Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Je suis particulièrement heureuse et honorée d'ouvrir, avec cette audition, l'examen en commission des affaires culturelles et de l'éducation du projet de loi de programmation de la recherche (LPR). La crise sanitaire a mis en évidence l'importance de la recherche, publique comme privée, et nous a rappelé que nous pouvions être fiers de nos chercheurs, de nos enseignants-chercheurs, de tous ceux qui font vivre la recherche dans notre pays.

Je salue l'engagement des centaines de chercheurs participant au réseau REACTing, au service de la lutte contre le virus, celui des chercheurs de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), qui ont la responsabilité de l'application StopCovid, celui de l'ensemble des organismes et universités mobilisés. Tous les champs disciplinaires et toutes les facettes de notre appareil de recherche ont été et restent mobilisés face au virus, depuis le premier jour, et je tenais à leur rendre solennellement hommage devant vous.

Je souhaite également remercier la communauté universitaire et de la recherche qui s'est mobilisée dans un contexte sanitaire incertain, afin de faire vivre le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Je salue son travail et son engagement de chaque instant. Permettez-moi également d'adresser ces hommages à ceux qui prolongent leur engagement en cette période de rentrée universitaire, si particulière.

Le texte qui vous est soumis est dédié aux prochaines générations. C'est au sein des universités et des écoles que tout se joue. Le contexte de présentation de ce projet de loi est exceptionnel mais le texte était particulièrement attendu. De fait, il y a déjà vingt ans que la stratégie de Lisbonne a fixé un objectif qui reste, pour notre pays, une ambition et un défi : porter à 3 % du PIB l'effort national pour la recherche publique et privée. À force de multiplier les occasions manquées, nous avons perdu une décennie.

Rappelons qu'en 2010, les crédits affectés aux programmes 150, 172 et 193, à savoir la recherche publique, dans la loi de programmation pluriannuelle, s'élevaient à 11,42 milliards d'euros. En 2016, ils ne dépassaient pas 11,45 milliards d'euros. Les crédits ont presque stagné alors que le monde scientifique évolue et ne nous a pas attendus. En 2005, la loi Goulard avait bien programmé un effort considérable de 19,4 milliards sur quatre ans, mais, hélas ! faute de cadre juridique suffisant, cet objectif n'a pas été atteint. La stratégie nationale de la recherche, tout aussi ambitieuse, s'est retrouvée, de la même manière, dépourvue de portée juridique et de financement. Les investissements furent faibles au regard du nombre de livres blancs.

Je suis convaincue que le présent projet de loi de programmation nous permettra de réussir. Le chemin est encore long et nous devrons fournir collectivement des efforts considérables, mais nous avons l'occasion de poser ensemble les jalons qui nous permettront d'atteindre nos ambitions.

Malgré les réformes successives, le nombre d'inscriptions en doctorat n'a cessé de diminuer ces vingt dernières années : 20 000 en l'an 2000, moins de 17 000 en 2019. C'est là l'effet de l'érosion des rémunérations, du tarissement des recrutements et de la perte d'attractivité des métiers de la recherche publique en France, au profit d'universités ou d'entreprises dans des pays qui ont misé sur la connaissance et l'innovation.

Malgré tout, la France est demeurée une grande nation scientifique grâce à l'héritage des choix courageux qui ont été faits depuis la création du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) jusqu'à la loi Chevènement, mais surtout grâce à l'engagement des femmes et des hommes qui ont su faire vivre la recherche malgré la sécheresse des financements et le manque de reconnaissance de leur travail. La lassitude, voire la colère, de certaines franges de la communauté scientifique, puisent là leurs racines profondes : manque de moyens, de visibilité, de temps pour la recherche, insuffisance de postes, surcharge administrative. Je l'ai vécu et je sais que certains d'entre vous, qui viennent du monde de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'ont éprouvé aussi. Nous arrivons aujourd'hui à un point où nous risquons de décrocher face à des pays qui ont su mener une politique de recherche ambitieuse sur le plan international – la Chine, la Corée du Sud, l'Allemagne ou les pays anglo-saxons qui restent dominants.

