Intervention de Jean-Carles Grelier

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Carles Grelier :

J'interviens ici comme référent de la commission pour le CCNE, et vous remercie en son nom de votre présentation et du temps que vous avez accepté de me consacrer il y a quelque temps pour me présenter votre bel organisme et vos travaux. Je m'associe également aux voeux qu'a formulés la présidente, pour souhaiter à vous-même et à l'ensemble de l'équipe du CCNE une belle année 2018 ; une année de débats, car je souhaite que les états généraux de la bioéthique, qui vont s'ouvrir dans quelques jours, permettent l'expression la plus large possible des convictions de chacun, avant que s'engage le travail parlementaire.

Vous avez parlé de construire une intelligence collective ; j'irai plus loin et serai plus ambitieux en parlant de sagesse collective. Je voudrais, si vous m'y autorisez, que mon propos cet après-midi, soit en quelque sorte une adresse à l'ensemble de mes collègues de la commission sur la façon dont nous devons aborder ce type de débat.

La bioéthique, ce n'est pas neutre, cela engage la société française dans la durée et sur des principes qui sont importants. La bioéthique, c'est une volonté de trouver un équilibre entre ce qui est possible et ce qui est souhaitable, un équilibre entre la liberté individuelle, la dignité des personnes mais aussi les espoirs de la recherche médicale ou les dangers d'une science qui, parfois, pourrait heurter les consciences. Partant, il me semble que ce débat sur la bioéthique doit être abordé au travers de quatre prismes, qui peuvent certes se recouper et être complémentaires mais doivent permettre de bien définir ce dont nous parlons.

Le premier de ces prismes est le prisme scientifique. Quels sont les éclairages que la science peut apporter ? Jusqu'où la technique et la recherche scientifique sont-elles capables d'aller ? Jusqu'où doivent-elles ne pas aller ? Est-il est bon que des moyens thérapeutiques soient, dans telle ou telle situation, appliqués à des fins qui ne sont pas forcément thérapeutiques ? Ce sont autant de sujets du débat scientifique qui doivent éclairer le débat parlementaire.

Le deuxième prisme est juridique, et le juriste que je suis ne saurait s'en abstraire. Pour chaque problématique, il va nous falloir remonter à la source du droit. On va sans doute parler de droit à mourir ou de droit à avoir un enfant : de quelle source du droit ces droits, s'ils existent, découlent-ils ? Comment, par ailleurs, peut-on légiférer sur des découvertes futures qui sont par nature incertaines ?

Le troisième prisme, qui orientera sans nul doute plus que les autres notre débat parlementaire, est un prisme politique et sociétal : quel type de société voulons-nous construire ? À quel modèle souhaitons-nous adhérer au travers des choix que nous allons faire en matière de bioéthique ? Doit-on adhérer à un modèle qui préserve avant tout la liberté de l'individu et qui fasse de l'individu le seul à décider de ce qui doit être éthique ou non ? Doit-on au contraire privilégier un modèle fondé sur la liberté collective, et comment ce modèle est-il conciliable avec la naturelle liberté des individus ?

Voilà trois prismes de nature, me semble-t-il, à éclairer le débat public et le débat parlementaire.

Il en existe un quatrième, moral, philosophique et religieux, qui, à mon sens, doit être exclu du débat public. Il relève de l'intime : chacun a ses convictions et sa propre morale. Chaque individu peut exprimer un jugement – c'est bien, ce n'est pas bien – ou prendre une position, quelle qu'elle soit, mais la pire des choses serait de mélanger ces quatre débats, en particulier lorsque nous discuterons des textes relatifs à la bioéthique. À une question scientifique, juridique ou politique et sociétale, il ne faudrait pas apporter des réponses morales, et, il ne faudrait pas apporter des réponses sociétales à un débat scientifique.

Même si j'ai bien conscience que les champs en question ne sont pas « étanches », j'invite l'ensemble de mes collègues à se situer correctement : lorsque nous aurons un débat de société, il ne faudra pas le détourner et en faire un débat moral. Évidemment, chacun d'entre nous entrera dans la discussion avec la force de ses convictions, de ses croyances, et de ses appartenances, mais l'essentiel est bien que nous ne nous trompions pas de débat.

Toute confusion des genres serait préjudiciable alors que les enjeux sont majeurs, et que nous cherchons à définir un modèle de société. Dans notre pays, comme sans doute dans notre assemblée, nous ne détestons pas les querelles picrocholines, et nous aimons bien mettre parfois de la morale ou elle n'a pas sa place, et du droit où il n'est pas véritablement nécessaire. Prenons-y garde, et mesurons les enjeux de nos débats. C'est ainsi que nous-mêmes et nos décisions pourront être utiles.

Pour cadrer ces débats, je souhaite que le CCNE puisse nous accompagner et nous faire profiter de son expérience et des enseignements qu'il tirera des états généraux de la bioéthique.

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