Intervention de Jean-Sylvestre Mongrenier

Réunion du mardi 3 décembre 2019 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l'Institut Thomas More :

Sur le budget militaire, en 2008, il représentait 3 % du PIB, en 2016, il est monté jusqu'à 4,9 %. Depuis, effectivement, cela marque le pas, mais en ce qui nous concerne nous avons du mal à remplir l'objectif de 2 %. De mémoire, cela représente entre 2008 et 2016, une augmentation des deux cinquièmes. Il s'agit bel et bien de la traduction d'une volonté de puissance.

Sur les armes hypersoniques, je commence à m'y intéresser, mais plus à partir de la problématique du porte-avions. À ma connaissance, aucun essai n'a été réalisé sur une cible mobile.

La question du partenariat oriental est de savoir si nous sommes capables de mener une politique étrangère en commun, sur les frontières orientales de l'Union européenne et de l'OTAN, une politique étrangère qui n'est pas réductible à un processus d'élargissement. Nous ne pouvons pas ignorer ces pays voisins et d'autre part, il n'est pas question, à mon sens, de négocier une sorte de « Yalta light » en reconnaissant à la Russie la domination pure et simple sur ces pays.

En Afrique, les entrepreneurs russes qui s'investissent dans le business du chaos sont en quelque sorte des pirates. D'une certaine façon, ils nous donnent des leçons. Nous avons oublié comment nous avons bâti des empires autrefois. Nous sommes devenus plus soviétiques que les ex-soviétiques ! Pour nous, une grande stratégie serait assimilable à un Gosplan, une multitude de rapports, quelque chose de millimétré, ce qui fait que nous nous condamnons à une forme d'impuissance. Alors qu'eux s'engagent avec peu de moyens. Ils voient après l'action, si l'entreprise fonctionne, se nourrit d'elle-même et progressivement, ils réévaluent leurs objectifs. Il faut être très attentif à ce qui se passe en Afrique. Assez souvent, je vois des articles qui relativisent l'importance de ces entrepreneurs par rapport au commerce français, américain ou chinois. C'est la leçon de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince : « Enfants, prenez garde aux graines de baobabs ! » En Syrie aussi, nous avons sous-estimé leurs capacités, au regard de leurs faibles moyens. Nous devons donc être extrêmement attentifs sur l'Afrique.

Sur l'opinion publique, tout a été dit. Le durcissement du régime est avéré. Depuis les années 1990, certains décors « Potemkine » tenaient et rendaient la qualification de ce régime difficile. Était-ce un régime démocratique musclé, un peu semblable à celle de Napoléon III ? On pouvait se le demander. Ce n'était pas vraiment une démocratie, mais le suffrage universel existait, plusieurs concurrents étaient présents, même si les dés étaient pipés. Désormais, l'espace de respiration se restreint de plus en plus. Hier ou avant-hier, une loi a été ainsi votée disposant que la qualification « d'agents de l'étranger » vaudrait également pour des personnes physiques. Une forme de soviétisation à l'intérieur du pays ressurgit, qui pose aussi un problème de dialogue, de partenariat à long terme. Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la nature du régime. Souvent, nous nous voulons réalistes, nous voulons ignorer les régimes politiques, réduire les relations internationales à une sorte de physique newtonienne. Dans l'histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide, un des pères du réalisme en politique internationale, les affrontements entre les partis démocratiques et oligarchiques à l'intérieur de chacune des cités sont pourtant amplement détaillées avec toutes les conséquences qu'elles ont sur le jeu des alliances. J'en déduis qu'il ne faut pas avoir une vision trop abstraite des relations internationales. La question du régime et des valeurs est évidemment importante, surtout si l'on raisonne sur le long terme.

Sur la relation entre la Russie et la Chine, j'apporterai un bémol. Au moment où les puissances ouest-européennes se lancent sur l'Océan mondial, au-delà de l'Atlantique, les cosaques, les marchands Stroganoff, etc., franchissent l'Oural vers 1580. Il existe donc une relation intime entre la Russie et l'Asie septentrionale. Quelques semaines avant que Pierre le Grand monte sur le trône, à l'été 1689, le traité de Nertchinsk a été signé, à peu près 600 kilomètres à l'est du lac Baïkal. Il s'agit du premier traité signé entre une puissance blanche et l'empire de Chine, bien avant les guerres de l'opium et les traités qui ont suivi. Le barycentre historique de la Russie se trouve peut‑être plus dans les steppes. Nous renouons avec l'eurasisme finalement. Si Douguine est un idéologue dangereux, de véritables penseurs de l'eurasisme en Russie ont élaboré une conception du monde qui est bel et bien articulée sur un certain nombre de fondamentaux historiques.

Il ne faut pas raisonner dans un jeu à somme nulle entre l'Occident et la Chine. Le fait nouveau aujourd'hui est la montée en puissance de la Chine qui constitue un grand attracteur. Un jeu de chaises musicales dans lequel la Russie choisirait entre l'Occident et la Chine me semble complètement irréaliste. Ce grand attracteur, indépendamment de ce que nous faisons ou ne faisons pas, joue son rôle. Cette contrainte est intégrée par la Russie, consciente qu'il existe des formes de subordination impliquées par cette montée en puissance, avec un PIB chinois qui est à peu près 8,5 fois supérieur au sien. Cela étant, ils n'ont le choix qu'entre deux mauvaises solutions. Nous voudrions en déduire qu'ils ne vont pas se lier à la Chine, parce que le différentiel est trop important, etc. Mais le différentiel est tout aussi important entre la Russie et l'Union européenne, entre la Russie et les États-Unis. Les Russes devront choisir la moins mauvaise des solutions en fonction de ce qu'ils veulent et à partir de leur vision du monde. J'ai le sentiment qu'ils souhaitent se lier de plus en plus à la Chine, avec l'idée que ce sera la puissance dominante de demain. De plus, les principaux griefs géopolitiques de la Russie concernent l'Ouest et il faut stabiliser la situation à l'est pour projeter sa volonté de puissance à l'ouest, quitte à faire du marivaudage géopolitique dans le sillage de la Chine.

Étant donné la manière dont fonctionne la Russie, il faudrait établir un lien entre cette vision géopolitique, cette stratégie qui serait sinocentrée d'un côté, et de l'autre côté, la réhabilitation du pacte germano-soviétique entre Molotov et Ribbentrop. Par ailleurs, il existe d'autres éléments comme la volonté d'assumer tout le passé soviétique, etc. Certains dirigeants russes ont peut-être le sentiment de jouer gagnant, de choisir la moins mauvaise des solutions. En effet, leur idée est que l'ordre occidental est condamné à disparaître. De ce fait, autant se placer dans le sillage de la Chine et faire ce que j'ai appelé du marivaudage.

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