Intervention de Pascal Faure

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 11h15
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vais vous présenter, dans un premier temps, la DGE et la façon dont elle intervient dans les dossiers d'acquisition ; je réserverai les éléments concernant spécifiquement des entreprises individuelles pour la partie de cette audition qui se déroulera à huis clos.

La DGE est une des directions générales de Bercy. Elle joue un rôle tout particulier dans l'action que mène le Gouvernement en matière de développement et de compétitivité des entreprises. Elle intervient ainsi dans les politiques relatives à la création, à l'adaptation de l'environnement et au développement des entreprises, à l'innovation et à la compétitivité, et ce, dans l'ensemble des secteurs industriels, à savoir l'industrie manufacturière traditionnelle, le numérique, l'artisanat, le commerce, les services non financiers – les services financiers relevant de la Direction générale du Trésor – et l'activité touristique.

Vous l'avez rappelé, monsieur le président, la DGE, anciennement DGCIS, est née, en 2009, de l'agrégation de services de l'État, agrégation qui a continué à se développer au fil des années puisque nous ont rejoints, depuis, l'Agence du numérique, il y a trois ans, et le Service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), il y a presque deux ans. Ce service est dirigé par le Commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique (CISSE) ; il est placé au sein de la DGE en raison de la proximité naturelle de ses activités et de celles de notre direction – il convient en effet, pour faire de l'intelligence économique, d'être proche des personnes qui ont une compétence sectorielle –, mais l'autorité d'emploi est le commissaire. Enfin, certains de nos agents travaillent dans les services déconcentrés de l'État, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), au plus près des entreprises qu'ils suivent en amont ou en aval d'un certain nombre de procédures.

La DGE a pour spécificité d'avoir une vision microéconomique, sectorielle de l'industrie, qui complète la vision macroéconomique – sectorielle dans le domaine bancaire – de la Direction générale du Trésor (DGT). Nous avons ainsi une connaissance fine de chaque filière : automobile, transport ferroviaire, acier, aluminium… Pour ce faire, nous avons des contacts réguliers avec les entreprises ou les fédérations professionnelles et les instances de coopération. Nous animons notamment le Conseil national de l'industrie, qui est un peu le parlement de ce secteur, puisqu'il rassemble l'ensemble des filières et des organisations représentatives du personnel. Ce conseil est lui-même structuré en comités de filière que nous animons également, de sorte que nous avons une relation directe avec chaque secteur. Nous sommes chargés, en outre, d'un certain nombre de politiques transverses, qui concourent pour l'essentiel à l'innovation ; je pense à la propriété industrielle ou aux pôles de compétitivité, par exemple. Enfin – et cela nous rapproche du sujet qui intéresse votre commission –, nous suivons, que ce soit au niveau central ou déconcentré, un certain nombre de dossiers individuels d'entreprises jugés importants, soit de manière offensive – en accompagnant la démarche des entrepreneurs dans le cadre de projets d'investissement dans notre pays, l'État étant souvent incontournable dans ces procédures – ou de manière plus défensive, lorsque les entreprises connaissent des difficultés ou font l'objet de restructurations.

Le SISSE est né, il y a deux ans, du regroupement de deux entités : l'une, placée au sein de Bercy, assurait la coordination entre les administrations sur les questions d'intelligence économique ; l'autre, la Direction interministérielle à l'intelligence économique (D2IE), qui, comme son nom l'indique, intervenait au niveau interministériel. Le SISSE, je l'ai dit, a été rattaché à la DGE, pour faciliter la liaison avec les compétences sectorielles de cette dernière mais son pilotage est assuré par le commissaire qui est, quant à lui, directement rattaché au ministre. Ce service a pour mission de proposer et d'élaborer, en liaison avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) au niveau interministériel et les autres ministères concernés, la politique publique en matière de protection et de promotion des intérêts économiques industriels et scientifiques de la nation.

Dans les dossiers de restructuration, la DGE est un des maillons de la chaîne : elle travaille avec les autres directions de Bercy, auxquelles elle apporte un appui sectoriel. Elle collabore ainsi avec la DG Trésor – notamment dans le cadre de la procédure des Investissements étrangers en France (IEF), qui est pilotée par cette direction –, avec l'Agence des participations de l'État, lorsque les entreprises concernées sont à participation publique, et, en dehors de Bercy, avec Bpifrance notamment, à la gouvernance de laquelle nous sommes associés, notamment pour ce qui concerne Bpifrance Participations.