La connaissance n'a pas de frontières. La recherche est, par nature, internationale et cosmopolite. Il n'y a pas de grand pays sans une grande recherche, pas d'économie prospère sans une recherche dynamique. J'irai même plus loin : à l'heure du risque sanitaire global, de l'intelligence artificielle, du quantique, il n'y a pas de pays souverain sans une recherche publique et privée portée au meilleur niveau international.

Le texte que j'ai l'honneur de vous présenter répond à ces différents enjeux. Il est le fruit d'un dialogue nourri et d'une large concertation auxquels plusieurs d'entre vous ont déjà participé au travers de groupes de travail dont les apports ont été déterminants, qu'il s'agisse du financement de la recherche, de l'attractivité des emplois et des carrières scientifiques, de la recherche partenariale et de l'innovation. Il est aussi le fruit d'une consultation qui a recueilli près d'un millier de contributions, de centaines de déplacements au plus près des femmes et des hommes qui font vivre la recherche dans notre pays. Le travail, le dialogue et la concertation se poursuivent. Nous travaillons ainsi, avec l'Assemblée nationale, afin de dégager ensemble un chemin pour les dix prochaines années.

Une décennie représente le temps de respiration naturelle pour la recherche mais ne correspond pas au temps institutionnel. Je ne doute pas que nous en reparlerons. Notre responsabilité sera de trouver un chemin collectif pour redonner des armes à la recherche publique, au-delà des clivages, dans l'intérêt général de notre pays.

Le dialogue et la concertation se poursuivent également avec les représentants de la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce texte a été adopté par le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). C'est le second projet de loi jamais adopté par cet organe depuis sa création, après la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants. Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels (CNESERAC), a également approuvé ce texte, qui est par ailleurs discuté au niveau du comité national de la fonction publique d'État.

Le dialogue social se poursuit avec les organisations syndicales. Le 24 juillet dernier, j'ai proposé aux syndicats représentatifs, au sein du ministère, un protocole d'accord relatif aux perspectives de rémunération et de carrière ouvertes par le projet de loi de programmation pour la recherche. Je leur ai adressé des propositions concrètes, chiffrées, financées. Les négociations sont en cours et je vous informerai des conclusions.

Vous l'aurez compris, nous avons l'intention de porter enfin l'effort national pour la recherche à 3 % du PIB. Cet objectif est inscrit à l'article 1er. Nous vous proposons ainsi de réinjecter 25 milliards d'euros dans notre système de recherche au cours des dix prochaines années.

Derrière les chiffres se cache le souhait de porter haut une ambition scientifique renouvelée pour notre pays, car nous n'avons jamais eu autant besoin de science qu'aujourd'hui. En matière de santé, la crise sanitaire nous a fait prendre conscience de la nécessité de mieux connaître les maladies, qu'elles soient communes, rares, émergentes ou réémergentes, en nous inscrivant dans une perspective de santé globale qui intègre la santé humaine, animale, environnementale, sans négliger les sujets du vieillissement et de la dépendance, de plus en plus prégnants.

La montée en puissance des enjeux environnementaux illustre avec autant d'évidence ce besoin de science. La crise climatique et écologique, l'épuisement des ressources, la mise en danger de la biodiversité, mais aussi l'évolution des milieux naturels et humains nous invitent à aborder ces questions de manière pluridisciplinaire, avec la plus grande rigueur et une parfaite lucidité. Nous ne gérerons pas la complexité de ces évolutions d'un simple coup de menton. Les bonnes intentions, les convictions, aussi profondes soient-elles, ont besoin de science pour se transformer en actions et en solutions pérennes.

La révolution numérique, aussi, concerne tous les pans de notre société. L'intelligence artificielle, l'analyse des données, le calcul intensif nous ont ouvert de formidables perspectives dans le domaine de la santé et de l'industrie du futur. Nous ne sommes qu'au début de leur exploration. Parallèlement, ces nouvelles technologies font émerger de nouvelles questions autour du respect de la vie privée, de la souveraineté, de leur accessibilité dans l'ensemble du territoire. Elles ont aussi nourri les croyances infondées, les préjugés et les fausses informations, qui circulent de manière virale, concurrencent le discours scientifique et finissent par le fragiliser. La recherche doit aussi permettre de remédier à ces problèmes.

