées, entre autres bienfaits.

Puisque l'accès aux espaces naturels est nécessaire à tous et toutes, le seul fait d'être propriétaire ne doit pas donner tous les droits à un seul contre tous. Notre droit consacre certes la propriété privée, mais aussi le droit à un environnement sain. La liberté affirmée dans notre devise, couvre notamment celle d'aller et de venir. L'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit la possibilité de limiter la propriété privée en cas de nécessité publique. Quelle est cette démocratie où quelques seigneurs ou marquis peuvent, comme au Moyen-Âge, priver l'ensemble de la population d'un commun indispensable à son épanouissement, créant ainsi mal-être et sentiment d'injustice ? Des oligarques étrangers très fortunés achètent en France de vastes parcelles de terrain, souvent des vignobles ou des propriétés agricoles. Accepterons-nous qu'ils privatisent des centaines d'hectares de nos espaces naturels, y compris les plus remarquables, et qu'ils engagent des milices privées pour empêcher les riverains d'admirer les paysages de leur enfance ? Déjà, à Villeneuve-Loubet, des gardes ont été embauchés pour surveiller les terrains fermés. Notre droit le permet : c'est un problème démocratique, un problème de souveraineté.

Plusieurs personnes auditionnées se sont dites inquiètes des répercussions de la nouvelle amende sur le secteur du tourisme. Dans les Vosges, le secteur fermé concerne la destination touristique par excellence, les fameux ballons : sa privatisation prive tout l'écosystème local de retombées économiques.

Enfin, cette contravention est une bombe à retardement. Nous ne connaissons que trois cas de privatisation, mais 75 % des forêts françaises sont privées. La plupart de nos concitoyens l'ignorent et s'y promènent sans arrière-pensée. Si, demain, tous les propriétaires décident de privatiser leurs espaces, la très grande majorité de notre territoire deviendra inaccessible. Les 46 millions de nos concitoyens qui ont occasionnellement ou régulièrement une pratique sportive ou récréative dans les espaces naturels privés ne pourront plus s'y adonner si le simple fait de se promener dans la nature, même sans rien dégrader ni rien voler, en ramassant même les déchets qui traînent, relève du droit pénal. La représentation nationale considérerait-elle ces 46 millions de Français comme des délinquants potentiels ?

Si le but est de sanctionner des dégradations ou des vols, cette loi est inutile : le code pénal et le code forestier prévoient déjà des contraventions, voire des peines d'emprisonnement pour ces comportements.

Cette loi est, de surcroît, difficile à appliquer. Collègues qui aimez l'ordre, souhaitez-vous vraiment que nos forces de l'ordre passent leur temps à traquer des promeneurs plutôt que des délinquants ? À mon avis, c'est là l'effet réel de cette loi.

Quiconque balance déjà ses déchets dans la nature, ramasse illégalement des champignons ou du bois, fait des barbecues en forêt l'été ne va pas être effrayé par cette contravention. En revanche, un citoyen respectueux, amoureux de la nature, qui ramasse plus de déchets qu'il n'en jette, va cesser d'aller dans les espaces naturels par peur de la sanction et par respect de la règle. Résultat : on punit les innocents ; on épargne les coupables ; on crée un problème nouveau sans régler un problème ancien.

Afin que la situation ne dégénère pas dans l'ensemble du territoire, nous devons trouver d'autres compromis entre propriétaires et usagers de la nature, réfléchir ensemble à une autre contrepartie à la lutte contre l'engrillagement.

Les propriétaires demandent surtout que soient sanctionnés les comportements abusifs – c'est légitime. De nouvelles sanctions n'y feront rien, il faut des moyens tels que des gardes champêtres en plus grand nombre et pourvus de nouvelles habilitations. Ils demandent aussi à être moins tenus pour responsables d'éventuels accidents dont seraient victimes les promeneurs sur leur terrain – là aussi, la demande est légitime. Les collectifs qui réclament un plus grand accès à la nature la reconnaissent d'ailleurs comme telle en contrepartie de leur droit d'accès. C'est une piste à creuser.

Enfin, comme tentent de le faire les élus locaux à Villeneuve-Loubet, des conventionnements avec les propriétaires permettent de garantir un accès à certains espaces naturels spécifiques. Il faut encourager la signature de conventions, par exemple avec les fameux plans départementaux des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR), en faisant en sorte que les propriétaires qui ouvrent leur domaine soient avantagés par rapport à ceux qui les ferment.

Toutes ces pistes ne pourront malheureusement pas être explorées dans le cadre de cette niche parlementaire, mais je les propose en vue de poursuivre le travail.

La loi sur l'engrillagement partait d'une bonne intention, mais elle a renforcé certaines tensions, contrairement à son objectif initial. Commençons par abroger la sanction qu'elle a introduite pour revenir à l'état du droit tel qu'il était en janvier 2023. Travaillons ensuite de façon transpartisane à l'élaboration d'un autre compromis satisfaisant les aspirations à la fois des propriétaires et des usagers de la nature. Se promener dans la nature n'est pas un crime. Trouvons d'autres voies pour concilier l'accès à la nature et le respect de la propriété privée.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Amputer le code pénal de son article 226-4-3, introduit par la loi du 2 février 2023, produirait deux effets : donner à quiconque le droit de pénétrer sans autorisation dans une propriété rurale ou forestière appartenant à un propriétaire qui aurait matérialisé physiquement le caractère privé du lieu ; supprimer la contravention de quatrième classe associée à l'infraction. Cela constituerait un recul flagrant dans la protection du respect de la propriété privée. Remettre en cause cette loi, un an après sa promulgation et sans retour d'expérience, n'est ni souhaitable ni envisageable si l'on tient à préserver le respect de la propriété privée, principe fondamental de la société française.

L'équilibre de ces propriétés rurales et forestières est précaire : 15 % de notre flore est menacée ; notre faune se fragilise. L'égaré candide, le flâneur insouciant qui se laisse porter au gré du vent sans toujours avoir conscience de son environnement ne pense pas faire de mal, mais les exploitants agricoles, agriculteurs ou éleveurs sont parfois sidérés de voir leurs pâturages et leurs cultures piétinés impunément.

L'augmentation du nombre de randonneurs démontre le besoin de retour à la nature, et plus encore depuis la crise sanitaire. C'est en raison même de cette augmentation que nous devons protéger notre nature et faire respecter le droit à la propriété privée. Par une dialectique bien pensée, vous liez la sensibilisation de nos concitoyens à la nature à son contact avec elle. Le néophyte peut certes s'éduquer par lui-même, mais rares sont les autodidactes de talent. Le randonneur peut se mettre en danger en empruntant des sentiers poreux et instables, perturber la reproduction d'un animal endémique menacé, se promener dans une aire de chasse, abîmer des récoltes. Plus de 227 000 kilomètres de chemins balisés et sécurisés en France paraissent suffisants pour se délecter en toute sécurité de la diversité de nos innombrables paysages. Pour sensibiliser à la nature, nous prônons une approche responsable telle celle du parc national des Écrins, dont les agents organisent des temps d'explications et d'échanges avec les touristes et les randonneurs.

