Intervention de Muriel Ressiguier

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMuriel Ressiguier :

En pleine crise sanitaire, le 19 mars, Emmanuel Macron, en visite à l'Institut Pasteur, twittait que la crise de la covid nous rappelait le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d'investir massivement sur le long terme. Nous pouvions donc espérer une prise de conscience sur les enjeux et les besoins de la recherche. Hélas ! le projet de loi de programmation, présenté le 22 juillet en conseil des ministres, est dans la même veine idéologique que l'avant‑projet rendu public le 16 juin. La logique reste celle de l'ouverture au privé, de la mise en concurrence exacerbée et de la rentabilité à court terme. Nous ne sommes pas les seuls à vous le reprocher, puisque ce texte est également rejeté par la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui n'y retrouve pas les propositions qu'elle a formulées lors de la grande consultation lancée par le ministère. Elle déplore une concertation biaisée ainsi qu'un vote final bâclé par les membres du CNESER, le 12 juin, à 6 h 45 du matin, après presque vingt et une heures de séance. Même le CESE émet des réserves.

Concernant le financement, sur les 25 milliards d'euros annoncés pour la recherche d'ici à 2030, seuls 400 millions supplémentaires seront budgétisés en 2021, et nous n'avons aucune certitude sur l'engagement des gouvernements à venir. Outre le fait que les syndicats s'accordent sur la nécessité d'apporter 1 milliard d'euros supplémentaire par an pendant les dix prochaines années, le mécanisme d'attribution des moyens est également problématique. Le budget de l'ANR est considérablement renforcé et, surtout, le principe de l'appel à projets, tant décrié, est conforté. Avec seulement 16 % de réponses positives à ces appels en 2019 et la diminution des fonctions support, les chercheurs doivent de plus en plus se consacrer aux tâches administratives au détriment de leur temps de recherche. Ce système limite, en outre, les thématiques scientifiques et réduit la liberté des chercheurs.

De plus, vous conservez le crédit impôt recherche (CIR), régulièrement remis en cause, notamment par la Cour des comptes, qui estime que son efficacité est difficile à établir au regard de son objectif d'augmenter les dépenses intérieures de recherche et développement des entreprises. Ce cadeau fiscal de plusieurs milliards d'euros par an devrait être réaffecté aux subventions pour charges de service public et bénéficier ainsi en partie à la recherche fondamentale et aux sciences humaines, qui sont les grandes perdantes du projet de loi.

Sous couvert d'une compétitivité stimulante, votre texte va accélérer la dégradation des conditions de travail des chercheurs : la multiplication des contrats précaires, avec l'instauration de CDI de mission scientifique, les chaires de professeur junior, inspirées des tenure tracks américains, et les contrats doctoraux de droit privé tendent à supprimer peu à peu le statut de fonctionnaire. Cette multiplication des contrats induit de grandes inégalités et une concurrence entre les générations, ainsi qu'en leur sein. Non seulement cela est néfaste à la recherche, mais aussi aux chercheurs, en accentuant la concurrence entre les personnes, les laboratoires et les revues scientifiques. Cet individualisme exacerbé menace l'esprit de collaboration et crée des rivalités préjudiciables à un travail serein, collectif et efficace.

Pour faire face aux enjeux à venir, envisagez‑vous de changer enfin de braquet ? Allez‑vous renoncer à la notion de rentabilité à court terme et à la mise en concurrence à outrance, mortifère pour la recherche ? Allez‑vous écouter les acteurs du monde de la recherche et répondre à leurs besoins ? Sans doute pas.

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