Certains se plaindront que 25 milliards en dix ans, c'est insuffisant ; d'autres jugeront que le rythme est trop lent ; d'autres, encore, auraient voulu faire autrement. Nous n'avons pas l'intention de dessiner la programmation idéale – elle occupe déjà de pleines étagères. Nous préférons construire une programmation réaliste et soutenable, qui permette à la recherche de respirer en lui donnant une visibilité sur le long terme. La trajectoire que nous vous proposons, au cœur de la programmation, est logique et cohérente. Premier pilier de ce projet de loi, elle est structurée en trois séries de marches : des tranches cumulatives de 400 millions d'euros entre 2021 et 2023, quatre tranches de 500 millions puis les trois dernières de 600 millions.

Cette programmation est un socle qui nous permet de tracer notre politique de recherche. Elle ne dit pas tout de l'évolution du budget du ministère ni des crédits alloués à la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES) pour les dix prochaines années. La programmation est, en quelque sorte, le vaisseau amiral d'une entreprise plus globale de soutien à la recherche publique et privée.

Le plan de relance et le quatrième programme d'investissements d'avenir, le PIA 4, s'ajoutent aux enveloppes des trois précédents programmes pour transformer notre système de recherche dans tout notre pays. La programmation a été pensée de manière à construire des ponts avec la prochaine génération de contrats de plan entre l'État et les régions mais aussi avec le programme Horizon Europe. Tous ces programmes sont synchronisés pour amplifier, dès 2021, l'effort de recherche.

Cet alignement des planètes sans précédent permettra au secteur de la recherche de bénéficier, en plus du 1,2 milliard d'euros prévu jusqu'à la fin du quinquennat dans le cadre du projet de loi de programmation, de 3,2 milliards en deux ans. Au total, 4,4 milliards d'euros seront investis en plus dans la recherche en deux ans. Ce mouvement est inédit. C'est un effort sans précédent qu'aucun Gouvernement n'a consenti depuis plusieurs décennies.

La programmation est construite de manière progressive, de façon à donner de la visibilité aux métiers de la recherche et à les assurer de l'arrivée de nouveaux moyens chaque année. Concrètement, la perspective de disposer de moyens supplémentaires animera chaque année d'un nouvel élan les équipes de laboratoires ou d'établissements de recherche pour mener les meilleurs travaux de recherche possibles.

Au terme de la programmation, le budget du ministère dédié à la recherche sera supérieur de 5 milliards d'euros à celui de 2020, indépendamment du PIA, du budget européen, du contrat de plan État-région et du plan de relance.

Cette trajectoire est nourrie par deux dispositions majeures prévues aux articles 11 et 12 du projet de loi, qui tendent à moderniser le financement de la recherche en renforçant la solidarité entre les équipes et la cohésion territoriale. Nous souhaitons, en effet, mettre fin à l'opposition entre les financements par appel à projets et les financements de base. Soyons clairs, la recherche ne souffre pas d'un excès de financement par appel à projets mais d'un défaut de financement global. L'Agence nationale de la recherche (ANR) fut l'une des grandes perdantes de la dernière décennie. Or il n'y a pas de grand pays scientifique sans une grande agence de financement de la recherche. Au cours de la dernière législature, ces crédits sont passés de 700 à 500 millions d'euros, ce qui est très inférieur aux sommes consacrées par la Suisse ou les Pays-Bas à leur recherche.

Du fait de la faiblesse des moyens de l'Agence nationale de la recherche, notre pays a enregistré l'un des plus faibles taux de succès au monde : 15 % à mon arrivée au ministère. Nous sommes parvenus à atteindre 17 % en renforçant les moyens annuels.

Pour illustrer la faiblesse des moyens de base, je ne citerai que l'exemple du CNRS. En 2011, les moyens consacrés directement aux laboratoires s'élevaient à 635,7 millions d'euros. En 2017, ils avaient chuté d'un peu moins de 7 % et n'étaient plus que de 591,9 millions d'euros, ce qui représentait une baisse nette de 44 millions d'euros.

