Intervention de Gilles Barbey

Réunion du jeudi 12 juillet 2018 à 14h30
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Gilles Barbey, chef de la section négociations européennes au sein de la direction centrale de la police judiciaire – division des relations internationales au ministère de l'intérieur :

La coopération policière est un sujet qui peut paraître complexe car plusieurs éléments se superposent. Les instruments et surtout les systèmes mis en oeuvre servent parfois à différentes choses, comme par exemple le système d'information Schengen (SIS), qui, de fait, transporte physiquement les mandats d'arrêt européens. D'autres systèmes, quand bien même ils permettent l'échange d'informations, sont aussi des bases essentielles au niveau de la sécurité, plus que des instruments de coopération. Je vais essayer de vous expliquer cela de façon graduelle, en commençant par Europol.

L'agence Europol est l'agence européenne de police. Elle nous est utile, indispensable, elle l'est également pour les Britanniques. Si ces derniers sortent de l'Union européenne, comme ce sera le cas, de façon sèche ou non, je pense comme M. Baab qu'aura été passé un accord du type de ceux que l'on peut désormais passer avec n'importe quel pays tiers, pour qu'ils puissent continuer de travailler par le biais d'Europol. Ils n'auront plus, comme pour Eurojust, accès aux organes de gouvernance, c'est-à-dire qu'ils ne seront plus représentés au conseil d'administration. À Europol, les membres pèsent réellement sur les choix politiques de l'agence et les systèmes opérationnels qu'elle développe. C'est pourquoi les Britanniques le regrettent déjà fortement, car ils n'auront plus leur mot à dire sur ces orientations. Ça leur est préjudiciable à eux, pas à nous.

Ensuite, Europol compte des personnels britanniques. Leur nombre est faible, il est d'ailleurs au même niveau que la France. Avec une quarantaine de personnels britanniques pour 650 personnes, les choses se feront tranquillement. Cela ne changera pas fondamentalement les choses puisqu'un analyste, qu'il soit Espagnol, Français ou Lituanien, peut faire un travail similaire.

La question de savoir s'ils restent ou non n'est pas à ce jour tranchée, pas plus que celle plus large de ce que deviendront les fonctionnaires et personnels britanniques au sein de l'ensemble des institutions de l'Union. En tout état de cause, la majeure partie des personnels de l'agence Europol sont des personnels en contrats à durée déterminée, c'est-à-dire que, contrairement aux autres institutions, ce sont principalement des policiers, des gendarmes, des douaniers ou des membres des agences de sécurité des différents pays qui font l'objet, suivant les cas, de mises à disposition ou de détachements de leur administration d'origine, pour une durée pouvant aller au maximum jusqu'à neuf ans, avec des contrats de plusieurs années qui se renouvellent. Donc, dans tous les cas, quand bien même on conserverait nos amis britanniques, il arrivera un moment où ces contrats ne seront pas renouvelés. Il restera sans doute deux ou trois personnels britanniques employés à des tâches de secrétariat ou d'administration ; leur cas sera réglé de la même façon que celui des autres personnels de l'Union. En la matière, nous n'avons pas encore de vision pour l'instant car la Commission tend à annoncer des éléments un peu contradictoires sur le sort des personnels britanniques au sein de l'Union européenne. L'agence se conformera aux choix qui seront faits. Ce n'est pas une véritable difficulté.

En ce qui concerne l'échange d'informations, comme les autres États tiers qui participent déjà au travail de l'agence par le biais d'accords opérationnels ou stratégiques, les Britanniques pourront adresser des données comme ils le font aujourd'hui. Ces données seront partagées comme c'est le cas aujourd'hui.

Il y aura bien quelques nuances. Il faudra tout d'abord, pour que les Britanniques participent à tel ou tel fichier d'analyse, que les autres États membres soient d'accord, mais, s'agissant des Britanniques, cela ne posera guère de difficultés.