De manière plus concrète, les dossiers de restructuration comportent trois phases : en amont, la phase de veille consiste à déceler ou à préparer les dossiers avant que l'on entre dans une logique de rachat ou de restructuration ; la phase d'instruction des dossiers dont l'administration a été formellement saisie dans le cadre du droit en vigueur ; enfin, la phase de suivi, à l'issue des procédures.

Nous intervenons d'une manière différente dans chacune de ces phases. En amont, l'expertise sectorielle de la DGE permet d'identifier les entreprises qui, parce qu'elles sont considérées comme stratégiques, méritent de faire l'objet d'une veille particulière. À mon sens, trois critères permettent de définir le caractère stratégique d'une entreprise : premièrement, l'existence d'une composante liée à la souveraineté ou à la continuité de la vie de la nation – le code de la défense définit ainsi un certain nombre de secteurs d'importance vitale soumis à des dispositions spécifiques – ; deuxièmement, l'existence d'une technologie ou d'un savoir-faire indispensable à la préservation de nos atouts économiques – la France est, par exemple, l'un des rares pays qui maîtrisent l'ensemble de la filière nanoélectronique – ; troisièmement, son importance systémique, définie par le fait que sa fragilisation pourrait mettre en péril toute une chaîne de valeur.

Les capacités d'expertise de nos équipes nous permettent de suivre ces filières et ces entreprises considérées comme stratégiques. En effet, la moitié des 600 personnels de la DGE ont des activités sectorielles – l'autre moitié se consacre à des activités transverses –, mais ils sont ventilés dans une multitude de secteurs, de sorte que chacun d'entre eux – ferroviaire, nanoélectronique… – est suivi par une dizaine de personnes afin que la DGE couvre un spectre extrêmement large. Pour ce faire, nous avons des contacts très fréquents avec les entreprises et les filières auxquelles elles appartiennent et nous sommes attentifs à l'évolution des technologies – tous les cinq ans, nous identifions les technologies clés pour les cinq années à venir – de manière à pouvoir suivre les entreprises concernées. Enfin, nous bénéficions de l'expertise du SISSE, qui intervient également dans ces domaines, sans oublier le réseau territorial des DIRECCTE, qui est au plus près du terrain. Ce dispositif nous permet d'exercer, en amont, une veille aussi éclairée que possible.

Dans la phase d'instruction, les procédures sont le plus souvent pilotées par le Trésor mais, notre expertise nous permettant d'identifier les points sensibles d'une entreprise ou d'émettre des recommandations sur les éléments à préserver, nous lui soumettons des propositions selon les cas. Dans les dossiers sensibles, il existe, selon nous, deux façons d'obtenir des engagements de la part des entreprises : d'une part, la procédure dite IEF, très encadrée, qui relève de la DG Trésor, donne lieu à des engagements formalisés ; d'autre part, l'État peut, en contrepartie de son assentiment, obtenir des entreprises qui souhaitent réaliser une opération de rachat ou de restructuration des engagements que je qualifierai de « politiques », qui comprennent des engagements industriels très précis que nous proposons.

Enfin, en aval de ces procédures, la DGE, comme d'autres administrations, est chargée d'animer des comités de suivi qui permettent de vérifier que les engagements sont tenus dans la durée pour laquelle ils ont été pris. Ce suivi se traduit par des échanges réguliers entre les services et les entreprises concernées et par la réunion périodique de comités de suivi formels, présidés soit par le ministre soit par moi-même. Nous avons également la possibilité de procéder à des vérifications sur site, pour nous assurer, par exemple, que les précautions nécessaires ont bien été prises en matière de sécurisation d'emprise ou que telle activité a été maintenue.

Parmi les questions que vous m'avez posées, monsieur le président, il en est deux auxquelles je ne me sens pas habilité à répondre car elles concernent des domaines qui ne relèvent pas de la DGE. La première concerne l'application de la loi de blocage, c'est-à-dire la communication, ou non, d'éléments financiers à une autorité étrangère dans le cadre de procédures. En effet, vous l'avez dit, depuis la loi dite « Sapin 2 », ce domaine relève de l'Agence française anticorruption. La DGE n'est pas, et n'était pas non plus avant le vote de cette loi, en prise avec cette procédure.

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