Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Merci pour toutes ces questions qui vont me permettre d'approfondir beaucoup des points que j'ai évoqués.

Le plan d'investissement compétences s'adresse en effet aux jeunes NEET (Neither in Employment nor in Education or Training), c'est-à-dire qui ne sont ni en emploi ni en formation, ainsi qu'aux demandeurs d'emploi, notamment aux plus éloignés de la qualification et de l'emploi.

Nous avons finalisé des accords avec onze des treize régions métropolitaines, seules PACA et Auvergne- Rhône-Alpes, n'ayant pas souhaité pour l'instant s'associer à cette démarche – nous espérons qu'elles reconsidèreront leur position. Dans toutes les autres régions, cela a débouché sur des démarches très intéressantes, car la programmation stratégique à cinq ans permet de planifier une montée en puissance des dispositifs – j'ai pu le vérifier très récemment dans les Hauts-de France où ont été lancées des formations aux métiers du numérique.

Nous sommes tous d'accord pour dire que les travailleurs des plateformes sont dans une situation particulière. La Cour de cassation a reconnu récemment qu'ils sont bien des travailleurs indépendants et qu'ils n'ont donc pas à faire l'objet d'une requalification, bien que, dans le même temps, leur activité dépende d'un ou de plusieurs donneurs d'ordre. Nous réfléchissons dans ces conditions au type de protection qui leur serait le mieux adapté, et j'espère que nous aurons suffisamment avancé pour que je puisse vous en reparler au moment de la discussion du projet de loi.

Plusieurs questions m'ont été posées sur l'assurance chômage. En ce qui concerne les contrats courts et la lutte contre la précarité, il faut savoir que, si le taux de contrats à durée indéterminée (CDI) est en France de 85 %, les 15 % restants étant des emplois précaires, les contrats à durée déterminée (CDD) ou l'intérim constituent néanmoins de 80 % du flux d'embauche, même si les chiffres sont en amélioration puisque, pour la première fois depuis dix ans, l'embauche en CDI a augmenté de 14 % au dernier trimestre de l'année dernière, ce qui témoigne d'un retour de confiance dans l'avenir.

Interpellés au sujet de la précarité dans le document d'orientation, les partenaires sociaux ont demandé à pouvoir négocier jusqu'à la fin de l'année, dans le cadre de leurs compétences en matière d'assurance chômage, pour revoir éventuellement les modalités de recours au CDI, au CDD et à l'intérim en fonction des branches, l'idée étant que si, au sein d'une même branche, des entreprises d'envergure comparables recourent massivement au CDD et d'autres beaucoup moins, le principe de mutualisation pénalise ces dernières. Si les partenaires sociaux ne parvenaient pas à se mettre d'accord, l'État a prévu d'intervenir, mais nous laissons pour l'heure le temps à la négociation.

Le principe de la compensation des cotisations chômage sera inscrit dans le projet de loi de façon à être pérennisé, puisque l'État en a ainsi décidé. Le gain de pouvoir d'achat pour les salariés constitue évidemment une perte pour l'assurance chômage, laquelle sera compensée par l'impôt et la CSG.

J'ai également été interrogée sur le contrôle des chômeurs. Avant qu'il en soit question, il me semble que nos efforts doivent prioritairement porter sur leur accompagnement précoce.

Dans les pays qui luttent efficacement contre le chômage de masse, des propositions sont très rapidement faites aux demandeurs d'emploi, qu'il s'agisse de formations de reconversion ou de bilans de compétences. Aujourd'hui, nos dispositifs le permettent d'autant moins qu'une part importante du temps partagé entre un conseiller et un demandeur d'emploi est consacrée à la mise à jour des informations concernant ce dernier, au détriment du conseil. Nous allons donc expérimenter dans quelques régions un journal de bord, qui serait rempli par le demandeur d'emploi, ce qui dégagerait du temps de dialogue pour la recherche de solutions personnalisées. Tous les demandeurs d'emploi n'ont en effet pas les mêmes attentes : certains ont besoin d'affiner leur projet professionnel, d'autres doivent envisager une reconversion, d'autres encore ont besoin de se former aux entretiens d'embauche ou qu'on les aide à régler certains problèmes périphériques.

