Intervention de Philippe Berta

Réunion du mercredi 9 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Berta, rapporteur :

La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a modifié en profondeur la politique en faveur des personnes en situation de handicap. La principale avancée de cette loi réside dans la reconnaissance d'un droit à la compensation par la solidarité nationale des conséquences du handicap, sous la forme d'une prestation de compensation du handicap (PCH). Cette prestation individualisée, attribuée quasiment sans condition de ressources, a permis la prise en charge des surcoûts de toute nature liés au handicap.

Toutefois, force est de constater, plus de treize ans après la promulgation de la loi de 2005, que son objectif initial n'a pas été totalement atteint. En effet, les associations de soutien aux personnes handicapées que j'ai auditionnées m'ont fait part de nombreuses difficultés, liées notamment à l'exclusion de certaines personnes handicapées âgées du bénéfice de la PCH en raison du maintien des barrières d'âge à 60 et 75 ans, à l'existence de restes à charge trop élevés, à l'exclusion de l'aide à domicile du champ de la PCH, à l'inadaptation de la prestation de compensation pour les enfants, aux insuffisances de l'aide à la parentalité des personnes en situation de handicap ou encore à la longueur des délais de traitement des dossiers par les maisons départementales des personnes handicapées (MPDH). Les défis sont donc nombreux et les attentes très fortes.

C'est pourquoi j'ai décidé, avec mes collègues du groupe Mouvement démocrate et apparentés, de profiter de la journée réservée à notre groupe pour présenter une proposition de loi visant à améliorer le droit à la compensation des personnes en situation de handicap. Il s'agit de combler certaines des lacunes de la loi de 2005 grâce à deux mesures. La première consiste à supprimer la barrière d'âge de 75 ans, au-delà de laquelle il n'est aujourd'hui plus possible de solliciter la PCH, quand bien même l'intéressé était en situation de handicap avant l'âge de 60 ans. La seconde mesure vise à lancer une expérimentation destinée à préciser le fonctionnement des fonds départementaux de compensation du handicap (FDC) afin de limiter le reste à charge des bénéficiaires de la PCH.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la politique menée par la majorité, qui a fait du handicap l'une des priorités du quinquennat.

En effet, les objectifs du Gouvernement, annoncés le 20 septembre dernier par le Premier ministre, Édouard Philippe, lors du premier comité interministériel du handicap, sont ambitieux. La revalorisation de l'allocation aux adultes handicapées (AAH), qui sera progressivement portée à 900 euros d'ici à novembre 2019, la modernisation des outils de traitement des demandes des MDPH ou l'amélioration de l'accès aux droits des personnes en situation de handicap dans les territoires les plus vulnérables font ainsi partie des mesures d'ores et déjà engagées par la majorité.

Surtout, je tiens à saluer l'annonce par le Président de la République, lors de son interview télévisée du 15 avril dernier, d'une réforme ambitieuse du financement de la dépendance, dont je me réjouis qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour des réformes du Gouvernement.

Avant même le lancement de ce grand chantier, la proposition de loi que je vous présente vise à remédier à deux problèmes : celui des barrières d'âge pour bénéficier de la PCH, d'une part, et celui du reste à charge, d'autre part. Dans les deux cas, en effet, la loi de 2005 n'a pas tenu toutes ses promesses.

L'article 1er vise à supprimer la limite d'âge, actuellement fixée à 75 ans, au-delà de laquelle il n'est plus possible de demander la PCH. En effet, si la limite d'âge pour solliciter cette prestation est fixée à 60 ans, les personnes dont le handicap, apparu avant qu'elles aient atteint 60 ans, correspond aux critères d'attribution de la PCH peuvent également demander à bénéficier de cette prestation, sous réserve d'en solliciter le bénéfice avant l'âge de 75 ans. Or, cette limite d'âge est particulièrement injuste car elle pénalise ceux qui n'ont pas jugé utile de demander la PCH avant 75 ans mais qui, passé cet âge, rencontrent des difficultés en raison d'un changement survenu dans leur environnement. Par exemple, une personne en situation de handicap peut n'avoir jamais demandé à bénéficier de la PCH parce qu'un proche lui apportait toute l'aide humaine dont elle avait besoin au quotidien. Mais, le jour où ce proche, parce qu'il vieillit ou décède, n'est plus en mesure de subvenir à ses besoins, la personne handicapée se trouve, au-delà de 75 ans, dans l'impossibilité de demander à bénéficier de la prestation, alors même que son handicap s'est déclaré avant l'âge de 60 ans.

Aussi, la suppression de la barrière d'âge de 75 ans pour solliciter le bénéfice de la PCH apparaît comme une mesure de bon sens qui répond à un objectif d'équité. Elle permet en effet de prendre en compte les changements intervenus dans l'environnement des personnes en situation de handicap après 75 ans et l'allongement de leur espérance de vie, qui est une réalité. Si elle était adoptée, cette mesure permettrait d'améliorer le droit à la compensation d'environ 8 600 personnes handicapées vieillissantes, pour un coût évalué par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) à environ 69 millions d'euros par an.

