Intervention de Yann-Gaël Amghar

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 10h00
Commission des affaires sociales

Yann-Gaël Amghar, directeur général de l'URSSAF Caisse nationale :

Sur la modulation en temps réel des cotisations, il me semble d'abord utile de bien expliquer comment cela fonctionnera, notamment de bien rappeler que cela ne dispense pas d'une déclaration annuelle de revenus in fine et donc d'une régularisation.

Il faut avoir en tête que nous parlons de travailleurs indépendants qui sont sur une assiette annuelle ; comme pour l'impôt sur le revenu, vous avez d'abord des acomptes mensuels ou trimestriels puis, l'année N + 1, une déclaration annuelle de vos revenus de l'année précédente et une régularisation en faveur ou en défaveur. La modulation des cotisations en temps réel ne change pas ce principe. Ce qui change est la possibilité de moduler les acomptes. Il demeurera, l'année suivante, une déclaration annuelle et une régularisation.

Cette modulation peut se faire en temps réel, ce qui signifie que, mois par mois, l'indépendant pourra déclarer ce qu'il estime être son revenu du mois précédent et, immédiatement, son échéancier pour le reste de l'année sera réajusté. L'indépendant peut d'ailleurs voir immédiatement ce nouvel échéancier et il peut l'ajuster plusieurs fois s'il le pense nécessaire. Le fait que cet ajustement peut se faire mois par mois, de manière très intuitive et rapide, est vraiment un changement de paradigme. C'est plus intuitif que la situation actuelle avec la procédure dite « de revenu estimé » qui suppose que vous évaluiez, au lieu de votre revenu du dernier mois, votre revenu de l'année ce qui est intellectuellement plus compliqué à appréhender. De plus, l'indépendant n'a actuellement pas la visibilité immédiatement de son nouvel échéancier mais le reçoit quelques jours plus tard. La procédure est donc beaucoup moins intuitive ce qui explique le faible taux d'adhésion à ce dispositif.

Les pénalités en cas de sous-estimation du revenu constituent l'autre frein important que lève une mesure du plan du ministre Griset. Nous n'appliquions en pratique pas ces pénalités mais il existait une forme de peur de la part du travailleur indépendant ou de son expert-comptable, ce qui dissuadait énormément les indépendants de recourir à ce dispositif. Nous passons dans un principe de confiance, en considérant que l'indépendant sait évaluer son revenu mois par mois et qu'il sait ce qui est bon pour lui.

Le corollaire de ce principe de confiance est la responsabilité. Si un travailleur joue avec ce système en sous-estimant trop son revenu, il en subira le contrecoup l'année suivante lors de la régularisation. Nous ne pouvons pas avoir un système qui fait confiance sans qu'il existe, d'autre part, une forme de responsabilité. Le pari de ce système est bien la confiance dans le travailleur indépendant, en considérant qu'il connaît ses revenus, ses besoins et que, dans la grande majorité des cas, il ne fera pas de démarche à risques pour l'année suivante. Cela ne signifie pas que ce phénomène n'arrivera pas mais nous faisons le pari qu'il sera minoritaire.

Ce dispositif a été testé pendant plusieurs années en région pour bien le rôder. Le bilan de l'expérimentation est qu'il faut tout de même que l'indépendant aille régulièrement ajuster son revenu. Nous avons constaté que certains l'utilisent très régulièrement et vont tous les mois moduler leur revenu tandis que d'autres s'y abonnent et ne l'utilisent pas. Cela ne signifie pas que le service ne fonctionne pas car les retours qualitatifs que nous avons de ceux qui l'utilisent sont bons ; ils disent que c'est simple et intuitif. Toutefois, le dispositif suppose de faire une démarche régulière et c'est donc un arbitrage en fonction de ce que sont les indépendants, de leur variabilité de revenu et leur appétence à faire une démarche. Fondamentalement, chaque indépendant arbitre entre la variabilité élevée des revenus, qui le conduit à vouloir ajuster mois après mois, ou une variabilité faible, qui ne le pousse pas à ajuster chaque mois. La situation n'est de plus pas binaire puisque la possibilité d'ajustement est mensuelle mais, si vous avez ajusté votre estimation en février par exemple et que vous considérez ne pas en avoir besoin le mois suivant, le système restera sur l'estimation du dernier mois.

