Intervention de Grégory Besson-Moreau

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 11h00
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGrégory Besson-Moreau, rapporteur :

Je rejoins les propos liminaires du président, et remercie tout particulièrement les administratrices pour leur travail exceptionnel. Ce matin encore, j'ai expliqué au président François de Rugy les problèmes pratiques auxquels nous avons été confrontés pour trouver des salles disponibles, des créneaux horaires, etc. Ce fut extrêmement compliqué, et il faudra y remédier.

Venons-en à l'élaboration du rapport. Comme l'a fait remarquer le président, nous nous sommes plutôt très bien entendus, malgré quelques petites divergences. Je remarque que ce fut un vrai travail d'équipe, et je remercie l'ensemble des députés qui sont venus nous assister, soit sporadiquement, soit très régulièrement pour certains.

Mercredi dernier, lorsque j'ai détaillé le rapport et l'ensemble des propositions, vous m'avez fait part de certaines remarques. Ceux qui sont venus consulter le rapport lundi et mardi derniers ont pu constater que j'avais pris en considération l'ensemble de ces remarques, qui étaient extrêmement importantes.

Y a-t-il eu une fuite ? Je n'y crois pas non plus, sauf si un commissaire a pu être assez patient pour faire 167 photos des pages du rapport et les envoyer à France Info. Mais je pense que personne ne l'a fait.

Ensuite, il y a eu des propositions tendant à mettre en place le plus rapidement possible cette redevance sur l'industrie agro-alimentaire. De fait, il convient de maîtriser les coûts de la fonction publique et veiller à ne pas en grever le budget. Cette redevance nous permettra de financer les 900 équivalents temps plein (ETP) qui seront dédiés au contrôle alimentaire. Je précise que sur ces 900 ETP, 60 à 100 seront dédiés au Brexit – au contrôle des produits alimentaires qui seraient expédiés d'Angleterre et importés en France.

Le rapport est bâti sur quatre piliers, à savoir les industriels, l'État, les distributeurs et les consommateurs. Je vais vous énumérer les seize « propositions phares ».

Premièrement, les propositions concernant les industriels.

D'abord, accroître les sanctions pénales et financières, et prévoir la transmission obligatoire des autocontrôles positifs, que ce soit dans l'environnement ou à l'intérieur de l'usine. Les informations seront travaillées et transmises sous un certain format rue de Varenne, afin que le ministère de l'agriculture et les directions générales puissent y accéder facilement.

Ensuite, mettre fin aux délégations de pouvoir, s'agissant de la qualité sanitaire des produits alimentaires. C'est une proposition qu'il faudra travailler avec le ministère de la justice. J'estime que les présidents de sociétés agroalimentaires, les « capitaines de vaisseau », sont des justiciables comme les autres. Ce n'est pas parce que l'on est président du directoire et que l'on n'a aucune responsabilité selon la loi, que l'on n'en a aucune envers les Français. Voilà pourquoi, en cas de problème, les présidents de sociétés agroalimentaires devront passer devant le juge.

Je tiens à vous rappeler le dernier exemple en date : celui de Nestlé, avec 38 boîtes de lait contaminé. Je vous laisse regarder sur internet les détails de l'origine de la contamination. C'est scandaleux. On a demandé où étaient ces boîtes de lait. La réponse a été rapide : il n'y en a pas !

Deuxièmement, les propositions concernant l'État.

D'abord, la redevance agroalimentaire, qui est validée par l'Europe. L'Europe souhaite en effet que les pays européens se dotent d'une police ou d'une agence de la sécurité alimentaire. J'espère qu'à l'Assemblée nationale, nous parviendrons à un consensus, tous partis confondus, pour porter tous ensemble une telle proposition.

Mais prenons l'exemple du lait : lorsqu'il est à l'état liquide et qu'il entre dans l'usine, c'est la direction générale de l'alimentation (DGAL) qui est compétente ; lorsqu'il est en poudre, c'est la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ; lorsqu'il y a une alerte, c'est la direction générale de la santé (DGS) ; et lorsqu'on est au milieu de l'usine parce que le lait n'est plus liquide mais pas encore solide, on ne sait plus. Cette complexité explique qu'il y ait, comme on dit, « des trous dans la raquette ».

Voilà pourquoi il nous faut, ensuite, un système de sécurité alimentaire vertical, allant de la fourche à la fourchette, de l'animal sur pied au biberon que l'on donne à nos enfants, au steak que l'on mange, etc. C'est nécessaire si on veut s'assurer un meilleur niveau de sécurité alimentaire et de protection contre des attaques qui peuvent venir de l'extérieur. Il faut un seul responsable, une seule entité.

Troisièmement, les propositions concernant les distributeurs.

Je crois que nous sommes tous tombés des nues lorsque nous avons appris que les magasins Leclerc avaient gardé en rayon 999 boîtes contaminées et, pire encore, que des boîtes faisant partie des lots contaminés avaient été ramenées et remises sur le comptoir de l'accueil, mais que certaines personnes les avaient reprises et remises en vente ! Et l'on n'était même pas capable de savoir combien il y avait de boîtes. Et lorsqu'on en avait détruit une partie, on ne savait pas combien !

