Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16h20

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PIB
  • croissance
  • dette
  • déficit
  • potentielle
  • prélèvement
  • prélèvements obligatoires
  • recette
  • trajectoire

La réunion

Source

Présidence

La commission entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au cycle de l'évaluation des dépenses succède celui des orientations budgétaires. Le débat d'orientation des finances publiques se tiendra en séance publique le jeudi 12 juillet. Il sera préparé par le rapport que Joël Giraud, notre rapporteur général, présentera à notre commission.

Notre commission est également éclairée par le rapport sur les perspectives des finances publiques que la Cour remet en application de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Elle a adopté ce rapport le 27 juin dernier et le Premier président est venu nous le présenter, accompagné de MM. Raoul Briet et Roch-Olivier Maistre, présidents de chambre, ainsi que de M. Christian Charpy.

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui les conclusions du rapport sur les perspectives des finances publiques. Aux membres de la Cour que vous avez cités, monsieur le président, se sont joints MM. Vianney Bourquard et Vladimir Borgy.

Après le rapport sur le budget de l'État, que je vous ai présenté il y a un mois, et avant les travaux portant spécifiquement sur les finances locales et sur celles de la sécurité sociale, qui seront rendus publics à l'automne, ce rapport fait le point sur l'évolution d'ensemble des finances publiques.

Établi chaque année en application de la LOLF, il est destiné à nourrir votre débat sur les orientations des finances publiques. Dans cette perspective, le rapport propose une photographie de la situation de départ, c'est-à-dire de 2017, et une analyse des risques qui pèsent sur le respect de la trajectoire fixée par les pouvoirs publics pour l'année en cours et pour la période 2019 à 2022.

Particularité de cette année, vous trouverez dans le rapport un exercice rétrospectif inédit, portant sur la manière dont la France a traversé dix ans de crises financières et économiques, entre celle des subprimes et celle des dettes souveraines des pays de la zone euro.

Notre instruction nous a conduits à formuler quatre constats. Premier constat : l'année 2017 a été caractérisée par une nette réduction du déficit, obtenue grâce au dynamisme des prélèvements obligatoires dû à l'accélération de l'activité économique, malgré une sensible augmentation des dépenses. Deuxième constat : même si le déficit est revenu, en 2017, à un niveau comparable à celui du milieu des années 2000, il ne s'agit pas d'un retour à la situation antérieure, et l'état des finances publiques s'est profondément détérioré dans l'intervalle. Troisième constat : la prévision de déficit pour 2018 apparaît atteignable, même si la Cour observe un risque de dépassement modéré. Enfin, quatrième constat : de fortes incertitudes entourent à la fois la construction de la trajectoire des finances publiques et l'atteinte des objectifs qu'elle a fixés pour les années 2019 à 2022.

Je reviens à présent brièvement sur chacun de ces points.

S'agissant tout d'abord de la situation de 2017, la Cour observe que le retour à un déficit inférieur à 3 points de PIB a été obtenu grâce à l'augmentation des recettes, malgré une hausse de la dépense publique plus forte qu'au cours des années précédentes.

Vous le savez, le déficit public a nettement diminué en 2017. Il s'est établi à 2,6 points de PIB, contre 3,4 en 2016.

Ce résultat se situe 0,1 point en dessous de la cible prévue par la loi de finances initiale (LFI) pour 2017, et 0,6 point en dessous du niveau que la Cour avait estimé susceptible d'être atteint, dans l'audit remis au Premier ministre en juin 2017, sans mesure de correction de la trajectoire. Cette estimation se fondait sur les prévisions de croissance disponibles à l'époque – je reviendrai sur ce point.

Le solde structurel, c'est-à-dire le solde qui ne prend pas en compte l'évolution de la conjoncture, s'est, quant à lui, réduit beaucoup moins nettement en 2017, à hauteur de 0,3 point de PIB.

Après plus de neuf ans, cette amélioration notable a permis à la France de sortir de la procédure de déficit excessif, le 22 juin dernier, ce dont la Cour ne peut évidemment que se réjouir. Je rappelle que notre pays était, avec l'Espagne, le dernier pays concerné par cette procédure européenne.

Au-delà de cette évolution globale satisfaisante, je voudrais vous faire part de deux analyses de la Cour permettant de comprendre en profondeur les déterminants de la situation financière de 2017.

Premier élément, la proximité entre le solde prévu dans la LFI et le solde constaté effectivement pour 2017 masque des différences majeures entre les prévisions présentées lors de la construction de la LFI et sa réalisation. Deux soldes proches ne recouvrent pas forcément des situations équivalentes.

Les recettes comme les dépenses effectives se sont en effet révélées bien supérieures aux estimations de la LFI, quoique pour des raisons différentes.

Les recettes fiscales avaient été sous-estimées parce que l'amélioration de la conjoncture n'a été réellement perceptible que progressivement au cours du second semestre de 2017. Établie à 1,5 % au printemps 2017, au moment où la Cour a rendu public son audit, la prévision de croissance a ainsi été relevée plusieurs fois, jusqu'à ce que l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) évalue cette dernière à 2,2 % en février 2018.

C'est d'ailleurs sur ce point, et exclusivement sur ce point, que porte l'écart entre les prévisions formulées par la Cour dans son audit de juin 2017, et les évolutions effectivement constatées.

S'agissant des dépenses, de nombreuses sources d'augmentation avaient été sous-estimées dès l'origine. J'ai eu l'occasion, lors de la présentation du rapport sur le budget de l'État il y a un mois, de revenir en détail sur les sous-budgétisations que la Cour avait constatées en examinant la loi de finances initiale.

En définitive, la nette amélioration du solde public en 2017 est essentiellement imputable à la dynamique des prélèvements obligatoires (PO), dont la progression s'est révélée supérieure au PIB sous l'effet de la forte accélération de l'activité qu'il a été possible de constater à partir du second semestre.

Cette amélioration résulte également, dans une moindre mesure, d'économies sur des éléments dont l'évolution à court terme ne dépend pas des décisions des pouvoirs publics nationaux, comme la charge d'intérêts et le prélèvement sur recettes au bénéfice de l'Union européenne.

En ce qui concerne le solde structurel, dont je rappelle qu'il a été réduit de 0,3 point de PIB contre une baisse de 0,8 point de PIB du solde nominal, l'amélioration tient en totalité à une élasticité élevée des recettes au PIB, à hauteur de 1,4, tandis que l'effort en dépenses, qui correspond à la variation structurelle des dépenses rapportées au PIB, a été nul.

En effet, et c'est le second élément sur lequel je voudrais insister, l'amélioration a été obtenue malgré une augmentation de la dépense plus forte que la moyenne des années précédentes, en dépit des efforts engagés par le Gouvernement pour freiner en cours d'année les dépenses de l'État.

En dehors des facteurs exogènes que j'évoquais à l'instant, charge d'intérêts et contribution à l'Union européenne, il apparaît ainsi que la dépense a augmenté de 1,5 % en volume en 2017, soit un rythme sensiblement plus élevé que le rythme moyen des années 2012 à 2016, à savoir 1,1 %, à comparer avec une croissance des dépenses de 1,8 % entre 2007 et 2011, et de 2,4 % entre 1998 et 2007.

Un déficit nominal réduit n'est donc pas forcément le signal d'une situation durablement assainie, et l'amélioration constatée en 2017 n'autorise aucun relâchement des efforts si les pouvoirs publics entendent respecter les engagements qu'ils ont pris.

En témoignent trois éléments à garder à l'esprit.

D'abord, la baisse du déficit et le retour à une croissance économique plus soutenue n'ont toujours pas permis de réduire ou même de stabiliser la dette publique rapportée au PIB, passée de 96,6 points de PIB en 2016 à 96,8 en 2017. Cela rend nos finances publiques d'autant plus sensibles au risque de remontée des taux d'intérêt.

Ensuite, le déficit public de la France, effectif comme structurel, reste plus élevé que celui de la plupart de nos partenaires européens, plusieurs d'entre eux, dont l'Allemagne, présentant même des excédents.

Enfin, le déficit structurel, de 2,1 points de PIB selon les estimations de la Commission européenne, reste très supérieur à l'objectif de moyen terme que s'est fixé la France en application du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, à savoir 0,4 point de PIB – il semble que cet objectif ait été modifié dans le document remis hier par le Gouvernement.

Cet écart place la France au troisième rang des pays ayant le plus à réduire leur solde structurel pour respecter leur objectif de moyen terme, derrière l'Italie et l'Espagne.

J'en viens au deuxième des constats initiaux, qui porte sur l'analyse des finances publiques françaises, dix ans après la crise financière de 2008.

Le retour à un niveau de déficit comparable à celui de 2007 n'est pas un retour à la situation d'avant la crise. En dix ans, la situation de nos finances publiques s'est sensiblement dégradée, dans l'absolu, et relativement à celle de nos partenaires européens, même si les effets de la crise ont été variables selon les catégories d'administrations publiques.

Après neuf ans au-dessus de 3 points de PIB, le déficit public est revenu à son niveau de 2007. Cette similitude ne doit pas dissimuler l'écart entre les deux situations. Entre 2007 et 2017, les prélèvements obligatoires et les dépenses, hors crédits d'impôt, rapportés au PIB, ont augmenté chacun de 3 points ; tandis que le PIB a progressé en volume et en valeur.

La dette publique, qui était à peine au-dessus du seuil de 60 points de PIB en 2007, a, quant à elle, augmenté de 32,3 points, pour atteindre 96,8 points de PIB en 2017, c'est-à-dire une augmentation de plus de 50 %.

La situation de la France ne s'est pas détériorée que dans l'absolu mais également en comparaison avec celle de ses partenaires européens.

Ces derniers n'ont en effet augmenté le poids de leurs recettes et de leurs dépenses dans le PIB que de 1,1 point en moyenne, et celui de leur dette de 25,6 points. La France est l'un des deux seuls pays de la zone euro dont la dette publique croît encore en 2017, le second étant le Luxembourg - mais comparaison n'est pas raison : sa dette est à peine à 20 %.

Cette appréciation d'ensemble recouvre des situations variables selon les catégories d'administrations publiques.

Au cours des dix dernières années, les efforts de maîtrise des dépenses sociales, en particulier en matière de retraite et d'assurance maladie, ont été réels, mais insuffisants pour empêcher une augmentation des dépenses équivalant à 2,4 points de PIB – soit la plus forte hausse au sein des administrations publiques.

