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Commission de la défense nationale et des forces armées

Séance du 23 juin 2010 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

— Présentation par M. Pierre Frogier, député, de la situation en Nouvelle-Calédonie

La séance est ouverte à dix heures trente.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Nous allons entendre ce matin Pierre Frogier nous parler de la Nouvelle-Calédonie, où la commission de la défense s'est rendue il y a quelques années.

Je souhaiterais, car je pense que nous connaissons mal l'organisation de la Nouvelle-Calédonie, que vous nous présentiez ses structures institutionnelles. Je sais que se tiendra demain la réunion du comité des signataires prévue par l'accord de Nouméa de 1998 et qui traite des avancées vers l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie.

Vous nous parlerez aussi, bien sûr, des armées et des perspectives en cours.

La Nouvelle–Calédonie dispose d'un régiment d'infanterie de marine et de plusieurs bases militaires importantes, notamment sur le plan naval et aéronautique. Vous allez donc nous parler de ses forces armées.

Il y a très longtemps que je formais le voeu de vous entendre nous parler de ce territoire lointain. Je vous cède tout de suite la parole.

PermalienPhoto de Pierre Frogier

Nous vivons dans un monde dont le centre de gravité stratégique se déplace vers l'Asie et, dans ce contexte, le Pacifique insulaire représente pour la France un espace à ne pas laisser sans surveillance. La Nouvelle-Calédonie constitue un atout essentiel pour sa politique de coopération et d'influence en matière de défense, de sécurité globale, mais aussi d'attractivité économique, pour elle et l'Union européenne.

Ce territoire dispose en effet d'atouts considérables. Il constitue, tout d'abord, une zone économique exclusive (ZEE) de 1 364 000 km², soit 13 % de la ZEE de la France, la deuxième mondiale. Il dispose de ressources en nickel qui lui permettront, d'ici 2015, d'en devenir le troisième producteur mondial. Il comprend également une bio-diversité exceptionnelle et un lagon inscrit par l'UNESCO au patrimoine de l'humanité. À ces atouts naturels s'ajoute un système institutionnel novateur, construit sur un projet de société intimement lié tant à ses diversités humaine et culturelle qu'à son histoire singulière. Enfin, son insertion régionale peut également être une chance pour la France.

Le Livre blanc le souligne, peut–être encore insuffisamment, l'aire du Pacifique, composée de l'océan et des pays riverains que sont les États-Unis, la Chine, l'Inde, le Japon, l'Indonésie, l'Australie et les pays insulaires, présente pour la France et l'Union européenne un enjeu stratégique direct.

La Nouvelle–Calédonie se trouve à la frontière de l'Australie et l'arc mélanésien du Pacifique insulaire, d'une part, sur les axes Los Angeles-Sydney et Japon-Australie, d'autre part. Cela explique pourquoi les Américains y ont implanté une base militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, base d'où partiront les grandes offensives vers les îles Salomon.

À l'heure de l'océanisation de l'économie, quand 80 % des approvisionnements transitent par voie maritime, ressources naturelles, biens énergétiques et produits manufacturés circulent dans le théâtre indopacifique.

Le Pacifique insulaire, très majoritairement anglophone, est une immense étendue d'eau, avec des superficies terrestres réduites et des populations peu nombreuses : il compte 22 États et territoires et 500 îles peuplées par 6,5 millions d'habitants. Il souffre de risques naturels majeurs comme les séismes et les cyclones, mais aussi d'isolement, d'instabilité politique, de tensions ethniques et de blanchiment de capitaux, maux communs à toutes les « zones grises » de la planète.

Mais le Pacifique insulaire dispose aussi de nombreux d'atouts. Sa zone économique exclusive comprend ainsi des ressources halieutiques gigantesques et d'immenses champs de nodules poly-métalliques. On y trouve aussi des ressources infinies en énergies renouvelables, considérables en nickel, et des réserves d'uranium et de charbon en Australie.