Il faut d'autre part que la logique des contrôles soit revue pour être mieux adaptée à la réalité. Pôle emploi a réalisé ces deux dernières années des contrôles aléatoires sur 230 000 demandeurs d'emploi : 66 % des chômeurs contrôlés recherchaient très activement un emploi, tandis que 20 % s'étaient découragés, après de multiples démarches qui n'avaient rien donné. Le contrôle, en l'occurrence, a permis de les repérer et de les remobiliser. Il ne faut donc pas voir le contrôle comme le préambule à une sanction, mais comme une occasion de faire le point, ce qui peut être fort utile.

Quant aux 14 % restants, il s'agit de personnes qui ne sont pas en recherche active d'emploi, sans que cela soit justifié par des difficultés particulières. Certaines étaient indemnisées, par l'UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce) ou le RSA (revenu de solidarité active), d'autres ne l'étaient pas mais pouvaient utiliser les services de Pôle emploi, ce qui représente un coût. Or, à Pôle emploi comme ailleurs, que ce soit aux Urssaf ou dans les services fiscaux, dès lors que l'on a affaire à des financements publics mutualisés, il n'y a aucune raison qu'une petite minorité qui ne respecte pas les règles continue à bénéficier d'un service payé par la collectivité – et je suis d'accord avec vous, monsieur Quattenens, il ne s'agit que d'une petite minorité.

Nous n'avons évidemment jamais envisagé le contrôle comme une solution au chômage de masse : une bonne stratégie axée sur les compétences est beaucoup plus importante. Néanmoins, tout système a ses droits et ses devoirs.

Cela étant, nous devons revoir l'échelle des sanctions, en vertu de laquelle vous pouvez être radié pendant deux mois pour ne pas vous être rendu à une convocation de Pôle emploi, mais quinze jours seulement si vous ne faites aucun effort pour trouver un emploi, ce qui manque totalement de logique. De même, il y a aujourd'hui deux décideurs, le préfet et Pôle emploi, ce qui doit être corrigé.

Pour ce qui concerne l'apprentissage, vous avez parlé, monsieur Cherpion, du risque de fracture territoriale : j'ai la conviction que c'est tout le contraire. Aujourd'hui, la fracture territoriale existe bel et bien entre les régions qui ont fait des investissements extrêmement importants et sont très dynamiques en matière d'apprentissage et celles qui n'utilisent que 80 % de leurs dotations, ce qui est leur droit le plus strict puisqu'il s'agit d'une compétence décentralisée et que, si la recette est liée, la dépense, elle, ne l'est pas. Il en résulte une inégalité d'accès à l'apprentissage très importante entre les territoires. De plus, le mécanisme de subventions fait qu'au bout d'un moment la région n'est plus en mesure de financer de nouveaux apprentis. Le principe du coût au contrat va permettre de résoudre ces difficultés partout.

Nous allons également mobiliser les lycées professionnels, car nous sommes persuadés, avec Jean-Michel Blanquer, que l'une des pistes pour relancer l'apprentissage est de multiplier les passerelles entre les deux systèmes, afin de créer à l'échelle régionale de véritables campus des métiers. Non seulement les régions pourront mutualiser les équipements entre lycées et CFA, mais nous souhaitons aussi que chaque lycée professionnel puisse ouvrir une section d'apprentissage, ce qui permettra de développer une offre dans certains endroits qui en sont dépourvus. Beaucoup d'acteurs de l'apprentissage nous ont d'ailleurs fait savoir qu'ils étaient prêts à s'engager plus avant dès lors que le système ne les limiterait plus autant.

Pour en revenir aux compétences des régions, il leur reviendra en premier lieu d'assurer l'orientation ou, plus exactement, l'information sur les métiers. J'appelle ici votre attention sur le fait qu'on ne peut juridiquement conférer aux régions une compétence générale d'orientation, car le terme désigne à la fois l'affectation individuelle des élèves – ce que pas une région ne revendique – et l'information sur les métiers, ce dont il est question ici et qui leur permettra d'organiser, avec les établissements scolaires, des sessions d'information sur les métiers.

Ensuite, la compétence de la région reste pleine et entière en matière d'investissements. La recette qui les finance est dynamique, assise sur une taxe, qui va représenter 200 millions cette année. C'est sans précédent et ces capacités d'investissement vont aller en se renforçant.