Mais la forte augmentation de leurs recettes, due à la fois aux mesures de hausse des PO, au dynamisme relatif de leur assiette, et à des transferts de l'État, a permis aux administrations sociales de retrouver un solde comparable à celui de 2007.

Après une forte augmentation entre 2007 et 2013, les dépenses des administrations publiques locales (APUL) ont, quant à elles, été freinées, à partir de 2014, sous la contrainte de la baisse des dotations de l'État. Ce ralentissement a davantage porté sur les dépenses d'investissement en baisse de près de 0,5 point de PIB entre 2007 et 2017, que sur les dépenses de fonctionnement, en hausse de 0,5 point de PIB en dix ans.

En dépit de la réduction des concours financiers de l'État, les recettes des administrations publiques locales ont crû plus vite que le PIB, grâce au dynamisme de l'assiette de leurs prélèvements obligatoires. En définitive, leur solde s'est amélioré par rapport à 2007.

Enfin, les dépenses de l'État et de ses opérateurs ont été en apparence mieux maîtrisées : mesurées à périmètre constant, elles ont baissé de 0,1 point de PIB en dix ans. En apparence seulement, car en mettant de côté la charge d'intérêts et les prélèvements sur recettes au bénéfice de l'Union européenne, qui ont connu une forte baisse, leurs dépenses ont augmenté de 0,7 point de PIB.

Par ailleurs, les recettes de l'État ont été peu dynamiques au cours de la période. Cela s'explique par une assiette des prélèvements obligatoires moins favorable en situation économique dégradée, et par d'importants transferts de recettes au profit de la sécurité sociale.

Au total, c'est donc l'État qui a supporté la majeure partie des effets de la crise sur les recettes publiques. Son solde s'est dégradé de 0,5 point en dix ans.

Voilà pour la photographie de la situation actuelle, considérée au regard de l'évolution dix dernières années.

La Cour s'est également penchée sur les risques qui pèsent sur le respect de la trajectoire fixée par les pouvoirs publics pour l'année en cours et pour la période 2019 à 2022. Cela l'a amenée à formuler ses troisième et quatrième constats.

S'agissant de 2018, je rappelle que le programme de stabilité remis à la Commission européenne en avril dernier retient une prévision de déficit public de 2,3 points de PIB, en amélioration de 0,3 point par rapport au résultat de 2017. Nous considérons que la prévision de déficit est atteignable, avec toutefois un risque de léger dépassement.

Pour commencer, la prévision de recettes apparaît plausible, quoiqu'un peu élevée. Le programme de stabilité retient en effet une prévision de croissance du PIB de 2 % en 2018, qui paraît aujourd'hui un peu forte au vu des informations conjoncturelles parues depuis le mois d'avril.

Dans sa dernière note de conjoncture, l'INSEE retient une prévision de croissance plus faible que celle du programme de stabilité, à 1,7 % pour 2018. Ce tassement constitue un aléa pour l'évolution des recettes en 2018 et plus encore, s'il se confirmait, pour 2019. Vous connaissez les débats qui ont cours entre économistes pour savoir s'il s'agit d'une pause ou d'un tassement plus durable.

En outre, le programme de stabilité suppose une croissance spontanée des prélèvements obligatoires un peu supérieure à celle du PIB en valeur, qui se traduirait par une élasticité au PIB de 1,1 %, soit d'un niveau proche de sa moyenne historique, après 1,4 en 2017.

Cela paraît atteignable, sous réserve cependant que certains facteurs favorables de 2017 continuent de se manifester en 2018, notamment s'agissant de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, ce qui n'est pas garanti dans un contexte de moindre dynamisme de l'activité.

Après les recettes, la Cour a observé les prévisions de dépenses. Le programme de stabilité prévoit une évolution de 0,6 % en volume hors crédits d'impôt, ce qui paraît également atteignable, même si, j'y reviendrai, une incertitude forte entoure l'évolution des dépenses des collectivités territoriales.

Trois éléments peuvent être soulignés.

Tout d'abord, les risques de dépassement du budget de l'État par rapport à la loi de finances initiale sont bien plus faibles en 2018, moins de 2 milliards d'euros, que lors des deux dernières années – on constatait des risques de dépassement de plus de 5 milliards d'euros. Cela est dû aux efforts notables qui ont été entrepris cette année pour rendre le budget plus sincère. Sous réserve d'une gestion très stricte d'ici la fin de l'année, les dépassements devraient pouvoir être compensés par des économies identifiées en cours d'année et par l'annulation d'une partie des crédits mis en réserve.

Ensuite, la prévision des dépenses des administrations de sécurité sociale apparaît réaliste.

Enfin, le principal risque concerne les dépenses des collectivités territoriales. La prévision du programme de stabilité table en effet sur un net ralentissement des dépenses de fonctionnement, soit +0,4 % en valeur après +1,6 %, sous l'effet du nouveau mécanisme de contractualisation entre l'État et les 322 plus grandes collectivités territoriales, mis en oeuvre en application de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022.

Si cet objectif n'apparaît pas hors de portée, comme le montre l'analyse par la Cour des budgets primitifs d'un large échantillon de collectivités territoriales, il est toutefois incertain qu'il puisse être atteint, compte tenu de la nouveauté de la démarche et de l'ampleur de l'ambition affichée.

L'objectif global de réduction du déficit semble donc atteignable, mais je voudrais rappeler que même s'il se réalisait, il ne représenterait qu'une faible amélioration de 0,3 point de PIB.

L'ambition de réduction du déficit nominal de 0,3 point de PIB correspond, du fait du niveau de la croissance attendue en 2018, à une cible de réduction du déficit structurel limitée à 0,1 point de PIB. Les pouvoirs publics se sont ainsi éloignés, c'est un constat, des règles européennes, qui prévoient une amélioration du solde structurel d'au moins 0,5 point par an.

Par ailleurs, même si cette baisse suppose un effort en dépense un peu supérieur à l'année précédente, l'objectif reste modeste, et il est en grande partie compensé par des mesures de baisse des prélèvements obligatoires.

L'amélioration attendue serait ainsi presque exclusivement imputable à la conjoncture.

Le quatrième et dernier message du rapport porte sur les perspectives pour les années 2019 à 2022. Il met en évidence à la fois les incertitudes qui entourent la possibilité d'atteindre des objectifs fixés dans la LPFP et le programme de stabilité, et les fragilités de construction de la trajectoire elle-même.

Vous le savez, une nouvelle loi de programmation, portant sur les années 2018 à 2022, est entrée en vigueur en janvier 2018. Le programme de stabilité déposé en avril s'inscrit dans son prolongement, en actualisant ses hypothèses macroéconomiques et sa trajectoire de finances publiques.

Il prévoit, à horizon 2022, le retour à un excédent des finances publiques et l'atteinte d'un solde structurel proche de l'objectif d'équilibre à moyen terme que la France s'est fixé en application du Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), même s'il semble que ces chiffres soient en train d'évoluer – vous aurez à les examiner dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques.

Avant d'entrer dans le détail de la trajectoire, je voudrais formuler deux observations générales.

La loi de programmation s'écarte des engagements européens de la France, en particulier en matière de redressement du solde structurel. L'observation formulée précédemment pour 2018 ne se limite en effet pas à cette année. La loi de programmation prévoit une amélioration annuelle du solde de 0,3 point, alors que le strict respect de nos engagements requerrait une amélioration annuelle d'au moins 0,5 point.

En outre, au-delà de l'introduction du mécanisme de contractualisation entre l'État et les 322 plus grandes collectivités territoriales, la loi de programmation ne retient aucune innovation significative en matière de gouvernance des finances publiques. Au contraire, elle enregistre certains reculs par rapport aux dernières LPFP : à titre d'exemple, le plafond du montant total des dépenses fiscales est si élevé qu'il ne sera pas contraignant.

Pourtant, des pistes existent, qui ont été mises en évidence par la Cour à de nombreuses reprises. Elles permettraient d'améliorer la portée et la cohérence des textes financiers et l'appropriation par tous des objectifs de maîtrise des dépenses.

Le périmètre général des lois financières pourrait ainsi être revu et clarifié. Celui des lois de financement de la sécurité sociale pourrait être étendu à l'ensemble de la protection sociale – j'ai appris que la commission des lois avait tout récemment voté un amendement en ce sens –, et une loi de financement des collectivités territoriales pourrait aussi être envisagée.

Par ailleurs, un objectif pluriannuel de dépenses portant sur toutes les administrations publiques, décliné dans les différentes lois financières pourrait être institué pour compléter l'objectif portant sur le solde structurel et fournir un repère solide et aisément compréhensible, destiné au pilotage d'ensemble des finances publiques.

Enfin, la réactivation d'une instance du type de la conférence nationale des finances publiques permettrait d'associer utilement l'ensemble des acteurs à la définition des objectifs et des méthodes de maîtrise des dépenses publiques.

Au-delà de ces remarques générales, la Cour a relevé quatre grandes fragilités de la trajectoire des finances publiques.

Premièrement, elle repose sur une hypothèse de croissance optimiste pour toute la période, continûment supérieure à la croissance potentielle, ce qui ne s'est jamais produit sur une durée aussi longue. Je l'ai déjà dit : le risque d'un tassement de la croissance est réel. Il est renforcé par des aléas internationaux, comme l'évolution du commerce international, l'évolution du prix du pétrole et les fragilités constatées au sein de la zone euro. Ce ralentissement pourrait rendre plus délicat encore le freinage des dépenses tel qu'il est envisagé, car il pourrait lui-même peser sur le niveau de la croissance.

Deuxièmement, la trajectoire de prélèvements obligatoires ne prend en compte qu'une partie des mesures annoncées. En particulier, elle n'intègre pas la suppression totale de la taxe d'habitation, ce qui devrait être corrigé dans le texte qui vous sera soumis la semaine prochaine. Supprimer cette taxe tout en respectant la trajectoire du programme de stabilité imposerait donc, soit de reporter ou d'abandonner certaines des mesures de baisse des prélèvements prévues à partir de 2020, soit d'accroître les économies en dépenses, ou de prendre cette diminution de recettes dans le déficit des comptes publics, ce qui semble être le choix du Gouvernement.

