Intervention de Didier Migaud

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui les conclusions du rapport sur les perspectives des finances publiques. Aux membres de la Cour que vous avez cités, monsieur le président, se sont joints MM. Vianney Bourquard et Vladimir Borgy.

Après le rapport sur le budget de l'État, que je vous ai présenté il y a un mois, et avant les travaux portant spécifiquement sur les finances locales et sur celles de la sécurité sociale, qui seront rendus publics à l'automne, ce rapport fait le point sur l'évolution d'ensemble des finances publiques.

Établi chaque année en application de la LOLF, il est destiné à nourrir votre débat sur les orientations des finances publiques. Dans cette perspective, le rapport propose une photographie de la situation de départ, c'est-à-dire de 2017, et une analyse des risques qui pèsent sur le respect de la trajectoire fixée par les pouvoirs publics pour l'année en cours et pour la période 2019 à 2022.

Particularité de cette année, vous trouverez dans le rapport un exercice rétrospectif inédit, portant sur la manière dont la France a traversé dix ans de crises financières et économiques, entre celle des subprimes et celle des dettes souveraines des pays de la zone euro.

Notre instruction nous a conduits à formuler quatre constats. Premier constat : l'année 2017 a été caractérisée par une nette réduction du déficit, obtenue grâce au dynamisme des prélèvements obligatoires dû à l'accélération de l'activité économique, malgré une sensible augmentation des dépenses. Deuxième constat : même si le déficit est revenu, en 2017, à un niveau comparable à celui du milieu des années 2000, il ne s'agit pas d'un retour à la situation antérieure, et l'état des finances publiques s'est profondément détérioré dans l'intervalle. Troisième constat : la prévision de déficit pour 2018 apparaît atteignable, même si la Cour observe un risque de dépassement modéré. Enfin, quatrième constat : de fortes incertitudes entourent à la fois la construction de la trajectoire des finances publiques et l'atteinte des objectifs qu'elle a fixés pour les années 2019 à 2022.

Je reviens à présent brièvement sur chacun de ces points.

S'agissant tout d'abord de la situation de 2017, la Cour observe que le retour à un déficit inférieur à 3 points de PIB a été obtenu grâce à l'augmentation des recettes, malgré une hausse de la dépense publique plus forte qu'au cours des années précédentes.

Vous le savez, le déficit public a nettement diminué en 2017. Il s'est établi à 2,6 points de PIB, contre 3,4 en 2016.

Ce résultat se situe 0,1 point en dessous de la cible prévue par la loi de finances initiale (LFI) pour 2017, et 0,6 point en dessous du niveau que la Cour avait estimé susceptible d'être atteint, dans l'audit remis au Premier ministre en juin 2017, sans mesure de correction de la trajectoire. Cette estimation se fondait sur les prévisions de croissance disponibles à l'époque – je reviendrai sur ce point.

Le solde structurel, c'est-à-dire le solde qui ne prend pas en compte l'évolution de la conjoncture, s'est, quant à lui, réduit beaucoup moins nettement en 2017, à hauteur de 0,3 point de PIB.

Après plus de neuf ans, cette amélioration notable a permis à la France de sortir de la procédure de déficit excessif, le 22 juin dernier, ce dont la Cour ne peut évidemment que se réjouir. Je rappelle que notre pays était, avec l'Espagne, le dernier pays concerné par cette procédure européenne.

Au-delà de cette évolution globale satisfaisante, je voudrais vous faire part de deux analyses de la Cour permettant de comprendre en profondeur les déterminants de la situation financière de 2017.

Premier élément, la proximité entre le solde prévu dans la LFI et le solde constaté effectivement pour 2017 masque des différences majeures entre les prévisions présentées lors de la construction de la LFI et sa réalisation. Deux soldes proches ne recouvrent pas forcément des situations équivalentes.

Les recettes comme les dépenses effectives se sont en effet révélées bien supérieures aux estimations de la LFI, quoique pour des raisons différentes.

