Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du mardi 25 juillet 2017 à 14h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que le CSA rédige tous les ans un rapport d'activité que son président vient présenter à votre commission.

Le CSA est souvent « sollicité », avez-vous dit, monsieur le président. Il s'agit à mon sens d'une évolution positive. Le nombre de personnes qui font appel à nous pour se plaindre ou pour obtenir des informations augmente de façon quasiment exponentielle. J'y vois le signe que le CSA est de plus en plus vivant dans la conscience publique.

L'éducation aux médias constitue une thématique centrale pour le CSA comme pour votre commission, car cette question se trouve au croisement de plusieurs des sujets dont vous vous saisissez. Il m'arrive d'affirmer que le Conseil supérieur de l'audiovisuel est le prolongement de l'école par d'autres moyens. Notre mission nous amène sur des terrains où l'école n'est parfois pas allée : nous devons veiller à ce que tous ceux qui la fréquentent encore ou qui l'ont fréquentée se familiarisent avec les techniques audiovisuelles, mais aussi avec des messages que la loi prescrit de diffuser dans notre société.

Dès ma nomination au CSA, j'ai créé un groupe de travail consacré à l'éducation aux médias et par les médias. Les jeunes gens prouvent leur « agilité » dans l'utilisation des nombreux appareils dont ils disposent, mais ils n'ont sans doute pas une connaissance aussi poussée des richesses potentielles offertes pour effectuer un travail de fond ni des nécessités d'ordonner, de hiérarchiser et de structurer les informations.

Cette initiative a été prolongée par la modernisation du site internet du CSA dont la rénovation devrait être complète d'ici à six mois – nous venons de choisir un nouveau prestataire par appel d'offres. Notre site spécifique, « Clés de l'audiovisuel » explique le fonctionnement des médias et permet à l'internaute de faire des expériences pratiques. Le CSA a accueilli les étudiants du Studio École de France (Studec) dans ses locaux ; il participe tous les ans à la semaine de la presse et des médias dans l'école, organisée par le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI), et il reçoit les classes des établissements scolaires qui le souhaitent.

La loi de 1986 a investi le CSA de multiples missions relatives à l'éducation du citoyen. En la matière, notre champ d'action va bien au-delà des problèmes juridiques et politiques. L'éducation au respect de la dignité de la personne humaine, à l'écologie ou à la santé en font ainsi partie. N'oublions pas que ce qui est diffusé à la radio et à la télévision constitue un exemple donné aux jeunes qui fréquentent encore l'école ! C'est la raison pour laquelle nous sommes particulièrement attentifs aux modèles critiquables qui portent atteinte à l'égalité entre les femmes et les hommes ou au respect de la dignité de leurs rapports mutuels. La télévision est un exemple pour les jeunes, mais malheureusement, ces derniers ne bénéficient pas toujours des commentaires que les professionnels éclairés que sont les éducateurs pourraient leur dispenser.

Avant même d'être nommé, j'avais souhaité que la question européenne constitue l'un des trois thèmes prioritaires de l'action du CSA. J'ai contribué aussi activement que possible à la création du groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA). Le rapprochement des points de vue entre les régulateurs ne va pas de soi, car ces derniers se divisent en diverses catégories et leurs inclinations peuvent être diverses.

Certains régulateurs restent très proches des gouvernements de leur pays, et on peut dire, sans aucune tonalité critique, que leur indépendance est davantage proclamée qu'effective – c'est par exemple le cas du Danemark. D'autres préfèrent que l'intervention publique reste la plus légère possible dans le respect d'une approche libérale, comme c'est le cas dans les autres pays nordiques ou en Grande-Bretagne. En tête de cette catégorie, on trouve également trois pays où de nombreux opérateurs vont chercher un « refuge fiscal » : l'Irlande, le Luxembourg, et les Pays-Bas. Je constate que la présidence néerlandaise de l'ERGA n'a pas la même conception de l'institution que celle qui pouvait être la mienne à l'époque où je présidais cette institution.

La structure des régulateurs est également hétérogène. Certains sont « intégrés », ce qui signifie que leur compétence s'étend à l'ensemble des communications électroniques. De fait, ils s'intéressent souvent davantage aux réseaux qu'aux opérateurs et aux services. Par exemple, seulement un dixième des personnels de l'Office of Communications (Ofcom) britannique, qui est, mis à part nous-mêmes, la plus ancienne des institutions de régulation de l'Union, se consacre aux programmes et aux questions de culture et d'éducation. L'Ofcom traite essentiellement des problèmes de réseau, et des relations financières et techniques avec les opérateurs. L'autorité espagnole, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (CNMC), est également « intégrée » – elle exerce même les compétences de notre Autorité de la concurrence – tout comme l'autorité italienne.