En outre, au lieu d'avoir ce que l'on appelle un accès direct aux données, ils n'auront plus qu'un accès indirect. Je vous vois noter ces termes : prenez-les avec beaucoup de réserve car cela ne correspond absolument pas à ce que vous imaginez ! Quand on dit « accès direct aux données », on imagine un policier britannique accédant directement dans la base d'Europol ; non, ce ne sera pas le cas. Le policier britannique passe par son bureau de liaison national ; c'est en fait son bureau de liaison national au sein d'Europol qui a la possibilité d'accéder directement au personnel Europol en charge de tel fichier pour répondre à sa requête. Pour les pays tiers qui ont un accès indirect, ce qui serait le cas de nos amis britanniques, le bureau ou l'officier de liaison concerné ne s'adresse pas directement à l'analyste du fichier mais passe par une étape intermédiaire qui est le centre opérationnel, auquel il appartient de vérifier la validité de la demande, ce qui induit des délais de réponse différents. Malgré tout, des solutions seront trouvées pour raccourcir au besoin le délai de traitement de l'information.

Pour Europol, je pense qu'il faut rester serein. Les Britanniques sortiront et ne pèseront plus sur la politique de l'agence ; en revanche, ils communiqueront toujours des données, ils feront toujours partie des différents fichiers d'analyse utiles, ils pourront également participer, comme aujourd'hui, au support administratif et, pour partie, au financement du cycle politique et des « fameux » impacts puisque les pays tiers peuvent participer aux impacts dans le cadre du cycle politique. Je pense donc qu'il faut garder une certaine réserve, d'autant plus que vous entendrez régulièrement nos amis britanniques dire qu'ils sont les plus gros contributeurs au sein des fichiers d'Europol. En la matière, les pays parlent un langage très différent. La France ne met que quelques milliers de personnes dans le système d'information d'Europol car nous y mettons celles qui nous paraissent intéressantes et sur lesquelles nous avons des dossiers en cours, des procédures, des renseignements. D'autres pays n'entrent pas ces données qui nous paraissent les plus utiles et les plus pertinentes, mais vont par exemple entrer le fichier quasi complet de leurs délinquants sexuels, c'est-à-dire qu'ils utilisent ce système comme un déport de leurs bases de données nationales. Ainsi, tel pays contribue à hauteur de 300 000 à 400 000 entrées, certes, mais il n'a finalement pas transmis grand-chose car il n'a pas partagé les données des personnes sur lesquelles il existe des éléments intéressants, sur lesquelles il enquête réellement.

De la même façon, nous interrogeons ce système souvent de façon précise, pour des raisons spécifiques, tandis que d'autres pays, notamment certains pays nordiques, vont passer la liste des passagers du ferry qui relie deux villes ; ils ont donc un niveau d'interrogations très élevé, là où nous n'avons que quelques centaines d'interrogations, mais nous ne l'aurons pas utilisé aux mêmes fins, dans un même cadre. En la matière, il faut raison garder sur les chiffres que peuvent avancer nos amis britanniques ou tout autre pays. Je ne dis pas que nous sommes les meilleurs élèves en qui concerne les contributions, mais nous sommes loin d'être les plus mauvais.

Ce sont plutôt nos amis britanniques qui seront perdants puisqu'ils bénéficieront de moins de réactivité de la part de l'agence pour le traitement de leurs demandes et ne participeront plus à la gouvernance de l'agence. Pour autant, je ne doute pas que les choses se poursuivent ; ce n'est pas vraiment un sujet d'inquiétude.

Il faut également parler du SIS. À côté des États membres, il y a les États dits associés, qui sont des États Schengen : Suisse, Liechtenstein, Islande et Norvège. Ces États associés participent au SIS car ils ont accepté de prendre à leur compte l'ensemble de l'acquis Schengen, c'est-à-dire un ensemble de textes essentiels puisque cela comprend par exemple la décision-cadre dite « initiative suédoise » qui nous permet d'échanger librement des informations, assure une certaine réciprocité et consacre le principe de disponibilité de l'information.

La troisième catégorie est celle des pays tiers. Le Royaume Uni, s'il devait sortir de l'Union européenne, deviendrait un pays tiers ; je ne vois pas trop en quoi il pourrait réclamer de devenir un État associé s'il ne participe pas à Schengen. Schengen, c'est la libre circulation des personnes et le SIS a été créé pour compenser la suppression des frontières dans le cadre de la libre circulation des personnes. Aujourd'hui, il n'y a pas d'État tiers associé au SIS.

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