Les parcelles agricoles ne sont pas des terrains de jeu, les propriétés rurales et forestières ne sont pas des lieux de divagation. C'est pourquoi, afin de préserver le respect du droit de propriété, le groupe Renaissance votera contre cette proposition de loi.

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La propriété est un droit fondamental et un acquis de la Révolution française, consacré par notre texte suprême, la Constitution. L'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du 26 août 1789, dispose : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Tirant sa légitimité de ces deux textes fondateurs, la loi adoptée en février 2023 a créé une contravention de quatrième classe pour sanctionner le non-respect de la propriété privée, et plus particulièrement toute pénétration sans autorisation dans la propriété rurale ou forestière d'autrui, dès lors qu'elle peut être identifiée comme telle. Dans sa version initiale, le texte prévoyait même une contravention de cinquième classe.

Le désengrillagement de nos espaces naturels ne peut être réalisé sans que la contrepartie du respect de la propriété privée soit garantie. Avant février 2023, nul n'avait le droit de pénétrer dans la propriété d'autrui, mais les intrusions n'étaient pas sanctionnées pénalement dès lors qu'aucun dégât n'était commis, même si ladite propriété était entourée d'une clôture. Il existait donc bel et bien un vide juridique concernant la protection du droit de propriété, qu'elle soit rurale ou forestière ; la création de l'article 226-4-3 du code pénal l'a comblé. Lors des auditions menées au Sénat, aussi bien les propriétaires que les associations de promeneurs avaient d'ailleurs manifesté leur volonté de mieux protéger la propriété privée et de sanctionner le non-respect de celle-ci.

Dans le monde rural, nombreux sont ceux qui déplorent la perte de savoir-vivre et la revendication de plus en plus répandue que la nature appartiendrait à tout le monde, mettant en cause dangereusement la notion même de propriété privée. Le braconnage, les vols de fruits forestiers ou de fleurs sont fréquents. Les pollutions, les dégradations, voire les intrusions agressives ou les dépôts sauvages incitent les propriétaires à ériger des clôtures. La création d'une contravention de quatrième classe pour pénétration sans autorisation dans la propriété rurale ou forestière d'autrui est donc une véritable avancée pour le respect du droit à la propriété privée, et un élément fondamental pour le désengrillagement des espaces naturels, auquel je suis particulièrement attachée.

La proposition de loi, qui propose une régression dangereuse du droit à la propriété privée, est de plus en totale contradiction avec la volonté de désengrillager les espaces naturels. Elle tente d'opposer les propriétaires, les promeneurs et tous les amoureux de la nature, alors que les dispositions législatives en vigueur tendent seulement à faire respecter le droit de propriété. Son article unique remet en cause l'une des garanties de l'acquis fondamental de la Révolution française : le droit de propriété.

Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national a déposé un amendement de suppression de l'article unique de cette proposition de loi à laquelle il est fermement opposé.

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L'accès à la nature est une question d'intérêt général, un enjeu de santé publique, une source d'épanouissement. De nombreuses activités culturelles ou touristiques dépendent du franchissement respectueux des forêts. Or des espaces naturels entiers sont privatisés : 75 % des forêts sont privées dans l'est de l'Hexagone, le taux atteignant 90 % dans l'Ouest.

Cette situation était globalement vivable, fondée sur une forme d'entente tacite. Cependant, depuis le 2 février 2023 et l'adoption d'un texte proposé par le MODEM, le fragile équilibre normatif entre propriétaires et promeneurs a volé en éclats. À présent, le seul fait de pénétrer dans une propriété privée, dont le propriétaire aurait placé un marquage, est pénalement répréhensible.

Du jour au lendemain, un sentier pratiqué depuis des générations dans le parc naturel régional des Ballons des Vosges à Rimbach-près-Guebwiller, dans la belle vallée de la Doller, dont je suis originaire, a été saccagé par son propriétaire pour en interdire l'accès. À Villeneuve-Loubet, près de 80 % des espaces naturels de la commune ont été interdits d'accès par le marquis de Panisse-Passis. Un autre marquis, celui de Quinsonas-Oudinot, interdit des centaines d'hectares au cœur de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse. Quel est le point commun entre ces trois terrains ? Aucun d'entre eux n'était auparavant engrillagé. Pourtant, c'est en contrepartie du désengrillagement des propriétés, que l'infraction pénale de franchissement de la propriété d'autrui a été introduite dans la loi.

Protéger l'environnement des pollueurs et des pilleurs est nécessaire, mais en interdire l'accès à toutes et tous est contre-productif. La loi permet déjà de sanctionner les excès, mais les maires ou les agents de police de l'environnement se retrouvent souvent sans moyens pour appliquer leurs prérogatives. Dans leur quasi-intégralité, les sentiers de randonnée de France sont ainsi menacés de fermeture à terme.

Ces propriétaires font donc un emploi totalement à rebours de l'esprit de la loi du 2 février 2023 et des débats de notre assemblée. Comme dans d'autres domaines, on constate ici qu'en système capitaliste les intérêts particuliers s'affirment toujours au détriment de l'intérêt général. Ils le font pourtant sous le sceau de la légalité, avec la bénédiction de la portion du Parlement qui a voté en faveur de cette loi. Il convient donc de corriger cela. C'est pourquoi le groupe LFI-NUPES votera en faveur de la proposition de loi.

A contrario, l'extrême droite a choisi de se faire le relais des marquis et des grands propriétaires terriens, plutôt que des usagers, respectueux de la nature et du travail méticuleux des milliers de bénévoles des associations de randonneurs. Une promenade, c'est une sorte de fenêtre ouverte de liberté gratuite pour de nombreuses familles rurales. En voulant supprimer l'abrogation de la pénalisation de l'accès à la nature, le Rassemblement national fait preuve, une fois de plus, d'une parfaite déconnexion avec les problématiques de nos territoires ruraux.

L'accès à la nature est une nécessité, un besoin, une évidence. Parce qu'il est d'intérêt fondamental, il doit en découler un droit collectif, celui de pouvoir accéder à la nature. Ce droit doit être garanti dans la loi, comme c'est le cas dans les pays scandinaves – il l'est même dans la Constitution suédoise depuis 1994. En France, ce droit doit nécessairement aller de pair avec l'exigence de protection des cycles de reproduction des écosystèmes. C'est ce à quoi s'emploient la Fédération française de randonnée pédestre et, en Alsace, le Club vosgien.