Les recettes fiscales avaient été sous-estimées parce que l'amélioration de la conjoncture n'a été réellement perceptible que progressivement au cours du second semestre de 2017. Établie à 1,5 % au printemps 2017, au moment où la Cour a rendu public son audit, la prévision de croissance a ainsi été relevée plusieurs fois, jusqu'à ce que l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) évalue cette dernière à 2,2 % en février 2018.

C'est d'ailleurs sur ce point, et exclusivement sur ce point, que porte l'écart entre les prévisions formulées par la Cour dans son audit de juin 2017, et les évolutions effectivement constatées.

S'agissant des dépenses, de nombreuses sources d'augmentation avaient été sous-estimées dès l'origine. J'ai eu l'occasion, lors de la présentation du rapport sur le budget de l'État il y a un mois, de revenir en détail sur les sous-budgétisations que la Cour avait constatées en examinant la loi de finances initiale.

En définitive, la nette amélioration du solde public en 2017 est essentiellement imputable à la dynamique des prélèvements obligatoires (PO), dont la progression s'est révélée supérieure au PIB sous l'effet de la forte accélération de l'activité qu'il a été possible de constater à partir du second semestre.

Cette amélioration résulte également, dans une moindre mesure, d'économies sur des éléments dont l'évolution à court terme ne dépend pas des décisions des pouvoirs publics nationaux, comme la charge d'intérêts et le prélèvement sur recettes au bénéfice de l'Union européenne.

En ce qui concerne le solde structurel, dont je rappelle qu'il a été réduit de 0,3 point de PIB contre une baisse de 0,8 point de PIB du solde nominal, l'amélioration tient en totalité à une élasticité élevée des recettes au PIB, à hauteur de 1,4, tandis que l'effort en dépenses, qui correspond à la variation structurelle des dépenses rapportées au PIB, a été nul.

En effet, et c'est le second élément sur lequel je voudrais insister, l'amélioration a été obtenue malgré une augmentation de la dépense plus forte que la moyenne des années précédentes, en dépit des efforts engagés par le Gouvernement pour freiner en cours d'année les dépenses de l'État.

En dehors des facteurs exogènes que j'évoquais à l'instant, charge d'intérêts et contribution à l'Union européenne, il apparaît ainsi que la dépense a augmenté de 1,5 % en volume en 2017, soit un rythme sensiblement plus élevé que le rythme moyen des années 2012 à 2016, à savoir 1,1 %, à comparer avec une croissance des dépenses de 1,8 % entre 2007 et 2011, et de 2,4 % entre 1998 et 2007.

Un déficit nominal réduit n'est donc pas forcément le signal d'une situation durablement assainie, et l'amélioration constatée en 2017 n'autorise aucun relâchement des efforts si les pouvoirs publics entendent respecter les engagements qu'ils ont pris.

En témoignent trois éléments à garder à l'esprit.

D'abord, la baisse du déficit et le retour à une croissance économique plus soutenue n'ont toujours pas permis de réduire ou même de stabiliser la dette publique rapportée au PIB, passée de 96,6 points de PIB en 2016 à 96,8 en 2017. Cela rend nos finances publiques d'autant plus sensibles au risque de remontée des taux d'intérêt.

Ensuite, le déficit public de la France, effectif comme structurel, reste plus élevé que celui de la plupart de nos partenaires européens, plusieurs d'entre eux, dont l'Allemagne, présentant même des excédents.

Enfin, le déficit structurel, de 2,1 points de PIB selon les estimations de la Commission européenne, reste très supérieur à l'objectif de moyen terme que s'est fixé la France en application du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, à savoir 0,4 point de PIB – il semble que cet objectif ait été modifié dans le document remis hier par le Gouvernement.

Cet écart place la France au troisième rang des pays ayant le plus à réduire leur solde structurel pour respecter leur objectif de moyen terme, derrière l'Italie et l'Espagne.

J'en viens au deuxième des constats initiaux, qui porte sur l'analyse des finances publiques françaises, dix ans après la crise financière de 2008.

