Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 17h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Madame la Présidente, les responsables des autorités administratives indépendantes sont régulièrement interrogés sur le suivi de leurs recommandations. Au fond, tout cela, sert-il à quelque chose ?

Beaucoup de résultats ne se voient pas. Souvent, à l'issue des visites d'établissements, nous rassemblons les équipes dirigeantes et effectuons une réunion de restitution. Nous leur faisons part des dysfonctionnements que nous avons repérés et éventuellement de nos propositions pour y remédier. Finalement, entre la visite effectuée dans l'établissement et la remise du rapport au ministre, la situation peut déjà évoluer.

Ce regard extérieur permet aux établissements, qui souvent ont « la tête dans le guidon », de faire évoluer leurs pratiques et d'apporter les rectifications nécessaires. Cela ne se voit pas mais c'est la première conséquence de notre action.

Pour moi, les recommandations ne sont bien évidemment jamais suffisamment suivies. Toutefois, nous avons désormais davantage de visibilité sur le résultat de nos actions grâce à un tableau de bord que nous avons mis en place depuis trois ans. Nous l'envoyons annuellement aux ministres qui peuvent ainsi nous informer sur les actions mises en place en lien avec chacune des recommandations que nous avons formulées. En ce qui concerne les personnes privées de liberté, on s'aperçoit que certaines recommandations matérielles, extrêmement importantes pour elles, sont suivies d'effets.

Mais nous constatons aussi que rien ne bouge s'agissant de certaines des atteintes que nous dénonçons depuis douze ans. J'ai cité l'exemple de la garde à vue. De même, il est inadmissible qu'un surveillant soit présent lors de l'examen par le médecin d'un détenu extrait à l'hôpital, quel que soit son degré de dangerosité. Cette pratique n'est pas conforme à la loi. Or, lors de nos visites, nous constatons que tous les détenus se font examiner, parfois anesthésier et opérer, en présence de surveillants. Des femmes accouchent encore en présence de surveillantes – parfois même en étant menottées. Or, la loi de 2009 l'interdit.

Ces atteintes inadmissibles à la dignité des personnes sont assumées par le pouvoir politique, mais souvent les ministres les découvrent lorsque je les alerte. Or, ces situations perdurent. Il y a là quelque chose qui ne va pas. Il faudrait donner des instructions très précises, faire procéder à des enquêtes par les inspections pour que ces atteintes ne se reproduisent plus.

Je ne sais pas ce qu'il adviendra de ma proposition visant à développer davantage internet dans les lieux de privation de liberté. Je ne suis pas sûre que le pouvoir politique nous écoutera totalement. Pendant des années, mes propos sur la régulation carcérale étaient jugés intéressants mais sont restés sans effet. J'espère qu'après la crise, elle sera inscrite dans la loi. Il y a toujours des avancées, il y a surtout des discussions avec différents interlocuteurs, avec les organisations professionnelles, le pouvoir politique, la représentation nationale. Ces échanges contribuent à faire évoluer les choses.

Je m'en réjouis parce que j'en avait fait une priorité, c'est dans le secteur psychiatrique que les évolutions ont été les plus nombreuses. La loi de 2016 a ainsi repris des propositions que nous avions faites sur l'isolement et la contention.

Depuis 2016, le milieu psychiatrique s'est emparé de ce débat et de nos constats. Désormais, il ne nous perçoit plus comme « l'empêcheur de tourner en rond », ce qui est parfois encore le cas de l'administration pénitentiaire. Il a compris que le regard extérieur que nous portons leur permet de faire évoluer les pratiques.

C'est en cela que les autorités administratives indépendantes ont un rôle extrêmement important à jouer : sans pouvoir d'injonction, ce que je ne regrette pas, mais grâce à ce regard extérieur, elles peuvent faire évoluer les pratiques.

En tout cas, même si nous ne sommes pas suffisamment écoutés, notre indépendance est totalement respecée – c'est vrai aussi pour le Défenseur des droits et pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) – et les échanges sont de plus en plus fréquents. Je regrette cependant que la réponse des ministres suite à une recommandation en urgence, un avis transversal ou une recommandation publiée au Journal officiel, n'arrive pas à temps ou n'arrive pas. Il est inadmissible que le ministre ne trouve pas le temps de nous répondre lorsque nous estimons que la situation est tellement grave que nous nous adressons directement à lui sans faire de procédure contradictoire avec l'établissement concerné.

