Intervention de Pierre Cordier

Réunion du mardi 12 juin 2018 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Cordier, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, « harcèlement », « pénible », « abusif », « gonflant », « spams incessants », « de pire en pire », « sauvage » : voilà quelques exemples des remontées de terrain, des réactions les plus courantes lorsque j'aborde, dans ma circonscription, la question du démarchage téléphonique.

Ce démarchage par téléphone, chez des particuliers, souvent en soirée ou en week-end, est, en effet, récurrent dans tous les territoires de France. Il ne fait pas de distinction sociale ou politique, il exaspère chacun d'entre nous, sans qu'aucune justification ne puisse lui être trouvée. Bien souvent, ces appels poussent à la consommation et jouent sur l'incapacité des interlocuteurs à évaluer les risques de leur engagement. Ils ciblent en particulier les publics fragiles, notamment les seniors ou les ruraux, et peuvent, dans certains cas, s'apparenter à un abus de faiblesse caractérisé.

Ma proposition de loi a pour objet d'encadrer le démarchage téléphonique, pour restaurer le droit des consommateurs. Certes, il existe déjà un encadrement légal, mais celui-ci est parfaitement inefficace pour plusieurs raisons.

Premièrement, il repose sur un droit d'opposition et non sur un consentement préalable. Cela fait de la prospection téléphonique le seul système de démarchage où le consentement par défaut du consommateur est admis. Pour les courriels et les SMS, en revanche, c'est bien le système de l'autorisation préalable qui prévaut, le consommateur devant explicitement accepter de recevoir des sollicitations commerciales. Ce droit d'opposition ne saurait constituer une protection suffisante. En effet, nombre de citoyens ne sont pas informés de leurs droits. D'autres, qui le connaissent, ne savent pas en faire usage ou sont découragés par les démarches à accomplir. Comment, dès lors, peut-on affirmer que ce droit d'opposition est effectif ?

Deuxièmement, le dispositif d'opposition mis en place au travers de la plateforme Bloctel est inefficace. Il s'agit d'une liste d'opposition au démarchage téléphonique sur laquelle tout consommateur peut s'inscrire gratuitement en ligne ou par courrier. Pourtant, depuis l'entrée en vigueur de Bloctel, les appels intempestifs n'ont pas cessé chez les particuliers qui s'y sont inscrits, et 81 % des Français estiment qu'il ne fonctionne pas. Ces particuliers qui, dans un premier temps signalaient ces appels aux autorités, ont fini par lâcher prise en l'absence de réaction.

Pourquoi une si faible efficacité ? Premièrement, parce que trop peu d'entreprises soumettent leurs fichiers à Bloctel pour les expurger des numéros de téléphone des particuliers ayant manifesté leur opposition. Deuxièmement, parce que les contrôles sont trop peu nombreux. Troisièmement, parce que les sanctions sont trop faibles pour être dissuasives. Quatrièmement, parce que certains appels ne sont pas traçables.

Pour certaines personnes que nous avons auditionnées, tout se passe comme si des automobilistes pouvaient rouler à vive allure sans craindre les radars ni les amendes, et en masquant leur plaque d'immatriculation. Comment un tel système pourrait-il être efficace ? Il en résulte une atteinte à la vie privée, une intrusion dans l'intimité non souhaitée et potentiellement risquée. Les droits des consommateurs, qui devraient pouvoir ne plus être importunés chez eux contre leur gré et ne plus être assaillis d'offres et d'informations commerciales diverses qu'ils n'ont pas sollicitées, ne sont pas respectés. C'est pourquoi il est aujourd'hui urgent d'agir : il convient de redonner au consommateur la maîtrise de ses données téléphoniques et le droit de consentir à être démarché s'il le souhaite.

La proposition de loi que je présente poursuit donc deux objectifs principaux : premièrement, garantir le consentement à la transmission des données ; deuxièmement, rendre plus transparents les appels de démarchage téléphonique.

En ce qui concerne le consentement, l'article 1er permet de garantir que les consommateurs consentent explicitement et de manière préalable à être démarchés à des fins de prospection commerciale. Il s'agit de renverser le paradigme pour passer d'un droit d'opposition à une obligation d'autorisation.

L'article 4 contribue également à atteindre cet objectif, en précisant que les personnes concluant un nouveau contrat auprès d'un opérateur de téléphonie devront donner explicitement leur accord pour le démarchage au moment de la signature du contrat. À l'heure actuelle, l'acheteur est seulement informé de son droit à s'inscrire sur une liste d'opposition au démarchage.