Les régions vont par ailleurs se voir attribuer, en plus de l'enveloppe du coût au contrat, une dotation d'aménagement du territoire ciblée sur les zones rurales ou les quartiers prioritaires de la politique de la ville, là où le dispositif du coût au contrat ne couvrirait pas les frais d'un CFA de proximité, important pour le bassin d'emploi mais trop petit pour parvenir à l'équilibre. Nous avons prévu que 20 % des CFA puissent être dotés de ce complément par les régions, sachant par ailleurs que le coût au contrat intègrera un certain nombre de critères que nous aurons à définir avec elles et avec les partenaires sociaux.

Au rang des mesures visant à réduire les inégalités territoriales, j'insiste également sur le fait qu'un appel d'offres sera organisé pour l'installation de conseils en évolution professionnelle. Beaucoup de territoires aujourd'hui n'en sont pas dotés, car ceux qui existent opèrent au sein de Pôle emploi ou des missions locales et sont donc réservés aux demandeurs d'emploi.

La formation en alternance des apprentis devrait être financée selon des modalités qui se rapprochent de celles des contrats de professionnalisation – lesquels connaissent un bel essor – et en reprenant le principe du coût au contrat. Cela permettra de corriger des déséquilibres dont je ne vous donnerai qu'un seul exemple : dans certains CFA la subvention pour la formation d'un cuisinier est de 2 500 euros par apprenti – vous conviendrez qu'il est difficile de dispenser une formation de qualité pour ce prix-là –, tandis qu'elle s'élève ailleurs à quatorze mille euros ! Certains critères objectifs peuvent certes justifier des différences de coûts, mais jamais d'une telle amplitude, et le nouveau système permettra de rétablir l'équité des financements et de les sécuriser.

La rémunération des apprentis va augmenter de 30 euros par mois – soit 360 euros par an – pour tous les jeunes entre quinze et vingt ans ; ils bénéficieront en plus de l'aide au permis de conduire.

Pour les autres, le système actuel est conservé, conformément aux souhaits des partenaires sociaux, soit une combinaison entre un critère d'âge et une dégressivité des aides aux entreprises. Avec une rémunération équivalente, l'apprenti coûte beaucoup moins cher à l'employeur la première année que la deuxième, ce qui se justifie par le fait que, d'une année sur l'autre, il gagne en autonomie et en productivité. Afin d'inciter les entreprises à recruter des jeunes en apprentissage, nous ouvrons une aide unique de 6 000 euros pour toutes les entreprises de moins de cent cinquante salariés, ce qui diminuera leur reste-à-charge sans pénaliser les apprentis en termes de rémunération puisque, jusqu'à vingt ans, ils y gagneront.

Enfin, vous m'avez fait part, Madame Firmin Le Bodo, des inquiétudes de la FNSEA. Il existe, depuis 1923 ou 1930 selon les taxes, des exonérations de taxe d'apprentissage sectorielles. Or, le Conseil constitutionnel considère qu'elles constituent une rupture d'égalité. La suppression de l'exonération n'est donc pas un choix politique mais un impératif juridique. Le projet de loi entend en revanche exonérer de taxe d'apprentissage, toutes les entreprises de moins de onze salariés. Par ailleurs, l'agriculture étant l'un des secteurs le plus investi dans l'apprentissage, il devrait très largement bénéficier du système de péréquation : on estime entre 80 et 100 millions le montant de ses gains après redistribution.

Plusieurs questions m'ont été posées sur la formation. Nous sommes conscients que tous ne seront pas à l'aise avec l'application mobile que nous voulons lancer. C'est la raison pour laquelle nous tenons à ce que le conseil en évolution professionnelle puisse se matérialiser par un échange personnel avec un conseiller, de visu ou par téléphone. Ce conseil ne portera d'ailleurs pas que sur les métiers mais également sur le maniement des outils numériques, le cas échéant.

J'ajoute qu'un volet important du plan d'investissement compétences doit être consacré à l'éducation numérique pour tous, car il est essentiel que tous nos concitoyens puissent utiliser les outils numériques pour ne pas se retrouver socialement handicapés. Il est donc de notre devoir de les former et de les accompagner.

