Intervention de Clémentine Autain

Réunion du mercredi 9 mai 2018 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Ce texte était attendu : des mots positifs avaient été prononcés, notamment par vous, madame la secrétaire d'État, au moment du formidable mouvement de libération de la parole qu'a constitué la campagne #MeToo. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que la montagne a finalement accouché d'une toute petite souris. Au-delà des mots, il y avait une attente de moyens et d'une loi qui permette de répondre aux besoins des victimes. Or ce texte ne répond pas aux besoins des victimes.

De notre point de vue, il aurait fallu une loi-cadre, c'est-à-dire un texte doté de moyens permettant aux pouvoirs publics d'accompagner le mouvement, de prendre le problème à bras-le-corps pour que les victimes puissent être accompagnées et obtenir justice.

Les quatre articles tendent à accroître les sanctions. C'est peut-être bienvenu, mais le problème majeur reste que la loi – qui, au fond, est déjà assez sévère – n'est pas appliquée. Pourquoi n'est-elle pas appliquée ? Moins de 9 % des victimes portent plainte, seulement 1 % des viols débouchent sur une condamnation, 70 % des plaintes sont classées sans suite, 80 % des procédures sont mal vécues par les victimes. À cet égard, les fameux cinq cents témoignages recensés il y a peu sur l'accueil dans les commissariats font franchement froid dans le dos : les conditions actuelles de recueil de la parole des femmes dans les commissariats et ensuite devant la justice ne sont pas correctes. Rappelons que 60 % des plaintes sont refusées ou découragées, particulièrement les plaintes pour violences conjugales. Vous avez vous aussi recueilli des témoignages de femmes dans vos circonscriptions : c'est vraiment à pleurer. Nous avons un réel problème de formation. Il faut déjà passer ces premières étapes avant de passer au niveau supérieur.

Il s'agit donc de prendre la mesure des besoins et de situer correctement le problème. Pour ma part, je trouve l'exposé des motifs de ce texte assez indigent : il ne prend absolument pas la mesure de l'ampleur sociale, historique et politique du viol. Les violences sexistes et sexuelles n'arrivent pas de nulle part ; elles s'inscrivent dans un processus de rapports de domination. Elles constituent l'acte ultime, sorte de point d'orgue de la domination masculine sur l'ensemble de la société. C'est pourquoi je suis étonnée, madame la secrétaire d'État, que vous ayez laissé passer, par exemple, le terme d'« abus sexuel ». Je crois que nous en sommes arrivés à une étape supérieure. Dans l'exposé des motifs d'un texte sur les violences sexuelles, on peut estimer que l'on n'abuse pas, mais que l'on agresse. Les mots sont très importants, y compris pour la reconstruction des femmes victimes.

Nous voulions une loi-cadre pour prendre le problème à la racine, comme l'ont fait les Espagnols en 2004. L'éducation contre les stéréotypes sexistes doit être prise en charge par les pouvoirs publics dès la prime enfance. Il faut aussi tenir compte des inégalités professionnelles et de la précarité qui affectent les femmes. Si l'on veut lutter contre le harcèlement sexuel, qui se passe souvent au travail, il ne faut peut-être pas supprimer les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) : on sait que c'est un des premiers endroits où les femmes peuvent s'exprimer. Des sujets comme la traite des êtres humains, les mariages forcés et les mutilations sexuelles sont totalement absents de ce texte.

Que dire des espaces médiatiques et de la publicité ? Les énonciations sexistes, banalisées au quotidien, participent à l'intériorisation des rôles – féminin passif, masculin actif –, le corps des femmes étant considéré comme un objet. De tout cela, votre texte n'en parle pas, ce qui ne permet pas d'agir sur le point majeur : la prévention des violences sexistes et sexuelles.

J'ai parlé de l'amont, venons-en maintenant à l'aval. Je suis très étonnée qu'il n'y ait strictement rien sur le traitement des violeurs. Une fois que les violeurs sont en prison, peut-on enfin s'intéresser à la façon dont ils sont traités ? Je ne dis pas que c'est simple, mais nous devrions au moins chercher des méthodes parce que de nombreux hommes restent des violeurs après être passés par la prison. Il faut mettre le paquet sur le traitement des violeurs.

Si j'ai parlé d'une loi-cadre, c'est parce que la question des moyens est vitale. S'il n'y a pas de moyens, je ne vois pas comment on accompagne les femmes victimes. Il faut des moyens pour former la police et la justice, mais aussi pour les associations qui travaillent sur ce terrain. Au moment du mouvement #MeToo, la permanence téléphonique de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a tout simplement explosé… C'est une excellente nouvelle, mais si les associations ne peuvent plus répondre au téléphone par manque de personnel, les pouvoirs publics passent à côté de leur mission qui est d'apporter des réponses concrètes à cette libération de la parole.

Comparons les moyens consacrés à ces questions par la France et l'Espagne, pays dont les budgets publics ne sont pas particulièrement plus fringants que les nôtres. En Espagne, on consacre 0,54 euro par habitant à la lutte contre les violences faites aux femmes, contre 0,33 euro en France. Vous avez dit que vous allez mettre 4 millions d'euros plus un million d'euros sur la table. Malgré tout, je ne vois pas bien comment va augmenter la part consacrée à cette lutte. Vos moyens, madame la secrétaire d'État, représentent 0,0066 % du budget de la France… On devrait pouvoir faire mieux pour une grande cause nationale.

Je conclus très brièvement sur les quatre articles du projet de loi. Nous approuvons certaines mesures comme l'extension du délai pour le dépôt de plainte. Mais certains manques – notamment en matière de vocabulaire – nous paraissent assez graves : le consentement doit entrer dans le droit et l'outrage devrait être qualifié d'agissement. Enfin, nous sommes préoccupés par le déclassement juridique du harcèlement ou la correctionnalisation accrue du viol. Le harcèlement et le viol sont des crimes qui doivent être jugés devant les assises.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.