Madame la députée Avia, je crois qu'il y a eu moins de 100 cas d'éloignement. En tout cas, la situation me semble très inquiétante. Lorsque je me suis rendue au CRA de Vincennes en avril, le centre venait de découvrir quatre cas de Covid. Ces personnes avaient, effectivement, été mises à l'écart, dans des institutions non privatives de liberté. En revanche, les autres personnes étaient extrêmement angoissées. Les chambres des personnes retenues et les installations sanitaires étaient très détériorées. Un seul point d'eau fonctionnait : tout au long de la journée, les personnes appuyaient toutes sur le même bouton, ce qui ne pouvait que favoriser les contaminations.

De façon générale, la situation de ce centre de rétention, en matière de santé et de dégradation des locaux, est dramatique et ne s'est pas améliorée entre nos différentes visites.

Concernant les communications, c'est le juge d'instruction qui autorise, ou pas, les coups de fil et les visites pour les personnes en détention provisoire. Ensuite, lorsque la personne est condamnée, la décision revient au directeur de l'établissement, sur la base d'enquêtes qu'il peut demander. Les communications des détenus avec leurs familles peuvent être suspendues, mais cela serait peu opportun. Je vous rappelle que ces communications sont très surveillées : les conversations téléphoniques sont écoutées et le courrier est lu.

La proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine que vous avez récemment votée m'inquiète car on ne peut pas prendre des décisions de restriction de liberté au motif que la personne est perçue comme pouvant être dangereuse après avoir purgé sa peine. Pointer une ou plusieurs fois par semaine au commissariat ou porter un bracelet électronique constituent des restrictions de liberté.

Ce serait un changement de paradigme total. On ne peut pas condamner des personnes pour des délits qu'elles pourraient être amenées à commettre, sauf à modifier complètement la philosophie du droit pénal et de la procédure pénale.

La loi de 2016 ayant supprimé presque tous les aménagements de peine pour les détenus purgeant des peines de terrorisme, on s'inquiète aujourd'hui de ces sorties sèches et on souhaite prendre des mesures. Cette mesure de 2016 était inadaptée. Ces détenus, dont certains peuvent être dangereux, j'en conviens, sortiront un jour. Plus on les stigmatise, moins on prépare leurs sorties, plus on prend de risques pour eux et pour la société. C'est la raison pour laquelle je suis totalement opposée à cette proposition de loi.

Madame Untermaier, le numerus clausus et la régulation carcérale sont des cousins. Simplement, le premier a un caractère automatique qui me semble dangereux : si la prison est occupée à 100 %, on fera systématiquement sortir le détenu qui se trouve le plus près de sa date de libération pour incarcérer quelqu'un. Dans le cas de la régulation carcérale, on étudie la situation des détenus qui se trouvent par exemple à deux mois de leur fin de peine et on favorise la libération de ceux qui ont un domicile, un travail, une famille. En tout cas, l'objectif est de rester à 100 % d'occupation.

Concernant la question de l'enseignement, je n'ai pas eu l'occasion de m'entretenir avec le ministre de l'Éducation nationale, mais je partage vos inquiétudes sur l'enseignement et les difficultés des directeurs d'école impliqués qui sont en sous effectifs.

Monsieur le député Molac, la loi de programmation de la justice et ses mesures relatives aux peines, que vous avez votées en mars 2019, sont entrées en vigueur le 24 mars 2020, soit en pleine période de confinement. Il est donc trop tôt pour se prononcer et l'on pourra j'espère faire un bilan dans un an.

En ce qui concerne l'avis du Conseil d'État et plus particulièrement les mesures de radicalisation, de prévention et de prise en charge de la radicalisation en prison, je me demande comment les directeurs et les surveillants d'établissements pénitentiaires parviennent à s'y retrouver. Depuis 2015, les dispositifs se superposent, unités dédiées, QER, QPR, avec le renseignement pénitentiaire qui intègre la communauté du renseignement intérieur. Le millefeuille finit par être indigeste. C'est souvent incompréhensible pour ceux qui doivent appliquer ces mesures.

La situation des magistrats est comparable. Ils sont assommés par toutes ces lois successives. Ils n'ont pas encore eu le temps de digérer une réforme, qu'une nouvelle est annoncée.

De façon générale, il n'y a pas suffisamment d'évaluations des dispositifs mis en place. On les évalue un tout petit peu, voire pas du tout, et puis on en met un autre en place. Ça devient impossible.

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