Mme la députée Valérie Six m'a interrogé sur le bilan de la déclaration unifiée, fiscale et sociale. Elle porte sur la déclaration annuelle de revenu faite l'année suivante donc n'interfère pas sur la possibilité de moduler les cotisations.

Nous avons effectivement, madame la députée, connu un certain nombre de difficultés lors de cette première année de mise en œuvre de la réforme. Les difficultés proviennent essentiellement de la transmission des revenus de la direction générale des finances publiques (DGFiP) vers nous, avec un ensemble de difficultés techniques que je ne détaillerai pas mais qui ont conduit à décaler le calendrier prévu. Chaque année en effet, en temps normal, nous intégrons les revenus à mesure que les indépendants les déclarent et nous réajustons donc les échéanciers au fur et à mesure. Nous avons ainsi fini au moment où la campagne de déclaration des revenus s'achève, c'est-à-dire vers la seconde quinzaine de juin sauf pour les déclarations tardives. Cette année, du fait de ces difficultés, nous avons intégré l'essentiel des revenus en juillet, donc fini de réajuster les échéanciers à la fin du mois de juillet et nous avons même dû faire des rattrapages en août et début septembre pour un petit volant de déclarations de revenu.

La suppression d'une déclaration induit une simplification mais le fait que nous ayons décalé les opérations est effectivement une régression en termes de qualité de service. Nous travaillons actuellement avec la DGFiP pour analyser les différents facteurs ayant conduit à ces retards de façon que cela ne se reproduise pas l'année prochaine, d'autant plus qu'il est prévu d'intégrer de nouvelles populations dans ce dispositif de déclaration unifiée.

Mme la députée Jeanine Dubié posait une question sur le bilan de l'intégration du RSI au régime général. Je pense que l'accompagnement des indépendants par l'URSSAF pendant la crise n'aurait pas été possible sans cette intégration du RSI au régime général. Par exemple, toute la mécanique de report de cotisations, de plans d'apurement et d'ajustement des échéanciers supposait une unicité dans le commandement des opérations qui n'aurait pas été possible dans le système antérieur, avec un partage des tâches entre RSI et URSSAF.

Une autre illustration de ce bilan, très forte durant la crise et encore aujourd'hui, est la mobilisation de l'action sociale pour venir en aide aux indépendants en difficulté. L'action sociale est également mobilisée aujourd'hui dans le cadre des plans d'apurement pour prendre en charge les dettes de certains travailleurs indépendants. Ce n'est possible que parce que nous avons regroupé dans le même service ceux qui gèrent le recouvrement et l'action sociale vis-à-vis des indépendants en difficulté. Cette réforme n'a pas été conçue en vue de la pandémie covid mais la pandémie et la manière dont la crise sanitaire a été gérée montrent que nous avons pu agir d'une façon qui aurait été impossible dans cette intégration.

Plusieurs questions ont été posées sur l'humanisation de la relation avec les travailleurs indépendants. Je partage tout à fait beaucoup de propos de Mme Duprez sur l'intérêt de la démarche des accueils communs. Ce sont des lieux où nous pouvons prendre en charge les besoins des travailleurs indépendants au-delà des sujets qui concernent l'URSSAF, avec un accueil et un accompagnement de premier niveau sur les sujets maladie et retraite ainsi que les sujets fiscaux, CAF et Pôle emploi, ce qui est un vrai plus car ces derniers sujets n'étaient pas pris en charge du temps du RSI.

Effectivement, il n'existe qu'un accueil par région, plutôt au sens des anciennes régions que des nouvelles régions puisque nous avons un peu plus de vingt‑cinq accueils communs de ce type. Cela ne signifie pas qu'il n'existe rien dans les autres départements puisque l'URSSAF possède un site d'accueil par département.

L'intérêt de cette démarche d'accueil commun est que, sur un certain nombre de sites, elle nous a conduit à rouvrir l'accueil spontané alors que nous étions passés à du 100 % rendez-vous. Je pense que c'est une facilité pour les travailleurs indépendants.