Fort de ces atouts, le Pacifique Sud suscite à nouveau l'attention des puissances mondiales. La Chine y accroît sa présence et son influence en s'assurant du soutien des petits pays. Les États-Unis manifestent un intérêt renouvelé pour cette aire, comme en atteste leur décision de déclarer l'année 2007 « Année du Pacifique ». Enfin, l'Union européenne a adopté en 2006 une « Stratégie pour le Pacifique », établissant un partenariat renforcé qui se déploie depuis.

Quelle est la place de la France dans cette Océanie lointaine ? Notre pays y est présent par trois de ses collectivités territoriales d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie, mais aussi la Polynésie française et Wallis et Futuna. Il est le seul État de l'Union européenne à conserver un réseau diplomatique étendu dans la région et, de ce fait, identifiée comme le relais de l'Union dans le Pacifique.

Depuis la fin des essais nucléaires et la signature des accords de Matignon, la présence de la France, qui contribue au maintien de la sécurité dans la zone, est particulièrement appréciée par ses voisins. Ses démarches de coopération et d'entraide avec les pays de la région font en outre d'elle un partenaire crédible.

Ma conviction est que la Nouvelle-Calédonie, terre française de 245 000 ressortissants, mérite amplement l'implication et la protection directe que lui assure la France.

Habitée 1 000 ans avant notre ère, terre française depuis 1853, elle a été soumise aux confrontations de ses deux principales communautés jusqu'à leur paroxysme dans les années 1980. Depuis, elle a trouvé un équilibre politique grâce à la signature des accords de Matignon, en juin 1988. Dix ans plus tard, en 1998, un nouvel accord, dit de Nouméa, a mis en place pour vingt ans un système institutionnel original.

L'accord prévoit en effet un transfert progressif de compétences d'ici 2014-2018, l'État ne conservant que les compétences dites « régaliennes » et la Nouvelle-Calédonie se dotant de signes identitaires comme un drapeau, un hymne et même un nom. A été également mis en place un partage du pouvoir législatif, le congrès de la Nouvelle-Calédonie étant doté du pouvoir de voter des « lois du pays ». L'importance de la collégialité et du consensus au sein de l'exécutif est aussi institutionnalisée. Sont par ailleurs reconnues l'identité et la culture kanake par l'instauration d'un statut civil coutumier et d'un régime des terres coutumières. Une citoyenneté calédonienne conditionnant l'exercice du droit de vote aux élections provinciales est aussi reconnue. Enfin, une clé de répartition volontariste des ressources fiscales a été instituée au profit des provinces du Nord et des îles Loyauté.

La Nouvelle-Calédonie est aujourd'hui une collectivité territoriale à statut particulier au sein de la République française, une collectivité sui generis. Le Franc CFP y a cours, la question de l'introduction de l'euro dans les trois collectivités françaises du Pacifique étant un sujet de débat.

Elle dispose, grâce aux réseaux scientifiques français, de réelles capacités en recherche et développement avec l'Institut de recherche et développement et le Centre national de recherche technologique, capacités peu présentes par ailleurs dans le Pacifique insulaire. Le système institutionnel et de gouvernance novateur est regardé avec beaucoup d'intérêt par les pays voisins, qui sont demandeurs de partage d'expériences. Nouméa, enfin, est le premier port de l'outre-mer français et le dixième français.

Ses ressources en minéraux stratégiques, nickel, cobalt et autres minéraux constituent la véritable spécificité de la Nouvelle-Calédonie. Elle détient ainsi 30% des réserves mondiales de nickel, ce qui la place au tout premier plan mondial dans ce domaine. L'opérateur historique, la Société Le Nickel (SLN), qui vient de fêter son centenaire, produit 55 000 tonnes de nickel métal par an.

Dans la province Sud, le groupe brésilien Vale, deuxième groupe minier au monde, a investi plus de 4,5 milliards de dollars dans une usine hydrométallurgique qui permet de valoriser les minerais à faible teneur et augmente d'autant le potentiel d'exploitation des réserves. Cette usine, qui entrera en exploitation en fin d'année, a pour objectif de produire 60 000 tonnes de nickel métal et 5 000 tonnes de cobalt par an.