Le retour à un niveau de déficit comparable à celui de 2007 n'est pas un retour à la situation d'avant la crise. En dix ans, la situation de nos finances publiques s'est sensiblement dégradée, dans l'absolu, et relativement à celle de nos partenaires européens, même si les effets de la crise ont été variables selon les catégories d'administrations publiques.

Après neuf ans au-dessus de 3 points de PIB, le déficit public est revenu à son niveau de 2007. Cette similitude ne doit pas dissimuler l'écart entre les deux situations. Entre 2007 et 2017, les prélèvements obligatoires et les dépenses, hors crédits d'impôt, rapportés au PIB, ont augmenté chacun de 3 points ; tandis que le PIB a progressé en volume et en valeur.

La dette publique, qui était à peine au-dessus du seuil de 60 points de PIB en 2007, a, quant à elle, augmenté de 32,3 points, pour atteindre 96,8 points de PIB en 2017, c'est-à-dire une augmentation de plus de 50 %.

La situation de la France ne s'est pas détériorée que dans l'absolu mais également en comparaison avec celle de ses partenaires européens.

Ces derniers n'ont en effet augmenté le poids de leurs recettes et de leurs dépenses dans le PIB que de 1,1 point en moyenne, et celui de leur dette de 25,6 points. La France est l'un des deux seuls pays de la zone euro dont la dette publique croît encore en 2017, le second étant le Luxembourg - mais comparaison n'est pas raison : sa dette est à peine à 20 %.

Cette appréciation d'ensemble recouvre des situations variables selon les catégories d'administrations publiques.

Au cours des dix dernières années, les efforts de maîtrise des dépenses sociales, en particulier en matière de retraite et d'assurance maladie, ont été réels, mais insuffisants pour empêcher une augmentation des dépenses équivalant à 2,4 points de PIB – soit la plus forte hausse au sein des administrations publiques.

Mais la forte augmentation de leurs recettes, due à la fois aux mesures de hausse des PO, au dynamisme relatif de leur assiette, et à des transferts de l'État, a permis aux administrations sociales de retrouver un solde comparable à celui de 2007.

Après une forte augmentation entre 2007 et 2013, les dépenses des administrations publiques locales (APUL) ont, quant à elles, été freinées, à partir de 2014, sous la contrainte de la baisse des dotations de l'État. Ce ralentissement a davantage porté sur les dépenses d'investissement en baisse de près de 0,5 point de PIB entre 2007 et 2017, que sur les dépenses de fonctionnement, en hausse de 0,5 point de PIB en dix ans.

En dépit de la réduction des concours financiers de l'État, les recettes des administrations publiques locales ont crû plus vite que le PIB, grâce au dynamisme de l'assiette de leurs prélèvements obligatoires. En définitive, leur solde s'est amélioré par rapport à 2007.

Enfin, les dépenses de l'État et de ses opérateurs ont été en apparence mieux maîtrisées : mesurées à périmètre constant, elles ont baissé de 0,1 point de PIB en dix ans. En apparence seulement, car en mettant de côté la charge d'intérêts et les prélèvements sur recettes au bénéfice de l'Union européenne, qui ont connu une forte baisse, leurs dépenses ont augmenté de 0,7 point de PIB.

Par ailleurs, les recettes de l'État ont été peu dynamiques au cours de la période. Cela s'explique par une assiette des prélèvements obligatoires moins favorable en situation économique dégradée, et par d'importants transferts de recettes au profit de la sécurité sociale.

Au total, c'est donc l'État qui a supporté la majeure partie des effets de la crise sur les recettes publiques. Son solde s'est dégradé de 0,5 point en dix ans.

Voilà pour la photographie de la situation actuelle, considérée au regard de l'évolution dix dernières années.

La Cour s'est également penchée sur les risques qui pèsent sur le respect de la trajectoire fixée par les pouvoirs publics pour l'année en cours et pour la période 2019 à 2022. Cela l'a amenée à formuler ses troisième et quatrième constats.

S'agissant de 2018, je rappelle que le programme de stabilité remis à la Commission européenne en avril dernier retient une prévision de déficit public de 2,3 points de PIB, en amélioration de 0,3 point par rapport au résultat de 2017. Nous considérons que la prévision de déficit est atteignable, avec toutefois un risque de léger dépassement.

