Intervention de Loïc Prud'homme

Séance en hémicycle du vendredi 1er décembre 2017 à 9h30
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme :

Monsieur le ministre d'État, j'aurais pu aujourd'hui reprendre mon intervention de première lecture : ce texte reste au milieu du gué. J'espère que cette séance nous permettra de franchir enfin cette étape, mais je ne suis pas très optimiste.

Aujourd'hui, je vais plutôt vous rappeler la réalité du terrain où vivent des populations qui s'empoisonnent depuis des générations, vous rappeler ce que fait à notre territoire la politique extractiviste dont votre loi acte un sursis à mon sens bien trop long.

Le maître mot de cette loi, celui qui lui donne son sens véritable, est le suivant : dérogation. Ce mot porte en lui le poids de vos renoncements et dit, à lui seul, la puissance des lobbies de l'industrie minière qui ont obtenu le droit de continuer à polluer. Il dit la puissance des intérêts économiques face au droit à vivre dans un environnement sain.

J'étais, il y a quelques jours à peine, du côté du bassin pétrochimique de Lacq – concession de Total – où l'on meure plus jeune après avoir vécu en mauvaise santé. Des études démontrent une surmortalité moyenne de 14 % autour du bassin entre 1968 et 1998, avec des pics de surmortalité par cancer d'environ 39 % en fin de période. Aujourd'hui, les habitants sont, certaines nuits, réveillés par les odeurs et par des maux de têtes : ils évoquent des vomissements, des démangeaisons et des atteintes cutanées. Si j'ai bien entendu notre collègue Philippe Bolo se féliciter que la dérogation accordée au bassin de Lacq soit préservée, j'espère pour ma part qu'elle sera aujourd'hui supprimée. L'alinéa 13 de l'article 1er de ce projet de loi autorise, pour l'instant, cette exception pour le gisement de Lacq et condamne les habitants proches du bassin à mourir à petit feu au milieu des fumées toxiques. Pour ces personnes, 2040 n'est même pas un horizon. Pensez-vous, monsieur le ministre d'État, que ce père de famille, dont la fille de neuf ans est déjà malade, attendra cette échéance pour obtenir des réponses aux questions qu'il a adressées à votre ministère ? La sacro-sainte liberté d'entreprendre transformera sans tarder cette zone en un laboratoire à ciel ouvert des pathologies mortelles de l'industrie pétro-chimique. Vous avez d'ailleurs évoqué dans votre discours la nécessaire reconversion de ce site.

Par ailleurs, je voudrais moi aussi, monsieur le ministre d'État, vous parler de la Guyane. Vous vous êtes empressé de valider, en septembre dernier, le renouvellement du permis d'exploration de « Guyane maritime », qui permettra à Total – encore lui – de polluer pendant des années les eaux au large de ce département. La prolongation de ce permis démontre à elle seule le vide de ce projet de loi qui ne dit rien des permis de recherche et d'exploration qui se poursuivront donc en toute quiétude par la magie de l'inattaquable droit de suite. Vous nous avez expliqué, monsieur le ministre d'État, que si vous n'attaquiez pas c'était en raison des risques de contentieux qui pourraient en découler. C'est, encore une fois, le principe sans limite des affaires et du business qui freine la transition écologique.

Je profite également de cette tribune pour évoquer une autre conséquence de cette politique extractiviste, à savoir le projet de la Montagne d'or, gigantesque mine aurifère qui menace directement deux réserves biologiques de Guyane et qui est, aujourd'hui, sur le point d'aboutir. Avec 10 000 tonnes par an de produits chimiques déversés et environ 60 000 tonnes par jour de déchets cyanurés produits chaque jour, le doute n'est plus permis : ce projet s'annonce comme une catastrophe environnementale majeure. Au-delà de la destruction concrète et chiffrée de l'environnement, ce projet est un non-sens économique : il ne répond à aucune demande.

Pourtant Emmanuel Macron, qui défend à bras le corps la rencontre entre l'offre et la demande, s'est empressé d'adouber cette Montagne d'or : sans doute Jupiter veut-il un mont Olympe à sa mesure ? Une fois encore, la parole des populations locales est balayée. Pourtant, les projets pour aider la Guyane et créer de l'emploi ne manquent pas : développer l'agroforesterie et la formation, la recherche scientifique ou les services publics, par exemple. Les jeunes guyanais exigent un autre avenir !

Les projets miniers en cours sont donc la démonstration flagrante que les industriels sont bien peu sensibles au développement économique du territoire où ils s'implantent. Les entreprises minières ont une attirance particulière pour les territoires ravagés par le chômage et des siècles de maltraitance des sols, où la population ne sera pas en capacité de protester contre la destruction de son environnement.

En évoquant ces réalités, deux questions me reviennent sans cesse : qui paiera lorsque les boues cyanurées se seront déversées sur les villages et les réserves biologiques en Guyane ? Qui indemnisera les victimes d'empoisonnement du bassin de Lacq ? Il y a fort à parier que, lorsque l'addition sera présentée, les entreprises minières se seront volatilisées et les consortiums russo-canadiens dissous dans la nature : ne restera qu'une armée d'avocats pour défendre leurs clients et brandir le sacro-saint droit d'entreprendre !

Privatisation des bénéfices et mutualisation des risques et des coûts, voilà le refrain que nous chante l'industrie extractiviste. Ce refrain, monsieur le ministre d'État, vous ne pouvez plus, en conscience, l'accompagner, même à mi-voix, jusqu'en 2040 et au-delà.

Mais, rassurons nous, toutes ces « externalités négatives », comme vous les appelez, seront oubliées très bientôt. C'est la mission assignée au sommet international pour le climat organisé à Paris le 12 décembre prochain. Une communication présidentielle magnifiquement orchestrée, des discours larmoyants et des effets d'annonce auront vite évacué les situations dramatiques que je viens de vous décrire.

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