Deux autres démarches permettent de réhumaniser la relation avec les travailleurs indépendants. La première est la médiation, qui a été généralisée dans le réseau URSSAF avec une médiation dédiée aux travailleurs indépendants. Cette médiation est globale pour les sujets de cotisation, maladie et retraite. Vous parliez des indépendants qui viennent vous voir dans vos permanences ; je pense que vous pouvez les renvoyer vers les médiateurs dont le rôle est vraiment de prendre en charge ces situations complexes, souvent assez emberlificotées, qui supposent un regard global, avec une prise de hauteur, pour traiter des cas particulièrement difficiles.

Je souhaite également souligner que, dans le cadre de l'intégration du RSI au régime général, l'URSSAF a mis en place une offre dédiée aux créateurs, c'est-à-dire aux indépendants durant leur première ou leurs deux premières années d'activité. Ce sont par définition en général les plus novices face aux démarches administratives, ceux qui ont le plus de difficultés et le plus tendance à commettre des erreurs. Très concrètement, nous contactons désormais tous les créateurs indépendants en leur proposant différentes formes d'accompagnement, avec la possibilité d'un rendez-vous, en physique ou au téléphone, en leur donnant des contacts avec des interlocuteurs dédiés, des conseillers dédiés connus par leurs nom et prénom, avec un numéro de téléphone dédié. Tout ceci permet de réhumaniser la relation et nous avons de très bons retours qualitatifs et quantitatifs, c'est-à-dire que nous avons un bon taux d'adhésion des indépendants à qui nous proposons cette offre. Nous constatons que ce dispositif permet d'éviter un certain nombre de difficultés et que les indépendants que nous avons ainsi accompagnés ont tendance à faire moins d'erreurs. Nous avons d'ailleurs souvent des demandes allant bien au-delà du sujet des cotisations ; nous informons aussi sur les droits sociaux, sur la maladie, la retraite et la CAF. Cet élément est donc très positif.

Il suppose de maintenir une présence territoriale suffisante. Côté URSSAF, nous avons un maillage départemental au minimum et, dans certains départements, nous avons un ou deux sites infradépartementaux. Lorsque j'ai pris mes fonctions voici quatre ou cinq ans, on m'a dit qu'il fallait supprimer quelques sites dans certains départements et j'ai fait le choix inverse. Régulièrement, des corps de contrôle de l'État viennent questionner ces choix. Je conteste que cela ait un sens économiquement de remettre en cause cette présence au niveau départemental et je considère que c'est à moi, en tant que gestionnaire, de m'organiser pour rentrer dans l'enveloppe allouée et assurer le service rendu. Je pense qu'il faut maintenir une vigilance vis-à-vis de tentations de remettre en cause cette présence sur les territoires.

En ce qui concerne les conjoints collaborateurs, il s'agit d'un sujet identifié, pour lequel le plan présenté par le ministre apporte un certain nombre de simplifications sur les différentes options, la gestion de ces conjoints collaborateurs et leurs droits à retraite. Je crois que cela va dans le bon sens même si cette population est réduite et plutôt en diminution.

Sur les départements d'outre-mer, je rappelle d'abord que nous continuons aujourd'hui à y appliquer des mesures d'accompagnement exceptionnelles, du fait des restrictions sanitaires qui se prolongent dans ces départements. Nous continuons à ne pas prélever les cotisations sur les secteurs les plus touchés, nous reportons le moment où nous enverrons le plan d'apurement. L'accompagnement se prolonge donc dans ces départements.

Madame la députée Justine Benin a mentionné certaines difficultés de fonctionnement administratif liés à ce que sont les CGSS. L'URSSAF n'a pas la main sur ces caisses dont nous ne sommes qu'un actionnaire minoritaire.

Il faut effectivement améliorer le service rendu dans ces départements et nous avons, au sein de l'URSSAF, restructuré la manière dont nous pilotons l'activité recouvrement dans ces départements d'outre-mer, de façon à faciliter la relation entre le national et les CGSS, à renforcer l'appui que nous pouvons leur apporter. Il s'agit d'un appui technique, en termes de compétences et de formation. Nous leur envoyons des experts lorsque c'est nécessaire pour les aider dans leur montée en compétences. Nous essayons ainsi de faire bénéficier ces territoires des offres de services que j'ai évoquées tout à l'heure, qui sont déployées dans l'Hexagone mais ne sont pas forcément déployées au même niveau dans ces départements, ce que je regrette.

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