Nous n'avons pas l'intention de gouverner sans corps intermédiaires, dans aucun domaine, mais la conception de la régulation commune doit évoluer.

Quant aux prises en charge des formations, elles alimentent un faux débat dans la mesure où les coûts moyens de formation sont inférieurs à ceux que nous avons prévus dans la réforme. Nous avons prévu 14,28 euros par heure, un tarif supérieur au prix moyen actuellement pratiqué pour les CPF et par l'AFPA – 12 euros –, ainsi que pour les formations des demandeurs d'emploi. Certains OPCA financent à un coût supérieur, me direz-vous. En fait, de nombreux OPCA gonflent les prix et financent à un prix supérieur à celui du marché pour ne pas avoir à restituer des sommes en fin d'année. Ils le reconnaissent eux-mêmes. Nous avons testé toute une série de formations. Avec 800 euros, vous pouvez vous préparer au TOEIC (Test of English for International Communication) ou passer le Certificat d'aptitude à la conduite de chariot en sécurité (CACES), qui est très demandé. Au vu de la liste de formations accessibles, on peut dire que nombre de nos concitoyens auront les moyens de faire la formation de leur choix.

Vous m'interrogez aussi au sujet des salariés des OPCA. Une fois transformés en opérateurs de compétences, ils n'assureront plus la collecte des fonds – où ne réside pas la valeur ajoutée du paritarisme – mais les opérateurs de compétences joueront un rôle majeur dans divers domaines. Ils financeront les CFA, en application des coûts contrats définis au plan national, et les plans de formation des entreprises, sachant que ce système aura une dimension interprofessionnelle. Le financement étant garanti, ce n'est plus un problème.

Le dialogue social et le paritarisme seront nécessaires dans bien d'autres domaines, notamment pour aider les entreprises et les branches à une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Former pour former, cela ne sert à rien, mais nous n'avons pas forcément une vision très claire de ce que deviendront les métiers de tel ou tel secteur dans trois à cinq ans. Certains pays sont plus en avance que nous en la matière, et nous allons améliorer la situation en regroupant des branches. Pour les branches qui ne sont pas très outillées, les opérateurs de compétences deviendront un lieu très important où elles pourront identifier les métiers d'avenir, mettre au point de nouvelles formations, définir des plans d'investissement dans les compétences. Ces lieux seront utiles aux salariés et aux entreprises.

La réforme de l'apprentissage modifie la manière dont les certifications, titres et diplômes sont élaborés et on donne aux partenaires sociaux, au niveau des branches, la responsabilité d'élaborer les référentiels professionnels des diplômes. C'est une grosse révolution pour la France mais c'est très courant dans les autres pays. Le bon sens nous incline à penser que les professionnels sont ceux qui savent le mieux quels sont les métiers d'avenir. Il y aura ensuite un système de validation de ces diplômes. Les opérateurs de compétences pourront venir en aide aux branches les moins bien armées pour élaborer ces référentiels.

Les personnes chargées de la collecte seront certes amenées à changer de métier mais, la réforme s'effectuant par étapes, il sera possible de les aider à évoluer au sein des opérateurs de compétences.

J'en viens à l'AFPA, un très bel outil dont les 170 sites couvrent tout le pays. Cependant, l'AFPA accuse tous les ans un déficit structurel d'environ 100 millions pour un chiffre d'affaires de 800 millions, ce qui nous incite à repenser le modèle. Ce problème traîne depuis trop longtemps. L'AFPA a perdu beaucoup de marchés car, depuis la décentralisation, les régions font moins appel à ses services, ce qui est leur droit. L'AFPA s'est aussi trouvée en concurrence avec des organismes privés sans disposer des mêmes armes. Je ne suis pas sûre que sa mission de service public soit de former des cadres dans des domaines où il existe une offre de formation. Rappelons que lorsqu'elle a été créée, après la guerre, il y avait une faille générale de la formation professionnelle et des besoins immenses dans le pays.

Cette année, nous allons nous attacher à donner à cet organisme une vision, une visibilité et un plan stratégique de long terme. Les salariés et leurs partenaires supportent mal d'avoir à vivre au jour le jour. Nous avons besoin d'une AFPA recentrée sur des missions de service public qui font sens et pour lesquelles elle dispose d'un savoir-faire.

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