Dans la province Nord, un projet mené par le groupe suisse XSTRATA doit produire 60 000 tonnes de nickel métal à la mise en service de l'usine, en 2013-2014. Cette usine a pour particularité d'être construite « clé en main » en Chine.

Je voudrais enfin vous parler de la défense. Les forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) contribuent, par leurs missions de coopération, à la stabilisation de la zone et au rayonnement de la France. Sans la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande seraient seules pour assurer la protection de cette « zone grise » qu'est le Pacifique insulaire, animé par des crises multiples, alors que les pressions venant de l'océan indien, de l'Indonésie et de la Chine sont nombreuses. La zone sous responsabilité permanente du COMSUP Nouméa est immense et on peut souligner l'éloignement de la métropole ou des autres bases de défense française en cas de problème. La France a en outre conclu de nombreux engagements internationaux dans la zone, avec les accords FRANZ de protection civile du Pacifique insulaire, et elle remplit des missions de secours en mer, de secours aériens et de surveillance des pêches.

Le Livre blanc a prévu de recentrer en Nouvelle-Calédonie les moyens lourds de la France dans le Pacifique, celle-ci devenant ainsi son point d'appui pour l'ensemble de ce théâtre.

Certes, il est avancé qu'il n'y aurait en Nouvelle-Calédonie que des baisses d'effectifs, moins 19 % d'ici à 2020, compensées par la mutualisation des moyens communs et qu'une capacité de projection significative serait maintenue.

Certes, il est indiqué qu'à l'horizon 2020 la réorganisation prévue serait terminée et les matériels aériens et maritimes obsolètes remplacés.

Certes, il est supposé que les moyens locaux pourraient recevoir des renforts en cas de besoin, permettant ainsi d'assurer aux ressortissants français protection et sécurité, ainsi que le suivi de nos engagements internationaux.

Mais il est de mon devoir de vous faire part de mon sentiment, voire mon inquiétude, notamment pour la période charnière que constituent les années 2013 à 2020, moment où la Nouvelle-Calédonie décidera de son avenir par les référendums d'auto détermination.

Il me semble que le format futur des FANC tel qu'il résulte du Livre blanc, mais surtout l'impasse qui est faite sur le vieillissement des matériels, ne tient pas compte des enjeux et pressions que je viens d'évoquer.

Pour ne parler que de l'action de l'État en mer, ses moyens vont être sensiblement amoindris dans les prochaines années puisque les deux patrouilleurs P400 seront remplacés, en 2010 et 2012, par des patrouilleurs moins performants et moins adaptés. Dans le même temps, on peut regretter le vieillissement des hélicoptères Gardians et la baisse du nombre de Puma.

Or nous devons être attentifs à l'image que nous donnons : les Australiens sont sensibles au maintien de nos capacités puisque, alliées aux leurs, elles permettent d'optimiser les opérations de secours et de surveillance.

La France ne peut donc se désengager du Pacifique Sud au moment où l'Union européenne consacre de plus en plus de moyens financiers à cette partie du monde et développe une stratégie de coopération dont la France peut largement profiter.

Pour assurer la protection de ses ressortissants et de ses intérêts, tenir son rang de puissance et de membre du conseil de sécurité de l'ONU, il importe que la France conserve les moyens de peser dans le Pacifique Sud, notamment dans le domaine militaire.