Troisièmement, la trajectoire suppose un net infléchissement de la croissance des dépenses. Une stabilisation puis une baisse en volume des dépenses, hors charge d'intérêts et contribution à l'Union européenne, entre 2020 et 2022 sont en effet nécessaires pour atteindre les cibles fixées par le programme de stabilité, alors que ces dépenses, je le rappelle, ont encore crû d'un peu plus d'1 % par an en moyenne au cours des cinq dernières années.

Le rythme d'évolution prévu pour les dépenses de l'État, qui suppose une baisse en volume des dépenses « pilotables » à partir de 2020, apparaît particulièrement exigeant.

S'agissant des dépenses sociales, compte tenu de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) retenu, et du fait qu'aucune mesure d'économie n'est envisagée avant la réforme structurelle des retraites, l'atteinte de la cible nécessitera des efforts particulièrement significatifs sur les autres champs.

La prévision du programme de stabilité suppose enfin que les administrations publiques locales respectent un objectif de stricte maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, à hauteur de 1,2 % en valeur par an, qui entraînerait, compte tenu de la reprise de l'inflation, une baisse en volume de 0,5 % à partir de 2020.

Alors même que la réalisation de l'objectif de dépenses est l'élément-clé de la trajectoire, les leviers de maîtrise de la dépense publique permettant de l'atteindre n'ont, à ce jour, pas été précisés. En particulier, toutes les propositions du comité « Action publique 2022 » n'ont pas été rendues publiques, et le Gouvernement n'a pas fait connaître les suites qu'il entendait leur réserver. Il est indiqué que les lois de finances auront vocation à compléter et préciser ses intentions.

Enfin, et c'est la quatrième fragilité, l'amélioration prévue du solde de l'ensemble des administrations publiques repose sur l'hypothèse d'un plafonnement des excédents des administrations de sécurité sociale au profit du solde de l'État, et sur la constitution d'excédents de plus en plus importants pour les administrations publiques locales.

Le programme de stabilité suppose en effet que l'excédent des administrations de sécurité sociale soit plafonné en 2019 par des transferts de recettes vers l'État. Les modalités de mise en oeuvre de ces transferts, d'un montant important, de l'ordre d'un point de PIB en fin de période, restent toutefois à préciser, alors même que les excédents de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) doivent être préservés pour lui permettre de résorber la dette, et que le pilotage des soldes de l'UNEDIC et de l'AGIRC-ARCCO ne relève pas directement de l'État.

Surtout, le programme de stabilité prévoit que les administrations publiques locales dégagent un excédent constamment croissant et atteignant 0,7 point de PIB en 2022. Or quand bien même elles respecteraient leur objectif de croissance des dépenses de fonctionnement, ces collectivités territoriales pourraient faire d'autres choix, comme celui d'accroître leurs investissements ou de baisser leur fiscalité plutôt que de laisser croître leurs excédents – cela dit, la baisse de la fiscalité n'apparaît pas comme une évidence.

En définitive, compte tenu de la situation très contrastée des différentes catégories d'administrations publiques, la sécurisation de l'objectif de solde global rendra vraisemblablement nécessaire un réexamen du partage actuel des recettes et des charges entre l'État, les administrations de sécurité sociale et les collectivités territoriales.

Pour conclure, je veux insister sur la dégradation de la situation des finances publiques de la France au cours de la décennie passée. En 2017, notre situation restait moins favorable que celle de la plupart de nos partenaires européens, et le retour à un déficit inférieur à 3 points de PIB ne doit pas nous conduire à ignorer cette fragilité structurelle.

Pour restaurer durablement la soutenabilité de nos finances publiques, une action résolue sur la dépense publique a été décidée par les pouvoirs publics. Elle doit encore être engagée dans des proportions plus importantes que ces dernières années. Cela nécessite de prendre « à bras-le-corps » les inefficacités et les inefficiences qui entravent encore trop souvent les politiques publiques.

Les objectifs fixés par la trajectoire des finances publiques sont atteignables, mais ils nécessiteront des choix politiques clairs, un effort de pédagogie collective sur la dépense publique, et son corollaire, la responsabilisation de tous les acteurs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Jusqu'en 2022, la programmation des finances publiques fait un peu du yo-yo. En 2020, 2021 et 2022, elle change assez significativement par rapport à ce qui était prévu.

Entre la loi de programmation des finances publiques qui, à la fin de l'année 2017, prévoit un déficit de 0,3 point de PIB en fin de période, et la prévision d'un excédent de 0,3 point, annoncé en avril 2018 dans le programme de stabilité, on avait amélioré la situation de 0,6 point de PIB – ce ne sont pas de petites sommes. La chronique suivait pour 2020, 2021 et 2022. Aujourd'hui, nous sommes retombés de + 0,3 à zéro. Cela est dû à la prise en compte de l'évolution de la croissance et à l'intégration de la seconde partie de la suppression de la taxe d'habitation – les 20 % de Français qui paient 50 % de cet impôt. Quelle est votre opinion en la matière ? On finance d'une certaine manière des dépenses fiscales pérennes par des ressources conjoncturelles liées à la croissance. Le Gouvernement proposera peut-être cet automne des mesures de réduction de la dépense – nous attendons avec impatience « Action publique 2022 », mais on ne les voit pas arriver.

Tout cela est hors traitement de la dette de la SNCF, y compris en termes de déficit. Si la SNCF est considérée comme une administration publique, le déficit de SNCF Réseau sera intégré dans notre déficit maastrichtien.

Une autre question se pose s'agissant du respect du solde structurel. La Cour et l'Union européenne fondent un grand nombre de leurs analyses sur le déficit structurel, mais on s'aperçoit qu'il s'améliore assez peu. La Cour considère-t-elle qu'il est important de respecter le solde structurel qui est, en quelque sorte, la version de notre déficit insensible aux cycles conjoncturels, et constitue une photographie de la solidité de nos finances publiques ?

Enfin, nous devrons veiller au changement des normes de dépenses. Nous utilisions les normes en valeur et en volume, elles vont évoluer avec ce qui est pilotable par l'État, et ce qui l'est moins, comme les prélèvements sur recettes ou les charges de la dette – dont la responsabilité est très ancienne. La Cour a beaucoup poussé à l'évolution en cours, mais, devons-nous être particulièrement vigilants sur la façon dont l'État traitera les dépenses et fera le partage entre pilotables et non pilotables ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le Premier président pour cet exposé.

Je reviendrai sur quatre points : la singularité de la loi de programmation militaire ; la structure des prélèvements obligatoires ; le mode de calcul du plafonnement des dépenses fiscales ; la trajectoire des finances des administrations publiques locales, problématique par laquelle je commencerai.

Vous soulignez que l'hypothèse d'un excédent croissant et durable apparaît « fragile ». Pouvez-vous en dire plus de l'implication potentielle de la trajectoire retenue, notamment en matière de besoin de financement et d'investissement des collectivités territoriales ? C'est un vrai sujet, et il nous faudra nous poser la question des dotations d'investissement des collectivités locales, compte tenu de cette trajectoire.

Vous indiquez que la loi de programmation des finances publiques a une portée réduite et que, de manière générale, les lois de programmation ont une ambition limitée. Cela étant, la LPFP édicte en son article 17 un objectif de stabilité des restes à payer. La singularité est que la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 prévoit que la mission Défense, qui porte la moitié des restes à payer du budget général de l'État, en soit exonérée. Comment analysez-vous cette exception à la règle d'encadrement des restes à payer ?

Votre rapport propose une analyse extrêmement précise et intéressante des finances publiques au cours des dernières années. Si le niveau des déficits est, en 2017, proche de ce qu'il était en 2007, la structure des finances publiques n'a plus rien à voir, et le poids des recettes et des dépenses a augmenté dans le PIB. Vous analysez également la situation par sous-secteur et vous démontrez que c'est bien l'État qui supporte le plus durement les effets de la crise financière sur les recettes. Ne serait-il pas pertinent de compléter cette analyse par celle de l'évolution de la structure des prélèvements obligatoires, qui me semble avoir grandement évolué depuis dix ans, avec la hausse du rendement des droits de succession et de donation, la montée en puissance de la fiscalité écologique et la baisse de la fiscalité directe sur les entreprises et des cotisations sociales ? Ne serait-il pas pertinent de consacrer un rapport aux effets de ces évolutions sur le caractère redistributif des prélèvements obligatoires et sur leur répartition entre les ménages et les entreprises ?

Vous formulez, dans votre rapport, des critiques sur le dispositif d'encadrement des dépenses fiscales de la programmation des finances publiques : « 'il ne sera pas contraignant. » Je ne peux pas dire que je ne partage pas cette analyse, puisque je suis à l'origine d'un amendement à la LPFP dont l'objet est d'abaisser ce plafond tout au long du quinquennat. Cependant, souscrivez-vous à l'idée qu'un plafonnement en pourcentage d'un agrégat de recettes plutôt qu'en valeur absolue constitue vraiment un progrès ? Un plafonnement en valeur ne me paraît effectivement pas très pertinent, puisque beaucoup de dépenses fiscales sont indexées sur la croissance économique. Je pense bien sûr au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), au crédit d'impôt au titre des salariés à domicile, aux taux réduits de TVA, dont il a été récemment question et dont le coût augmente forcément dans la même proportion que le secteur qu'il concerne. Plus la croissance est forte, plus le coût de certaines dépenses fiscales augmente, alors que leur poids relatif dans le PIB, lui, n'augmente pas forcément. Il en allait d'ailleurs ainsi en 2017, et le Gouvernement a souligné, dans l'exposé des motifs du projet de loi de règlement que nous venons d'adopter, la stabilité en 2017 par rapport à 2016 des dépenses fiscales, comme en 2016 à 24 % de l'agrégat défini dans la loi de programmation. À défaut de partager ce point de vue, quel autre mécanisme d'encadrement des dépenses fiscales pourriez-vous préconiser ?

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Le premier changement que vous avez constaté et que nous constatons résultait du changement de base. Une modification des résultats obtenus en 2017 a obligatoirement des conséquences en base pour les années suivantes. Le deuxième changement, en réponse à une question que nous avons posée dans notre rapport, tient à la prise en considération de la suppression totale, sauf sur les résidences secondaires, de la taxe d'habitation, qui modifie la perspective pour 2022. Est visé non plus un excédent mais un équilibre. Il ne nous appartient pas de porter un jugement ou une appréciation : nous raisonnons toujours par rapport aux engagements que vous prenez. En l'occurrence, nous constatons que les engagements se modifient quelque peu. Quant au solde structurel, il en va de même – c'est la conséquence. Déjà, la loi de programmation et le programme de stabilité avaient quelque peu repoussé, à peu près à l'année 2023, le respect de l'objectif à moyen terme sur lequel la France s'était engagée. Bien sûr, les nouveaux chiffres donnés dans le document du Gouvernement repoussent encore cette perspective.