Pour commencer, la prévision de recettes apparaît plausible, quoiqu'un peu élevée. Le programme de stabilité retient en effet une prévision de croissance du PIB de 2 % en 2018, qui paraît aujourd'hui un peu forte au vu des informations conjoncturelles parues depuis le mois d'avril.

Dans sa dernière note de conjoncture, l'INSEE retient une prévision de croissance plus faible que celle du programme de stabilité, à 1,7 % pour 2018. Ce tassement constitue un aléa pour l'évolution des recettes en 2018 et plus encore, s'il se confirmait, pour 2019. Vous connaissez les débats qui ont cours entre économistes pour savoir s'il s'agit d'une pause ou d'un tassement plus durable.

En outre, le programme de stabilité suppose une croissance spontanée des prélèvements obligatoires un peu supérieure à celle du PIB en valeur, qui se traduirait par une élasticité au PIB de 1,1 %, soit d'un niveau proche de sa moyenne historique, après 1,4 en 2017.

Cela paraît atteignable, sous réserve cependant que certains facteurs favorables de 2017 continuent de se manifester en 2018, notamment s'agissant de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, ce qui n'est pas garanti dans un contexte de moindre dynamisme de l'activité.

Après les recettes, la Cour a observé les prévisions de dépenses. Le programme de stabilité prévoit une évolution de 0,6 % en volume hors crédits d'impôt, ce qui paraît également atteignable, même si, j'y reviendrai, une incertitude forte entoure l'évolution des dépenses des collectivités territoriales.

Trois éléments peuvent être soulignés.

Tout d'abord, les risques de dépassement du budget de l'État par rapport à la loi de finances initiale sont bien plus faibles en 2018, moins de 2 milliards d'euros, que lors des deux dernières années – on constatait des risques de dépassement de plus de 5 milliards d'euros. Cela est dû aux efforts notables qui ont été entrepris cette année pour rendre le budget plus sincère. Sous réserve d'une gestion très stricte d'ici la fin de l'année, les dépassements devraient pouvoir être compensés par des économies identifiées en cours d'année et par l'annulation d'une partie des crédits mis en réserve.

Ensuite, la prévision des dépenses des administrations de sécurité sociale apparaît réaliste.

Enfin, le principal risque concerne les dépenses des collectivités territoriales. La prévision du programme de stabilité table en effet sur un net ralentissement des dépenses de fonctionnement, soit +0,4 % en valeur après +1,6 %, sous l'effet du nouveau mécanisme de contractualisation entre l'État et les 322 plus grandes collectivités territoriales, mis en oeuvre en application de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022.

Si cet objectif n'apparaît pas hors de portée, comme le montre l'analyse par la Cour des budgets primitifs d'un large échantillon de collectivités territoriales, il est toutefois incertain qu'il puisse être atteint, compte tenu de la nouveauté de la démarche et de l'ampleur de l'ambition affichée.

L'objectif global de réduction du déficit semble donc atteignable, mais je voudrais rappeler que même s'il se réalisait, il ne représenterait qu'une faible amélioration de 0,3 point de PIB.

L'ambition de réduction du déficit nominal de 0,3 point de PIB correspond, du fait du niveau de la croissance attendue en 2018, à une cible de réduction du déficit structurel limitée à 0,1 point de PIB. Les pouvoirs publics se sont ainsi éloignés, c'est un constat, des règles européennes, qui prévoient une amélioration du solde structurel d'au moins 0,5 point par an.

Par ailleurs, même si cette baisse suppose un effort en dépense un peu supérieur à l'année précédente, l'objectif reste modeste, et il est en grande partie compensé par des mesures de baisse des prélèvements obligatoires.

L'amélioration attendue serait ainsi presque exclusivement imputable à la conjoncture.

Le quatrième et dernier message du rapport porte sur les perspectives pour les années 2019 à 2022. Il met en évidence à la fois les incertitudes qui entourent la possibilité d'atteindre des objectifs fixés dans la LPFP et le programme de stabilité, et les fragilités de construction de la trajectoire elle-même.