Des milliers de bénévoles remplissent une mission essentielle de protection des espaces naturels, en gérant les flux de promeneurs, en sensibilisant ceux-ci au respect de l'environnement, tout en entretenant les espaces naturels. Nous proposerons donc de nous reposer sur cette cartographie fine pour y créer des servitudes de passage, en nous inspirant de la loi « littoral », afin de protéger la continuité des sentiers de randonnées pour un accès respectueux de la nature pour toutes et tous.

Il nous faut revenir à la raison. Laissons les promeneurs se promener et les randonneurs randonner. Ne permettons pas que les caprices de quelques propriétaires terriens puissent donner à d'autres la mauvaise idée de mettre en œuvre de tels projets égoïstes. L'accès à la nature doit être considéré comme un droit universel. Dépénalisons-le.

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Avec cette proposition de loi, la rapporteure nous invite à une réflexion sur le rapport de l'homme à la nature, qui n'est pas abstraite : elle se concrétise dans le droit où il faut bien souvent concilier des principes, qui peuvent être complémentaires mais aussi devenir contradictoires. En l'occurrence, il s'agit de concilier la liberté d'aller et venir avec le droit de propriété.

Nos débats doivent se situer dans le droit actuel, la loi du 2 février 2023, visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Déposé, à l'origine, par un sénateur du groupe LR, ce texte visait à rétablir les continuités écologiques afin que les espèces animales se déplacent sans contrainte dans les espaces naturels, à répondre aux problèmes de sécurité en termes d'incendies ou de risques sanitaires et à limiter le développement de chasses artificialisées, prenant la forme d'enclos érigés pour favoriser le tir du gibier, ce qui n'est pas opportun. En contrepartie de la réglementation stricte sur l'engrillagement, pouvant représenter une forme d'atteinte à la propriété privée, l'article 226-4-3 du code pénal prévoit de sanctionner d'une amende de quatrième classe le fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui. C'est cette dernière disposition que l'on nous propose d'abroger.

Tout d'abord, à peine un an après son adoption, il faudrait déjà modifier ce texte qui n'a fait l'objet d'aucune évaluation. Combien de personnes ont été vraiment verbalisées ? Il me semble qu'avant de tout bousculer, il faudrait prendre le temps d'évaluer. Ensuite, la présente proposition de loi détruirait l'équilibre recherché en 2023 : la contravention était une contrepartie aux contraintes imposées à la propriété privée en matière d'engrillagement. Enfin, les débats du jour pourraient donner l'impression qu'il y a les méchants propriétaires, d'un côté, et les gentils promeneurs, de l'autre. C'est une vision un peu manichéenne. Il suffit d'interroger les agriculteurs et les propriétaires forestiers pour comprendre que les mœurs des promeneurs ont largement évolué : la cohabitation n'est plus aussi paisible et respectueuse de la nature qu'il y a quelques décennies. Cette évolution de la société doit nous inciter à la prudence : il s'agit de ne pas détruire l'équilibre trouvé, allant ainsi à l'encontre de nos objectifs communs de protection de la nature.

Pour notre part, nous voterons contre la proposition de loi, parce que nous continuerons à rechercher un équilibre dans le dialogue entre les propriétaires, les promeneurs, les chasseurs, tous les utilisateurs et amoureux de la nature.

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Cette proposition de loi soulève, à juste titre, un problème posé par l'application de la loi du 2 février 2023, qui tend à limiter l'engrillagement des espaces naturels, afin de permettre la libre circulation du gibier et d'assurer une vraie fonctionnalité des écosystèmes, en particulier forestiers. Pour accompagner le désengrillagement, il a été créé une contravention en cas de pénétration sans autorisation dans une propriété privée rurale ou forestière.

On constate toutefois que cette mesure a entraîné la fermeture de l'accès à des espaces naturels dans plusieurs territoires, parfois même au sein de parcs naturels régionaux (PNR) comme c'est le cas dans le massif de la Chartreuse. Sur mon territoire, dans le Haut-Rhin, le rachat d'une parcelle forestière a ainsi conduit à la fermeture sans concertation de deux sentiers de randonnée très prisés, entretenus et balisés par le Club vosgien, une association reconnue d'utilité publique qui œuvre depuis cent cinquante ans au balisage et à l'entretien de plus de 20 000 kilomètres d'itinéraires pour et dans le respect de la protection de la nature et des paysages.

L'application de cet aspect de la loi du 2 février 2023 soulève donc la question du droit d'accès à la nature. Alors que la Charte de l'environnement, présente dans notre bloc constitutionnel, rappelle que l'environnement est le patrimoine commun de l'humanité, la fermeture de sentiers parfois centenaires n'est pas acceptable. Nos concitoyens sont très sensibles à cet enjeu.

Mais de même que le droit d'accès à la nature doit être défendu, de même il faut pouvoir donner aux propriétaires de parcelles forestières et rurales la possibilité d'en réglementer l'accès. Une suppression totale de cette contravention semble donc disproportionnée au regard de la protection de la propriété privée. C'est pourquoi le groupe démocrate a déposé un amendement de réécriture de l'article unique de la proposition de loi, afin de proposer une solution plus équilibrée qui garantisse autant le droit d'accès à la nature que le respect de la propriété privée.

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Depuis la loi du 2 février 2023, notre régime juridique prévoit une contravention de quatrième classe, soit une amende forfaitaire de 135 euros et pouvant atteindre 750 euros, pour la violation d'une propriété rurale ou forestière. Concrètement, ce texte limite la possibilité de traverser une propriété rurale ou forestière ou de s'y aventurer, même sans l'endommager. Jusqu'alors, il était permis de se promener dans des espaces naturels, dès lors que l'on ne commettait aucune dégradation ou violation de domicile, sachant que 75 % des forêts de l'Hexagone sont des propriétés privées.

Il apparaît finalement que ce texte a renforcé la fermeture, voire l'engrillagement de certains espaces, notamment forestiers, en interdisant toute incursion. Certains propriétaires profitent même de la toute nouvelle législation pour installer des panneaux portant les mentions « propriété privée » ou « défense d'entrer », afin de dissuader les usagers de la nature de s'aventurer plus loin. Ces espaces sont désormais réservés à l'usage exclusif et récréatif de quelques propriétaires fortunés, au détriment des populations qui souhaitent pouvoir profiter tranquillement de la nature.

Déjà très en retard par rapport aux législations en vigueur en Islande, en Norvège, en Suède ou en Finlande, la France a paradoxalement accusé une grave régression du droit d'accès à la nature depuis l'adoption de ce texte en 2023. L'abrogation proposée ici s'inscrit pleinement dans le respect des droits consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, notamment la liberté d'aller et venir. Elle en respecte aussi l'article 5 qui dispose : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. » Quant au droit de propriété, il n'est nullement remis en cause s'agissant d'espaces naturels qui pourraient être aménagés dans le cadre d'un régime légal des biens communs.

Le groupe Socialistes et apparentés soutient donc cette proposition de loi, qui va dans le sens d'un partage de la jouissance des espaces naturels.