Nous pensons que les notions de solde structurel et d'effort structurel restent intéressantes, bien qu'il soit parfois difficile de définir ces concepts. Ne raisonner qu'en termes de déficit nominal, ou effectif, et purement conjoncturel, limite l'intérêt de la photographie. Il faut raisonner également en termes structurels, pas seulement de solde mais d'effort structurel. Nous le voyons bien, j'ai eu l'occasion de vous le dire en vous présentant le rapport sur l'exécution du budget de l'État, l'amélioration de la situation est purement mécanique, sans aucun effort structurel : elle résulte strictement de l'augmentation de l'activité, de l'accélération de la croissance.

Quant à la distinction entre dépenses pilotables et dépenses non pilotables, nous pensons que cela va effectivement dans le bon sens. Il y a une partie des dépenses sur lesquelles, en fait, les pouvoirs publics nationaux ont peu de prise : la charge des intérêts ou la contribution de la France au budget de l'Union européenne. Il nous paraît donc intéressant de pouvoir distinguer entre dépenses pilotables et dépenses non pilotables, même si, bien évidemment, ensuite, il faut raisonner sur l'ensemble de la dépense.

Monsieur le rapporteur général, le président Briet pourra répondre à vos premières questions. Je dirai simplement un mot des dépenses fiscales. En fait, il n'y a pas d'encadrement du tout, ce qui pose déjà, en soi, un problème. Et puis revisiter les dépenses fiscales dans le cadre de ce Printemps de l'évaluation que vous avez institué présente un réel intérêt pour vous. Certaines dépenses fiscales présentent un intérêt – je me rappelle quelques observations faites lors d'une réunion précédente –, d'autres entraînent de véritables effets d'aubaine. De même, lorsque vous décidez, par exemple, de baisser le taux de l'impôt sur les sociétés (IS), cela mérite que soient revues toutes les niches fiscales qui ont pu être inventées pour atténuer un taux élevé. Pour le moment, ce travail n'est pas fait, alors même que la baisse du taux de l'IS est engagée. Il faut revoir un certain nombre de choses et, s'il s'agit d'arrêter un cadre nécessaire, retenir un niveau aussi élevé pour le plafond des dépenses fiscales n'est pas totalement raisonnable.

Il peut incontestablement être intéressant d'étudier la structure des prélèvements obligatoires. Ce peut être fait soit par la Cour des comptes, soit par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Pour notre part, nous sommes à la disposition de la commission des finances si le sujet vous intéresse.

Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

Le président Woerth nous a interrogés sur l'évolution des soldes d'un document de programmation à l'autre. Il est vrai que le solde de 2017 s'est amélioré de 0,3 point. Le Gouvernement indique que l'amélioration des recettes liées à la conjoncture est intégralement consacrée à la réduction du déficit. La question qui se pose est de savoir ce qui se passe à la fin de la trajectoire, et, effectivement, à la fin, cette amélioration n'est pas en base, elle se trouve en quelque sorte reprise par le financement de la suppression de la taxe d'habitation. Par conséquent, la règle qui était fixée à l'article 7 de la loi de programmation des finances publiques quant au fait que le solde ne doit pas bénéficier d'une amélioration exceptionnelle de la conjoncture vaut pour l'année 2017, mais ne vaut plus si l'on se place à la fin de la trajectoire.

Quant aux dépenses fiscales, tant le plafonnement en valeur absolue que le plafonnement en pourcentage se défendent. Les arguments de M. Giraud en faveur du pourcentage sont parfaitement audibles. Ce qu'il faut quand même relever, c'est qu'au cours de la période précédente les plafonds fixés que ce soit en pourcentage ou en valeur absolue n'étaient pas respectés, sans que cela déclenche la moindre réaction des pouvoirs publics. Au-delà du choix technique, l'important est donc qu'une vigilance s'exerce et que des mesures soient prises en cas de dépassement du plafond. Nous avions relevé dans le rapport sur le budget de l'État que le non-respect, plusieurs années de suite, du plafond fixé par loi de programmation n'avait été l'objet de nulle mention, de nul débat.

Quant à l'investissement local, nous jugeons les prévisions de la trajectoire de moyen terme logiques et raisonnables, avec une poussée d'investissement local en lien avec le cycle électoral municipal, puis un moindre dynamisme ensuite. En revanche, et cela renvoie à ce que le Premier président a dit tout à l'heure de la trajectoire des administrations publiques, on voit bien qu'avec un niveau d'investissement qui, en fin de période, devrait voir sa croissance ralentir l'accumulation des excédents liés à aux hypothèses de modération des dépenses de fonctionnement conduit à des marges considérables. Les problèmes de financement d'investissement en deviennent un peu théoriques si tout le reste se réalise comme décrit dans la trajectoire de moyen terme.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me rappelle la première audition à laquelle notre commission a procédé, au début de cette législature : MM. Eckert et Sapin nous expliquaient qu'il était normal au mois de juillet d'avoir 5 à 10 milliards d'euros de dépassement des dépenses, et que nous-mêmes verrions bien ce qu'il en serait. Aujourd'hui, vous estimez le risque de dépassement entre 1,8 et 2 milliards : nous sommes donc très loin des 5 à 10 milliards qu'ils avaient évoqués, et je me réjouis que notre choix de la sincérité se traduise dans les observations de la Cour.

Ma question concerne la maîtrise des dépenses des collectivités territoriales. Vous insistez sur l'effet de la récente baisse des concours financiers de l'État, ainsi que sur la nécessité de poursuivre une clarification entre missions de l'État et des collectivités. Vous soulignez également le caractère incertain de l'effet de la recomposition de la carte des collectivités sur les finances locales, notamment le bilan de l'intercommunalité.

Cependant, vous ne pouviez pas prendre en compte totalement au moment de l'écriture de votre rapport le fait nouveau du grand mouvement de contractualisation financière, puisque nous avons appris hier que 228 collectivités sur les 322 envisagées ont bien opté pour la contractualisation, qui procédait d'une intention de changer la « grammaire », comme disait le ministre, entre l'État et les collectivités.

Je comprends que vous ayez des doutes sur l'ampleur potentielle de cette contractualisation, mais le fait que 70 % des collectivités pressenties aient signé ces accords avec l'État change-t-il votre diagnostic, ou vous rassure-t-il quant à la capacité de tenir la trajectoire ?

Dans la majorité, nous nous interrogeons sur un certain nombre de dépenses. Nous voyons désormais l'Union européenne et le budget national engager des dépenses qui, d'une certaine manière, sont substituables. Qu'il s'agisse de la protection des frontières ou de la recherche, ou d'un certain nombre d'autres politiques, les budgets européens augmentent pour soutenir les États sans que les États eux-mêmes diminuent leurs budgets. Dans le contexte du cadre financier pluriannuel 2021-2027, pourriez-vous nous aider à bien délimiter le périmètre des dépenses nationales qui, aujourd'hui, se voit complétées voire supplantées par des dépenses européennes ? Je pense, par exemple, en matière de recherche – mission dont je suis la rapporteure spéciale –, à de potentiels doublons entre l'Agence nationale de la recherche (ANR) et, via les budgets du pilier FP9 (Framework Programme 9), l'European Research Council (ERC) ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le Premier président, de cette présentation.

Ce que je trouve très intéressant, c'est de constater, malgré un déficit en points de PIB du même niveau, en 2017, qu'en 2007, les prélèvements obligatoires ont substantiellement progressé : 3 points, ce n'est quand même pas anodin. Il serait intéressant d'examiner précisément à quels moments ils ont progressé. Quels furent les pics de cette progression ?

Quant à la dette, elle a progressé de 32,3 points, pour atteindre 96,8 points de PIB. Le groupe Les Républicains le dit depuis maintenant quelques mois : certes, nous pouvons nous féliciter d'être passés sous le seuil d'alerte des 3 %, mais il ne faudrait pas que les autres indicateurs se dégradent. Or, c'est un peu ce que vous pointez du doigt.

J'ai deux questions.

En page 90 de votre rapport, vous évoquez « une prévision de recettes plausible, quoiqu'un peu élevée ». Quant à l'impact des mesures nouvelles destinées à réduire les prélèvements obligatoires, vous l'estimez à une baisse de 11 milliards. Pourriez-vous nous préciser comment vous parvenez à ce chiffre ?

Vous écrivez par ailleurs que l'effort sur les dépenses à partir de 2020 n'est pas documenté, et nous sommes parfaitement d'accord. Je ne suis pas sûre que « Action publique 2022 » ne soit pas « mort-né ». En revanche, il y a la suppression de la taxe d'habitation, le déficit de la SNCF et le risque d'une hausse des taux d'intérêt. Et puis n'oublions pas, dans le cadre de l'Union européenne, la perspective d'un budget européen dédié à la question des migrations. Quel en serait l'impact, en points de PIB ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le Premier président, de ce rapport extrêmement intéressant, qui devrait nous trouver solidaires... parce que tout le monde en prend pour son grade ! Trois majorités successives sont concernées. Nous voyons qu'avec l'actuelle majorité le travail n'est pas encore fait. Quant à ce qui est dit de la majorité précédente, c'est assez terrible, et il en va de même de celle qui précédait encore. Ce rapport devrait être pour nous une école d'humilité.

De même, tous les échelons sont responsables – je ne dirai pas coupables... Vous mettez très justement en avant les problèmes des collectivités locales. Dieu sait que les collectivités territoriales ont hurlé contre les efforts qu'on leur a imposés, mais vous montrez très clairement qu'en fait, ces efforts ont affecté les investissements, et que les dépenses de fonctionnement en ont été épargnées. Il ne s'agit pas de porter des jugements, mais les responsabilités sont claires.

Quant à l'État, alors que les journaux évoquent le « train de vie de l'État », à de nombreux égards, nous sommes presque « à l'os ». Le principal problème reste la protection sociale et l'immensité du champ social.