Bien entendu, cette mesure incite à s'interroger sur la pertinence de l'autre limite d'âge, fixée à 60 ans, compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie et du recul de l'âge minimum du départ à la retraite de 60 à 62 ans. À titre personnel, je pense qu'il nous faudra ouvrir le débat sur sa suppression. Mais il serait prématuré de trancher cette question aujourd'hui, car nous ne disposons pas d'une évaluation financière fiable et nous risquerions d'anticiper sur le débat sur le financement de la dépendance.

L'article 2 traite, quant à lui, de la question des restes à charge des personnes en situation de handicap. Il s'agit de sortir d'une impasse juridique liée aux imprécisions de la loi de 2005 sur le fonctionnement des FDC, Ces derniers sont chargés d'attribuer des aides financières extralégales aux personnes en situation de handicap afin de leur permettre de faire face aux frais de compensation restant éventuellement à leur charge après l'intervention de la PCH. Or, dès l'origine, leur fonctionnement a été fragilisé par deux logiques contradictoires. D'un côté, l'abondement des fonds repose sur des financements facultatifs ; ils peuvent ainsi être financés par différents acteurs – départements, État, régions, organismes d'assurance maladie, caisses d'allocations familiales, notamment – sans que la participation de ces différents financeurs soit obligatoire. De l'autre, la loi impose que les frais de compensation restant à la charge du bénéficiaire de la PCH n'excèdent pas 10 % de ses ressources personnelles nettes d'impôts, dans des conditions définies par décret.

Cette obligation juridique doit ainsi être satisfaite par le recours à des fonds financés de manière facultative. La contradiction inhérente à cet article a empêché la publication du décret d'application, et donc l'entrée en vigueur effective de cette disposition relative au reste à charge. En attendant, l'installation des fonds de compensation s'est faite, faute de décret, de manière totalement hétérogène sur le territoire, de sorte que l'on observe de fortes inégalités, qui ne sont pas acceptables, entre les départements. Ainsi, une enquête de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) menée en 2016 révèle que si, en 2015, les fonds ont permis de financer, en moyenne, 134 interventions, les écarts entre les départements sont très importants : un fonds n'a financé aucune intervention – pour 17 demandes examinées – alors qu'un autre fonds en a financé 468.

Les aides techniques représentent en moyenne un peu plus de la moitié des dépenses des fonds mais, là encore, il existe d'importantes différences entre les départements puisqu'elles représentent entre 0 % et 85 % des dépenses selon les fonds. Par ailleurs, un tiers des départements apportent une aide pour tous les éléments de la PCH alors que deux tiers d'entre eux limitent l'aide à certains de ses éléments, le plus souvent les aides techniques ou l'aménagement du logement ou du véhicule.

Par ailleurs, si, dans la quasi-totalité des MDPH, le niveau de ressources de la personne est pris en compte afin de déterminer le montant qui lui sera accordé, les modalités de son calcul varient selon les fonds. Il en va de même pour le niveau du reste à charge. L'enquête de la CNSA montre que celui-ci, après intervention des fonds de compensation, s'élève en moyenne à 16 %. Le taux maximal de 10 % fixé par l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles n'est donc pas applicable et n'est pas appliqué.

Dès lors, l'article 2 de la proposition de loi a deux objectifs : réduire les inégalités de prise en charge entre les départements et permettre que soit enfin appliquée la disposition législative qui prévoit que, pour les bénéficiaires de la PCH, le reste à charge ne doit pas excéder 10 % de leurs ressources. Je précise à cet égard qu'en février 2016 le Conseil d'État a condamné l'État pour non-respect du délai raisonnable entre la publication de la loi et celle du décret d'application. Il est donc plus que jamais nécessaire de sortir de cette impasse juridique.

L'article 2 prévoit ainsi qu'une expérimentation sera menée pour une durée de trois ans dans des départements volontaires, afin d'étudier les conditions de faisabilité d'un dispositif garantissant un niveau de reste à charge équivalent au maximum à 10 % des ressources des bénéficiaires de la PCH. Il est prévu que, dans les départements menant l'expérimentation, les frais de compensation restant à la charge du bénéficiaire de la PCH, qui ne peuvent excéder 10 % de ses ressources, soient pris en charge par le fonds de compensation, dans la limite de ses financements. Cette aide du fonds serait accordée sous condition de ressources, un plafond de ressources devant être fixé par voie réglementaire.

À l'issue de l'expérimentation et après une évaluation de ses résultats, la généralisation du dispositif retenu, qui reposera sur des critères de prise en charge précis et homogènes, permettra de rendre enfin effective la limitation du reste à charge des bénéficiaires de la PCH et d'harmoniser le fonctionnement des fonds.

Pour conclure, la proposition de loi permet d'améliorer le droit à compensation des personnes en situation de handicap. Certes, elle ne règle pas tous les problèmes auxquels sont confrontées ces personnes pour faire reconnaître leurs droits, mais il s'agit d'une première avancée. Les deux mesures que je vous ai présentées ne sont pas négligeables pour ceux qui en bénéficieront ; elles ont d'ailleurs été unanimement saluées par les personnes que j'ai auditionnées, en particulier par les associations de soutien aux personnes en situation de handicap. En tout état de cause, je me réjouis que ma proposition de loi permette d'ouvrir le débat sur le droit à la compensation, qui se poursuivra dans le cadre de la réforme du financement de la dépendance annoncée par le Président de la République. En attendant cette grande réforme, je vous invite à adopter le texte que je viens de vous présenter.

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