Ce partage ne recouvre pas les inclinations des uns et des autres. Les grands régulateurs de l'Europe du Sud sont plus proches de la ligne française, attachée au respect d'une certaine diversité culturelle, que les pays de l'Europe du Nord. Souhaitant assurer prochainement la responsabilité du réseau des instances de régulation méditerranéennes (RIRM), qui réunit les régulateurs des deux rives de la Méditerranée, j'ai le souci de conserver un contact permanent avec ceux de l'Europe du Sud. J'espère que ces derniers seront représentés à la présidence de l'ERGA en 2018, année durant laquelle devrait s'appliquer la nouvelle directive européenne Services de médias audiovisuels. Il est en effet plausible que ce texte soit adopté en décembre 2017.

J'attache une très grande importance au rôle du CSA en termes de réseau et d'influence culturelle et économique. Je pense en particulier à l'importance du réseau francophone au moment où la télévision numérique s'installe sur le continent africain, alors que la concurrence fait rage entre différents opérateurs.

Bien que la présentation du rapport annuel d'activité du CSA par son président constitue un rendez-vous régulier organisé par la loi, elle a lieu aujourd'hui dans un contexte un peu particulier.

La loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, votées à l'initiative du sénateur Jacques Mézard, vise à faire respecter les mêmes règles par toutes ces institutions. Son adoption explique que le rapport relatif à l'année 2016 ne soit sorti qu'au mois de juin alors qu'il était habituellement transmis au mois de mars. Nous nous efforcerons de le publier plus tôt l'année prochaine – la loi précise seulement qu'il doit être transmis avant le 1er juin.

Ce rapport est publié alors que commence une nouvelle législature. L'évolution du monde de la communication audiovisuelle appelle à mon sens des novations législatives s'agissant de nos modes de régulation – la loi fondatrice en la matière date de 1986, même si elle a été modifiée quatre-vingt-trois fois depuis cette date. Ces derniers ne sont pas réellement adaptés aux nouveaux modes d'action des opérateurs traditionnels ni à ceux des nouveaux opérateurs qui viennent souvent d'outre-Atlantique.

La précédente législature a essentiellement été marquée par la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public. Quatorze autres lois relatives à l'audiovisuel ont été votées depuis cette date, mais elles concernaient souvent des aspects ponctuels. Aucune n'a abordé, comme il le faudrait, la question fondamentale de ce que doit être une régulation adaptée à l'ère numérique. Des jalons ont été posés, par exemple avec la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. Des textes se sont aussi saisis de questions de fond comme l'égalité des femmes et des hommes, l'égalité de citoyenneté et la diversité, ou le développement de la communication audiovisuelle outre-mer. Cependant, si l'activité législative a été soutenue pour le secteur de l'audiovisuel, elle est finalement restée en périphérie de la loi fondatrice qui régit le régulateur. La grande loi audiovisuelle dont on nous a fréquemment parlé durant la précédente législature n'a finalement jamais vu le jour. En raison des contraintes propres à l'agenda législatif, il me semble d'ailleurs très difficile de faire passer au cours d'une même législature deux grandes lois sur l'audiovisuel.

Les observations précédentes ne doivent pas conduire à sous-estimer l'acquis des quatre années passées. La loi de novembre 2013 a fait évoluer les prérogatives de l'institution, et elle a ramené le nombre des membres du CSA à sept. Cette autorité voit aujourd'hui son impartialité et son indépendance reconnues. On peut parler d'un lien particulier de confiance.

Il y a d'abord la confiance que le législateur a bien voulu manifester envers le CSA en se préoccupant toujours, lorsque des problèmes se sont posés, des modalités d'application au domaine de la communication audiovisuelle.

Il y a ensuite la confiance dont font preuve tous ceux qui alertent le CSA sur les anomalies et les progrès qui restent à mettre en oeuvre. Le CSA devient ainsi, de façon de plus en plus fréquente, une instance d'appel et de référence. La fréquentation du site internet de l'institution aura augmenté de 40 % entre 2015 et 2016, et le nombre de pages consultées de près de 80 %. En un an, le nombre des abonnés à notre page Facebook a crû de 50 %, et celui des personnes qui suivent notre compte Twitter a doublé. Durant la même période, le nombre de questions posées au CSA a augmenté de 300 % pour atteindre plus de 38 000 messages de tous formats et sur tous les objets. Ce nombre a déjà doublé pour le seul premier semestre 2017 ! Cette évolution qui semble s'accélérer constitue pour nous un puissant encouragement.

Enfin, deux autres éléments illustrent la confiance inspirée par le CSA.