Outre une leçon d'humilité, nous recevons aussi une leçon de vérité. D'ailleurs, je ne crois pas, contrairement à Mme de Montchalin, que votre propos se soit infléchi depuis le rapport dans lequel vous dénonciez l'insincérité du précédent budget. Vous aviez souligné cette originalité : l'insincérité portait sur les dépenses, pas sur les recettes. Aujourd'hui, vous montrez que si l'ampleur du dérapage est aujourd'hui moindre, cela tient à la progression des recettes non à une plus grande sincérité en ce qui concerne les dépenses.

Quant aux prévisions de croissance, permettez-moi de considérer, monsieur le président, que la mère, la Cour des comptes, est un peu plus sévère que le fils, le Haut Conseil des finances publiques. Connaissant un peu la Cour des comptes, notamment sa première chambre, je sais à quel point ses observations sont précisément ajustées, mais, tout de même, la bouteille à moitié pleine du Haut Conseil est plutôt à moitié vide dans le rapport de la Cour des comptes. Vous insistiez sur le caractère réaliste des hypothèses de croissance, vous en dénoncez aujourd'hui la fragilité. À mon avis, vous êtes plus dans le vrai aujourd'hui qu'hier, et la rupture que comporte le programme qui nous a été soumis est assez insuffisante.

Et je voudrais quand même savoir ce qu'il en est de la dette de la SNCF et de la suppression de la taxe d'habitation ! Vous avez évoqué celle-ci en termes prudents, indiquant que l'on passerait de l'excédent à l'équilibre. En réalité, on pouvait douter de l'excédent, on peut maintenant douter de l'équilibre. Je suis très préoccupé à l'idée que la suppression de la taxe d'habitation serait gagée par des économies hypothétiques, c'est-à-dire par des déficits probables.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le Premier président, pour cette présentation synthétique. Votre première partie le montre, et tout le monde ne peut que le constater : s'il y a une amélioration en 2017, l'actuel gouvernement n'y est pour rien. Il est dommage que vous ne rappeliez pas les trois facteurs exogènes auxquels nous devons une croissance bien plus forte que prévu : la parité euro-dollar, l'effondrement du cours du baril de pétrole et, pour couronner le tout, des taux d'intérêt extrêmement bas, liés à des politiques très accommodantes de la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine. Ce qui est intéressant, c'est que la variation structurelle des dépenses rapportées au PIB aura été nulle en 2017. Il n'y a donc eu aucun effort sur la dépense.

Deuxième point, une nouvelle fois, la grande hausse est celle des dépenses sociales, mais de qui sont-elles la responsabilité ? De l'État, depuis toujours. Tout est décidé par l'État : les recettes et les dépenses. Si nous voulons, mes chers collègues, redresser la situation, ce ne sont pas les collectivités locales qu'il faut viser, dont les dépenses n'ont augmenté que de 0,2 point de PIB en dix ans, soit 4 milliards, en euros constants.

Troisième point, je vous sens prudent en ce qui concerne la prévision de déficit atteignable. Vous commencez par constater qu'avec une prévision de 2 %, la croissance est d'ores et déjà surestimée. Vous rappelez que l'on retient plutôt, maintenant, l'hypothèse d'une croissance de 1,7 % ou 1,6 %, et que cela ne se redresse pas. Certains espèrent que c'est conjoncturel et que les choses iront mieux, avec une réduction de la taxe d'habitation, etc. C'est l'analyse du Gouvernement. Pour ma part, je suis très dubitatif parce que ce n'est pas un problème purement français : on constate le même phénomène dans d'autres pays d'Europe.

Quant à vos commentaires sur un certain nombre de risques, vous jugez plutôt réalistes les dépenses de sécurité sociale. Oui... sous une réserve : en assurance maladie, les déficits de fonctionnement des hôpitaux publics s'accumulent. Nous n'arrivons jamais à avoir les chiffres précis, mais nous en serions, en prévision, à un déficit de 1,7 milliard en 2018, contre 1 milliard l'année précédente.

Vous rappelez aussi que la réduction structurelle des dépenses est extrêmement faible : 0,1 point de PIB. Autant dire rien, car 0,1 point de PIB c'est 2 milliards d'euros.

Et je ne vous trouve pas assez critique sur un point : est-il réaliste de penser que la croissance se maintiendra à un tel rythme pendant cinq ans, avec un tel écart par rapport aux capacités de production ? La croissance potentielle reste autour de 1,1 % ou 1,2 %.

Quant à la trajectoire des prélèvements obligatoires, vous soulevez un problème de détail, à 10 milliards d'euros... Comment finance-t-on le solde ?

Et puis, vous ne dites rien, cela m'a beaucoup étonné, de SNCF Réseau, puisque la décision est prise. On intègre cela dans les administrations publiques de façon à essayer d'éviter un impact sur le déficit budgétaire, tout cela est assez grossier. Pouvez-vous nous en dire plus ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout d'abord, monsieur le président, je regrette que nous n'ayons toujours pas le rapport de la Cour sur la formation professionnelle des demandeurs d'emploi, en vue de l'audition de demain.

Le fait marquant du budget 2017, c'est bien évidemment que notre déficit public soit passé sous la barre des 3 % du PIB. Ce seuil n'est qu'un point de passage sur une trajectoire de réduction du déficit qui s'est amorcée depuis 2012, mais rappelons aussi que ce résultat est obtenu au prix de souffrances endurées par des hommes mais aussi par des territoires – je ne reviens pas sur les mesures liées aux décrets d'avance. Certes, c'est un bon résultat, et nous sommes effectivement revenus au déficit de 2007, mais les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires ont progressé, dans le même temps, de 3 points et la dette reste très inquiétante, à 96,8 % du PIB. Restons donc humbles, comme nous y invitait un précédent orateur.

Quant au budget 2017 et aux annulations de crédits, il y a clairement un problème pour plusieurs missions. Les 340 millions de crédits non utilisés et annulés de l'administration pénitentiaire auraient peut-être pu être reportés, notamment pour des investissements dans des établissements existants, investissements pourtant nécessaires – l'actualité nous le rappelle. De même, l'annulation de 25 millions de crédits prévus pour la gendarmerie paraît complètement incompréhensible au regard des besoins de nos territoires – tous les députés sur le terrain le savent.

En ce qui concerne le budget 2018, vous estimez les dépassements de dépenses à 2 milliards – un petit peu moins, disait Mme de Montchalin – et vous notez une mise en réserve de crédits insuffisante pour compenser ces dépassements. Les missions concernées sont notamment la défense, ou la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, avec un risque significatif concentré sur la prime d'activité, dont les estimations en projet de loi de finances n'ont pas été corrigées au cours du débat parlementaire à la lumière de celles, bien plus élevées, de la Caisse nationale des allocations familiales au mois d'octobre 2017. En finira-t-on jamais avec l'insincérité budgétaire ?

Quant à la trajectoire des finances publiques 2018-2022 définie par le Gouvernement, vous vous montrez critique – heureusement, car il faut l'être. Il est clair qu'il y a un décalage entre l'analyse des experts et les trajectoires retenues par le Gouvernement. Le nouveau monde manque-t-il un peu de réalisme pour ignorer autant l'expertise économique ? Il y a quand même de quoi s'inquiéter, avec une croissance ralentie, des taux d'intérêt repartis à la hausse, sans compter les facteurs de dérapage qui sont nombreux : le service national universel, la reprise de la dette de la SNCF, la suppression totale de la taxe d'habitation, la double dépense liée à la transformation du CICE en réduction de charges. Les résultats n'étant pas si bons qu'on le martèle, le peuple s'inquiète de trajectoires qui ne sont pas très justes.

Effectivement, l'investissement local semble reparti à la hausse. C'est plutôt une bonne nouvelle mais il y a les investissements qui provoquent des dépenses de fonctionnement et ceux qui permettent de les réduire. Avez-vous analysé les parts respectives des deux et les liens qu'il peut y avoir entre les différents types d'investissements ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En ce qui concerne les rapports remis par la Cour des comptes en application du 2° de l'article 58 de la LOLF, notre commission applique, apparemment depuis toujours, la règle suivante : ces rapports sont rendus publics au moment où la Cour les présente, et non lorsqu'elle nous les adresse. Si nous les envoyions sans attendre à soixante-dix commissaires, de tels documents auraient toute chance d'être rendus publics immédiatement. Comme le Premier président Migaud présentera demain le rapport sur la formation des demandeurs d'emploi, nous vous l'enverrons ce soir, sous embargo. Je précise que la Cour nous l'a remis en mai : il a ensuite fallu un peu de temps pour organiser cette audition, et nous avons eu à traiter beaucoup d'autres sujets. Nous pourrons éventuellement discuter d'un changement de règle dans le cadre du bureau de la commission, et avec la Cour, mais la pratique en question est très ancienne.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce type d'exercice est toujours un peu compliqué pour moi, car nous ne regardons pas la réalité avec les mêmes lunettes. Quand on considère la situation économique et l'état de nos finances publiques en ne retenant comme perspective que l'ampleur du déficit public et de la dette, on se contente de craindre ou d'observer les retournements économiques. Lorsque l'on ne comprend pas que les cycles du capitalisme financiarisé que nous connaissons aujourd'hui, et qui expliquent la bulle spéculative de 2007, sont justement dus aux politiques d'austérité, au transfert des richesses du travail vers le capital et au libre-échange, on se limite à observer que la conjoncture est parfois plus favorable que ce que l'on avait prévu, ce qui améliore la situation économique et le bilan du Gouvernement, et parfois moins favorable, sans se demander pourquoi.

Si l'économie française n'est pas entrée en récession au cours des années 2009-2015 – et ce ne sont pas mes propres chiffres –, c'est parce que les dépenses publiques ont pris la relève alors que le marché était atone, ce qui a permis d'éviter une récession en France. Je crains que la politique du Gouvernement actuel et l'application de vos préconisations – vous demandez de faire attention aux risques de dérapage – ne conduisent la prochaine crise à toucher un pays d'autant plus fragilisé que le principal feu de son économie aura été réduit. On nous annonce en effet, dans le cadre de la nouvelle LPFP, des coups de rabot supplémentaires sur les aides personnalisées au logement (APL) et les contrats aidés, des suppressions massives de postes dans la fonction publique et des réductions de dépenses dans les collectivités territoriales, alors que les dépenses constituent aussi des recettes – il faut quand même le rappeler. Nous ne regardons donc pas tout à fait de la même manière la situation.