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La présente proposition de loi part du principe que la nature est un élément indispensable à la qualité de vie de nos concitoyens, et que ses effets bénéfiques sur la santé physique et mentale ne sont plus à démontrer. Tous les députés du groupe Horizons et apparentés souscrivent totalement à cette assertion. Néanmoins, ils souhaitent réaffirmer que, comme tout droit fondamental, la liberté d'aller et venir doit se concilier avec le droit constitutionnel de propriété.

C'est d'ailleurs l'équilibre qui avait été trouvé lors de l'examen de la loi du 2 février 2023, que la présente proposition de loi souhaite partiellement abroger. Cette loi, votée par le groupe écologiste en première lecture, a institué une contravention de quatrième classe sanctionnant le fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui lorsque le caractère privé du lieu est matérialisé.

Cette disposition a fait l'objet d'un compromis indispensable qui nous semble rendre cette nouvelle sanction tout à fait proportionnée. D'une part, la proposition de loi prévoyait initialement une contravention de cinquième classe, conduisant à un éventuel procès pénal en lieu et place d'une simple amende forfaitaire. D'autre part, pour ne pas sanctionner des promeneurs qui s'introduiraient dans une propriété privée en méconnaissance du caractère privé du lieu, nous avons adopté un amendement par lequel l'infraction n'est constituée que si le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement. Cette disposition est donc tout à fait proportionnée. En outre, il est légitime de sanctionner à cette hauteur des intrusions dans les propriétés privées, alors que la superficie forestière – 17,3 millions d'hectares – n'a jamais été aussi grande, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Mes réserves sur cette proposition de loi tiennent à ce qu'elle revient sur une loi adoptée il y a moins d'un an par notre assemblée identiquement composée. D'une part, les équilibres politiques, voire les compromis trouvés ne sauraient être remis en question dans un délai aussi court sans un changement de circonstances majeur. D'autre part, nous constatons tous ce que l'édifice législatif est souvent peu lisible pour nos concitoyens. Les lois s'empilent les unes sur les autres, et, alors que nul n'est censé ignorer la loi, la plupart des Français ne sont pas capables de suivre ces évolutions. Cette proposition de loi me semble particulièrement contre-productive et son adoption participerait à complexifier et alourdir encore un peu notre arsenal législatif qui n'a pas vraiment besoin de cela.

Le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.

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Je remercie ma collègue Lisa Belluco de défendre avec force cette excellente proposition de loi.

Il ne faudrait pas revenir sur un texte adopté récemment, arguent certains. Or nous constatons que les effets de cette loi avaient été mal appréciés et qu'ils sont contraires à ceux qui avaient été escomptés : des propriétés deviennent infranchissables alors qu'il s'agissait de lutter contre l'engrillagement.

Dans ma circonscription, en Chartreuse, 750 hectares ont été fermés du jour au lendemain, ce qui a conduit au détournement ou à l'interdiction de deux itinéraires de randonnée pratiqués depuis toujours. Hormis l'application détournée de la loi du 2 février 2023, il n'y a aucune explication logique à cette fermeture : l'endroit n'est pas fréquenté à outrance et il ne subit pas de dégradations majeures.

Notre proposition est raisonnable : il s'agit de revenir au droit antérieur, à la coutume historique, une tolérance qui permet de se promener partout. Notre collègue Breton explique qu'il faut rechercher un équilibre entre le droit de la propriété privée et la liberté d'aller et venir. Or la loi de 2023 rompt cet équilibre en prévoyant une infraction pénale qui n'a rien à faire en la matière : une telle infraction sert à réparer un dommage créé à la société. Quand on se promène sur une propriété privée et que l'on ne crée aucun dommage à la société, il n'y a pas lieu d'encourir une infraction pénale.

Ce qui s'est passé en Chartreuse s'est produit à Villeneuve-Loubet et dans les Vosges. Le phénomène est appelé à s'étendre sous la pression des assureurs, des fédérations de chasse et autres. Quelque 75 % des forêts françaises sont privées, et le taux atteint même 90 % en Bretagne. Si des régions entières sont fermées à la randonnée, vous allez voir une pression très forte de nos concitoyens sur le terrain. À mon avis, le texte que nous proposons finira par être adopté d'une manière ou d'une autre, que ce soit cette fois-ci, l'année prochaine ou la suivante. C'est inéluctable, car on ne peut pas priver les Françaises et les Français d'aller se promener, d'exercer ce droit imprescriptible.

Pour clarifier la manière de concilier le droit de la propriété privée et celui d'aller et venir, je nous invite collectivement à réécrire le droit. Alors que nous vivions sur une coutume vivace, nous pourrions nous inspirer des législations des pays scandinaves. La Constitution suédoise consacre le droit d'aller et venir, ce qui n'est pas une violation de la propriété privée. Il ne faut d'ailleurs pas confondre terrain privé et domicile. La violation du domicile reste une infraction pénale : vous ne pouvez pas entrer dans la maison ou le jardin de quelqu'un, le déranger ou créer un trouble de voisinage. Cela vaut aussi en Suède, en Finlande, en Norvège et au Danemark, pays qui ne sont pas des dictatures communistes. Nous ne remettons pas en cause le droit de propriété. Il faut arrêter de raconter n'importe quoi et avancer sur ce sujet.

Nous sommes donc très favorables à cette proposition de loi.

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Je note tout de même que ceux qui s'étouffent devant cette proposition de loi sont généralement ceux qu'on n'entend pas quand des terres sont artificialisées pour créer des parcs de loisirs promettant des moments d'émotion. De la même manière, ils réagissent peu quand des chasseurs ne se contentent pas de pénétrer sur des terrains privés mais donnent dans la violation claire, régulière et parfois brutale de domicile.

En France, 75 % des forêts sont des propriétés privées. Si tous les propriétaires terriens prenaient exemple sur ce qu'a fait M. de Quinsonas-Oudinot en Chartreuse, l'accès à la nature s'en trouverait fort restreint sur le territoire français.

Nous avons un défi à relever – l'affaire du siècle, pour certains : créer ou développer une proximité des peuples avec la nature, un nouveau rapport au vivant. À cet égard, et même si elle se limite à revenir sur une loi qui a remis en cause un équilibre, la présente proposition de loi constitue une sorte de premier pas vers un véritable droit à la nature, à l'image de législations étrangères. Dans une tribune parue dans Le Monde, dont vous êtes à l'initiative, madame la rapporteure, des personnalités diverses citaient en exemple les pays scandinaves où, selon la chercheuse Camille Girault, « traverser une prairie, cueillir des champignons et des baies dans une forêt, bivouaquer dans un pré, randonner sur n'importe quel sentier et canoter sur le moindre lac sont considérés comme des aménités et des services environnementaux accessibles à tous en vertu de ce droit coutumier qui conçoit la nature comme un bien public. » C'est donc aussi un bien à préserver. Voilà vers quoi nous devons tendre, car cela correspond à un enjeu écologique primordial, mais aussi à un enjeu civilisationnel, d'humanité.

