Intervention de Jean-Bernard Sempastous

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Bernard Sempastous, rapporteur :

Pour la troisième fois depuis le début de la législature, notre commission est saisie au fond d'une proposition de résolution européenne dont le but est d'exprimer la position de l'Assemblée nationale sur un sujet européen. La proposition de résolution relative à une agriculture durable pour l'Union européenne, déposée par MM. Alexandre Freschi et André Chassaigne – dont je salue la présence parmi nous – a été examinée le 31 mai 2018 par la commission des affaires européennes. Leur rapport présente l'intérêt majeur de refléter la position transpartisane de la commission des affaires européennes. Loin des seuls débats budgétaires, il a le mérite d'envisager les défis à venir et le modèle agricole qu'il faut souhaiter en traçant les pistes d'une agriculture durable en 2030.

Compte tenu de notre compétence et de notre intérêt pour les questions agricoles, notre commission s'est saisie de cette proposition de résolution européenne qui s'inscrit dans un contexte brûlant – au coeur des débats européens sur la réforme de la PAC pour la période 2021-2027 – et tendu, en particulier depuis l'annonce de la baisse du budget le 2 mai et la publication des propositions législatives de la Commission européenne le 1er juin 2018. Or, le calendrier est très serré puisque M. Jean-Claude Juncker souhaite boucler la réforme en même temps que la négociation du Brexit, c'est-à-dire avant les élections européennes de mai 2019.

Le rapport que je vous présente aujourd'hui vise à soutenir le Gouvernement français dans le combat qu'il s'apprête à mener au Conseil européen. La proposition de résolution va d'ailleurs dans le sens des positions récentes du Gouvernement, qui réclame un budget plus ambitieux pour la PAC et qui est déterminé à trouver une solution commune acceptable. Lundi dernier, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, M. Stéphane Travert, a présenté au Conseil « Agriculture et pêche » le mémorandum signé le 31 mai à Madrid, qui regroupe désormais vingt États membres. Et pour cause : une très large majorité des membres de l'Union ne se satisfait pas de la proposition de la Commission.

Nous partageons tous ici le souhait d'une PAC dynamique et modernisée, réconciliant les enjeux de la préservation de l'environnement et la rentabilité de la production agricole.

J'entame mon rapport en revenant sur la vision ambitieuse d'une agriculture durable dans l'Union européenne que défendent MM. Freschi et Chassaigne dans le leur, et en partageant le bilan qu'ils dressent de la PAC actuelle. Les agriculteurs européens sont particulièrement vulnérables face à la volatilité des prix agricoles mondiaux, qui entraîne de fortes variations sur les revenus des agriculteurs, toujours très faibles. L'efficacité environnementale de la PAC est remise en cause : elle favorise encore trop les grandes exploitations les plus nuisibles à l'environnement. En outre, son manque de lisibilité et sa complexité demeurent criants.

Dans un deuxième temps, le rapport que je vous présente revient sur les pistes d'une agriculture durable en 2030 que MM. Freschi et Chassaigne déclinent sous trois angles : durabilité économique, sociale et environnementale.

Le rapport met en avant la nécessité de développer des exploitations performantes et innovantes. Cependant, la durabilité économique passera aussi par la diversification des sources de revenus agricoles : je pense aux activités de production d'énergie photovoltaïque ou aux méthaniseurs agricoles, qui garantissent aux agriculteurs un revenu stable, non délocalisable et adapté à l'exploitation. L'Allemagne, par exemple, a soutenu cette politique avec succès. D'autre part, pour limiter le nombre d'intermédiaires entre producteurs et consommateurs, il faut promouvoir le développement de circuits courts de commercialisation. L'Union européenne doit encourager ces pratiques, notamment dans le domaine de l'approvisionnement des restaurants collectifs ; je proposerai un amendement en ce sens.