Vous expliquez, à la page 133 de votre rapport, que la trajectoire des recettes « n'incorpore pas certaines mesures annoncées d'allégement des prélèvements obligatoires ». J'attends de voir, avec impatience, quand elles seront prises en compte. De quoi s'agit-il ? Pour paraphraser ce que pourrait dire notre collègue Charles de Courson, c'est la grande gabegie relative au coût du capital, c'est-à-dire tous les cadeaux fiscaux qui ont été faits depuis une trentaine d'années, notamment via l'ISF et la flat tax. Entre 6 et 10 points de PIB ont ainsi été transférés du travail vers le capital, y compris lorsqu'il n'est pas investi. C'est principalement de cela que notre économie souffre, au plan tant des recettes que du coût de l'argent. J'attends donc de voir quels seront, dans un an, les effets de la politique menée par ce Gouvernement.

Enfin, j'observe que vous imputez au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu un coût qui pourrait avoisiner 2 milliards d'euros. Cela fait aussi partie de mes inquiétudes pour l'avenir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ne vous poserai qu'une question, pour ma part : combien de temps cela va-t-il encore durer ? Car on entend toujours les mêmes mots : dette, déficits, réduction des dépenses, fragilités, efforts... Il faudrait ainsi, une fois de plus, réduire les dépenses publiques. C'est tantôt à cause des déficits publics, tantôt à cause de la dette, et parfois même pour ces deux raisons à la fois. Tout cela dure depuis quarante ans. On répète toujours le même mot d'ordre, la réduction de la dépense publique, sans que jamais on n'envisage d'augmenter les recettes de l'État. Selon vos préconisations, il devrait encore et toujours réaliser des efforts, et les Français avec lui, il faudrait serrer davantage la vis, afin d'atteindre l'équilibre des finances publiques.

L'objectif est louable, car qui s'opposerait à une bonne gestion ? Le problème est que les efforts concernent toujours les mêmes acteurs, en fin de compte : les retraités, les salariés, nos services publics, les personnes soignées dans les hôpitaux, nos collectivités locales et leurs élus, qui doivent gérer des budgets et à qui on propose maintenant un contrat qui prend la forme d'un chantage, puisqu'ils ont un pistolet braqué sur la tempe. Si les collectivités ne respectent pas l'objectif de progression de 1,2 % des dépenses, elles subiront une pénalité équivalant à 75 % du dépassement si un contrat a été signé avec l'État, ce qui fait trois balles dans le pistolet ; si elles n'ont pas signé de contrat, la pénalité sera de 100 %, soit quatre balles dans le pistolet. Dans tous les cas, on finira avec au moins une balle dans la tête.

Vous réclamez beaucoup d'efforts aux Français au nom de l'Union européenne et des traités européens, que les Français ont pourtant rejetés en 2005. Ces traités nous demandent de réduire les dépenses publiques, notamment celles des collectivités, et de privatiser les services publics, comme c'est le cas en ce moment pour la SNCF, après EDF et GDF il y a dix ans, ce qui se traduit par une hausse de 7,45 % des prix du gaz au 1er juillet : c'est aussi le fruit de ces politiques !

Il n'y a pas un mot dans vos rapports, dans les kilos de documents que nous recevons à l'Assemblée nationale, sur les cadeaux faits aux plus riches, alors qu'ils ont soustrait plus de 12 milliards d'euros de recettes au budget de l'État pour l'année 2018. Il n'y a pas un mot, non plus, sur les grands fraudeurs qui dépouillent notre budget d'un montant compris entre 60 et 80 milliards chaque année. N'ont-ils pas leur part de responsabilité dans le déficit public de la France ?

Je vous le demande donc, monsieur le Premier président : combien de temps cela va-t-il durer ?

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

En ce qui concerne les dépenses qui pourraient être communes au budget de l'Union européenne et à celui de l'État, nous sommes tout à fait prêts à travailler sur ce sujet, si vous le souhaitez, par exemple dans le cadre du 2° de l'article 58 de la LOLF. Il pourrait être intéressant, en effet, d'identifier dans quels secteurs une double intervention est susceptible d'avoir lieu, avec des doublons, et de regarder quelles seraient les améliorations potentielles.

S'agissant de la contractualisation entre les collectivités et l'État, nous maintenons notre diagnostic malgré les annonces qui ont été faites à la fin de la semaine dernière. On voit aujourd'hui que 70 % des collectivités ont signé un contrat, mais il faudra voir ce qui se passe exactement. Nous ne préjugeons pas : nous posons un certain nombre de questions et nous soulignons qu'un certain nombre de points reposent sur un pari, qui est la réussite de cette contractualisation. Nous aurons vraisemblablement l'occasion d'y revenir dans notre rapport sur les finances locales, puis l'année prochaine au vu des résultats qui seront enregistrés.

Quant à l'impact des mesures adoptées, notamment sur l'évolution des recettes année après année, un graphique figurant à la page 77 du rapport permet d'apporter un certain nombre d'éléments de réponse. Vous trouverez aussi à la page 93 du rapport une décomposition, ligne par ligne, des mesures affectant les prélèvements obligatoires en 2018.

Je confirme que la SNCF n'est pas prise en compte dans la trajectoire pour le moment. Tout dépendra de la manière dont la question est traitée sur le plan comptable – vous savez qu'un débat existe, en effet. La SNCF n'est pas considérée comme une administration publique (APU), mais comme une société non financière, au motif que le taux de couverture des dépenses courantes par les recettes commerciales dépasse 50 %. Or, on frôle ce taux. La décision sera prise en toute indépendance par l'INSEE ou par les comptables européens. Si l'on considère que la SNCF est une APU, il y aura chaque année des conséquences sur le déficit des comptes publics, car son déficit devra être pris en compte, ainsi que sur la dette – celle de la SNCF s'ajoutera à l'ensemble actuel. Ce sujet fait l'objet d'un encadré à la page 144 du rapport.

Je ne sais pas si tout le monde « en prend pour son grade », monsieur Bourlanges. Ce n'est pas nécessairement la question et je ne m'exprimerai pas de cette manière. Nous avons constaté un effort de sincérisation dans la dernière loi de finances : les incertitudes relatives à l'exécution des dépenses sont moins importantes qu'au cours des exercices précédents. Nous aurons, bien sûr, à évaluer cet effort dans la durée.

Les décisions relatives à la taxe d'habitation viennent d'être intégrées dans le dernier document du Gouvernement. Nous constatons qu'elles ne sont pas financées par des économies supplémentaires mais par une détérioration du solde. Il ne nous appartient pas d'apprécier cette décision, qui relève de vous car elle est politique. Le solde passerait de + 0,3 à zéro point compte tenu de la recette liée au maintien, semble-t-il, d'une taxe d'habitation sur les résidences secondaires.

Je ne reviens pas sur ce que M. de Courson a dit au sujet d'un certain nombre de fragilités que nous avons identifiées. Je rappellerai seulement que la croissance potentielle est évaluée par le Gouvernement à 1,25 %, avec une évolution possible à 1,35 % en fin de trajectoire. Ce que nous disons est qu'il est rare de connaître des situations où la croissance effective dépasse durablement la croissance potentielle, comme l'implique la trajectoire du Gouvernement. Cela peut arriver – on l'a vu aux États-Unis ou en Allemagne – mais c'est extrêmement rare. Nous considérons que la trajectoire de croissance est optimiste. À cela s'ajoute un effort structurel sur les dépenses qui est beaucoup plus important en fin de trajectoire, sans qu'aucune conséquence en soit tirée au plan de la croissance, alors que l'on sait parfaitement qu'il peut exister un effet un peu récessif dans ce cas. Nous avons donc quelques interrogations sur la trajectoire retenue.

La Cour des comptes n'est pas plus sévère que le Haut Conseil des finances publiques en ce qui concerne l'année 2018, monsieur Bourlanges. Il y a une nuance à propos de 2018 et même de la période ultérieure, car un certain nombre de risques, déjà identifiés par le Haut Conseil, se sont plutôt concrétisés au cours des trois derniers mois. On voit bien que certains facteurs de fragilité pèsent davantage à l'heure actuelle. Cela explique, au demeurant, la révision des hypothèses de croissance par l'INSEE et d'autres instituts de conjoncture.

Je suis d'accord avec M. Bricout : il peut y avoir des investissements qui entraînent des dépenses de fonctionnement et d'autres qui en suscitent moins. Nous n'avons pas conduit d'études spécifiques en la matière, mais nous pourrions regarder cette question dans le cadre de travaux relatifs aux investissements des collectivités territoriales. Je pense aussi que le ministère de l'économie et des finances pourrait vous apporter des éléments...

En ce qui concerne les observations de M. Coquerel et de M. Roussel, je suis interrogatif. Je ne sais pas si nous n'avons pas les mêmes lunettes, mais je peux vous dire que nous raisonnons par rapport à la loi et aux objectifs adoptés par le Parlement. Nous ne le faisons pas par rapport à un programme politique, mais par rapport aux décisions prises par celles et ceux qui ont une majorité au Parlement. La différence est que nous ne nous plaçons pas sur le terrain de l'opportunité. Nous raisonnons, je le répète, par rapport aux décisions et aux engagements pris par les autorités qui ont la légitimité pour le faire. Qu'il y ait des contestations et une opposition à l'égard de la ligne qui a été adoptée, on peut tout à fait à le concevoir, mais nous ne raisonnons pas par rapport à ce que peut penser un groupe qui n'a pas obtenu la majorité au Parlement.

J'ajoute que la France a connu une récession au cours des années que vous citez. La question que l'on peut se poser, et j'invite M. Coquerel à le faire, est que la France a 3 points de PIB d'impôts et de taxes de plus que la moyenne de la zone euro, et que beaucoup de ses partenaires, ainsi que 3 points de PIB de plus en termes de dépenses publiques. Avons-nous une croissance supérieure en proportion ? Non. S'il y avait un lien direct entre l'augmentation de la dépense et le niveau de la croissance, cela se saurait et nous serions sûrement champions ou vice-champions du monde en matière de croissance, ce qui n'est pas le cas. Il n'y a pas de lien automatique : ce n'est pas parce que l'on dépense plus que la France et les Français se portent obligatoirement mieux. La croissance potentielle est certainement insuffisante en France : elle mériterait d'être améliorée, mais il faut se demander ce que l'on peut faire pour y arriver. Ce sont des décisions politiques et il n'appartient pas à la Cour des comptes d'exprimer un point de vue à ce sujet.