En soi, le projet de loi de programmation pour la recherche opère une petite révolution. Tout d'abord, il fixe un premier objectif simple : porter le taux de succès de l'ANR à 30 %. À cette fin, nous lui allouerons 1 milliard d'euros supplémentaire.

Nous comptons, par ailleurs, doubler le taux de préciput, qui représente la part du financement revenant non aux porteurs de projet mais aux établissements dans lesquels ces projets sont menés. Parallèlement à la hausse du budget de l'Agence nationale de la recherche, environ 450 millions d'euros de crédits de base seront distribués chaque année à ces établissements, en plus des moyens qu'ils percevront au travers de leur dotation budgétaire. Une équipe qui gagnera un appel à projets de l'ANR contribuera ainsi au financement de son laboratoire mais aussi à la politique scientifique de son établissement ou de son site.

La reconnaissance juridique du laboratoire de recherche sera un outil pour orienter directement une partie des crédits de politique scientifique vers les laboratoires, qu'ils soient ou non lauréats d'appels à projets, au service des politiques de sites conduites par les universités et les organismes. Dans les territoires, les universités et les organismes pourront ainsi percevoir chaque année plusieurs millions d'euros en crédits de base supplémentaires, dans un cadre qui leur permettra de développer leur signature dans le domaine de la recherche.

D'autres dispositifs permettront encore de renforcer les moyens de base des laboratoires, dans le prolongement des mesures de soutien que j'ai souhaité prendre dès 2017 et que nous allons amplifier. Je pense aussi aux contrats d'objectifs et de moyens qui devraient remplacer les contrats d'objectifs et de performance, dépourvus aujourd'hui de clauses financières.

Grâce à ce projet de loi de programmation et aux mesures du plan de relance, les moyens de base des laboratoires devraient augmenter très sensiblement dès les deux prochaines années.

Nous avons également l'ambition de faire émerger une nouvelle génération de scientifiques en rendant aux carrières scientifiques la reconnaissance et l'attractivité qu'elles méritent. Ce sera le deuxième pilier du projet de loi de programmation pour la recherche. La programmation représente, à cet égard, une nouvelle donne, en ciblant chacun des points critiques susceptibles de fragiliser le parcours des femmes et des hommes qui ont décidé de consacrer leur vie à la poursuite de la connaissance.

Le projet de loi porte le premier plan de revalorisation du doctorat. Après avoir obtenu la reconnaissance du doctorat au répertoire national des certifications professionnelles en 2018, nous voulons aujourd'hui revaloriser de 30 % les contrats doctoraux d'ici à 2023 et augmenter de 20 % le nombre de thèses financées avant la fin de la programmation.

L'objectif est clair : chaque doctorant doit pouvoir financer sa thèse. Nous avons ainsi l'intention d'augmenter de 50 % le nombre de bourses obtenues par le dispositif CIFRE – convention industrielle de formation par la recherche –, de travailler à partir de contrats directement financés par le ministère, et de créer une nouvelle voie d'accès dans le corps des chercheurs et enseignants-chercheurs par la chaire de professeur junior. Enfin, je souhaite travailler aussi bien avec les associations qu'avec les collectivités territoriales, qui ont des besoins spécifiques, afin d'éradiquer la précarité dans le troisième cycle en moins de dix ans. Des mesures particulières permettront, par ailleurs, d'améliorer l'accueil des doctorants et des chercheurs étrangers.

Sur le plan juridique, le projet de loi de programmation prévoit de créer le premier contrat doctoral de droit privé afin de favoriser la rédaction de thèses au sein des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et des entreprises. L'enjeu est majeur : faciliter l'insertion professionnelle des jeunes docteurs et des jeunes chercheurs.

Afin de lutter contre la précarité et d'entourer d'un maximum de garanties juridiques les jeunes docteurs, nous vous proposons également de créer un contrat postdoctoral de droit public comme de droit privé, qui donnerait un cadre juridique clair et adapté à cette période charnière et décisive qui suit le doctorat.

