Intervention de Didier Migaud

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

En ce qui concerne les dépenses qui pourraient être communes au budget de l'Union européenne et à celui de l'État, nous sommes tout à fait prêts à travailler sur ce sujet, si vous le souhaitez, par exemple dans le cadre du 2° de l'article 58 de la LOLF. Il pourrait être intéressant, en effet, d'identifier dans quels secteurs une double intervention est susceptible d'avoir lieu, avec des doublons, et de regarder quelles seraient les améliorations potentielles.

S'agissant de la contractualisation entre les collectivités et l'État, nous maintenons notre diagnostic malgré les annonces qui ont été faites à la fin de la semaine dernière. On voit aujourd'hui que 70 % des collectivités ont signé un contrat, mais il faudra voir ce qui se passe exactement. Nous ne préjugeons pas : nous posons un certain nombre de questions et nous soulignons qu'un certain nombre de points reposent sur un pari, qui est la réussite de cette contractualisation. Nous aurons vraisemblablement l'occasion d'y revenir dans notre rapport sur les finances locales, puis l'année prochaine au vu des résultats qui seront enregistrés.

Quant à l'impact des mesures adoptées, notamment sur l'évolution des recettes année après année, un graphique figurant à la page 77 du rapport permet d'apporter un certain nombre d'éléments de réponse. Vous trouverez aussi à la page 93 du rapport une décomposition, ligne par ligne, des mesures affectant les prélèvements obligatoires en 2018.

Je confirme que la SNCF n'est pas prise en compte dans la trajectoire pour le moment. Tout dépendra de la manière dont la question est traitée sur le plan comptable – vous savez qu'un débat existe, en effet. La SNCF n'est pas considérée comme une administration publique (APU), mais comme une société non financière, au motif que le taux de couverture des dépenses courantes par les recettes commerciales dépasse 50 %. Or, on frôle ce taux. La décision sera prise en toute indépendance par l'INSEE ou par les comptables européens. Si l'on considère que la SNCF est une APU, il y aura chaque année des conséquences sur le déficit des comptes publics, car son déficit devra être pris en compte, ainsi que sur la dette – celle de la SNCF s'ajoutera à l'ensemble actuel. Ce sujet fait l'objet d'un encadré à la page 144 du rapport.

Je ne sais pas si tout le monde « en prend pour son grade », monsieur Bourlanges. Ce n'est pas nécessairement la question et je ne m'exprimerai pas de cette manière. Nous avons constaté un effort de sincérisation dans la dernière loi de finances : les incertitudes relatives à l'exécution des dépenses sont moins importantes qu'au cours des exercices précédents. Nous aurons, bien sûr, à évaluer cet effort dans la durée.

Les décisions relatives à la taxe d'habitation viennent d'être intégrées dans le dernier document du Gouvernement. Nous constatons qu'elles ne sont pas financées par des économies supplémentaires mais par une détérioration du solde. Il ne nous appartient pas d'apprécier cette décision, qui relève de vous car elle est politique. Le solde passerait de + 0,3 à zéro point compte tenu de la recette liée au maintien, semble-t-il, d'une taxe d'habitation sur les résidences secondaires.

Je ne reviens pas sur ce que M. de Courson a dit au sujet d'un certain nombre de fragilités que nous avons identifiées. Je rappellerai seulement que la croissance potentielle est évaluée par le Gouvernement à 1,25 %, avec une évolution possible à 1,35 % en fin de trajectoire. Ce que nous disons est qu'il est rare de connaître des situations où la croissance effective dépasse durablement la croissance potentielle, comme l'implique la trajectoire du Gouvernement. Cela peut arriver – on l'a vu aux États-Unis ou en Allemagne – mais c'est extrêmement rare. Nous considérons que la trajectoire de croissance est optimiste. À cela s'ajoute un effort structurel sur les dépenses qui est beaucoup plus important en fin de trajectoire, sans qu'aucune conséquence en soit tirée au plan de la croissance, alors que l'on sait parfaitement qu'il peut exister un effet un peu récessif dans ce cas. Nous avons donc quelques interrogations sur la trajectoire retenue.