Notre seul critère n'est pas l'ampleur des déficits et de la dette : nos critères sont les lois de programmation et les lois de finances que vous votez. M. Roussel m'a demandé combien de temps cela va durer. Je n'en sais rien : nous raisonnons, je le répète, en fonction des lois qui ont été votées.

Contrairement à ce qu'on lit parfois, ou à ce qui est dit, la dépense publique ne s'est pas réduite en France. Elle a augmenté, nous avons déjà eu l'occasion de le dire, de 14 milliards en 2017 et de 3 points de PIB entre 2007 et 2017. La dépense publique n'a donc pas du tout baissé : elle augmente moins qu'auparavant.

Ce que la Cour dit est que l'objectif de maîtrise de la dépense publique est ambitieux par rapport à ce que nous pouvons constater au sujet des dernières années, mais aussi qu'il y a des marges d'efficacité et d'efficience. On peut travailler sur certains effets d'aubaine pour faire en sorte que l'effort ne soit pas réalisé au détriment de ceux qui ont le plus besoin de la puissance publique. La Cour des comptes ne propose pas, bien évidemment, de réduire la proportion des aides : elle constate seulement certains effets d'aubaine.

Il existe par ailleurs des travaux de la Cour sur la fraude fiscale et aux cotisations sociales, dont je pourrai vous donner la liste : nos travaux ne concernent pas seulement les dépenses mais aussi les recettes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aimerais revenir sur la contractualisation. Vous avez dit, fort justement, que 50 % des dépenses ne sont pas concernées par l'exercice tel qu'il est défini à l'heure actuelle. Faut-il aller plus loin en incluant les budgets annexes et davantage de communes, ou bien faut-il changer de méthode ?

Vous plaidez pour une loi de financement des collectivités territoriales, comme de nombreuses associations d'élus et la délégation compétente de notre assemblée. Je voudrais néanmoins m'assurer que nous parlons de la même chose. Vous dites que votre objectif est de renforcer la gouvernance des finances publiques, tandis que les collectivités territoriales pensent plutôt à des sujets tels que la stabilité et la visibilité des transferts. Que mettriez-vous précisément et concrètement dans une nouvelle loi de financement ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le Premier président, pour la présentation intéressante que vous avez faite.

Il est indiqué à la page 125 de votre rapport que « l'expérience des lois de programmation précédentes montre qu'elles n'ont guère eu de valeur prescriptive pour la trajectoire ultérieure des finances publiques, et ce notamment parce qu'elles ne s'imposent pas aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale » : on s'aperçoit, souvent, que les trajectoires ne sont pas suivies.

Que pourrait-on faire, au niveau du Parlement, pour que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale entrent bien dans le cadre des lois de programmation des finances publiques, ou bien pour qu'un lien soit établi, chaque année, par une modification de la loi de programmation ? On peut se faire plaisir intellectuellement, peut-être, mais cela ne sert à rien par la suite. Comment y remédier ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais rebondir sur l'intervention de M. Coquerel en soulignant, avec tout le respect que je vous dois, monsieur le Premier président, qu'il n'y a pas eu de récession en France. La définition d'une récession, selon l'INSEE, est en effet une croissance négative du PIB pendant deux trimestres consécutifs. On peut tourner les choses comme on veut, mais la France ne s'est pas trouvée dans une telle situation, tout simplement parce qu'il y avait des « amortisseurs économiques ».

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Nous vous apporterons les éléments nécessaires et vous verrez que vos propos ne sont pas totalement exacts.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En ce qui concerne l'année 2018, j'aurais tendance à dire que je partage votre constat. S'agissant de 2019, je pense en revanche qu'il existe une insincérité, sur le plan des recettes comme sur celui des dépenses. S'il n'y a pas l'élasticité annoncée et le gain de croissance cranté en 2017, il manquera 14 ou 15 milliards d'euros de recettes. Quant aux dépenses, vous avez eu raison de rappeler qu'il y a un risque lié aux 20 % de la taxe d'habitation qui resteront en 2020 mais aussi à la reprise de la dette de la SNCF, et à son coût. Cela représente une trentaine de milliards si l'on ajoute les risques portant sur les recettes à ceux relatifs aux dépenses.

J'inclus dans ce total les collectivités territoriales : même si 228 sur les 322 concernées ont conclu un contrat avec l'État, cela ne signifie pas que l'objectif de 1,2 % sera respecté à la lettre.

Il y a donc une crainte de dérapage des finances publiques : 2019 sera l'année de tous les dangers, car il peut y avoir une conjonction des effets en termes de recettes et de dépenses. Vous pointez les quatre fragilités principales à la page 19 du rapport : vous soulignez notamment que l'hypothèse de croissance est optimiste et que toutes les mesures annoncées ne sont pas prises en compte.

Je vous remercie d'avoir indiqué, même s'il faut aller chercher cette précision au milieu d'un paragraphe, page 19, que la croissance des dépenses publiques était supérieure à 2 points en volume au début des années 2000 et que l'on est ensuite passé à 1 point entre 2012 et 2017, ce qui représente une division par deux.

Je considère que tout n'est pas bouclé, en particulier pour 2019 : ce sera, je le répète, l'année de tous les dangers. J'aimerais avoir votre avis, aussi bien sous l'angle des recettes, où les dérapages peuvent atteindre une quinzaine de milliards, que sous celui des dépenses, pour lesquelles le risque s'élève à une dizaine de milliards, au bas mot.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai sous les yeux un document de l'INSEE qui évoque une récession sans précédent en 2009. Il y a eu plusieurs trimestres consécutifs de baisse du PIB.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je garde mes lunettes, mais vous m'autoriserez, pour vous poser une question sur l'exit tax, à sortir aussi une loupe...

Le 1er mai dernier, le Président de la République a déclaré qu'il voulait mettre fin à ce mécanisme dès l'année prochaine. L'objectif est de renforcer l'attractivité de la France afin d'encourager les entreprises à s'y installer et ainsi de contribuer à la croissance économique. La Cour des comptes a-t-elle procédé, en amont, à une analyse du coût de cette mesure, en s'intéressant notamment aux recettes dégagées par l'exit tax ? Les avis divergent, en effet. Le Gouvernement a évoqué entre 10 et 15 millions d'euros, alors que le directeur de la législation fiscale, que nous avons auditionné, a plutôt évoqué un montant de 42 millions d'euros. J'aimerais aussi connaître l'avis de la Cour des comptes sur l'opportunité d'une telle mesure en termes de rapport coûtbénéfice. Enfin, considérez-vous qu'il convient de procéder à une suppression pure et simple du dispositif ou, au contraire, qu'il faudrait réfléchir à un mécanisme de substitution plus pertinent ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup pour votre exposé très clair, monsieur le Premier président. Ma question concerne une annonce faite par le Gouvernement à l'automne dernier au sujet d'« Action publique 2022 » : il a été dit et répété qu'un rapport serait rendu public au printemps et que le Gouvernement prendrait position par la suite. Comme vous l'indiquez dans votre propre rapport, la question de la réduction des effectifs publics est essentielle si l'on veut arriver à suivre la trajectoire fixée. En savez-vous davantage ? Le Gouvernement semble procrastiner.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'annexe VI du rapport fait état d'un risque de dépassement des crédits de titre II, alors qu'il y a eu une forte reprise en main entre 2017 et 2018 : nous avons pris la décision, difficile, de mettre en stand-by le dispositif « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) – même s'il faudra, malgré tout, honorer les accords signés avec l'ensemble des salariés de la fonction publique et absorber les hausses de schémas d'emplois. J'aimerais en savoir davantage sur ce qui peut encore faire déraper, selon vous, ces dépenses dont nous avons repris la maîtrise, notamment dans le cadre des discussions qui ont eu lieu ces derniers jours avec les organisations syndicales.

Je voudrais aussi vous interroger sur l'annexe VII, relative au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu (IR). Vos estimations à la baisse m'ont un peu surprise, car le taux de recouvrement de l'IR est de l'ordre de 95 %, contre 99 % pour les cotisations salariales. On a donc pu tabler légitimement et, me semble-t-il, de manière prudente sur une amélioration du recouvrement de l'IR grâce à la retenue à la source : le taux passerait à 97 %. Je ne vois pas vraiment en quoi cette prévision pourrait être affectée. En ce qui concerne le recours à la modulation, on sait depuis quelques jours que les Français sont restés relativement prudents : ils ont préféré garder le taux d'imposition du foyer au lieu d'essayer de jouer sur des taux individualisés ou neutres. À l'aune de ces premiers résultats, pensez-vous que l'on pourrait en rester à la prévision de 97 %, sans qu'il y ait la variation de 2 milliards d'euros que vous envisagez dans votre rapport ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci de votre exposé très clair, très précis, qui reflète la réalité. Ce n'est pas de votre fait, mais j'ai l'impression que nous entendons la même chose chaque année : augmentation de la dépense publique de l'État, augmentation de la dette. La nouveauté est que la croissance est au rendez-vous, ce qui permet de voir le déficit pour 2017 s'établir à 2,6 % du PIB, mais la dépense publique continue d'augmenter.

Si la croissance n'est pas au rendez-vous, ou si elle est faible, si les taux d'intérêt remontent, et si les dépenses d'État continuent à augmenter, que ferons-nous ?

Contrairement à ce que disent certains de mes collègues, vous avez tout à fait raison, il faudra bien que l'État réduise un jour ses dépenses publiques, comme on demande aux collectivités locales de le faire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous dites que le taux de croissance effectif de nos finances publiques est très largement supérieur au taux de croissance potentielle, ce qui ne s'est jamais vu.

Il y a d'abord un problème de calcul : si nous arrivons à bien mesurer le taux de croissance effectif, le taux de croissance potentielle ne fait pas consensus. Par ailleurs, toute la politique économique et sociale que nous menons tend à former la main-d'oeuvre disponible et à développer l'investissement de productivité, autant d'éléments de nature à relever la croissance potentielle.

Dès lors, ne faudrait-il pas revoir le mode d'évaluation de cette croissance potentielle, qui a une influence sur la perception de notre trajectoire d'évolution des finances publiques et sur le calcul de notre solde structurel ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez parfaitement souligné la dégradation de la situation de nos finances publiques, mais aussi la fragilité de la trajectoire qui nous est présentée par le Gouvernement. Pour rendre cette trajectoire plus fiable, nous n'avons d'autre choix que de diminuer notre dépense publique en volume. Quels sont, selon vous, les secteurs ou mécanismes sur lesquels il conviendrait d'agir dès maintenant afin d'avoir un effet levier sur cette diminution ?

