Intervention de François Jacq

Réunion du lundi 16 avril 2018 à 21h00
Commission des affaires économiques

François Jacq :

Je commencerai par formuler deux remarques.

Tout d'abord, je voudrais dire à quel point je suis ému et honoré. Être pressenti pour devenir administrateur général du CEA, c'est s'inscrire dans une lignée qui a commencé avec Raoul Dautry et qui s'est poursuivie avec Pierre Guillaumat, André Giraud et Yannick d'Escatha.

Ensuite, avant de vous exposer mon projet pour le CEA, je tiens à dire tout de suite que mon approche est forcément extérieure. Si j'ai évidemment une certaine compréhension du contexte énergétique, écologique et environnemental, ce que je m'apprête à vous dire s'inspire de mes lectures et des discussions que j'ai pu avoir mais devra être confronté à un travail en interne avec les équipes du CEA, si vous m'en donnez la possibilité. Il faudrait d'ailleurs probablement que je m'exprime au conditionnel mais vous me pardonnerez si, de temps en temps, j'emploie le présent ou le futur. Ce n'est en aucune manière une façon de préjuger de votre opinion.

Si le CEA est, dans le paysage de la recherche, de l'industrie et de la défense français, un très bel organisme à l'origine de multiples avancées, il est un peu à la croisée des chemins et a besoin de se repenser. Il faut en faire un acteur majeur de toutes les transitions qui sont devant nous : la transition énergétique, la transition écologique mais aussi les transitions numérique et stratégique.

Je vais à présent esquisser le projet que j'ai pour le CEA, autour de trois piliers : faire du CEA un accélérateur de la transition énergétique et climatique, un acteur de l'industrie et de la médecine de demain au carrefour de la transition numérique et de l'innovation, ainsi qu'un soutien permanent à la dissuasion. Pour atteindre ces trois objectifs, trois conditions doivent être remplies : tout d'abord, s'inscrire dans une logique d'excellence et d'ouverture en nouant des partenariats renforcés ; ensuite, faire preuve de rigueur – nos finances publiques sont en effet dans un tel état qu'il nous faut être exemplaires tant dans la tenue du calendrier des projets qu'en repensant les domaines d'action et l'emploi des moyens du CEA afin de faire des choix plutôt que d'être dans une logique de rabot budgétaire – ; enfin, respecter l'héritage de l'organisme mais aussi le transformer. Pour ce faire, il faut élaborer un projet de conduite du changement associant l'ensemble des acteurs concernés : hiérarchie, organisations représentatives du personnel et partenaires extérieurs. Je terminerai mon intervention en évoquant mon propre parcours et ce qui me permet, me semble-t-il, de relever ces défis.

Je le disais, le CEA doit être – premier pilier – un accélérateur de la transition énergétique. On a à prendre acte de deux ruptures : la nécessité de décarboner notre économie et la possibilité de stocker l'électricité qui est désormais à portée de main, à des conditions économiques et techniques raisonnables.

Il s'agira, dans un premier volet, de construire et déployer les filières énergétiques de demain – pas toutes les filières mais on peut raisonnablement envisager une rupture industrielle dans le domaine du stockage autour des batteries du futur. On peut aussi imaginer un projet national intégrateur dans le domaine de l'hydrogène afin de réunir toutes les briques technologiques de base nécessaires pour évaluer la viabilité de cette option. On peut également, dans le domaine de la gestion des réseaux électriques, développer des expérimentations locales pour tester ces briques. C'est là que les spécificités du Commissariat sont importantes car nous disposons non seulement des technologies énergétiques mais aussi des compétences dans les domaines du numérique, des algorithmes et de la modélisation.