En conclusion je voudrais vous citer cet extrait du Livre blanc : « La construction de la paix ne doit pas être laissée aux seuls rapports de forces entre grandes puissances. La stratégie de la France et de l'Europe a tout à gagner du développement de rapports étroits avec les nombreux États qui bénéficient de plus en plus, désormais, d'un poids dans la géopolitique mondiale. Sa politique de sécurité doit rechercher avec eux des liens substantiels et nouveaux. »

Chers collègues, il faut penser à appliquer cela au Pacifique Sud, et à la Nouvelle-Calédonie en particulier.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Lorsque j'ai conduit la délégation de la commission en Nouvelle-Calédonie, j'ai pu mesurer les bienfaits de notre service militaire adapté (SMA) : 85 % des jeunes qui venaient de l'accomplir trouvaient un emploi. Intégrateur social et vecteur de citoyenneté, le SMA sera-t-il maintenu dans les années qui viennent ?

PermalienPhoto de Pierre Frogier

Le SMA a changé de nature depuis la professionnalisation des armées, il est devenu une véritable filière de formation. Il remporte un véritable succès et ses effectifs et ses moyens vont augmenter.

Il a été installé en Nouvelle-Calédonie en 1984-88. Les élus et responsables indépendantistes l'avaient vécu comme une provocation alors qu'aujourd'hui ils sont plutôt demandeurs. Si elle est maintenant bien intégrée, il est vrai que l'armée n'était pas la bienvenue en 1984-1988.

PermalienPhoto de Michel Voisin

La Nouvelle-Calédonie fait aujourd'hui partie intégrante de notre République mais comment voyez-vous l'évolution de sa situation dans les années à venir ?

PermalienPhoto de Pierre Frogier

La feuille de route veut qu'avant la fin 2018, le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie s'exprime par un référendum sur l'autodétermination. Les compétences de gestion étant déjà transférées, par l'accord de Nouméa, le corps électoral aura à s'exprimer sur les compétences régaliennes.

Je suis convaincu que dans son immense majorité, il ne souhaitera pas rompre avec la France, ce qui n'était pas le cas en 1984-1988. Notre responsabilité est de dégager une solution institutionnelle durable qui satisfasse les deux expressions politiques, ceux qui ne souhaitent pas l'indépendance, soit 70 % du corps électoral, mais aussi ceux qui la souhaitent. Nous allons donc dégager un consensus pour la période 2014-2018 car la question pourra être posée par le congrès de la Nouvelle-Calédonie au lendemain de son renouvellement, dès 2014.

PermalienPhoto de Philippe Vitel

La Nouvelle-Calédonie est membre associé du Forum des îles du Pacifique, ainsi que la Polynésie française, alors que la France ne participe qu'au post-forum. À l'issue du Forum de l'année dernière, le ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, avait déclaré souhaiter que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie en deviennent membres à part entière alors que ses membres sont tous des États souverains. Depuis un an, la situation a-t-elle évolué ? Quelle est la position française ?

PermalienPhoto de Pierre Frogier

L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont d'accord pour que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie intègrent le Forum. La même question se pose pour le Groupe mélanésien fer de lance. On ne pourra traiter ces deux sujets que lorsque nous aurons échafaudé une solution institutionnelle de long terme pour la Nouvelle-Calédonie.

PermalienPhoto de Nicolas Dhuicq

Vous avez évoqué, tout à l'heure, la forte pression chinoise dans la région : ne faudrait-il pas envisager de renforcer les moyens de notre marine dans le Pacifique Sud ? Est-ce que les puissances étrangères contribuent au financement des mouvements indépendantistes ? Y a-t-il des métaux de terre rare en Nouvelle-Calédonie ? Est-ce qu'il existe, malgré le gel perfide du corps électoral, un risque de partition entre la province Nord et la province Sud ?

PermalienPhoto de Pierre Frogier

Du point de vue institutionnel, il ne peut pas y avoir de partition, cela a été exclu par l'accord de Nouméa, qui a été constitutionnalisé. Il y a eu, ces vingt dernières années, une forme de concurrence interne entre les deux provinces, du Nord et du Sud, pour les deux projets de construction d'usines métallurgiques. Nous allons aujourd'hui vers plus de coordination des politiques de développement et plus de « raisonnement territoire ». Aucun responsable politique n'envisage la partition et les indépendantistes la redoutent.