Les perspectives de croissance sont plus modérées qu'annoncées, parallèlement, les taux d'intérêt sont dans une phase ascendante et le renchérissement des matières premières est une réalité, de même que les tensions sur le commerce international. Si les perspectives de ralentissement sont chiffrées, pouvez-vous également chiffrer la prévision d'inflation ?

Nous nous interrogeons comme vous sur la fiabilité de cette trajectoire, et sur les nécessaires corrections à y apporter, en constatant que la suppression de la taxe d'habitation n'y est pas intégrée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci pour la clarté de votre exposé et la précision de vos réponses aux questions que nous vous avons soumises. Le déficit public observé en 2017 revient à un niveau comparable à celui du milieu des années 2000 mais, dans l'intervalle, la dette s'est accrue de plus de 30 points, et la part des dépenses publiques dans le PIB et le taux des prélèvements obligatoires ont également fortement augmenté, chacun de 3 points de PIB par rapport à 2007.

Vous apportez une preuve supplémentaire de la violence de la crise des subprimes en 2008 et de celle des dettes souveraines en 2010 et 2011 à ceux qui ont pu la nier ou la sous-estimer. Compte tenu de notre dette publique, désormais proche de 100 %, de la pression fiscale élevée – et record – supportée par les contribuables, et du niveau sans équivalent des dépenses publiques, nous constatons que nous sommes dans le rouge. Mais qu'y a-t-il après le rouge ? Comme le disait Émilie Bonnivard, quelles pourraient être les conséquences en cas de nouvelle dégradation de la conjoncture internationale : hausse des prix des produits pétroliers, hausse des taux d'intérêt, voire un nouveau krach boursier ? Quel est le risque, et quels en seraient les conséquences et les remèdes ?

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La contractualisation porte sur 57 % des dépenses : une partie des dépenses n'est ainsi pas concernée. Nous parlons d'une loi de financement des collectivités territoriales avec l'idée que cette loi pourrait avoir vocation à retracer l'ensemble des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, et fixer, pour l'année à venir, par catégories de collectivités, les conditions de l'équilibre global en cohérence avec la loi de programmation qui est votée par le Parlement. L'objet n'est pas similaire à celui d'une loi de finances pour l'État, mais une telle loi permettrait d'identifier un certain nombre de sujets et de situer ce qui peut être demandé aux collectivités territoriales compte tenu de la trajectoire des finances publiques fixée par le Parlement.

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Comme il existe une loi de financement de la sécurité sociale, il pourrait y avoir une loi d'orientation pour les collectivités territoriales. Bien sûr, elle n'aurait pas la même portée qu'une loi de finances, mais elle permettrait d'organiser un débat sur ce que vous attendez de ces collectivités car, je le rappelle, la libre administration des collectivités territoriales se fait dans le respect des lois qui la réglementent.

Notre proposition d'élargir le champ des lois de financement de la sécurité sociale à l'ensemble de la protection sociale obligatoire pose aussi la question de l'angle mort du pilotage des dépenses de santé. Un respect strict de l'ONDAM peut cacher un déficit important des hôpitaux puisque les établissements publics de santé ne sont pas inclus, pour le moment, dans le périmètre des lois de financement. C'est une difficulté pour apprécier la réalité de la situation.

Je confirme à Mme Rabault qu'il y a eu cinq trimestres consécutifs de contraction du PIB, à partir du deuxième trimestre 2008.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'étais ministre des comptes publics à l'époque, et ce n'était pas très drôle... On sous-estime systématiquement – je ne pense pas que ce soit une question d'appréciation politique, la mémoire entraîne cela – la profondeur de cette crise et la réalité de cet instant. Je ne dis pas que toutes les décisions furent bonnes, bien sûr, mais les décisions ont été prises dans une urgence absolue. Le rapport au temps était différent, comme dans un avion au coeur de l'orage. C'est ce qui s'est passé pendant une série de trimestres pour nos finances publiques. On voit d'ailleurs, dans les graphiques, un décrochage de l'ensemble des indicateurs à cette époque. Mais les observateurs, notamment les journalistes, ont totalement tourné la page. Il serait bien que nous, au sein de la commission des finances, ne commettions pas la même erreur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'avion s'est stabilisé. Seul le pilote a été éjecté... !

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

C'est pour cela qu'il n'est pas indifférent de redresser la situation de nos comptes publics, parce qu'en cas de crise nouvelle, plus vous avez de marges de manoeuvre, plus vous pouvez prendre de mesures contracycliques.

Le problème de la France est qu'elle est entrée en récession alors même que la situation de ses comptes publics n'avait pas été redressée. Et nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle crise.

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Bien sûr, d'ailleurs cela recommence assez régulièrement ! Il faut donc pouvoir se préserver, et se donner les moyens de prendre les mesures contracycliques nécessaires.

J'ai entendu Mme Rabault à propos de ce que nous ne disons pas concernant la loi de programmation, et ce qu'elle appelle l'insincérité. La question de la sincérité des lois de programmation ne se pose pas du tout dans les mêmes termes que pour les lois de finances : ce sont deux exercices totalement différents.

Les lois de finances comprennent des crédits budgétaires. Les lois de programmation des objectifs et des prévisions. La LOLF, comme la Constitution, ne posent pas la même exigence de sincérité que pour la confection des lois de finances. Nous disons qu'il y a des fragilités, et nous sommes tout à fait dans notre rôle en le disant. Les lois de programmation reposent aussi sur quelques paris, qui peuvent se traduire par quelques milliards de plus ou de moins, en fonction de la réussite de ces paris et de la réalisation des objectifs. Effectivement, des choses devront être précisées au fur et à mesure des lois de finances.

Nous n'avons pas travaillé sur l'exit tax ; je ne suis donc pas en mesure d'apporter les éléments que vous souhaitez. Et nous n'avons pas d'avis à donner sur l'opportunité de la décision de la supprimer.

Sur « Action publique 2022 », nous faisons les mêmes constats. Des travaux ont été engagés, mais ils n'ont pas été rendus publics. Compte tenu de l'objectif ambitieux de maîtrise de la dépense publique, notamment pour les années 2020 à 2022, il est nécessaire de mieux le documenter qu'il ne l'est aujourd'hui. Pour le moment, nous n'avons pas d'élément expliquant ce qui pourrait permettre d'infléchir davantage la trajectoire de maîtrise de la dépense publique. Nous attendons également que le Gouvernement précise les mesures qu'il compte prendre, à la fois dans la loi de finances pour 2019 et pour les lois de finances suivantes.

Lorsque nous avons remis l'audit, nous avons eu l'occasion de répéter un certain nombre de recommandations concernant les politiques publiques sur lesquelles il nous paraissait intéressant que le Parlement se penche pour apprécier les marges d'efficience. Cela concerne les politiques partagées entre l'État et les collectivités territoriales sur le logement, la formation professionnelle, les aides à l'emploi, les aides à l'économie, et dans le domaine de la sécurité sociale, où nous avons identifié un certain nombre de leviers pour mieux maîtriser l'évolution de la dépense publique.

J'entends ce que dit M. Labaronne sur la croissance potentielle. Nous savons qu'il y a un débat entre les économistes sur son mode de calcul même. Le Gouvernement lui-même fait évoluer la croissance potentielle de 1,25 à 1,35 %. Mais cette évolution est faible par rapport aux réformes structurelles qu'il présente. Ce que nous disons sur l'écart entre la croissance effective programmée et la croissance potentielle reste valable : il est peu probable d'avoir durablement une croissance effective supérieure à la croissance potentielle, et dans des proportions importantes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Sauf si l'on relève le niveau de croissance potentielle !

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Bien évidemment, si vous estimez que le niveau de croissance potentielle est arrivé au niveau de croissance effective que vous fixez... Cela dit, peu d'économistes fixent la croissance potentielle française aussi haut.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans sa lettre au Président de la République, le gouverneur de la Banque de France s'est montré optimiste sur la croissance potentielle.

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Sur la situation des finances publiques, le gouverneur de la Banque de France n'a peut-être pas tous les outils pour apprécier la situation. Il est vrai que la Banque de France se livre à cet exercice depuis plusieurs années. Quand chacun fait son métier, c'est souvent mieux... Cela dit, ce que peut écrire la Banque de France est toujours très intéressant, et peut mériter d'être contredit et documenté. Nous sommes d'ailleurs toujours très heureux de recevoir la Banque de France.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il y a des économistes de renom à la Banque de France.

Permalien
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Elle a, bien sûr, des économistes qui ont toute légitimité pour s'exprimer.

Permalien
Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes

S'agissant de l'annexe VI, les risques de dépassement de crédits du titre II sont incorporés dans les risques globaux de dépassement, qui s'élèvent à 1,5 milliard d'euros. Cela en représente une toute petite partie, de l'ordre de 200 millions. Les risques de dépassement ont deux origines, l'une est classique : les opérations extérieures (OPEX) ; la seconde est l'effet du glissement vieillesse technicité (GVT) de l'éducation nationale. La situation, par rapport au passé, n'appelle pas une préoccupation exceptionnelle.

La deuxième annexe, sur les rendements de l'impôt sur le revenu suite à la mise en oeuvre du prélèvement à la source est délibérément technique. Elle tend à identifier les différents facteurs d'incertitude qui pèsent sur le rendement, en 2019, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. La conclusion est que ces incertitudes représentent 0,1 point de PIB, à la hausse comme à la baisse. Il existe une marge d'incertitude dont les différents élements sont cités et je peux simplement vous dire que ce document, comme le reste, a fait l'objet d'une contradiction technique avec le ministère des finances, et il n'y a pas eu matière, de sa part, à contredire nos analyses techniques. Techniquement, ces points ne font pas dissensus.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16 heures 15

Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Sarah El Haïry, M. Nicolas Forissier, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, M. Romain Grau, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Christophe Jerretie, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Marc Le Fur, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Valérie Petit, Mme Sylvia Pinel, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Fabien Roussel, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Jean-Pierre Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Vincent Ledoux, M. Jean-Paul Mattei, M. Hervé Pellois, M. Olivier Serva, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, Mme Virginie Duby-Muller, M. Christophe Lejeune, M. Jean-Louis Masson, Mme Sabine Rubin

———–——