L'article 5 actualise et augmente les sanctions applicables en cas de traitement des données téléphoniques d'une personne n'ayant pas donné son accord. Je propose par ailleurs un amendement visant également à renforcer les sanctions contre les personnes démarchant les consommateurs inscrits sur Bloctel.

En ce qui concerne la transparence, l'article 2 oblige les personnes appelant pour démarcher un particulier à des fins commerciales à donner, dès le début de l'appel, un certain nombre d'informations les concernant et concernant leur entreprise. Il doit en résulter une meilleure information du particulier appelé et un meilleur discernement de la nature commerciale de l'appel.

L'article 3 enfin prévoit de mettre en place un indicatif unique pour le démarchage téléphonique, de manière à aider également les particuliers à repérer plus facilement les appels à vocation commerciale.

Ces dispositions permettront ainsi d'améliorer le respect de la vie privée, de renforcer la protection des données personnelles et de limiter les abus de faiblesse. En cela, la proposition de loi s'inscrit dans la droite ligne des démarches entreprises dans le cadre européen du nouveau règlement général sur la protection des données (RGPD). Ce texte, adopté par l'Union européenne, a également fait l'objet en France de la loi sur la protection des données personnelles, actuellement examinée par le Conseil constitutionnel. Je rappelle d'ailleurs que ce texte a été voté par l'opposition dans une démarche constructive, et que j'ai voté ce texte émanant du Gouvernement.

Par ailleurs, la proposition de loi n'entre pas en confrontation avec les négociations en cours sur la révision de la directive « vie privée ». En effet, l'article 16 de cette directive laisse aux États membres le choix entre un système d'accord préalable ou un système de droit d'opposition au démarchage. Selon les informations que nous avons reçues, cet article ne serait pas concerné par la révision. Aussi, le cadre européen, puis le cadre national ne seront pas contraints d'évoluer et il nous est donc possible d'agir d'ores et déjà sur ce secteur.

En conclusion, je souhaite insister sur deux aspects fondamentaux. En premier lieu, cette proposition de loi est transpartisane, elle dépasse les clivages politiques. Nous avons tous fait nous-mêmes l'expérience du démarchage téléphonique et en avons tous été agacés. C'est pourquoi je souhaite que nous ne soyons pas dans des postures dogmatiques mais que nous accomplissions la mission pour laquelle nous avons été tous élus : la défense des droits de nos concitoyens. En second lieu, et il faut être très clair là-dessus, cette proposition de loi n'a pas pour objectif d'empêcher complètement le démarchage téléphonique : elle tend simplement à garantir que seuls les abonnés qui y consentent effectivement en fassent l'objet. Ce principe qui, je le répète, prévaut pour les messageries électroniques, comme pour les SMS, n'affectera pas sensiblement l'emploi ou l'activité commerciale de nos entreprises. L'exemple du démarchage par SMS le montre. Premièrement, certaines personnes consentiront à être démarchées comme d'autres consentent aujourd'hui à recevoir des propositions par courriels et SMS, parce qu'elles y voient un intérêt. Deuxièmement, il restera en tout état de cause d'autres moyens de prospection et de démarchage que les appels et sans doute plus efficaces pour toucher les jeunes générations.

De plus, onze États membres de l'Union européenne ont fait le choix d'un système d'accord préalable, sans pour autant que des difficultés n'aient été relevées. L'Allemagne, par exemple, comparable à la France en de nombreux domaines, a choisi ce principe. La dimension culturelle d'une plus ou moins grande tolérance aux sollicitations ne semble pas pouvoir être avancée dans la mesure où les pays ayant choisi un système opt-in sont à la fois des pays d'Europe du nord comme le Danemark, d'Europe du sud comme le Portugal, ou d'Europe de l'est comme la Lituanie. Enfin, un tel encadrement est même souhaité par les entreprises honnêtes, celles qui démarchent ou prospectent d'une manière contrôlée et légitime. Les professionnels des centres d'appels que nous avons rencontrés nous l'indiquent. Les appels intempestifs portent également préjudice au démarchage classique et justifié, ils augmentent le sentiment de nuisance et d'agacement des consommateurs qui, par conséquent, refusent davantage de prendre un appel ou d'y donner suite. Ces professionnels sont parfaitement informés de la gêne occasionnée par les appels intempestifs et souhaitent également y mettre un terme, car ceux-ci menacent très clairement leur équilibre économique.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter cette proposition de loi. Je reconnais cependant que ce texte est perfectible, et je ne demande pas mieux que de préciser et d'améliorer un certain nombre de points avec vous. Je ne doute pas, Monsieur le président, que nos débats resteront policés et constructifs.

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