Intervention de François Jacq

Réunion du lundi 16 avril 2018 à 21h00
Commission des affaires économiques

François Jacq :

Madame Blanc, vous m'avez interrogé sur la maîtrise du temps. Nous devons rapidement mettre l'organisme en mouvement, tout en faisant en sorte que les équipes aient une vision claire de la direction et du projet, afin de bénéficier des fruits du travail déjà réalisé. Pour autant, un bon projet est un projet qui a eu le temps de mûrir et la vitesse ne doit pas être confondue avec la précipitation. Nous devons réussir à concilier l'élan et la réflexion.

Qu'est-ce qu'une entreprise stratégique et que peut faire le CEA en la matière ? En premier lieu, soyons modestes, le CEA couvre un périmètre d'activités très large, mais pas l'ensemble du champ stratégique. Malgré tout, nous pouvons aider à définir les filières stratégiques en articulant notre projet, les enjeux liés au contexte international et les forces et faiblesses françaises. Ainsi, si l'on prend l'exemple de la cybersécurité, des acteurs comme Thales ou Atos constituent les ferments d'une filière nationale. En la matière, je crois en notre fonction de conseil et d'appui au Gouvernement, dans le droit fil du modèle régalien sur lequel a été fondé le commissariat, qui n'est absolument pas démodé.

Comment rendre la France attractive pour les chercheurs ? Trouvons déjà le moyen de rendre le CEA attractif pour les jeunes et les chercheurs. Certains baromètres sont inquiétants ; le CEA a clairement perdu de son attractivité. Le projet que je vous ai présenté doit contribuer à améliorer son image, mais nous devons l'accompagner d'une politique de communication et nous adapter aux jeunes générations, beaucoup plus agiles. Nous devons attirer les jeunes et les meilleurs ingénieurs et chercheurs de demain. L'enjeu est crucial et ce n'est pas gagné…

Avec quel pays peut-on envisager de coopérer dans le domaine de la recherche nucléaire civile ? Il est évident que nous tenons compte des enjeux géostratégiques et de l'état des relations diplomatiques de la France avant d'engager ou de poursuivre des collaborations. Les pays que j'ai mentionnés sont ceux avec lesquels nous avons d'ores et déjà des liens.

Lors de sa visite en Chine, le Président a d'ailleurs évoqué certaines installations. Ce fut également le cas lors de son déplacement en Inde. De même, pourquoi coopère-t-on avec la Russie ? Tout simplement parce que le secteur nucléaire y reste développé. Ainsi, les Russes ont une expérience en matière de réacteurs à neutrons rapides. En résumé, est-on capable de collaborer dans des conditions qui nous permettent de conserver la maîtrise de notre destin sans entrer en contradiction avec la politique étrangère de la France ? Il me semble que le Commissariat sera, comme il l'a toujours été, un outil au service de la politique de la France.

Monsieur Sommer, je partage votre analyse et n'ai pas la prétention de faire preuve d'originalité. Effectivement, j'avais soutenu ces recherches à la fin des années quatre-vingt-dix. À l'époque, on m'avait fait des promesses qui ne se sont pas concrétisées… Je le vis douloureusement. C'est également valable pour le démantèlement ou pour l'assainissement. Nous devons désormais dépasser les difficultés et certaines pesanteurs, en trouvant de nouveaux angles d'attaque. C'était le sens de ma réponse concernant le démantèlement. Projet par projet, filière par filière, il nous faut trouver l'outil le plus percutant : entreprise commune, filiale, projet national, expérimentations locales.

Afin d'être efficaces, il nous faut non seulement analyser la technologie, mais le contexte dans lequel elle peut se déployer. Nous ne pouvons plus bâtir de réponse unique. Vous avez raison, certaines recherches n'ont pas porté leurs fruits ; il faut les reprendre à nouveaux frais.

Vous m'avez par ailleurs interrogé sur le financement des énergies renouvelables. Je vais m'autoriser à vous répondre avec une de mes anciennes casquettes, car j'ai sévi dans ce secteur comme directeur de la demande et des marchés énergétiques ; j'étais alors en charge des arrêtés tarifaires de rachat de l'électricité. Je ne suis pas sûr que ce soit un problème de tarif ou de sous-investissement. Les tarifs édictés étaient relativement confortables. Mais l'articulation de ces tarifs avec une véritable politique industrielle a toujours été beaucoup plus problématique – le solaire en est un assez bon exemple. Il nous incombe désormais de faire en sorte que la politique de soutien aux énergies renouvelables devienne une chance pour le développement de l'industrie et de l'emploi en France.

S'agissant des réacteurs de quatrième génération, je vais vous répondre par un truisme : il n'y aura pas de quatrième génération sans troisième génération… Il faut réussir la troisième génération avant de pouvoir réussir la quatrième. Cela rejoint ma précédente réponse sur la maîtrise du temps et l'organisation des calendriers.

La quatrième génération appelle par ailleurs la maîtrise d'un certain nombre de briques technologiques, dont nous disposons en partie. S'il doit y avoir coopération internationale en la matière, elle doit probablement inclure un certain nombre de ces briques de base. Sans que personne ne renie son indépendance, cela permettra à chacun d'acquérir de nouveaux éléments pour, ensuite, les ré-assembler.

Avant de répondre précisément sur le calendrier et le financement, j'aimerais préalablement en discuter avec les équipes. J'ai un point de vue, mais peut-être n'est-ce pas le bon.

Monsieur Potterie, vous le savez, les débats sur les réacteurs à sels fondus existent depuis les années soixante. C'est une technologie extrêmement séduisante – notamment en termes de recyclage complet et de fermeture du site – mais aussi extrêmement complexe – compte tenu des matériaux déployés, de leur tenue et des problèmes de corrosion. Mon opinion, modeste, liée à mon expérience dans le secteur des déchets, sera probablement à confronter avec celle des équipes. Cette technologie a été évoquée, puis laissée de côté. On y revient aujourd'hui. Certes, nous disposons de retours d'expérience sur la filière du sodium – avec Phénix et Superphénix. Mais la réflexion sur la quatrième génération doit être globale : il est toujours utile de disposer du panorama de l'ensemble des technologies et des options ouvertes avant de prendre des décisions. Je ne suis pas sûr que les réacteurs au thorium ou à sels fondus soient pour demain, mais il faut les intégrer dans le paysage.

Je terminerai par là où j'ai commencé : né en octobre 1945, le CEA peut paraître une vieille dame mais il a toute sa place dans un monde qui se transforme. Mon ambition est de l'accompagner afin qu'ildevienne un outil d'appui aux politiques publiques et réponde efficacement aux attentes du présent. La très grande qualité de tous les personnels du CEA me rend optimiste : nous y parviendrons en étant solidaires, au sein d'un CEA unique mais décloisonné, où les directions travaillent entre elles et dans une parfaite solidarité de l'ensemble de l'équipe de direction.

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