Intervention de Albert Allo

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 14h05
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN :

Monsieur le président, madame la rapporteure, je vous remercie de me donner l'occasion d'expliquer les missions de TRACFIN, dans le cadre de financements de politiques publiques liés à la transition énergétique.

Je rappellerai les conditions dans lesquelles TRACFIN est appelé à connaître les dossiers de financement du CEE, le contexte n'étant pas neutre.

Tout d'abord, TRACFIN n'a pas la possibilité de s'autosaisir. Il doit, pour effectuer une enquête administrative, recevoir une déclaration de soupçon d'un professionnel privé, listé dans le code monétaire et financier (CMF), à partir des articles L. 561-1 et suivants, ou de l'administration, via une information de soupçon – j'y reviendrai.

Le domaine de prédilection de TRACFIN est la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous avons, par ailleurs, mis en place, depuis 1990, sous l'impulsion mondiale – ensuite relayée par des directives européennes –, un cadre national qui doit se conformer aux obligations internationales et européennes.

Notre système de lutte anti-blanchiment va être évalué, au niveau national, fin 2019 et début 2020, et au printemps 2021, en commission plénière du Groupe d'action financière (GAFI). Chaque pays membre du GAFI est, en effet, audité par ses pairs, s'agissant du cadre réglementaire et de l'efficience du système de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous en sommes à la quatrième session d'évaluation, la France étant la dernière à être auditée.

Les partenaires assujettis ont l'obligation de transmettre à TRACFIN des déclarations de soupçon, quand des flux financiers peuvent mettre en lumière une infraction débouchant sur une peine privative de liberté supérieure à un an, ou pour tout fait en lien avec le financement du terrorisme. Par ailleurs, depuis 2009, la fraude fiscale est entrée dans le champ de compétence de TRACFIN – je n'en parlerai pas, celle-ci n'étant pas au cœur du dispositif CEE.

C'est donc à partir de ces déclarations et informations de soupçon que TRACFIN peut mettre en œuvre ses capacités à investigation administratives. Les agents de TRACFIN travaillent quelque part à Montreuil, sur leurs ordinateurs qui leur permettent d'accéder à tous les documents financiers et comptables détenus par les professionnels déclarants, assujettis aux obligations, et aux administrations partenaires en charge des politiques de lutte contre les fraudes douanières, fiscales et sociales. Nous pouvons également interroger le Pôle national des certificats d'économies d'énergie.

Pour être efficace, TRACFIN a besoin de bons capteurs, à savoir de déclarants actifs. Ce sont les banques qui, à partir de 2015, mais surtout en 2017, ont soupçonné des fraudes au CEE. TRACFIN, qui organise une veille sur les nouvelles typologies de fraudes, a effectivement confirmé l'existence d'une fraude visant à optimiser le nouveau dispositif public.

Tout nouveau dispositif public a en lui des failles, le temps de la mise en place des équipes et des procédures de contrôle. De sorte que des fenêtres d'opportunité sont ouvertes, que des individus exploitent de façon frauduleuse.

Ce partenariat public-privé, TRACFIN le fait vivre de différentes façons. Il instaure des relations régulières avec les déclarants, notamment les banquiers, et leur rend compte de la qualité de leurs déclarations. Il les alerte, par des réunions ou par ses rapports d'activité ou d'analyse, de ce que nous voyons poindre comme nouvelles tendances de blanchiment et comme nouveaux secteurs « fraudogènes ».

Ces partenaires nous font remonter, grâce à leurs propres capteurs, les frémissements qu'ils détectent dans certains domaines, dont celui de la transition énergétique, qui nous intéresse aujourd'hui. Par ailleurs, pour aider nos partenaires privés, nous élaborons des lignes directrices, à savoir un document explicatif du code monétaire et financier ; une lecture commentée, éclairée de quelques exemples et de la pratique du superviseur.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) nous aide à mettre à jour, de façon régulière, sa ligne directrice en lien avec les principaux représentants des services conformité des banques. La majorité des déclarations provient de l'ACPR qui peut se substituer à une banque défaillante, lors de ses contrôles ; 85 % du flux reçu par TRACFIN proviennent des banques et de l'ACPR.