Le droit de propriété est toujours mis en avant par les opposants au droit d'accès à la nature. Lors de l'examen de la proposition de loi anti-squat de l'actuel ministre de logement, les mêmes nous avaient offert un dangereux glissement, passant d'une logique de protection du domicile et de la vie privée à une logique de protection de la propriété, ce qui n'est pas du tout pareil : la propriété est alors élevée au rang de valeur suprême.

La nature nous est commune. Nous n'en sommes pas propriétaires, mais, par le biais de cette communauté, nous pourrions considérer que nous sommes propriétaires de l'accès plein et entier à la nature. Dès lors, les éventuelles restrictions ne peuvent concerner son accès mais sa préservation, tout cela allant dans le sens d'une plus grande proximité des peuples avec la nature.

Dans un pays attaché aux libertés publiques, à la liberté d'aller et venir, où les espaces naturels sont légitimement regardés comme un patrimoine commun, nous ne pouvons pas accepter ce raidissement libéral et l'absolutisation du droit de propriété. Nous serions plus avisés de nous inspirer de nombreux pays qui consacrent le droit de tout un chacun à accéder à la nature. Ce droit ne peut certes s'exercer sans limite et doit respecter aussi bien la vie privée que l'environnement, mais il reflète et honore un besoin essentiel.

Nous voterons évidemment pour ce texte.

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Merci à tous. Je vais essayer de répondre à quelques inquiétudes en partageant avec vous ce que m'ont appris ces travaux.

Madame Boyer, selon vous, nous voudrions donner à tout le monde le droit d'aller partout. Ce n'est pas tout à fait l'objet de ce texte qui vise à revenir au droit existant avant le 2 février 2023. Il me semble que le 1er février 2023, tout le monde n'avait pas le droit d'aller partout pour faire n'importe quoi. Ce n'est pas comme si la loi était venue nous sauver d'un chaos où les gens détruisaient tout et faisaient n'importe quoi.

Il ne s'agit pas non plus d'un recul concernant le respect de la propriété privée : celle-ci est protégée, et tous les préjudices subis par les propriétaires sont réprimés par la loi. En revanche, le nouvel article introduit dans la loi l'année dernière a bouleversé notre philosophie pénale en ce sens que le code pénal sanctionne désormais un acte qui ne nuit pas à la société. En France, le code pénal sanctionne des actes qui nuisent à la société. Traverser une propriété privée peut éventuellement nuire au propriétaire, mais pas à la société. À la limite, si vous voulez vraiment traiter le sujet, faites-le dans le code civil.

J'entends votre souci de protéger la nature des promeneurs. Nous ne mettons pas sous le tapis le fait que certains d'entre eux la dégradent, même s'ils ne sont pas la majorité. Il s'agirait plutôt d'accompagner les promeneurs, de les sensibiliser et de les former à un meilleur respect de la nature, car ce n'est pas en les empêchant d'y accéder que nous leur permettrons d'apprendre à mieux s'y comporter. Cette proposition de loi n'est donc qu'un premier pas pour favoriser l'accès à la nature.

Je le répète, ce n'est parce que vous aurez ajouté un article à la loi que les fraudeurs se mettront subitement à la respecter. Les gens qui volent des champignons, du bois ou des fruits, qui dégradent la nature ou qui laissent divaguer leur animal de compagnie sont déjà punis par la loi, et je ne pense pas qu'ils mettront fin à ces comportements illégaux parce que nous aurons imposé une contravention aux promeneurs. Il s'agit moins d'empiler les lois que de nous donner les moyens de les faire respecter.

Vous dites, par ailleurs, que les chemins balisés existants suffisent mais, en Chartreuse ou dans la vallée de la Doller, par exemple, ce sont des chemins balisés qui ont été fermés, car ces chemins, entretenus par des associations de randonneurs, ne sont absolument pas protégés par cet article : la propriété privée est au-dessus de tout le reste. Dans les ballons des Vosges, on ferme des chemins historiques que les gens empruntaient pour accéder à un site touristique où se trouve un lac. Peut-être, me direz-vous, cela permettra-t-il de protéger la nature de l'excès de randonneurs, mais il existe d'autres moyens de le faire que de tout fermer – ce qui, du reste, renverra cet excès de randonneurs dans les 25 % de forêts publiques.

Madame Paris, puisque vous évoquez nos textes fondateurs, n'oubliez pas que le droit de chasser pour le peuple est un acquis de la Révolution française. Les chasseurs qui chassaient gratuitement, par exemple dans le massif de la Chartreuse, ne peuvent plus le faire sans payer. Quelque position personnelle que l'on puisse avoir à propos de la chasse – et vous savez que je n'en suis pas une grande amatrice –, il faut respecter et n'encadrer qu'avec prudence cette chasse populaire, que cet article du code pénal ne protège pas.

Par ailleurs, l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que vous citez, affirme aussi que la propriété peut être limitée en cas de nécessité publique. Aucune propriété n'est absolue : à nous de juger si l'accès à la nature fait nécessité publique – ce que, pour ma part, je crois.

Le même article évoque certes aussi une « indemnité », mais n'oublions pas non plus que les forestiers utilisent souvent des chemins publics pour accéder à leurs parcelles et bénéficient d'exonérations fiscales pour entretenir ces dernières, ainsi que de diverses aménités publiques qui pourraient justifier qu'ils laissent sur ces parcelles un libre passage ne causant aucun préjudice – les préjudices étant, du reste, punis par la loi.

C'est aussi le cas de la perte de savoir-vivre, du braconnage, du vol et des dégradations. En outre, je le répète, un contrevenant ne se mettra pas subitement à respecter la loi parce qu'on y aura ajouté des sanctions. Ce qui compte, c'est d'avoir les moyens de la faire appliquer. Il faut des agents de l'État, des fonctionnaires pour sanctionner, mais ce n'est pas le sujet de cette proposition de loi.

Monsieur Fernandes, il est bon de rappeler que les espaces dont l'accès est aujourd'hui restreint n'étaient pas engrillagés et que l'article que nous voulons abroger n'est donc pas une contrepartie au désengrillagement, très bénéfique pour la faune sauvage, que nous avons voté.

Monsieur Breton, vous avez raison de souligner que nous sommes en train de discuter du rapport de l'homme à la nature et du besoin que nous avons de cette dernière. Vous avez rappelé l'historique de la loi contre l'engrillagement, qui visait notamment à limiter les enclos de chasse. Toutefois, si cette loi interdit les grillages imperméables à la faune sauvage, il reste autorisé d'en poser s'ils lui sont perméables : les propriétaires qui tiennent absolument à s'enclore en ont encore le droit – le bien-fondé de ce droit n'étant pas l'objet du texte que nous examinons. Je ne pense donc pas qu'en supprimant la sanction, on supprime l'équilibre trouvé dans cette loi : puisqu'il n'est pas interdit de s'enclore, il n'est pas vraiment besoin de contreparties pour protéger la propriété privée, qui n'est pas atteinte par les dispositions du texte relatif au désengrillagement.