Rappelons, même si c'est une évidence, que nos chercheurs et nos enseignants‑chercheurs sont mal rémunérés puisqu'ils gagnent en moyenne 1,3 SMIC à 34 ans, quand ce n'est plus tard, après une thèse et plusieurs contrats postdoctoraux, après des années de contrats précaires. Ce scandale qui érode, année après année, l'attractivité des carrières scientifiques, est dénoncé depuis longtemps. Il appartiendra désormais au passé car, dès l'an prochain, plus aucun chercheur ou enseignant chercheur ne sera recruté à moins de 2 SMIC. L'article 25 prévoit d'appliquer rétroactivement ces mesures à ceux qui ont intégré le corps des chercheurs et des enseignants-chercheurs ces dernières années. Certains pourraient percevoir jusqu'à 7 000 euros pour rattraper les salaires dès l'année prochaine.

Qui plus est, tous les nouveaux recrutés recevront une dotation moyenne de 10 000 euros pour engager leurs travaux de recherche en toute autonomie. Nous n'avons pas prévu de mesure similaire pour les autres mais le projet de loi de programmation permet tout de même de corriger la situation puisqu'il prévoit le plus grand plan de revalorisation des personnels de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation jamais élaboré depuis des décennies.

Entre 2021 et 2027, pas moins de 2,5 milliards d'euros d'indemnités supplémentaires seront versés aux agents dans le cadre d'un plan de convergence des régimes indemnitaires des corps du ministère. L'accord est en cours de négociation avec les syndicats mais je peux vous assurer, dès aujourd'hui, qu'un maître de conférences percevra en moyenne, dès l'année prochaine, 1 000 euros supplémentaires et un chargé de recherche, environ 1 300 euros supplémentaires. En 2027, ces sommes représenteront en moyenne l'équivalent d'un à deux mois de salaire complémentaire. Nous avons ainsi prévu de verser sept tranches cumulatives de 92 millions d'euros chaque année, soit 644 millions d'euros de plus par an, en sept ans.

Les contractuels représentent un peu moins de 30 % de l'ensemble des personnels de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Certains sont des doctorants, d'autres ont signé des contrats au sein d'équipes de recherche pour mener des projets de longue durée, financés au niveau régional, européen ou international. Certains ont de l'or dans les mains : ils sont les seuls à savoir manipuler tel appareil, à pouvoir naviguer dans les bases de données ou les corpus documentaires. Pourtant, ils n'ont signé qu'un contrat à durée déterminée. Leur programme n'étant pas financé par des ressources de l'État, ils ne peuvent pas être titularisés et seront donc remerciés au bout de trois à cinq ans, sans espoir de réembauche dans le public.

Cette assignation à la précarité n'est plus tolérable, aussi l'article 6 du projet de loi prévoit-il de créer un CDI de mission scientifique qui permettra à ces femmes et à ces hommes de bénéficier des garanties qu'offre un tel contrat tout au long de leur mission, sans craindre que ne tombe le couperet arbitraire au bout de six ans, et aux établissements de conserver leur compétence, précieuse pour notre recherche. Il ne s'agit pas de transformer des emplois de titulaires en emplois de contractuels, comme nous l'entendons parfois, mais d'offrir des garanties supplémentaires à des agents en situation structurelle de précarité. Le CDI de mission scientifique représente un véritable progrès social qui permettra à des milliers de personnes d'accéder à des droits, comme celui d'obtenir un logement ou un crédit.

Le projet de loi de programmation tend à renforcer la diversité des recrutements en facilitant l'entrée dans la carrière scientifique de profils aujourd'hui désavantagés par les voies traditionnelles. Le dispositif des chaires de professeur junior, fruit de la réflexion du groupe de travail sur l'attractivité des carrières, devrait permettre que se constituent, au sein d'une université ou d'un organisme de recherche, une petite équipe dynamique de doctorants et d'ingénieurs, recrutés par un professeur junior grâce à un dispositif financier abondé par l'ANR. Cette mesure permettrait aux établissements de soutenir et de mettre en valeur leur politique de recherche scientifique, de conserver des disciplines rares et de renforcer leurs pôles d'excellence. Nous pourrions également conserver dans le monde académique des profils qui auraient pu être happés par des établissements ou des entreprises à l'étranger. Pour les jeunes chercheurs, enfin, cette disposition ouvre une voie supplémentaire d'accès à la carrière scientifique. Ce mode de recrutement est, du reste, le plus répandu dans le monde.

