Intervention de Raphaël Schellenberger

Réunion du mardi 18 juillet 2017 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger :

Vous avez présenté ce projet de loi, madame la ministre, comme le garant du rétablissement de la démocratie, qui souffre aujourd'hui beaucoup de plusieurs turpitudes. Or, depuis quelques temps, on sent que ce qui peut sauver la démocratie, c'est la transparence. Est-ce du voyeurisme lié aux données ouvertes et massives, au numérique et à la revendication de démocratie directe, ou faut-il plutôt « injecter » de la transparence dans l'ensemble du processus politique ? De ce point de vue, votre démarche est carencée ; il eût été plus transparent de nous présenter d'emblée l'ensemble de votre triptyque législatif en y incluant votre projet de réforme constitutionnelle et la vision que vous avez de la réforme des institutions.

Dans votre propos introductif, vous avez résumé les raisons qui vous poussent à procéder comme vous le faites. Les sondages, qui diraient ce que les Français veulent, sont le premier élément qui vous incite à nous présenter ce projet de loi aujourd'hui. Je ne suis pas convaincu que sur des questions aussi précises, les sondages soient l'outil le plus à même d'éclairer les gouvernants ; mieux vaudrait un véritable débat avec la représentation nationale et les citoyens que nous représentons.

Ce raccourci vous conduit à faire des références maladroites, y compris aux fondements de la démocratie et à 1789. Faire en sorte que chaque citoyen puisse être élu et contribuer aux politiques publiques, cela signifie d'abord donner aux élus les moyens de leur action. Or, c'est précisément ce que vous attaquez par vos propositions sur l'IRFM. Et en même temps, vous nous dites que vous donnerez davantage de moyens à ceux qui veulent être élus en créant une banque de la démocratie. Selon moi, les parlementaires ont plus de difficultés à exercer leur mandat qu'à se faire élire, comme en attestent les dernières élections législatives où le renouvellement n'a guère posé de problème, puisqu'une large part de notre Assemblée se compose de nouveaux élus.

D'autre part, vous faites dans votre présentation une confusion entre agents publics et élus avant d'indiquer que la loi ne concernera que les parlementaires, et non les fonctionnaires et les ministres ; là encore, des précisions sont nécessaires.

J'en viens à l'exercice du mandat parlementaire. J'ai été très attentif aux propos que vous avez tenus concernant l'indépendance de l'action des parlementaires, et je vous remercie de vous en préoccuper. L'exercice d'un mandat local, cependant, et l'observation de l'exercice du pouvoir par votre Gouvernement m'amènent à m'interroger sur plusieurs points. Le Parlement sera-t-il réellement indépendant lorsqu'il demandera à auditionner à huis clos le chef d'état-major des armées et qu'il en sera empêché par crainte que l'intéressé ne raconte des bêtises ? Une loi seule ne suffira pas à garantir l'indépendance du Parlement ; c'est la pratique du pouvoir que les uns et les autres exerceront qui le permettra. C'est là toute la limite d'un projet de loi tel que celui dont nous débattons : au fond, une fois la règle établie, reste à savoir comment elle sera interprétée et mise en oeuvre. C'est sur ce point que je souhaite que le Parlement soit très attentif.

S'agissant des conflits d'intérêts, j'éprouve quelque déception à vous entendre les réduire à deux situations : vous n'avez évoqué que les conflits d'intérêts entre l'échelon local et l'échelon national, comme si le fait d'être à la fois élu local et parlementaire générait mécaniquement un conflit d'intérêts, comme si les élus ne pouvaient pas faire preuve de libre arbitre et faire la part des choses entre l'exercice de leurs mandats, et comme si l'exercice d'un mandat local ne pouvait pas contribuer à mieux exercer un mandat national. C'est faire preuve d'un profond mépris à l'endroit des élus locaux que d'invoquer systématiquement un conflit d'intérêts par essence entre mandat local et national. De surcroît, vous ignorez la question plus générale du statut de l'élu, et celle qui a pourtant semblé préoccuper les Français lors des élections législatives, à savoir la représentation de la société civile. En élisant des candidats issus de la société civile – comme s'il existait par ailleurs une société politique –, on a finalement multiplié les sources potentielles de conflits d'intérêts puisque les élus ont été choisis pour leur parcours professionnel, personnel, associatif, comme s'ils n'allaient pas continuer de défendre les convictions qu'ils avaient dans l'exercice de leurs fonctions antérieures.

En clair, comme beaucoup d'autres propositions, ce projet de loi correspond avant tout à une vision de la recentralisation administrative de l'exercice du pouvoir. En déresponsabilisant le politique, vous entendez confier davantage de pouvoir à l'administration centrale. Ce n'est pas ainsi que l'on rétablira la confiance des électeurs et des citoyens. La seule façon de rétablir leur confiance est de repositionner la responsabilité du politique, qu'il s'agisse de la libre administration des collectivités locales, de la responsabilité des parlementaires ou de leur identification sur le territoire. De ce point de vue, les différentes mesures que vous proposez, notamment le scrutin proportionnel aux élections législatives, loin de rétablir la confiance entre les élus et leurs électeurs, contribueront plutôt à l'affaiblir, voire à l'éliminer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.