Vous demandez également combien de personnes ont été verbalisées et nous invitez à prendre le temps d'évaluer cette loi. Elle n'avait pas fait l'objet d'une évaluation antérieure et, à notre connaissance, personne n'a été verbalisé à ce titre, ce qui pose d'ailleurs question quant à l'applicabilité de la contravention. Avons-nous vocation à introduire dans une multitude de codes une multitude d'articles non applicables, nous exposant à la critique de faire une loi bavarde et des amendements qui l'alourdissent ? Si cet article n'est pas applicable, pourquoi le conserver ?

Je conviens avec vous qu'il ne s'agit pas d'opposer les méchants propriétaires et les gentils promeneurs. Je le répète, je n'occulte pas le fait que certains promeneurs provoquent des dégradations, mais je suis persuadée qu'il s'agit d'une minorité. Les élus de la Fédération nationale des communes forestières, à qui j'ai demandé s'ils trouvaient que, concrètement, les incivilités et les dégradations étaient plus nombreuses qu'auparavant, m'ont répondu qu'elles existaient bel et bien et qu'il fallait les traiter, mais qu'elles n'étaient pas plus nombreuses. Peut-être ce jugement ne concerne-t-il que les forêts et faut-il aller voir ailleurs ce qu'il en est, mais je note au moins que ces dérives ne sont pas si nombreuses et je rappelle qu'il existe déjà dans la loi tout ce qu'il faut pour les sanctionner. Donnons-nous-en les moyens.

Monsieur Ott, nous reviendrons à votre proposition lorsque nous examinerons votre amendement.

Madame Poussier-Winsback, vous soulignez que la liberté d'aller et venir doit se concilier avec le droit de propriété et, de fait, c'était le cas dans le droit coutumier et il ne semble pas que la propriété privée ait été dégradée par cette liberté des promeneurs.

Vous nous reprochez d'alourdir l'arsenal législatif, alors que supprimer un article inapplicable n'est pas alourdir, mais alléger.

Monsieur Iordanoff, la coutume a en effet valeur de droit dans certaines circonstances, comme c'était le cas auparavant. Certains ont pu évoquer un flou juridique, mais il s'agit en réalité de la coutume, sur la base de laquelle on peut juger.

Enfin, comme Mme Faucillon, je suis pleinement d'accord pour dire que cette proposition de loi n'est qu'un premier pas. Nous devons en effet travailler à définir notre nouveau rapport au vivant, à fixer des restrictions en vue de la préservation de la nature et à établir des usages. Il ne s'agit pas seulement de posséder, car cela ne nous affranchit pas de l'obligation de respecter le reste du vivant – ce qui, du reste, nous permet d'être vivants nous aussi.

Article unique (art. 226-4-3 du code pénal) : Abrogation de la contravention réprimant le fait de pénétrer dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui

Amendement de suppression CL1 de Mme Mathilde Paris

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Cet article remet dangereusement en cause le droit à la propriété privée et rompt l'équilibre qui avait été trouvé avec la loi de désengrillagement pour garantir, en contrepartie, le respect de la propriété privée.

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Cet argument est malheureusement mauvais car, comme je l'ai dit, la loi désengrillagement n'impose pas de supprimer les grillages et ceux qui veulent vraiment s'enclore peuvent continuer à le faire. La propriété privée n'était donc pas atteinte par cette loi. En revanche, la contravention prévue à l'article 226-4-3 du code pénal soulève de nombreuses difficultés, que j'ai citées.

La contravention peut aussi sanctionner un promeneur de bonne foi. La loi impose certes que le caractère privé de la zone soit matérialisé – je le sais pour avoir imposé cette obligation, qui n'était pas prévue dans le texte, par un amendement de repli –, mais il n'est nullement requis que cette matérialisation soit suffisante pour garantir la bonne information des tiers. Un simple panneau peut suffire, de telle sorte qu'un promeneur de bonne foi, entré par un autre endroit dans l'espace naturel concerné, peut être sanctionné sans avoir même su que cet espace était privé. C'est une énorme restriction à la liberté d'aller et venir.

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Madame la rapporteure, vos propos sont encore plus dangereux que votre proposition de loi. Selon vous, on pourrait s'introduire dans une propriété privée sans que cette violation soit une infraction pénale : elle relèverait seulement d'une responsabilité civile. Député de la troisième circonscription du Tarn, département dans le sud duquel des zadistes occupent une « zone à défendre » (ZAD) pour s'opposer à l'autoroute A69, j'ai le sentiment que ce que vous venez de dire pourrait laisser penser que vous légitimez leur présence sur des parcelles appartenant à des tiers, alors qu'il faudrait au contraire renforcer les sanctions pénales pour dissuader ces personnes de s'y introduire sans autorisation, en sachant pertinemment qu'elles n'ont pas droit de s'y trouver. Au détour de votre proposition de loi, il y a donc une remise en cause la responsabilité pénale pour la violation de la propriété d'autrui. C'est très dangereux.

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On voit que le Rassemblement national est totalement déconnecté des réalités du pays et se fait, une fois encore, le défenseur zélé des intérêts particuliers contre l'intérêt général. La proposition de loi que nous examinons doit permettre de corriger une situation absurde, ubuesque, et qui est même vécue comme brutale, comme je l'ai constaté à Rimbach, dans la vallée dont je suis originaire, où plus de 1 000 personnes ont manifesté afin de pouvoir utiliser un sentier qu'ils empruntaient depuis des générations pour atteindre un lac dans les montagnes et où il n'y a jamais eu ni dégradations ni pillages.

Avant la loi proposée par le MODEM du 2 février 2023, tout allait bien et, par une sorte d'usage et de compromis tacite, la traversée des propriétés forestières et rurales était tout à fait tolérée : c'est la possibilité de cette contravention de quatrième classe qui a brisé cet équilibre. Il faut donc la supprimer et revenir à la situation antérieure.

Le Rassemblement national, dans son idéologie individualiste et son dogmatisme de l'égoïsme et du repli sur soi, montre qui il défend : les caprices des marquis et des grands propriétaires terriens contre l'intérêt général, contre celles et ceux qui souhaitent simplement pouvoir continuer de se promener sur des chemins qu'ils empruntent souvent depuis des générations.

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À vous entendre amalgamer des personnes qui se promènent avec des zadistes, je ne sais pas qui tient les propos les plus dangereux ! Tous les gens qui ont une relation avec la nature sont donc de méchants écologistes terroristes, ou « écoterroristes » ? Je ne propose pas de supprimer l'article du code pénal qui sanctionne déjà le fait de s'installer indûment dans une propriété privée, mais l'article en vertu duquel on peut être sanctionné en se promenant.