Pour ce qui est de la durabilité sociale, la politique agricole tient une place majeure dans le maintien et l'encouragement de l'emploi au sein des bassins ruraux. En particulier, il faut intégrer la question de la durabilité sociale des exploitations dans la problématique foncière afin de garantir des emplois pérennes. Cela passe par des formes collectives d'exploitation mais aussi, pourquoi pas, par une moindre focalisation sur la propriété foncière : le paysan est avant tout celui qui exploite et valorise la terre.

La future PAC doit se saisir de cet enjeu en définissant l'actif agricole selon des critères stricts et partagés ; je défendrai un amendement en ce sens, car il faut limiter le lien entre les aides de la PAC et les situations de rente qui bloquent l'accès au foncier et le renouvellement générationnel des agriculteurs.

De même, il faut examiner la question du portage des terres agricoles. Je défendrai à cet effet un amendement visant à promouvoir un modèle européen de régulation publique de l'accès au foncier ; il en va de la souveraineté alimentaire européenne.

Pour ce qui est de la durabilité environnementale enfin, chacun a constaté que le tournant environnemental de la PAC n'a pas porté ses fruits. Pourtant, les agriculteurs jouent un rôle majeur dans la préservation de la biodiversité, en particulier dans les zones de montagne où le pastoralisme et la transhumance participent à l'entretien des paysages et à la préservation des milieux naturels. Il faut donc dépasser la logique ancienne consistant à limiter les externalités négatives et proposer une politique volontariste de protection des écosystèmes et d'amélioration de la qualité sanitaire et nutritive des produits. En ce sens, une feuille de route pour une moindre dépendance à l'égard des produits phytopharmaceutiques doit être défendue au niveau européen.

Mais j'ai souhaité prolonger le rapport de nos collègues MM. Freschi et Chassaigne en abordant un élément nouveau : les propositions législatives que la Commission européenne a présentées le 1er juin 2018, au lendemain de l'adoption de leur rapport. Ces propositions législatives mettent en péril le caractère commun de la politique agricole européenne pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, la proposition budgétaire de la Commission est insuffisante et même biaisée. La forte baisse du budget est confirmée à hauteur de 5 % en euros courants. Selon les calculs du think tank « Agriculture Stratégies », la diminution globale du budget en valeur constante atteindrait en fait 16,3 % ; compte tenu de l'importance des aides européennes dans le revenu des agriculteurs français, cette baisse me paraît inacceptable et ses effets seraient particulièrement sévères pour les secteurs des grandes cultures, du lait et de la viande. En réalité, la nouvelle PAC paralyserait les capacités d'investissement des agriculteurs au moment même où l'on attend d'eux qu'ils enclenchent une transition agro-écologique profonde. En l'état, les propositions de la Commission européenne risquent de ne répondre ni à l'impératif d'une meilleure résilience des exploitations, ni à celui de leur durabilité.

En outre, ces propositions sont inquiétantes. Par souci de simplification, la Commission a fait le choix de la flexibilité et de la subsidiarité. L'objectif est certes louable, mais la méthode risque de se traduire par des programmes nationaux sur mesure et hétérogènes, avec le danger d'une renationalisation de la PAC déjà dénoncé par de nombreux parlementaires européens et observateurs. C'est inquiétant car, face au défi environnemental, l'Union européenne ne saurait laisser les États membres agir individuellement sans risquer de mettre en péril le marché unique et la trajectoire commune de compétitivité des exploitations, qui seraient alors confrontées à une concurrence intra-européenne. De surcroît, cette méthode ajoute à la complexité existante dans la mesure où la Commission européenne demande à chaque État membre d'élaborer un plan stratégique soumis à son approbation.

Chers collègues, ce rapport est l'occasion pour la Représentation nationale d'envoyer un message fort et consensuel alors que les négociations sont en cours à Bruxelles pour que la politique européenne endosse la responsabilité des orientations et de la gestion de la future PAC, que nous voulons ambitieuse et capable de soutenir une agriculture durable qui assure le développement des activités agricoles dans les bassins ruraux, en phase avec les attentes de la société et les impératifs environnementaux.

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