Vient le second volet de la transition énergétique : le CEA doit être le garant d'un nucléaire civil français exportable, sûr et rationalisé. Dans le cadre qui a été fixé, il est important de s'assurer que le nucléaire reste exportable puisqu'il demeurera une part du mix énergétique, tant français qu'étranger. Cela suppose que le CEA apporte un appui plus fort que par le passé, en lien avec les autres acteurs de la filière, à la sûreté et à l'exploitation du parc nucléaire actuel. Cela suppose aussi le succès économique et technique de la troisième génération, succès qui n'est pas encore complètement acquis. Certes, cela relève de la responsabilité des industriels comme Framatome ou Électricité de France (EDF), mais le CEA peut y contribuer en mettant à disposition ses moyens et en favorisant le travail en commun. Le milieu a en effet souvent été caractérisé par des guerres de chapelle stériles, luxe que nous ne pouvons plus nous offrir.

Un sujet qui me tient particulièrement à coeur dans le domaine nucléaire est celui du démantèlement et de l'assainissement. Ce volet est souvent vu comme une charge – et c'en est une. Ayant été autrefois responsable de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), j'ai une idée de la difficulté que représente la gestion des déchets. Cependant, dans un environnement mondial où le nombre d'installations nucléaires à démanteler est considérable, on a là non seulement une charge, peut-être, mais surtout l'occasion de monter une filière industrielle qui soit en mesure d'apporter les meilleurs résultats non seulement en France mais aussi à l'export. Le Commissariat pourrait être le noyau autour duquel faire germer une telle filière.

J'en viens au deuxième pilier, le CEA doit être un acteur de l'industrie et de la médecine de demain, au carrefour du numérique et de l'innovation. Il bénéficie de l'excellence de ses équipes et couvre un champ très large, parfois trop large. Le modèle économique de la recherche technologique du commissariat mériterait d'être conforté. Avec les noyaux d'excellence qu'il y a en France, on peut bâtir des filières dans trois domaines.

Le premier est celui des technologies du numérique : le CEA pourrait ainsi contribuer à la constitution d'une filière nationale centrée sur la cybersécurité, la maîtrise et la protection des données, l'électronique avancée et les ruptures dans le domaine du calcul de haute performance.

Le deuxième domaine est celui de l'usine du futur, avec le développement des technologies numériques, de l'intelligence artificielle, des robots, de la virtualisation et de la réalité augmentée. Il ne s'agit pas que le CEA devienne spécialiste de tous les domaines possibles et imaginables, ni qu'il fasse le travail pour tout le monde mais il pourrait trouver un réseau de partenaires lui servant de relais et lui permettant d'injecter ces technologies dans le tissu industriel français et de les y diffuser.

Enfin, il est un domaine qui, parfois, étonne quand on parle du CEA : celui de la médecine, dans lequel le Commissariat se singularise par sa connaissance des techniques de visualisation, de l'atome et des effets des radiations mais aussi par ses compétences dans la maîtrise des données et le séquençage. Il y a réellement là un domaine d'excellence qui doit être développé.

En ce qui concerne la défense, troisième pilier d'intervention du CEA, la direction des applications militaires a réussi de très belles choses dans le domaine de la simulation avec la fin des essais nucléaires, le Laser Mégajoule (LMJ) et le calcul de haute performance mais cet outil doit faire l'objet d'une vigilance permanente pour s'assurer, le jour où la génération qui a fait des essais nucléaires passera la main, du déploiement parfait des moyens nécessaires à la dissuasion.

J'en viens à ce qui me semble être les trois conditions de la réussite de ce triple projet.

La première est de placer l'organisme dans une dynamique d'ouverture. Pour s'ouvrir, il faut être fort parce que convaincu de sa légitimité et de la pertinence de son projet. Si le CEA arrive à concevoir un projet et à y faire adhérer ses équipes, il sera d'autant plus à même de se placer dans une dynamique d'ouverture qui me semble indispensable. Non pas que le CEA ne soit pas ouvert aujourd'hui mais il peut faire plus et mieux pour s'insérer dans le tissu de la recherche, s'y ancrer et s'y développer. S'agissant de l'insertion dans les politiques de site, je pense à Paris-Saclay mais aussi à Grenoble. Je pense aussi à la collaboration du CEA avec les autres organismes de recherche : quand Antoine Petit a été nommé président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), il a annoncé parmi ses projets une réflexion sur les très grandes infrastructures de recherche – sujet sur lequel il y a un travail en commun à faire. Je parlais tout à l'heure de médecine et de la transition numérique : il serait pertinent d'assurer un continuum allant des technologies que le Commissariat peut développer jusqu'aux pratiques thérapeutiques de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). De même, les partenariats avec l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) sont centraux.