La Cour des comptes n'est pas plus sévère que le Haut Conseil des finances publiques en ce qui concerne l'année 2018, monsieur Bourlanges. Il y a une nuance à propos de 2018 et même de la période ultérieure, car un certain nombre de risques, déjà identifiés par le Haut Conseil, se sont plutôt concrétisés au cours des trois derniers mois. On voit bien que certains facteurs de fragilité pèsent davantage à l'heure actuelle. Cela explique, au demeurant, la révision des hypothèses de croissance par l'INSEE et d'autres instituts de conjoncture.

Je suis d'accord avec M. Bricout : il peut y avoir des investissements qui entraînent des dépenses de fonctionnement et d'autres qui en suscitent moins. Nous n'avons pas conduit d'études spécifiques en la matière, mais nous pourrions regarder cette question dans le cadre de travaux relatifs aux investissements des collectivités territoriales. Je pense aussi que le ministère de l'économie et des finances pourrait vous apporter des éléments...

En ce qui concerne les observations de M. Coquerel et de M. Roussel, je suis interrogatif. Je ne sais pas si nous n'avons pas les mêmes lunettes, mais je peux vous dire que nous raisonnons par rapport à la loi et aux objectifs adoptés par le Parlement. Nous ne le faisons pas par rapport à un programme politique, mais par rapport aux décisions prises par celles et ceux qui ont une majorité au Parlement. La différence est que nous ne nous plaçons pas sur le terrain de l'opportunité. Nous raisonnons, je le répète, par rapport aux décisions et aux engagements pris par les autorités qui ont la légitimité pour le faire. Qu'il y ait des contestations et une opposition à l'égard de la ligne qui a été adoptée, on peut tout à fait à le concevoir, mais nous ne raisonnons pas par rapport à ce que peut penser un groupe qui n'a pas obtenu la majorité au Parlement.

J'ajoute que la France a connu une récession au cours des années que vous citez. La question que l'on peut se poser, et j'invite M. Coquerel à le faire, est que la France a 3 points de PIB d'impôts et de taxes de plus que la moyenne de la zone euro, et que beaucoup de ses partenaires, ainsi que 3 points de PIB de plus en termes de dépenses publiques. Avons-nous une croissance supérieure en proportion ? Non. S'il y avait un lien direct entre l'augmentation de la dépense et le niveau de la croissance, cela se saurait et nous serions sûrement champions ou vice-champions du monde en matière de croissance, ce qui n'est pas le cas. Il n'y a pas de lien automatique : ce n'est pas parce que l'on dépense plus que la France et les Français se portent obligatoirement mieux. La croissance potentielle est certainement insuffisante en France : elle mériterait d'être améliorée, mais il faut se demander ce que l'on peut faire pour y arriver. Ce sont des décisions politiques et il n'appartient pas à la Cour des comptes d'exprimer un point de vue à ce sujet.

Notre seul critère n'est pas l'ampleur des déficits et de la dette : nos critères sont les lois de programmation et les lois de finances que vous votez. M. Roussel m'a demandé combien de temps cela va durer. Je n'en sais rien : nous raisonnons, je le répète, en fonction des lois qui ont été votées.

Contrairement à ce qu'on lit parfois, ou à ce qui est dit, la dépense publique ne s'est pas réduite en France. Elle a augmenté, nous avons déjà eu l'occasion de le dire, de 14 milliards en 2017 et de 3 points de PIB entre 2007 et 2017. La dépense publique n'a donc pas du tout baissé : elle augmente moins qu'auparavant.

Ce que la Cour dit est que l'objectif de maîtrise de la dépense publique est ambitieux par rapport à ce que nous pouvons constater au sujet des dernières années, mais aussi qu'il y a des marges d'efficacité et d'efficience. On peut travailler sur certains effets d'aubaine pour faire en sorte que l'effort ne soit pas réalisé au détriment de ceux qui ont le plus besoin de la puissance publique. La Cour des comptes ne propose pas, bien évidemment, de réduire la proportion des aides : elle constate seulement certains effets d'aubaine.

Il existe par ailleurs des travaux de la Cour sur la fraude fiscale et aux cotisations sociales, dont je pourrai vous donner la liste : nos travaux ne concernent pas seulement les dépenses mais aussi les recettes.

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