Je pense que les distributeurs ne respectent pas les règles du jeu, que ce sont de mauvais joueurs qui ne prennent pas leurs responsabilités. Il faut donc les responsabiliser. Voilà pourquoi nous proposons d'augmenter les sanctions pénales et les sanctions financières à leur encontre.

Il faut aussi revoir l'intégralité des systèmes de blocage en caisse, et l'intégralité du système de retrait-rappel, qui ne fonctionne pas.

Aujourd'hui, un retrait-rappel se résume à une affiche qu'on met à l'entrée du magasin. Mais une fois que le client est entré dans le magasin, il ne voit plus quel est le produit. Il faut donc travailler sur ce système de retrait-rappel et procéder à des tests, sans attendre que le scandale arrive. Ainsi, nous proposons ce que l'on appelle en finances un stress test, qui permet de simuler inopinément une crise. Si le résultat n'est pas recevable, il s'ensuivra une sanction pénale ou une sanction financière. Les distributeurs doivent être responsables. Un distributeur, un magasin Leclerc, ce n'est pas seulement une boîte aux lettres qui prend une commission : ce sont des gens responsables.

Quatrièmement, les propositions concernant les consommateurs.

Lorsque l'on a auditionné les ministères, ils nous ont parlé d'une mesure « phare », à savoir la création d'un site internet sur les procédures de retrait-rappel, et d'une application pour smartphone. La DGS, c'est-à-dire le ministère de la santé, a eu cette idée géniale. Mais le ministère de l'économie a eu la même, et le ministère de l'agriculture aussi. On s'est donc retrouvé avec trois sites internet et trois applications smartphone. Cela ne fonctionne pas. Cela prouve qu'il y a un problème de communication et des lacunes.

IL faut qu'il y ait un seul site internet, une seule application smartphone, pour avertir nos concitoyens qu'un problème de sécurité sanitaire affecte un des produits qu'ils consomment.

On doit également permettre aux citoyens qui estiment avoir subi des préjudices liés à la consommation d'un produit de se regrouper en association, et de porter plainte. Pourquoi seules les associations accréditées, comme par exemple l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir, pourraient-elles porter la plainte d'un ensemble de personnes ? Si certains citoyens ont décidé de porter plainte, qu'ils se regroupent et portent plainte ! C'est déjà possible depuis la précédente législature, mais on doit accélérer le mouvement et rendre la procédure plus souple, tout en se protégeant de certaines attaques qui pourraient venir de l'extérieur. Le cas s'est déjà produit avec une association qui s'était créée pour nuire à un industriel français.

Enfin, nous devons travailler sur un système automatique de blocage en caisse pour éviter qu'un produit contaminé – bouteille d'eau, pack de lait, fromage, etc. – ne sorte du magasin – c'est aujourd'hui possible, même si l'industriel a mis le distributeur au courant.

En tant que rapporteur, je pense qu'il faut développer le QR code et supprimer le code-barres EAN-13 standard. L'avantage du QR code, c'est qu'il peut contenir de nombreuses informations, comme des numéros de lot, des dates de péremption, et bien d'autres encore.

L'Europe y travaille. En tant que parlementaires, nous devons y travailler. Il faut mettre au point des moyens modernes, afin de sécuriser nos concitoyens. On pourrait rendre possible l'utilisation des données personnelles liées au paiement d'un produit qui présente un risque grave pour la santé. Cela peut faire peur, mais il est utile de savoir, par exemple, que c'est M. ou Mme X qui a acheté ce produit. Si le produit a été payé par carte bancaire, on fait le lien entre le QR code, le jour du paiement, le numéro du lot du produit, la personne dont on récupère les coordonnées via les banques, avec son numéro de téléphone, son email, son adresse. On envoie alors à M. X ou à Mme X un courrier, un courriel, un texto, un coup de téléphone.

Il ne s'agit pas de transmettre les coordonnées de l'ensemble des clients, mais de pouvoir les utiliser en cas de crise sanitaire grave. Et il faudrait toujours passer par un intermédiaire, qui s'occuperait de la transmission. C'est vers cela qu'il faut s'orienter, puisque aujourd'hui, l'industriel n'est en aucun cas capable d'appeler son client.

Il y a cinquante ans, quand on allait acheter son fromage chez le fromager du coin, en cas de problème on était capable de savoir qui avait acheté tel produit. Aujourd'hui, dans un magasin Leclerc, ou Carrefour, on ne connaît plus son client. Voilà pourquoi il faut pouvoir créer des passerelles qui permettent d'identifier le client en cas de crise sanitaire grave.

Voilà l'ensemble des propositions qui seront faites. Ce sont des propositions disruptives. Je sais que certains ministères ne sont pas spécialement heureux de la tournure que prend ce rapport. Mais il est le résultat des auditions que nous avons tous menées et écoutées attentivement. J'ajoute que le Conseil national de la consommation (CNC), dans son rapport, est allé dans le même sens.

Ce sont deux courants parallèles, exprimés chacun dans un rapport, remis presqu'à la même date. On doit donc travailler dans ce sens-là, même si cela fait bouger certaines cases dans certaines administrations. De toute façon, on sait bien que lorsque l'on déplace un curseur, il y a d'un côté ceux qui sont contents, et de l'autre des mécontents.

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