Vous le savez, une nouvelle loi de programmation, portant sur les années 2018 à 2022, est entrée en vigueur en janvier 2018. Le programme de stabilité déposé en avril s'inscrit dans son prolongement, en actualisant ses hypothèses macroéconomiques et sa trajectoire de finances publiques.

Il prévoit, à horizon 2022, le retour à un excédent des finances publiques et l'atteinte d'un solde structurel proche de l'objectif d'équilibre à moyen terme que la France s'est fixé en application du Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), même s'il semble que ces chiffres soient en train d'évoluer – vous aurez à les examiner dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques.

Avant d'entrer dans le détail de la trajectoire, je voudrais formuler deux observations générales.

La loi de programmation s'écarte des engagements européens de la France, en particulier en matière de redressement du solde structurel. L'observation formulée précédemment pour 2018 ne se limite en effet pas à cette année. La loi de programmation prévoit une amélioration annuelle du solde de 0,3 point, alors que le strict respect de nos engagements requerrait une amélioration annuelle d'au moins 0,5 point.

En outre, au-delà de l'introduction du mécanisme de contractualisation entre l'État et les 322 plus grandes collectivités territoriales, la loi de programmation ne retient aucune innovation significative en matière de gouvernance des finances publiques. Au contraire, elle enregistre certains reculs par rapport aux dernières LPFP : à titre d'exemple, le plafond du montant total des dépenses fiscales est si élevé qu'il ne sera pas contraignant.

Pourtant, des pistes existent, qui ont été mises en évidence par la Cour à de nombreuses reprises. Elles permettraient d'améliorer la portée et la cohérence des textes financiers et l'appropriation par tous des objectifs de maîtrise des dépenses.

Le périmètre général des lois financières pourrait ainsi être revu et clarifié. Celui des lois de financement de la sécurité sociale pourrait être étendu à l'ensemble de la protection sociale – j'ai appris que la commission des lois avait tout récemment voté un amendement en ce sens –, et une loi de financement des collectivités territoriales pourrait aussi être envisagée.

Par ailleurs, un objectif pluriannuel de dépenses portant sur toutes les administrations publiques, décliné dans les différentes lois financières pourrait être institué pour compléter l'objectif portant sur le solde structurel et fournir un repère solide et aisément compréhensible, destiné au pilotage d'ensemble des finances publiques.

Enfin, la réactivation d'une instance du type de la conférence nationale des finances publiques permettrait d'associer utilement l'ensemble des acteurs à la définition des objectifs et des méthodes de maîtrise des dépenses publiques.

Au-delà de ces remarques générales, la Cour a relevé quatre grandes fragilités de la trajectoire des finances publiques.

Premièrement, elle repose sur une hypothèse de croissance optimiste pour toute la période, continûment supérieure à la croissance potentielle, ce qui ne s'est jamais produit sur une durée aussi longue. Je l'ai déjà dit : le risque d'un tassement de la croissance est réel. Il est renforcé par des aléas internationaux, comme l'évolution du commerce international, l'évolution du prix du pétrole et les fragilités constatées au sein de la zone euro. Ce ralentissement pourrait rendre plus délicat encore le freinage des dépenses tel qu'il est envisagé, car il pourrait lui-même peser sur le niveau de la croissance.

Deuxièmement, la trajectoire de prélèvements obligatoires ne prend en compte qu'une partie des mesures annoncées. En particulier, elle n'intègre pas la suppression totale de la taxe d'habitation, ce qui devrait être corrigé dans le texte qui vous sera soumis la semaine prochaine. Supprimer cette taxe tout en respectant la trajectoire du programme de stabilité imposerait donc, soit de reporter ou d'abandonner certaines des mesures de baisse des prélèvements prévues à partir de 2020, soit d'accroître les économies en dépenses, ou de prendre cette diminution de recettes dans le déficit des comptes publics, ce qui semble être le choix du Gouvernement.

