Intervention de Jan Horst Keppler

Réunion du jeudi 25 juillet 2019 à 15h45
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jan Horst Keppler :

Vous avez mentionné un rapport de l'OCDE sur de la stabilité des réseaux, datant de l'an dernier. Je ne connais pas ce rapport. En revanche, nous avons publié cette année un rapport intitulé « Les coûts de la décarbonisation » et portant sur les coûts de système avec des proportions différentes de nucléaire et d'EnR. Je vous parlerai donc des coûts et non de la stabilité du système.

Ce travail fait partie d'une réflexion entamée depuis plusieurs années au sein de notre agence. Nous étions parmi les premiers à nous y intéresser et, aujourd'hui, nous sommes en contact avec des chercheurs en Amérique, en Europe et ailleurs. Toutes ces considérations sur les coûts de système sont un domaine bien établi. Il est très important de bien appréhender les coûts de système des différentes technologies, notamment des énergies renouvelables variables. La variabilité des EnR a introduit des surcoûts, en plus des coûts habituels que nous avons pour habitude d'appeler les LCOE, pour Levelized cost of energy, qui sont les coûts moyens actualisés au niveau de la centrale. Vous êtes familiers avec la notion des coûts externes, comme le changement climatique, les coûts sociaux, et autres. Ce n'est pas de cela qu'on parle, mais bien des coûts en euros et en centimes qui sont générés dans le système électrique par la variabilité de certaines technologies. Il faut prendre en compte ces coups de système en sus des LCOE, des coûts moyens actualisés.

Nous publions nos études ( « Projected Costs of Generating Electricity ») tous les cinq ans, avec l'Agence internationale de l'énergie (AIE) : je le précise car, souvent, l'Agence pour l'énergie nucléaire est soupçonnée de trafiquer un peu les chiffres. Ce sont donc là des chiffres communs, et qui – pour les EnR – sont fournis par la Division des renouvelables de l'AIE. La dernière étude, une référence mondiale, date de 2015 : pour les LCOE, le charbon, le gaz et le nucléaire étaient toujours moins chers que les renouvelables. Depuis quatre ans, les coûts des renouvelables ont fortement diminué et ces chiffres ne seraient plus les mêmes. Mais ils sont néanmoins sous-jacents à notre étude. Il est indispensable de toujours associer les LCOE et les coûts de système. Ce sont deux composantes importantes de notre étude.

Celle-ci se place dans le cadre de l'Accord de Paris. C'est-à-dire qu'il s'agit de parvenir à un système énergétique qui limite l'augmentation de la température moyenne mondiale à 2 °C. Cela correspond à 450 PPM (partie par million) de CO2 ou équivalent dans l'atmosphère. Et cela signifie qu'on doit réduire les émissions annuelles de CO2 de 43 % au niveau mondial ou de 60 % au niveau de l'OCDE, et, pour le secteur électrique de l'OCDE, les réduire de 85 %. Nous avons comparé différents systèmes émettant tous 50 grammes de CO2 par kW/h, donc correspondant aux ambitions de l'Accord de Paris. Ces systèmes comportent différentes parts de nucléaire et d'EnR : soit entièrement nucléaire ; soit nucléaire avec un peu de renouvelable ; soit beaucoup de renouvelable et un peu de nucléaire ; et même uniquement du renouvelable.

Avant d'en venir aux résultats de ces différents scénarios, je rappelle que la France a le système électrique le plus sobre en carbone de tous les pays de l'OCDE, avec 60 à 70 gr de CO2 par kW/h : la différence avec les 50 gr souhaités n'est pas très grande. Je précise également, en réponse à ceux qui prétendent qu'il n'y a pas encore aujourd'hui de méthodologie bien arrêtée pour mesurer les coûts de système, qu'elle est cependant en train d'émerger. De plus en plus d'experts sont désormais d'accord sur ce qu'il est nécessaire de faire figurer dans les coûts du système électrique.