S'agissant de la sauvegarde du pluralisme politique, nos données ont été rendues publiques et très fréquemment utilisées – à un rythme mensuel, puis hebdomadaire, et finalement quotidien durant les campagnes électorales. Elles constituent désormais des références naturelles, et il est notable qu'aucune personnalité politique n'ait mis en cause notre impartialité. Nous avons aussi fait preuve de réactivité en fournissant des informations dans un délai toujours inférieur à une semaine.

La confiance s'est également manifestée à l'égard de notre action dans le contexte hélas tragique de la couverture médiatique des attentats qui frappent la France depuis 2015. À l'invitation du législateur, nous avons établi un guide des bonnes pratiques en la matière à l'issue d'un large dialogue avec les parlementaires, les médias et le Procureur de la République de Paris, M. François Molins. Ce document, intitulé Précautions relatives à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes, n'a soulevé aucune objection de la part des rédactions concernées. Les premières mesures que nous avions prises avaient suscité des réactions sans doute un peu épidermiques – à une exception près tous les recours devant le Conseil d'État ont donné lieu à des désistements. Certains ont relevé que l'amélioration de la couverture de tels événements était sans doute due, notamment, à notre intervention, et au dialogue maintenu au-delà d'éventuels avertissements ou sanctions.

Le CSA est une institution singulière qui détient des compétences économiques destinées à assurer la régulation d'un secteur tout en étant au service de la liberté des personnes, de la cohésion sociale respectueuse de la diversité et de la créativité intellectuelle. Il reste aujourd'hui confronté à des enjeux essentiels qui appellent une régulation assouplie dans un périmètre élargi.

Dans les années 1980, le service public venait d'être profondément bouleversé par la dissolution de l'ORTF, et des radios, autrefois hors-la-loi, étaient devenues « libres ». Ces évolutions avaient été rendues possibles par la mise à disposition gratuite par l'État du patrimoine commun du domaine public des fréquences. Le législateur de l'époque a donc estimé que cette mise à disposition gratuite pouvait être légitimement compensée par des droits et obligations.

Depuis, les termes de cette « compensation » ont profondément changé. Aujourd'hui, la réception en fréquences hertziennes ne représente que 28 % de la pratique des foyers français. Cela ne signifie pas qu'elles soient sans importance. Leurs qualités propres – anonymat, commodité, universalité – les rendent particulièrement précieuses, en particulier pour les zones les moins favorisées du territoire. Il est cependant clair que la régulation ne peut plus se justifier sur le seul fondement de l'attribution gratuite de fréquences hertziennes.

Nous avons donc tenté d'assouplir la régulation au vu des modifications du secteur de la communication audiovisuelle. Nous avons adopté des formes de droit souple en multipliant les chartes, les labellisations, les nomenclatures, les procédures de règlement non contentieux des conflits… Ces formes de régulation supposaient la volonté d'un dialogue de la part de nos interlocuteurs. Ce mode d'action a pu se développer largement, notamment du côté des radios.

Même si le législateur nous charge d'émettre des avertissements et de lancer des procédures de sanction, nous considérons que des décisions en ce sens ne peuvent être prises qu'en cas d'échec du dialogue, et si aucune mesure adéquate n'est obtenue en réponse à nos demandes. Il s'agit en quelque sorte d'une « dernière extrémité ».

Comment assouplir la régulation face à des opérateurs qui usent de moyens de diffusion diversifiés comme l'ADSL, la fibre, le câble, ou même, directement, d'internet ? Contrairement à ce qui est souvent soutenu, il nous semble que la surabondance de moyens de diffusion ne doit pas nous conduire à abandonner la régulation. L'objectif de cette dernière doit en revanche être conçu différemment. Il est en effet essentiel que cette multiplication d'offres ne se traduise pas par une déformation de l'exposition de certains programmes ou par l'accroissement d'aides à la production pour d'autres. Comment y parvenir ?

La transposition de la directive européenne Services de médias audiovisuels devra sans doute être opérée dans un délai d'un an par les parlements nationaux. Ce sera l'occasion de reprendre de façon globale la réflexion sur les modes de régulation contemporains. Les négociations qui se déroulent en ce moment sur la directive nous y invitent d'une certaine manière puisqu'elles incluent les plateformes de partage de vidéos ou les réseaux sociaux. Un véritable dialogue s'est ainsi ouvert sur le périmètre de la communication audiovisuelle. C'est au sein d'un ensemble de régulateurs, à une échelle qui permette de se confronter à une concurrence de taille internationale, que nous parviendrons à conjuguer régulation actualisée et promotion constante de notre dynamisme culturel.

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