Quant aux ZAD, il s'agit bien d'occupations illégales réprimées par l'article 322-4-1 du code pénal – personne ne dit le contraire. Les personnes qui s'y trouvent pratiquent la désobéissance civile ; elles savent qu'elles sont hors-la-loi et c'est précisément en se mettant hors-la-loi qu'elles comptent défendre leurs convictions et faire savoir ce qu'elles revendiquent. Toute personne qui pratique la désobéissance civile sait qu'elle peut être sanctionnée ; cela fait partie de ce mode d'action. Le texte ne vise pas à ne pas sanctionner des gens qui prônent un mode d'action extérieur à la loi pour faire valoir des idées, mais simplement à ce qu'on cesse d'infliger des amendes à des gens qui se promènent de bonne foi. Tous les autres comportements qui portent préjudice à la propriété sont déjà punis par la loi. Or le fait de se promener ne porte a priori préjudice à personne.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL5 de M. Hubert Ott

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Il vise à faire évoluer la loi de février 2023 afin de garantir l'accessibilité de tout sentier entretenu et balisé par une association reconnue d'utilité publique, même s'il traverse une propriété privée.

Bien que la proposition de loi aborde le problème de manière adéquate, la suppression totale de l'article 226-4-3 du code pénal semble disproportionnée au regard de la protection de la propriété privée. Cet amendement vise donc à établir un équilibre entre la protection de la propriété privée et le respect du droit d'accès à la nature.

Il tend à promouvoir le droit d'accès à la nature et l'importance cruciale des associations dans son encadrement et sa préservation. Leur engagement contribue à soulager les pouvoirs publics en réduisant la charge de travail des communes et les coûts pour les collectivités territoriales. Leur connaissance approfondie du territoire est également précieuse, notamment en matière de sécurité, en particulier pour la prévention et la lutte contre les incendies de forêt. Les cartes qu'elles élaborent constituent en outre un patrimoine inestimable.

La solution proposée est équilibrée : maintenir la contravention établie grâce à la loi du 2 février 2023 en cas de pénétration sans autorisation dans une propriété privée rurale ou forestière, tout en garantissant le droit d'accès à la nature et en reconnaissant le rôle crucial des associations dans sa préservation, surtout lorsqu'elle est encadrée par des sentiers et itinéraires balisés et entretenus.

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Bien que je comprenne le sens de votre amendement, j'y suis défavorable, car sa rédaction soulève quelques difficultés. D'abord, elle semble incomplète, car il faudrait exclure aussi du champ de la contravention les autres chemins de randonnée, qui ne sont pas nécessairement entretenus par des associations. Par ailleurs, la pratique d'autres sports que la marche, comme le VTT, ne serait pas non plus permise. Le VTT en dehors des chemins cause certes des dégradations, mais si on ne peut même plus faire de vélo sur les chemins, autant nous doter tous dès maintenant de vélos d'appartement ! Surtout, en pratique, le promeneur ne pourra pas savoir s'il se trouve sur un sentier correspondant à cette définition et délimité par une association reconnue d'utilité publique ou sur un sentier sauvage balisé par quelqu'un d'autre.

Il faut donc affiner la définition pour savoir quels chemins peuvent être pratiqués ou ne le peuvent pas. L'amendement ne me semble pas satisfaire aux conditions de précision de la loi pénale et au principe de légalité. Je vous invite à retravailler ensemble sur cette voie, qui pourrait nous aider à avancer.

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Les sentiers garantissant le libre accès à la nature sont identifiables grâce au travail de nos associations, institutions ou collectivités qui les entretiennent, les balisent, les répertorient et les cartographient. D'autres sentiers, en revanche, pourraient tomber sous le coup de ce texte, mais n'oublions pas que, dans certains territoires, faisant notamment l'objet de mesures de préservation du type Natura 2000, il a fallu réduire la prolifération de ces sentiers pour limiter les problèmes causés, même sans intention malveillante, par la pénétration du public, afin de protéger les fonctionnalités écologiques de ces espaces et la tranquillité de la faune, voire de la flore, menacée parfois de surpiétinement par les photographes. Nous devons donc chercher une forme de compromis qui tienne compte aussi de la nécessaire préservation de nos espaces naturels.

Ainsi, un débat s'est engagé dans le massif des Vosges pour savoir s'il faut ou non y réintroduire le grand tétras. Je suis plutôt favorable à ce qu'un oiseau aussi emblématique puisse y retrouver sa place, mais la surpénétration et la surfréquentation du massif sont un problème évident.

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Nous ne soutiendrons pas cet amendement, moins-disant que la rédaction initiale de l'article unique. Limiter l'exemption de contravention aux sentiers entretenus pourrait certes être une solution applicable au massif des Vosges, car l'Alsace a la chance que le Club vosgien entretienne plus de 20 000 kilomètres de sentiers de randonnée balisés, mais en tant que représentants de la nation et travaillant pour l'intérêt général, nous souhaitons que l'article soit soumis au vote dans son écriture initiale, qui vise à une suppression totale de la contravention pour tout sentier – balisé ou non, entretenu ou non.

Je proposerai dans un instant un amendement de repli qui va dans le sens de votre proposition, monsieur Ott, et je vous invite donc à le voter afin de dépénaliser la traversée des chemins de randonnée préalablement balisés et entretenus.

La commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'article unique.

Après l'article unique

Amendement CL3 de M. Emmanuel Fernandes

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Cet amendement de repli s'inspire de loi « littoral », selon laquelle, le long du littoral, les propriétés riveraines du domaine public maritime sont grevées, sur une bande de 3 mètres de largeur, d'une servitude destinée à assurer le passage des piétons. Il vise ainsi à modifier le code de l'environnement pour permettre que les voies et chemins balisés par un établissement public, une collectivité territoriale ou une fédération de randonneurs agréée, comme le Club vosgien, et traversant une propriété privée, grèvent cette dernière d'une bande de servitude de 3 mètres de largeur destinée à assurer le passage des véhicules non motorisés, des piétons et des cavaliers.

Comme cela a été dit, la forêt privée représente 75 % du couvert forestier français et, dans certaines régions il est quasiment impossible d'accéder à la forêt sans pénétrer dans la propriété privée d'autrui. L'amendement propose donc de garantir un droit de passage aux usagers non motorisés des sentiers dès lors que ces derniers sont balisés.