Vingt ans après la provincialisation de 1988, 75 % de la population vit dans la province Sud. Les enjeux de rééquilibrage de la province Nord n'ont pas été atteints. Les populations se sont déplacées vers le Sud car la majorité indépendantiste du Nord s'est beaucoup mobilisée autour de la construction de l'usine métallurgique et n'a pas su fixer la population autour de pôles de développement de proximité. Cela changera peut-être lorsque l'usine entrera en exploitation.

S'agissant d'influences extérieures, je n'ai pas d'éléments sur l'éventuel financement des réseaux indépendantistes. Cela a pu être le cas dans le passé, quand l'Australie voulait occuper la place en cas de retrait de la France de la région.

Les Chinois sont très présents dans la zone, par le financement d'infrastructures et des échanges commerciaux, notamment en Polynésie. Les États insulaires sont très fragiles et la Chine est très présente, par exemple, en Papouasie-Nouvelle Guinée, car il y a beaucoup de minerais, du nickel. Il n'y a pas de terres rares en Nouvelle-Calédonie mais on y trouve en revanche tous les autres métaux : nickel, cobalt, or, charbon. La France a par ailleurs lancé une campagne de recherche, qui va débuter dans les semaines qui viennent, de nodules poly-métalliques dans la zone de Wallis et Futuna. Par cette action, la France entend marquer sa souveraineté autour de Wallis et Futuna car les Chinois s'activent dans la région.

Sur les moyens de la marine, je partage effectivement votre position.

PermalienPhoto de Gilbert Le Bris

Je souhaiterais connaître votre sentiment sur les évolutions ethniques de la Nouvelle-Calédonie. Traditionnellement peuplée de Kanaks et de Caldoches, l'île accueille désormais de nouvelles ethnies comme les Wallisiens, les Tongiens ou des populations asiatiques… Ces évolutions démographiques vont-elles modifier les rapports de force actuels ?

Même si votre territoire apporte beaucoup à l'espace maritime national, je relève qu'il n'est pas situé dans les arcs de crise identifiés par le Livre blanc, ce qui explique que nous n'y déployons pas de moyens militaires de première importance. Les ressources halieutiques semblent par ailleurs limitées même si effectivement les nodules poly-métalliques constituent une ressource précieuse. Partant de ce constat, comment faut-il dimensionner nos moyens militaires pour assurer malgré tout le contrôle et la sécurité de la zone ?

PermalienPhoto de Pierre Frogier

Je suis surtout inquiet de l'image de la France en Australie et, dans une moindre mesure, en Nouvelle-Zélande. Outre nos engagements de souveraineté, nous avons contracté un certain nombre d'accords avec ces pays, notamment pour intervenir en cas de catastrophe naturelle. Or les matériels en fin de vie dont nous disposons aujourd'hui ne nous permettent pas d'honorer ces engagements. La France est encore reconnue comme une puissance régionale et l'Australie souhaite que nous maintenions notre présence ; cela n'est cependant pas possible avec des équipements aussi usés.

Le vieillissement des matériels militaires peut également avoir des conséquences internes en Nouvelle-Calédonie. Je rappelle qu'il s'agit d'un territoire très vaste (20 000 km2) et peuplé de 245 000 habitants. Nous allons connaître des périodes extrêmement sensibles lorsque l'avenir institutionnel et politique de l'île sera examiné. Si nous devons faire face à des troubles, nous ne pourrons pas transporter nos forces mobiles de gendarmerie, essentiellement installées près de Nouméa, dans le Nord de l'île ou dans les îles alentour, faute de disposer de moyens aéroportés suffisants. Nos Puma ne pourront plus assumer ces missions et il n'est pas possible d'utiliser des Casa sans avoir de piste praticable. Il nous faut rester extrêmement vigilants sur ce dossier.