Juridiquement, il s'agit d'un contrat de pré-titularisation qu'un établissement peut passer avec le candidat à la chaire, dont la valeur scientifique du projet aura été évaluée par une commission indépendante. Au terme de ce projet, et après nouvelle évaluation, le professeur junior pourra être titularisé par une autre commission dans les corps des professeurs d'université ou des directeurs de recherche.

Le dispositif de la chaire de professeur junior est particulièrement adapté pour attirer les chercheurs internationaux en répondant aux besoins des jeunes chercheurs qui ont passé de longues années à l'étranger. Il permettra également de répondre à la situation des jeunes femmes dont les carrières s'interrompent souvent au sein des premiers corps faute de pouvoir passer une deuxième fois un concours très sélectif. Je ne doute pas que les débats en commission et en séance publique permettront de renforcer encore le caractère égalitaire de ce dispositif. Il est évident que les professeurs juniors n'ont pas vocation à se substituer aux maîtres de conférences ni aux chargés de recherche. Ainsi, les chaires ne seront ouvertes que sur des postes supplémentaires. Surtout, le nombre de départs à la retraite devrait considérablement augmenter dans les prochaines années. Nous recrutons aujourd'hui, en moyenne, 700 maîtres de conférences chaque année. Au terme de la programmation, nous devrions en embaucher entre 1 500 et 1 700 par an.

Le projet de loi de programmation prévoit une trajectoire d'emplois de 5 200 emplois supplémentaires dits sous plafond. Je peux vous assurer que l'âge moyen de recrutement des maîtres de conférences baissera au cours de la prochaine décennie. Par ailleurs, il est prévu que les chaires de professeur junior ne pourront pas représenter plus de 25 % des recrutements annuels dans les corps des professeurs ou des directeurs de recherche. Les établissements ne pourront pas effectuer plus de la moitié de leurs recrutements par cette voie. Pour vous donner un ordre de grandeur, nous prévoyons 1 400 chaires de professeur junior sur dix ans. L'architecture des voies classiques ne sera pas remise en cause, ni l'intégration dans les corps.

Enfin, dans le cadre du dialogue social engagé notamment avec le CNESER, je me suis engagée à ouvrir, pour chaque création de chaire de professeur junior, une promotion supplémentaire d'un maître de conférences vers le corps des professeurs d'université, afin de débloquer les carrières de ces collègues souvent indispensables à la vie de leur établissement.

Pour redonner de l'attractivité aux métiers de la recherche, il faut également améliorer l'environnement global de la recherche. Nous engagerons une réflexion autour des corps d'ingénieurs, de techniciens, des métiers de l'administration, de bibliothécaires, de tous ceux qui concourent, par leur travail et leur expertise, à la réussite de notre pays.

Cependant, l'une des dynamiques indispensables au fonctionnement de la recherche et à l'excellence de la science, en France comme ailleurs, sera l'évaluation, qui figure au cœur du titre III. La question n'est pas tant de savoir si nous évaluons trop ou pas assez en France, mais si cette évaluation est utile et comment nous pourrions l'améliorer. Les évaluations doivent être une aide à la décision, à condition d'être plus simples, plus synthétiques, plus explicites et de permettre d'accompagner. Nous y travaillerons étroitement avec le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), mais d'ores et déjà, ce texte prévoit quelques dispositions en ce sens.

L'article 10 prévoit ainsi de renforcer et d'harmoniser le système d'évaluation des établissements de recherche et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, dans un souci de simplification, en prenant en compte toutes les missions exercées afin d'améliorer l'avancement professionnel de tous ceux qui contribuent, par leur travail, au rayonnement de leur établissement.

Par ailleurs, l'indépendance du HCERES est réaffirmée. Je vous sais nombreux à vous intéresser à son fonctionnement et à ses perspectives.