D'abord, évidemment le surcoût pour l'extension et le renforcement du réseau. On le sait, les renouvelables sont davantage distribués, ils sont parfois loin des centres de consommation : on a besoin de réseaux plus forts, plus finement maillés. Deuxième point : les coûts de raccordement. Pour l'offshore, par exemple, cela peut représenter des coûts importants. Troisième point : le coût de balancing ou d'équilibrage. La production d'énergie renouvelable n'est pas prévisible avec certitude : un nuage peut passer devant le soleil. On a donc besoin de capacités de production programmable qui tournent à la moitié de leurs capacités, afin d'être capables de monter très rapidement leur charge pour palier un manque de production subit en EnR. Mais les coûts de système les plus importants, et de loin, des renouvelables variables sont les coûts des profils ou de back-up : ceux dont nous avons besoin pour des capacités programmables qui sont indispensables en complément des EnR. L'exemple le plus banal, c'est celui du photovoltaïque : la nuit, le soleil ne produit rien, et il est indispensable d'avoir, en complément, des capacités d'énergie programmables. Le problème est que ces capacités programmables tourneront à des taux de charge moins élevés qu'en l'absence des EnR. Cette réduction du taux de charge des énergies programmables se traduit par une augmentation du coût moyen et du coût total des systèmes. Ce n'est pas un raisonnement de défenseur de l'ancien, du nucléaire, des énergies programmables : c'est un effet aujourd'hui reconnu même par les défenseurs des énergies renouvelables variables. Cela se traduit, certes, dans le contexte du marché de l'électricité, par une baisse du prix de revient des renouvelables. Prenons le solaire : en France, cette technique produit en moyenne de l'électricité entre 10 heures du matin et 14 heures. Toute la production d'origine solaire est concentrée dans ces heures-là, au cours desquelles vous avez effectivement une baisse des prix de revient de l'électricité. C'est la même chose pour le vent. Mais le revers de la médaille, c'est que cette baisse entraîne une augmentation des coûts de système, car pendant les autres heures, on a impérativement besoin de capacités supplémentaires.

Revenons à la comparaison des différents scénarios avec une émission de 50 gr de CO2. Nous avons testé un mix avec différentes parts de renouvelables (éolien, onshore et photovoltaïque), en collaboration avec un groupe de modélisateurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) aux États-Unis. Si ce mix comporte 10 % de renouvelables, il ne se passe pas grand-chose. On peut dire que cela correspond à peu près à l'état actuel de la France : la courbe est tout à fait comparable, mais un peu moins haute. Si vous incluez 30 % de renouvelables, c'est-à-dire ce qui se passe en Allemagne et d'autres pays européens, la courbe de charge est beaucoup plus déstructurée et vous commencez à avoir des heures avec des prix nuls ou négatifs. Et si vous êtes à 75 % de renouvelables, votre courbe de charge pour les programmables est en mode « écrêtement » : vous arrêtez vos renouvelables au moins un tiers du temps, faute d'un stockage bon marché. Première observation : les capacités de production, quelles qu'elles soient, vont fortement augmenter : si vous voulez du photovoltaïque à 20 % plutôt que des centrales nucléaires à 80 %, vous avez besoin de plus capacités. Et les coûts de système s'en ressentent : plus vous augmentez la part des renouvelables dans le mix, et plus cela devient cher par rapport au système de base. Le surcoût par MWh d'énergie renouvelable produite est estimé par notre étude comme pouvant monter jusqu'à 50 dollars. Pour faire un calcul économique correct, il faut donc ajouter ce surcoût aux coûts des renouvelables.

La volatilité des prix va fortement augmenter : dans un système avec 75 % de renouvelables, on aboutit à près de 4 000 heures – soit un peu plus de 40 % du temps – à des prix nuls : 0 euro. Et comme on ne peut pas occulter les contraintes de profitabilité, on aurait d'autres heures avec des prix beaucoup plus élevés. En moyenne, donc, des prix beaucoup plus volatils, avec un coût du capital plus élevé. Nous n'avons pas modélisé cet effet, mais tout le monde est d'accord pour considérer que la volatilité va augmenter, tout comme le coût du capital et les risques.

J'ai évoqué la baisse du coût de la construction des renouvelables. C'est un effet réel sur le marché, malheureux et très contraignant pour les entrepreneurs du secteur. Il est plus fort pour le soleil que pour le vent. Enfin, imaginons un système où les renouvelables sont moins chers que le nucléaire pour les LCOE : ce n'est pas encore tout à fait la situation, mais on va y arriver. Les renouvelables entrent donc sur le marché, sur leurs propres mérites. Mais quand ils entrent au même niveau, leurs coûts de système augmentent. Donc, à un certain niveau, le nucléaire sera à nouveau moins cher : un peu plus cher en termes de LCOE, certes, mais beaucoup moins en termes de coûts de système. Et on aurait une sorte d'équilibre least-cost, à moindre coût, entre renouvelables et nucléaire. C'est la vision que nous préconisons à l'OCDE : des systèmes least-cost avec des renouvelables et du nucléaire.

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