Le droit de propriété doit être concilié avec l'impératif d'accessibilité de la forêt et, plus largement, de la nature, qui doit être considérée comme un bien commun pour demeurer un espace ouvert à vocation éducative, récréative et sportive. C'est l'occasion aussi de saluer, comme cela a déjà été fait, le travail essentiel réalisé par les associations qui balisent et entretiennent les sentiers de promenade et de randonnée, ainsi que leurs abords. Elles le font avec le souci de préserver la biodiversité en sanctuarisant certains espaces refuges pour lesquels une fréquentation humaine trop importante pourrait être nuisible. La qualité du balisage permet un respect des itinéraires et limite les intrusions anthropiques dans un écosystème souvent fragile.

Ne manquons pas cette occasion de garantir l'accès à la nature dans le respect de l'environnement, sans préjudices pour les propriétaires privés, comme c'était le cas avant la loi du 2 février 2023.

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Je comprends l'objectif visé et, dans son principe, j'y souscris. Sur le plan purement juridique, toutefois, cette disposition me paraît délicate à mettre en œuvre.

D'abord, parce qu'elle s'appliquerait de manière rétroactive, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ce qui risque de soulever une difficulté du point de vue du principe de sécurité juridique – mais nous y travaillerons. Ensuite, parce qu'il faudrait sans doute mieux préciser son champ d'application, en faisant par exemple référence aux voies et chemins mentionnés à l'article L. 361-1 du code de l'environnement. Enfin, parce qu'il n'est pas certain que cette disposition soit parfaitement solide juridiquement. Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé, dans sa décision n° 2011-182 QPC du 14 octobre 2011, que si une servitude pouvait être prévue par le législateur pour des motifs d'intérêt général, il doit également être prévu une procédure spécifique, notamment pour éviter tout risque d'arbitraire dans la détermination des propriétés privées concernées.

Toutefois, malgré ces éventuelles difficultés, cet amendement va dans le bon sens. Je m'en remets donc à la sagesse de la commission.

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Il est un peu paradoxal de dire qu'on souhaite protéger la nature et, en même temps, de laisser les VTT y rouler partout. Députée des Hautes-Alpes, je peux témoigner que cela suscite quelques conflits d'usage entre utilisateurs de VTT et propriétaires de sentiers et d'espaces naturels – je pense notamment aux agriculteurs et aux producteurs, dont les champs sont parfois dévastés par une mauvaise utilisation de ces engins mécaniques, même non motorisés.

Pour ce qui est de l'évaluation, vous nous citez trois exemples pour 227 000 kilomètres de chemins. Il faudrait évaluer la loi avant de donner des exemples à la volée et de dire qu'il n'y a pas eu de sanctions. Tant que la loi n'est pas évaluée, on ne peut pas l'assurer.

Enfin, l'entretien n'est pas le même pour tous les sentiers et on voit, en se promenant, qu'il n'existe pas partout des associations qui puissent s'en charger.

Je tiens aussi à souligner que les parcs nationaux et régionaux font un travail remarquable en matière de sensibilisation et de compréhension de la nature.

Enfin, dans les Hautes-Alpes, il n'y a pas que des zadistes, mais aussi des yourtes qui s'installent dans des propriétés privées et, une fois qu'elles y sont installées, il est très difficile de les en faire sortir.

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Cet amendement de repli concerne les sentiers balisés par les collectivités publiques ou par des fédérations agréées, et il ne permet pas que les VTT ou les motocross puissent se balader n'importe où dans la nature. La propriété privée est préservée. L'équilibre qui préexistait à la loi du 2 février 2023 fonctionnait très bien : on pouvait parcourir des chemins, balisés ou non, sans préjudice pour les propriétaires et, en cas de pillage ou de dégradation de la forêt ou des chemins ruraux par des pollueurs, les sanctions existaient.

Il s'agit, je le répète, d'un amendement de repli. Nous ne sommes pas parvenus à voter la suppression complète de la contravention, mais je pense que ce sera le cas dans les mois ou les années qui viennent, parce que la situation actuelle est absurde. Le vote de cet amendement permettrait aux promeneurs, partiellement et temporairement au moins, de continuer à emprunter un peu partout dans notre pays les sentiers balisés et entretenus.

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Je n'ai pas dit qu'il fallait laisser les vététistes aller partout comme ils veulent, mais qu'il serait pertinent qu'ils puissent continuer à utiliser certains chemins, ce que ne prévoyait pas la rédaction proposée par M. Ott. J'ai bien conscience que certaines pratiques occasionnent des dégradations, et elles sont déjà punies par la loi. Or la contravention dont il est question dans la proposition de loi n'a pas pour objet de punir ces comportements inadaptés, mais des gens qui se promènent.

Quant aux parcs naturels régionaux, ils font en effet un très bon travail de sensibilisation, mais dans le massif de la Chartreuse, les 750 hectares fermés se trouvent précisément dans un PNR ! Faut-il se limiter à sensibiliser les promeneurs dans la maison du parc sans qu'ils aient le droit d'aller ailleurs ? Il faut évidemment les accompagner et leur apprendre à fréquenter la nature avec respect et responsabilité, mais cela ne veut pas dire qu'il faille interdire à tout le monde l'accès à la nature.

Enfin, pour ce qui concerne les yourtes, l'article 322-4-1 du code pénal permet de sanctionner l'installation indue dans une propriété privée, mais ce n'est pas, je le répète, l'objet de cette proposition de loi.

La commission rejette l'amendement.

L'article unique et l'amendement portant article additionnel ayant été rejetés, l'ensemble de la proposition de loi est rejeté.

Puis, la Commission examine, en application de l'article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire (n° 2384) (M. Olivier Serva, rapporteur).

ArticleAmendementAuteurGroupeSort
1er3M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
1er1M. COULOMME Jean-FrançoisLa France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et socialeRepoussé
1er4M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
1er2Mme KELOUA HACHI FatihaSocialistes et apparentésRepoussé
1er12M. SERVA OlivierLibertés, Indépendants, Outre-mer et TerritoiresAccepté
1er13Mme BERETE FantaRenaissanceAccepté
1er5M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
1er6M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
1er7M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
1er8M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
1er9M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
1er10M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé
211M. BRETON XavierLes RépublicainsRepoussé

La séance est levée à 12 heures 55.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

- M. Clément Beaune, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative au renforcement de la sûreté dans les transports (n° 2223) ;

- M. Jean Terlier, rapporteur sur la proposition de loi, relative à la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise (n° 2033).

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Clément Beaune, Mme Lisa Belluco, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Pascale Boyer, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Yannick Chenevard, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, M. Philippe Dunoyer, Mme Elsa Faucillon, M. Emmanuel Fernandes, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Virginie Lanlo, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, M. Didier Lemaire, Mme Marie-France Lorho, Mme Aude Luquet, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sandrine Rousseau, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Éric Ciotti, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Emeline K/Bidi, M. Philippe Latombe, Mme Naïma Moutchou, M. Philippe Pradal, M. Aurélien Pradié, M. Davy Rimane, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion. - M. Philippe Brun, M. Fabien Di Filippo, M. Gérard Leseul, M. Hubert Ott, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Paris