Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Aujourd'hui, 6 500 jeunes apprentis bénéficient d'Erasmus Pro. J'en ai rencontré beaucoup lors de diverses remises de prix et j'ai été frappé par leur formidable enthousiasme. Comme les étudiants passés par Erasmus, les apprentis qui ont vécu Erasmus Pro sont plus matures et plus ouverts. Ils ont appris d'autres manières de faire, d'autres manières d'être, et ils sont devenus Européens. Ils comprennent ce qu'est l'Europe parce qu'ils se sont fait des amis partout, et qu'ils ont créé du lien social.

Erasmus Pro est un extraordinaire accélérateur de maturité, d'ouverture, et de savoir-faire. Un certain nombre de freins s'opposent toutefois à son développement, nous aurons l'occasion d'en parler lors de l'examen du projet.

La question de la suspension du contrat de travail est maintenant réglée, mais celle de la reconnaissance des formations se pose toujours. Les étudiants bénéficient de la reconnaissance des diplômes, mais les compétences acquises par l'apprenti qui aura passé six mois à l'étranger ne sont pas prises en compte. Ce sujet fait partie des éléments importants du projet de loi.

Aujourd'hui, Erasmus Pro s'apparente à un stage de découverte pendant deux ou trois semaines. Demain, il sera possible de travailler vraiment dans un autre État membre durant tout un semestre, et le jumelage de CFA permettra une reconnaissance des acquis. Les choses seront donc très différentes, et l'expérience européenne entrera dans le cursus de formation de l'apprenti, contrairement à ce qui se passe actuellement. Cette solution devrait régler une partie des questions qui se posent en cas de passage par l'Allemagne. La meilleure hypothèse étant celle où un jeune disposant d'un contrat en France fait une partie de son apprentissage, pendant six mois ou un an, en Allemagne. Nous saurons valoriser cette expérience. Il restera la question du contrat d'apprentissage effectué uniquement en Allemagne : comment le reconnaître dans notre système ? Qu'en sera-t-il de la réciproque ? Nous pourrons nous intéresser à la question.

Le principe « à travail égal, salaire égal » introduit dans la directive « travailleurs détachés » constitue une grande avancée – les suppléments de salaires seront également pris en compte. Il assurera une meilleure protection des travailleurs, et rendra plus efficace la lutte contre la concurrence déloyale. Le contrôle sera renforcé, et la France est favorable à la création d'une autorité européenne du travail. Si aucun contrôle commun n'est effectué, il sera assez facile de passer entre les mailles du filet, et de créer des sociétés boîtes aux lettres. Certes, j'ai déjà signé huit accords bilatéraux, mais le traitement au niveau européen est préférable.

Ajoutons que le détachement sera limité à douze mois, avec un prolongement de six mois possible par dérogation pour finir un chantier. Nous avons voulu construire un système protecteur, en particulier pour les petites et moyennes entreprises et les salariés. Nous viendrons un jour devant vous pour transposer la directive sur les travailleurs détachés qui constituera un texte très utile.

Deux questions se posent s'agissant de l'orientation.

L'article 10 fait référence à une convention qui fixera les modalités de participation des services et des établissements de l'État au service public régional d'orientation. La région dispose déjà d'une compétence en matière de service public régional d'orientation. Pour répondre à l'une de vos questions, nous n'imaginons pas qu'elle revienne à une autre entité que l'État et la région : l'orientation est bien un service public. Évidemment, cela n'empêche pas de faire intervenir des professionnels pour rencontrer des jeunes et leur expliquer les métiers ; c'est du bon sens. L'organisation reste toutefois entre les mains du service public, sous la houlette de la région, avec les concours des personnels de l'éducation nationale et des établissements.

Les modalités, définies par décret, connaîtront probablement une phase expérimentale qui pourrait durer trois ans. Nous envisageons ce délai avec M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, car certaines régions sont déjà prêtes alors que d'autres le sont beaucoup moins.

Les CIO ne sont pas dans mon champ de compétences, toutefois je peux vous dire qu'il ne s'agit pas de les fermer mais simplement de rapprocher les conseillers d'orientation des élèves. Il est logique de les trouver dans les lycées et les collèges plutôt que dans des lieux séparés. Les évolutions auront, de toute façon, lieu de façon progressive, dans le cadre d'une coopération entre le ministère de l'éducation nationale et les régions, et dans le respect des uns et des autres – en particulier du personnel, bien évidemment.

L'apprentissage des savoir-être est essentiel. On estime que ce problème est à l'origine d'une partie significative des emplois et des formations non pourvus. Le sujet n'est pas franco-français : on le retrouve dans tous les pays. De nombreux jeunes rencontrent cette difficulté, car ils n'ont connu ni les apprentissages collectifs, ni les situations de travail, ni la vie associative, autant d'expériences qui permettent d'apprendre les codes sociaux.

Je ne commenterai pas la réforme présentée par le ministre de l'éducation nationale, mais vous avez constaté que, dès l'école primaire, on ajoute l'apprentissage du respect au triptyque « lire, écrire, compter ». Les choses commencent aussi là.

La question du lien avec les besoins des entreprises et des branches avait fait l'objet d'une longue discussion avec les régions afin qu'elles passent des contrats d'objectifs et de moyens avec les branches. Les régions ont en effet une compétence en matière de développement économique, une compétence renforcée en matière d'information sur les métiers, et une compétence en matière de formation des demandeurs d'emploi. De leur côté, on peut dire que dans le système actuel, les branches et les entreprises sont peu mobilisées s'agissant de l'apprentissage. Or l'apprentissage ne sera jamais une réussite, quel que soit le pays concerné, si on laisse le service public s'en préoccuper seul, qu'il s'agisse de l'État ou des régions. Il faut mobiliser les partenaires sociaux et les entreprises qui sont prêtes à agir, et il faut qu'ils puissent se parler, en particulier s'agissant des investissements.

Certaines branches sont prêtes à abonder les investissements des régions, il faut qu'un cadre commun le leur permette. Le contrat de plan État-région doit permettre de discuter d'un sujet qui concerne l'éducation nationale, les régions, les branches, et les professions. Il faut aussi qu'il puisse y avoir des contrats d'objectifs et de moyens des régions avec les opérateurs de compétences pour le compte des branches.

Toute cette articulation territoriale est très importante. Les quatre schémas régionaux concernant ces sujets pourraient être fusionnés afin que les partenaires disposent d'un « tout en un », et qu'ils puissent décider, dans une logique d'aménagement du territoire, où il faut investir, dans quel secteur, ce que va faire la branche, ce que fait la région…

Je connais bien le secteur territorial, et je suis assez confiante. Aujourd'hui s'expriment des positions de principe, mais, dans l'action, la très grande majorité des acteurs de terrain n'auront qu'une idée : aider nos jeunes et nos entreprises. Je suis confiante : nous y arriverons.

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