Intervention de Patricia Mirallès

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 9h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Mirallès, co-rapporteure :

Notre rapport propose trois scénarios fictifs pour illustrer ce que pourrait être un conflit de haute intensité. Il nous a semblé indispensable de publier ces scénarios pour rendre cette hypothèse tangible, en montrer les ressorts et les implications et ainsi identifier nos vulnérabilités mais aussi nos forces.

Ce faisant, nous avons listé cinq caractéristiques des futurs conflits de haute intensité :

Premièrement, le brouillard des intentions : la notion de haute intensité est parfois opposée, à tort, à celle de guerre hybride. En réalité, tous les experts entendus par la mission indiquent que les modes opératoires hybrides seront systématiquement employés à l'avenir aux côtés des moyens conventionnels. Un futur engagement de haute intensité commencerait probablement dans le domaine cybernétique, l'espace ou le champ informationnel. Il ne serait pas facile d'en lire les prémices. Il aurait des prolongements sur le territoire national, dans les champs immatériels ou susciterait des attaques sur les services essentiels. Un expert entendu par la mission a fait observer que dans deux des conflits récents qui ont pu donner le sentiment d'un retour de la haute intensité – le Donbass et le Haut-Karabakh – aucune puissance majeure n'avait été directement engagée. Pour autant, elles ont trouvé des moyens de l'être indirectement en fournissant des armes ou des équipements, par la formation des forces des belligérants ou d'autres actions indétectables.

Comprendre la situation, identifier les intérêts en présence, attribuer les actions, dissuader sont les maîtres-mots de la réaction à ces conflits qui pourront donner lieu à un déchaînement de violence important avant que la possibilité d'attribuer l'action ne rétablisse le rapport de forces et le jeu des alliances.

Deuxièmement, la fin d'un relatif confort opératif : face à des adversaires aux équipements modernes, utilisant des nuées de drones ou soutenus par des hyperpuissances militaires, la supériorité aérienne cessera d'être acquise à nos armées qui, depuis trente ans, ont évolué avec elle. Par ailleurs, les six semaines de conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie au Haut-Karabakh en octobre 2020 ont donné lieu à des commentaires focalisés sur les drones, sans noter l'importance de la guerre électronique menée par les Azéris, soutenus par leurs alliés, qui a manifestement rendu les Arméniens sourds et aveugles rapidement, les rendant incapables de s'opposer à des armes relativement simples. Comme l'ont confirmé plusieurs aviateurs, le brouillage du signal GPS est devenu quotidien sur les théâtres d'affrontement.

Troisièmement, une forte attrition en hommes et en matériels : par ce terme technique, les armées désignent avec pudeur la perte de pilotes, les tués et les blessés au combat, les disparus en mer, les destructions d'appareils, l'épuisement des stocks et des ressources, des données quasiment absentes de la planification depuis trente ans. En extrapolant à partir des taux d'attrition constatés lors de conflits symétriques entre forces aériennes (la guerre de Kippour ou la guerre des Malouines), il est manifeste que l'aviation de chasse française pourrait être réduite à néant en cinq jours. Dans le domaine terrestre, l'exercice Warfighter conduit aux États-Unis en avril 2021 a entraîné fictivement la mort d'un millier de soldats et davantage de blessés en dix jours. Une frappe de drone, en particulier, a provoqué la mort de huit cents soldats. Au terme de l'exercice Polaris, organisé du 27 novembre au 3 décembre dernier, sept à huit bâtiments de guerre ont été détruits. En une quinzaine de minutes d'un premier combat, deux frégates avaient été envoyées par le fond et deux autres étaient neutralisées, soit entre deux cents et quatre cents marins tués ou disparus.

Quatrièmement, une incertitude quant à la durée de la confrontation : parce qu'il est multiforme, le conflit de haute intensité peut s'éterniser. Un épuisement rapide des ressources est probable qui peut être suivi d'un appel aux alliés ou d'une remontée en puissance durant laquelle le conflit peut s'enliser et changer de forme.

Cinquièmement, une population civile à la fois victime et instrument de la guerre : la notion de front n'existe plus, et la confrontation peut avoir lieu sur une profondeur qui concerne l'ensemble du territoire. Les belligérants peuvent faire appel à des modes d'action hybrides, notamment les campagnes d'influence destinées à attiser les conflits sociaux internes, les attaques cyber contre des services essentiels mais aussi, en utilisant des armes aujourd'hui prohibées comme les armes chimiques.

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