Intervention de Antoine Herth

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 15h05
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth, rapporteur pour avis :

Monsieur Adam, la Team France Invest est en phase de rodage mais, bien que nouveau, cet organisme a d'ores et déjà montré toute sa pertinence. Il existe toutefois un angle mort dans mon rapport : c'est le point de vue des régions. L'organisation de notre soutien à l'export fait en effet des régions les pivots de notre stratégie de commerce extérieur, puisque c'est à elles de définir les priorités en matière d'exportation ainsi que d'investissements ; la Team France Invest collecte les projets et les soumet, dans le cadre d'appels d'offres, aux régions. Or je n'ai pas pu rencontrer les représentants de celles-ci – ce qu'on peut comprendre : du fait du récent renouvellement des conseils régionaux, Régions de France a probablement d'autres préoccupations en ce moment. C'est néanmoins dommage parce que cela fait maintenant quelques années que les régions n'explicitent guère les choix politiques qu'elles font en la matière.

D'autre part, malgré tous les efforts fournis pour accélérer les procédures administratives, je crains que les investisseurs ne soient déroutés par la complexité de la tuyauterie administrative en France. Certains représentants des chambres de commerce et d'industrie ou de Business France ont reconnu que, malheureusement, on a l'habitude de travailler en silo, chacun dans son domaine de compétences, et qu'en réalité le suivi des dossiers n'est pas aussi fluide qu'il pourrait l'être. Ainsi, le délai minimum en France pour monter une usine dans le cadre des sites industriels clés en main est de six mois, contre trois aux Pays-Bas. Nous avons des marges de progrès ! On pourrait par exemple nommer des sous-préfets en mission pour faire avancer les dossiers ; on peut aussi imaginer que l'on fasse confiance au marché, et que ce soient des cabinets d'avocats ou des conseillers qui s'en chargent.

Les clauses miroirs et l'accès aux marchés publics sont les deux principaux objectifs de la feuille de route du ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, Franck Riester, à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne. L'importance des clauses miroirs n'est plus à démontrer, notamment dans le domaine agroalimentaire ; on l'a vu avec l'Accord économique et commercial global, le CETA, on le verra probablement demain avec d'autres accords commerciaux. Quant aux marchés publics, l'Europe fait peut‑être preuve de naïveté en les ouvrant largement alors qu'il n'y a pas de réciprocité et que ses entreprises perdent de ce fait des opportunités.

Il faut en outre que la France appuie la Commission européenne dans sa volonté de créer un système de régulation du carbone aux frontières. Ce serait un outil majeur pour éviter à la fois les fuites de carbone et l'importation de la déforestation et cela jouerait le rôle d'une justice de paix pour les échanges commerciaux. Si un tel système existait, certaines entreprises feraient probablement des choix de localisation différents.

Un enjeu qui revient souvent dans les discours concernant l'attractivité de notre territoire, notamment dans la présentation par le Président de la République du plan France 2030, c'est la réussite de notre transition énergétique. Au-delà des efforts qui ont déjà été faits, la décarbonation sera un argument important pour que les entreprises implantées en France y restent et que d'autres les rejoignent. D'où l'importance de faire les bons choix. Je vous signale, à titre d'information, que le Réseau de transport d'électricité (RTE) a été chargé de réaliser une étude à l'horizon 2035 sur les besoins énergétiques en France selon seize scénarios différents. Des propositions ont été faites en matière de développement des énergies renouvelables, qu'il s'agisse de l'éolien ou du photovoltaïque, et la question du nucléaire ressurgit. J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de la proposition d'engager une réflexion sur la construction de microcentrales nucléaires afin de permettre à la France de renforcer son atout en matière d'empreinte carbone et d'être moins dépendante de l'importation d'énergies fossiles. Je rappelle que toutes les études montrent que le déficit énergétique joue un rôle considérable dans la balance commerciale – 25 milliards d'euros, ce n'est pas rien. Nous en avons eu la démonstration par l'absurde pendant la crise de la covid : le fait que l'économie ait été presque à l'arrêt a permis d'alléger considérablement le déficit énergétique.

La question de l'aéronautique est extrêmement importante : il s'agit de l'un des grands secteurs d'activité en France, et plus particulièrement dans votre région, MadamePinel, notamment à Toulouse. Il a été particulièrement touché par la crise sanitaire, avec 510 milliards d'euros de pertes de chiffre d'affaires en 2020 ; contrairement à d'autres secteurs, le retour à la normale n'est pas attendu avant 2024. La bonne nouvelle, c'est que, malgré tout, Airbus a enregistré 566 livraisons en 2020, contre 184 pour Boeing. Nous conservons donc un stock important de commandes et avons été capables, malgré la crise, de continuer à servir nos clients. Cependant, la France est plus durement touchée que ses voisins européens, puisque le site de Toulouse étant spécialisé dans les longs courriers, il a subi une baisse d'activité de 50 % contre 30 % en moyenne pour le groupe Airbus. Il nous faut, d'une part, retrouver très rapidement les conditions pour rester leaders sur le marché de la fourniture d'avions, d'autre part, ne pas manquer le virage des énergies plus propres et de la décarbonation du trafic aérien.

Notre vulnérabilité envers les intrants, tout le monde en a conscience. La chimie, et particulièrement la pharmacie, s'est retrouvée de ce point de vue sous les feux de l'actualité. Mais vous avez cité aussi, à juste titre, l'agroalimentaire. Comment la France, pays qui produit plus de 300 fromages à l'aide de capacités très diversifiées, pourrait-elle être vulnérable sur ce plan ? Eh bien, lorsque la production laitière et les élevages de cochons et de volailles dépendent du tourteau de soja brésilien, on devient vulnérable ; de même lorsque l'agriculture céréalière, si performante, dépend de phosphates produits au Maroc ou à l'aide de capitaux russes. Idem dans le domaine phytosanitaire : pour ce qui concerne le biocontrôle, le Japon dispose d'un monopole en matière de production des substances chimiques imitant les phéromones ; l'Europe se contente de conditionner le principe actif venu du Japon. Idem encore pour ce qui concerne les terres rares et d'autres produits dont nous aurons besoin pour développer les nouvelles technologies.

Restons toutefois positifs : les entreprises françaises sont présentes dans beaucoup de pays au monde – c'est d'ailleurs l'une de nos particularités. La France est le pays d'Europe qui détient le plus grand nombre de filiales à l'étranger. Nous y réalisons 1 666 milliards d'euros de valeur ajoutée. Les grandes entreprises françaises emploient 6,5 millions de salariés à travers le monde. D'où mon choix de consacrer une partie de mon rapport à l'attractivité. Au cours des vingt dernières années, les entreprises françaises se sont dit qu'il leur serait compliqué de rester en France tout étant compétitives à l'international ; elles ont donc déplacé les usines chez leurs clients, afin d'échapper aux règles de l'OMC, à la fiscalité française et à la lourdeur du marché du travail français. Évidemment, cela nous a appauvris en emplois et en valeur ajoutée. D'où l'importance d'attirer, en contrepartie, les investissements étrangers. Le renforcement de son attractivité permettrait à notre pays de remédier au déficit chronique de la balance commerciale, mal français qui résulte aussi d'un choix opéré par les entreprises françaises.

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