La deuxième condition de la réussite est la rigueur. Il va falloir rationaliser, organiser et trier. Le Commissariat a rencontré des difficultés dans certains de ses projets. Qu'on songe simplement au réacteur Jules Horowitz qui, toutes proportions gardées, a connu, en termes de coûts et de calendrier, des difficultés assez comparables à celles de l'EPR (pour european pressurized reactor, soit réacteur européen pressurisé). Un organisme comme le CEA se doit d'être absolument exemplaire dans la maîtrise de ses projets, ce qui demande beaucoup de minutie, de temps et d'énergie. Il est probable aussi que le contexte dans lequel ce projet a été lancé était compliqué.

Au-delà de la nécessité de maîtriser les grands projets de la maison, il y a un effort de rationalisation à faire. Je viens moi-même d'organismes comme Météo France ou l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) à qui on a demandé de tels efforts. Aucun organisme ne peut s'en exonérer. Il faut que l'argent du contribuable soit employé avec la plus grande efficacité et qu'on dégage des marges de manoeuvre pour les réaffecter à la recherche lorsque cela est possible. Ce tri peut entraîner des renoncements dès lors qu'on décide de se concentrer sur certaines priorités, l'idée étant bien que tout ce qui relève du rabot est toujours douloureux et mal vécu par les équipes, à bon droit. Mieux vaut donc procéder à des choix : c'est ce travail que j'aimerais mener avec les équipes du CEA.

Enfin, la troisième condition est celle de la conduite du changement, dans le respect de l'héritage de l'institution. On ne fera rien sans donner espoir et confiance au personnel et à l'ensemble des partenaires de l'institution. Le projet dont je viens d'esquisser les grandes lignes devra évidemment être débattu et soutenu par toute la chaîne managériale. Il ne doit y avoir qu'un seul CEA. Il faut donc forger une conviction commune et partagée pour qu'elle soit soutenue et mise en oeuvre par tous de manière solidaire. Cela suppose, là encore, que l'ensemble de l'encadrement et du collectif s'ouvre au monde extérieur.

De ce projet, on peut attendre des bénéfices en termes d'appui aux politiques gouvernementales – dans les domaines du climat, de la souveraineté, de l'innovation et du développement économique –, de soutien aux filières industrielles, d'un positionnement qui doit être revu vis-à-vis du nucléaire et d'efficacité plus globale du système de recherche.

Plusieurs éléments m'incitent à penser que je suis en mesure de relever ces défis.

J'ai de longue date un attachement au monde de la recherche, ayant été chargé de trois établissements du secteur : l'ANDRA, Météo France et l'IFREMER, dans des genres complètement différents. Le CEA me ramène à mes jeunes années puisque j'ai exercé une tutelle sur l'organisme lorsque j'étais au ministère de la recherche à la fin des années 1990. Entre-temps, j'ai été chargé d'établissements de tailles variées – 400 personnes à l'ANDRA, 3 700 à Météo France – traitant d'enjeux importants, parfois lourds – puisque nous avons été chargés d'opérations douloureuses de rationalisation du réseau territorial de Météo France ainsi que du transfert du siège de l'IFREMER. J'ai ainsi acquis une certaine expérience de la conduite du changement.

Les autres facettes de mon activité m'ont conduit à exercer une tutelle sur certains organismes lorsque j'étais directeur d'administration centrale ou au ministère de la recherche. J'ai également été président de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), ce qui m'a conduit à réfléchir à la manière de faire travailler ensemble des organismes souhaitant tous légitimement rester autonomes.

Je serais donc heureux de relever tous ces défis et de gérer un organisme auquel je suis très attaché.

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