Concernant l'évolution des rapports ethniques, je veux ici vous faire partager mes convictions profondes assises sur mon expérience faite de contacts directs avec toutes les parties, y compris pendant des périodes d'affrontements violents. Je peux vous affirmer que les accords de Matignon et de Nouméa ont réglé le contentieux existant entre les deux communautés mélanésienne et kanake. Depuis de nouvelles ethnies apparaissent ; je pense notamment aux Wallisiens qui sont désormais deux à trois fois plus nombreux en Nouvelle-Calédonie qu'à Wallis-et-Futuna. Il faut désormais que ces nouveaux groupes trouvent leur place entre les deux grandes communautés actrices de la vie politique et institutionnelle des vingt dernières années.

Je reste cependant assez inquiet car nulle part dans le Pacifique les Polynésiens et les Mélanésiens ne réussissent à cohabiter pacifiquement. Les populations relèvent de deux zones d'influence très différentes : la Mélanésie est directement dans le champ d'influence de l'Australie tandis que la Polynésie est dans celui de la Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Calédonie apparaît comme une exception : il s'agit du seul lieu de coexistence. La France a donc une responsabilité majeure pour assurer un équilibre précaire. Je souligne à ce titre que la position de notre pays concernant l'avenir de Wallis-et-Futuna sera déterminante en la matière. La Nouvelle-Calédonie ne pourra pas éviter de s'impliquer dans ce dossier et il nous faudra vraisemblablement porter l'avenir de cette île dans les années à venir.

PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Il est fréquemment fait référence à un possible référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie qui se tiendrait entre 2014 et 2018. J'aimerais que vous puissiez nous apporter des précisions à ce sujet même si j'ai bien noté que les velléités de rupture semblaient désormais atténuées.

Je relève aussi que la Nouvelle-Calédonie bénéficie de conditions très favorables avec un taux de chômage très bas de l'ordre de 4,8 % et un revenu moyen élevé.

Pouvez-vous nous indiquer si des bases nucléaires étrangères sont implantées dans le secteur ?

Par ailleurs, considérez-vous que les forces de gendarmerie et plus globalement les forces armées soient déployées en nombre suffisant et avec des moyens adaptés ?

PermalienPhoto de Guy Teissier

En ce qui concerne les forces militaires, je tiens à souligner que le régiment d'infanterie de marine du Pacifique implanté à Nouméa est exclusivement composé de professionnels. Nombre de ses personnels sont recrutés parmi les ressortissants locaux, montrant bien que la population de Nouvelle-Calédonie adhère à l'idée de servir la France par les armes. Je rappelle d'ailleurs que les forces armées ont traditionnellement toujours accueilli de nombreux Mélanésiens et qu'il existe même des amicales militaires mélanésiennes.

PermalienPhoto de Pierre Frogier

Le régiment s'inscrit en effet dans la continuité de la tradition du bataillon du Pacifique qui s'est particulièrement distingué durant la Seconde Guerre mondiale, à l'instar de son commandant, le Lieutenant-colonel Félix Broche, mort en héros à Bir-Hakeim. Cette histoire et cet héritage sont très présents dans la mémoire collective en Nouvelle-Calédonie.

Pour ce qui est du nucléaire, je veux préciser que le Pacifique Sud constitue une zone totalement dénucléarisée au point que les bâtiments nucléaires américains ne peuvent pas faire escale en Nouvelle-Zélande.

Sur le plan militaire, les enjeux stratégiques sont limités ; toutefois l'immensité de la zone nécessite de disposer de moyens militaires conséquents surtout que certains territoires sont très instables. Je pense par exemple aux coups d'État dans les îles Fidji.

Notre pays doit mieux affirmer sa présence dans la zone. La base de défense, telle que définie à ce jour, me semble disposer d'assez d'hommes pour assurer nos engagements de souveraineté et de partenariat. Les équipements dont ils disposent ne sont en revanche pas à la hauteur et c'est un sujet majeur de préoccupation.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Nous partageons vos interrogations qui me semblent d'ailleurs renforcées par les incertitudes qui pèsent sur le budget des armées et qui risquent de limiter plus encore leurs actions.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.