Un système qui comporte différents volets : un volet pédagogique, une relation entretenue et un superviseur qui effectue des contrôles de conformité pour s'assurer que les dispositifs sont en place et que les soupçons sont bien déclarés à TRACFIN.

Par ailleurs, je l'ai évoqué en début de mon propos, TRACFIN peut recevoir des informations de soupçon de la part d'administrations de l'État, de collectivités territoriales ou de toute personne chargée d'une mission de service public ; soit 1 000 à 1 500 informations de soupçon par an.

C'est donc après avoir reçu un certain nombre de déclarations de soupçon que nous avons alerté le ministère du caractère fraudogène du dispositif du CEE. Cette alerte a été relayée dans notre rapport d'activité et d'analyse des tendances, afin de partager cette information avec les représentants du secteur privé, les autorités concernées et le grand public.

Les services conformité des banques ont observé, principalement dans le secteur de la construction, mais aussi de conseils aux EnR, au sens large, des entreprises qui, en quelques mois, réalisaient un chiffre d'affaires extraordinaire, passant de zéro euro à un million ou deux millions d'euros.

Le client qui ouvre un compte d'entreprise dans une banque doit présenter un plan d'objectifs, de monter en charge du chiffre d'affaires, et c'est par rapport à ce plan que le banquier va relever des discordances. Dès lors que des alertes, en interne, remontent – par le conseiller clientèle ou la personne en charge de la cellule d'analyse au service conformité – des questions sont posées au client, des justifications sont demandées, notamment des factures. Selon ses réponses, le banquier aura, ou non, un doute sur la régularité de l'activité de la société, et en particulier sur les travaux liés à l'obtention du CEE.

L'absence de déclaration à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ou de déclaration fiscale au bout de dix-huit mois est l'un des critères d'alerte.

Après avoir reçu plusieurs dizaines d'informations de soupçon, avec des enjeux de quelques centaines de milliers d'euros, nous avons interrogé le PNCEE pour qu'il nous renseigne sur le sujet, les agents de TRACFIN n'étant pas des spécialistes du secteur de l'énergie, ni du dispositif visant à faciliter la transition énergétique. Une fois éclairés sur ce sujet, nous avons pu caractériser les éléments que nous détenions et les transmettre au parquet territorialement compétent.

Pourquoi les réseaux organisés ont-ils une appétence pour ce dispositif ? Dès lors que l'obligé ne peut satisfaire par lui-même à ses obligations d'économies d'énergie, il recourt à des délégataires ; tout repose sur l'orthodoxie de ces délégataires. Si le dispositif a anticipé les fraudes, elle n'a pas anticipé leur ampleur, à savoir l'ampleur des travaux fictifs. Prenons l'exemple d'une société qui était censée avoir effectué des travaux d'isolation chez 8 000 particuliers, et qui n'a absolument rien fait.

Une fois les ministères sensibilisés sur ce sujet, un recadrage réglementaire a eu lieu, qui trouve une traduction dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat.

Aujourd'hui, je ne puis vous dire, sur la base des signaux reçus par TRACFIN, que la fraude a disparu ; elle évolue. Elle évolue au même rythme que les réseaux organisés affinent leur pratique. Le délégataire recourt davantage à la sous-traitance qui, elle-même, sous-traite. Les circuits sont de plus en plus complexes, le délégataire faisant appel à des associations et à des sociétés étrangères pour réaliser les travaux.

S'il y a moins de fraudes documentaires sèches, la surfacturation des travaux ou la non-réalisation des travaux sont plus difficiles à démontrer par une enquête administrative de TRACFIN.

Nous continuons, bien entendu, à procéder à des signalements aux autorités judiciaires, mais dans une proportion moindre qu'en 2016-2017. Nous tombons parfois sur des montants significatifs, mais la personne que nous recherchons a sophistiqué sa pratique.

Pour la période 2018-2020, ce sont 9 milliards d'euros qui sont alloués aux certificats d'économies d'énergie, à savoir d'aides visant à réduire la facture énergétique ; forcément, cela suscite des vocations. D'où des montages plus sophistiqués via des associations, des sociétés étrangères et des comptes bancaires domiciliés, d'abord en France, puis dans des pays de l'Union européenne et enfin vers la Chine, ou d'autres contrées qui ont l'habitude de voir émerger des réseaux criminels.

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