Troisièmement, la trajectoire suppose un net infléchissement de la croissance des dépenses. Une stabilisation puis une baisse en volume des dépenses, hors charge d'intérêts et contribution à l'Union européenne, entre 2020 et 2022 sont en effet nécessaires pour atteindre les cibles fixées par le programme de stabilité, alors que ces dépenses, je le rappelle, ont encore crû d'un peu plus d'1 % par an en moyenne au cours des cinq dernières années.

Le rythme d'évolution prévu pour les dépenses de l'État, qui suppose une baisse en volume des dépenses « pilotables » à partir de 2020, apparaît particulièrement exigeant.

S'agissant des dépenses sociales, compte tenu de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) retenu, et du fait qu'aucune mesure d'économie n'est envisagée avant la réforme structurelle des retraites, l'atteinte de la cible nécessitera des efforts particulièrement significatifs sur les autres champs.

La prévision du programme de stabilité suppose enfin que les administrations publiques locales respectent un objectif de stricte maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, à hauteur de 1,2 % en valeur par an, qui entraînerait, compte tenu de la reprise de l'inflation, une baisse en volume de 0,5 % à partir de 2020.

Alors même que la réalisation de l'objectif de dépenses est l'élément-clé de la trajectoire, les leviers de maîtrise de la dépense publique permettant de l'atteindre n'ont, à ce jour, pas été précisés. En particulier, toutes les propositions du comité « Action publique 2022 » n'ont pas été rendues publiques, et le Gouvernement n'a pas fait connaître les suites qu'il entendait leur réserver. Il est indiqué que les lois de finances auront vocation à compléter et préciser ses intentions.

Enfin, et c'est la quatrième fragilité, l'amélioration prévue du solde de l'ensemble des administrations publiques repose sur l'hypothèse d'un plafonnement des excédents des administrations de sécurité sociale au profit du solde de l'État, et sur la constitution d'excédents de plus en plus importants pour les administrations publiques locales.

Le programme de stabilité suppose en effet que l'excédent des administrations de sécurité sociale soit plafonné en 2019 par des transferts de recettes vers l'État. Les modalités de mise en oeuvre de ces transferts, d'un montant important, de l'ordre d'un point de PIB en fin de période, restent toutefois à préciser, alors même que les excédents de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) doivent être préservés pour lui permettre de résorber la dette, et que le pilotage des soldes de l'UNEDIC et de l'AGIRC-ARCCO ne relève pas directement de l'État.

Surtout, le programme de stabilité prévoit que les administrations publiques locales dégagent un excédent constamment croissant et atteignant 0,7 point de PIB en 2022. Or quand bien même elles respecteraient leur objectif de croissance des dépenses de fonctionnement, ces collectivités territoriales pourraient faire d'autres choix, comme celui d'accroître leurs investissements ou de baisser leur fiscalité plutôt que de laisser croître leurs excédents – cela dit, la baisse de la fiscalité n'apparaît pas comme une évidence.

En définitive, compte tenu de la situation très contrastée des différentes catégories d'administrations publiques, la sécurisation de l'objectif de solde global rendra vraisemblablement nécessaire un réexamen du partage actuel des recettes et des charges entre l'État, les administrations de sécurité sociale et les collectivités territoriales.

Pour conclure, je veux insister sur la dégradation de la situation des finances publiques de la France au cours de la décennie passée. En 2017, notre situation restait moins favorable que celle de la plupart de nos partenaires européens, et le retour à un déficit inférieur à 3 points de PIB ne doit pas nous conduire à ignorer cette fragilité structurelle.

Pour restaurer durablement la soutenabilité de nos finances publiques, une action résolue sur la dépense publique a été décidée par les pouvoirs publics. Elle doit encore être engagée dans des proportions plus importantes que ces dernières années. Cela nécessite de prendre « à bras-le-corps » les inefficacités et les inefficiences qui entravent encore trop souvent les politiques publiques.

Les objectifs fixés par la trajectoire des finances publiques sont atteignables, mais ils nécessiteront des choix politiques clairs, un effort de pédagogie collective sur la dépense publique, et son corollaire, la responsabilisation de tous les acteurs.

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