Pour simplifier la vie des chercheurs, nous devons aussi faciliter le financement de leurs travaux. En améliorant le taux de succès aux appels à projets, l'augmentation du budget de l'Agence nationale de la recherche rendra les financements plus accessibles à tous et à l'ensemble des disciplines. Un portail unique permettra de faire converger l'ensemble des appels à projets, de synchroniser les calendriers, d'harmoniser les cahiers des charges et les procédures de sélection.

Ces orientations, ces outils, ces moyens rendus à la recherche ne prennent véritablement tout leur sens qu'au regard des bienfaits que notre pays pourra en retirer. C'est pourquoi le titre IV vise à renforcer la diffusion des résultats de la recherche dans l'économie et la société. Je sais combien vous êtes attachés, tous, ici, aux objectifs portés par ce titre mais le seul terme d'« objectifs » ne suffit pas à décrire le changement de culture et de mode de pensée qu'il induit. En diffusant la recherche dans l'économie et la société, nous pourrons, du moins pour partie, répondre à l'un des grands défis auxquels nous avons été confrontés ces derniers mois : celui de l'incompréhension, voire de la défiance, entre la science et la société, celui de la disparition de toute communication entre deux mondes qui auraient pourtant tant à gagner à se retrouver.

Si la recherche et la société ne se rencontrent pas et ne se nourrissent pas de leurs apports mutuels, nous ne parviendrons pas à parfaire la transformation dont notre pays a besoin pour relever les défis de demain. L'investissement considérable que nous demandons à la nation pour la recherche prend alors tout son sens. Chacun, qu'il soit décideur, acteur économique ou simple citoyen, doit pouvoir en récolter les fruits. Nous devrons, à cette fin, faire en sorte que les relations entre la recherche et le monde socio-économique changent d'échelle pour que les connaissances, issues du travail en laboratoire, se concrétisent dans l'innovation, la croissance, pour nos start-up, nos PME, nos grands groupes, l'emploi et le mieux-être pour nos concitoyens. C'est l'une des grandes ambitions de ce titre IV.

Le partage de la culture scientifique, technique et industrielle est le second objectif prévu à ce titre. La science, aujourd'hui, ne relève pas des seules actions de l'État ou des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Elle rayonne et fédère un public plus large grâce aux initiatives portées par les associations, les collectivités, les médias, tous les lieux de diffusion, de médiation, de création des savoirs.

Grâce aux moyens alloués par le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, d'ambitieuses initiatives pourront être prises, à l'image des acteurs qui les soutiennent : plurielles, diverses, nationales ou territoriales, à petite ou grande échelle. Je pense aux centres Sciences et médias, à l'instar de ceux qu'ont installés d'autres pays comme l'Allemagne, l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni. Il pourra également s'agir du 1 % culture scientifique que prévoit l'Agence nationale de la recherche dans son budget d'intervention pour les relations entre la science et la société, mais aussi d'appels à projets dédiés ou du financement d'un volet culture scientifique dans le cadre des projets de recherche volontaires.

D'autres initiatives pourront naître à moyen terme : des projets de science participative, la formation de chercheurs au dialogue avec des non-spécialistes, l'apport d'expertise auprès des décideurs politiques ou le développement de recherches autour des relations entre la science et la société.

Nous travaillerons étroitement avec les autres ministères, en particulier celui de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, mais aussi avec les régions, car certaines sont à l'origine de très belles initiatives dans ce domaine. Je sais que vous portez de riches idées, vous aussi, et je serai heureuse d'en débattre avec vous à l'occasion de l'examen de ce titre.

Ce projet de loi de programmation représente à la fois la fin d'un cycle – celui du tarissement du financement de la recherche publique en France – et l'ouverture d'un nouveau chemin pour qu'émerge une nouvelle génération de chercheurs et d'enseignants-chercheurs, au service d'une ambition scientifique renouvelée pour notre pays. Il permettra de renforcer la solidarité, la justice, la sécurité : solidarité des équipes de recherche, des financements, des partenariats, des territoires ; sécurité des contrats, des recrutements et des parcours.

Ce texte nous offre une occasion unique de replacer la parole et la démarche scientifique au cœur du débat public et de notre société, dans les entreprises, les associations, les territoires. Je suis convaincue que vous saurez la saisir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.