Intervention de Bruno Studer

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Studer, rapporteur :

Nos regrets sont d'autant plus forts que l'on a bien senti, du côté des sénateurs, une envie de débattre du sujet. Si nous avions suivi la dynamique enclenchée, la CMP aurait pu durer des heures. Compte tenu de la motion de rejet préalable, il n'y avait pas matière à discuter. C'est l'origine des regrets que j'ai pu exprimer, n'y voyez aucune autre intention de ma part.

Je vais répondre très rapidement parce que nous aurons l'occasion de poursuivre le débat lors de l'examen des amendements que vous avez déposés pour améliorer la proposition de loi, notamment des vôtres, monsieur Reiss. Je vous remercie de considérer que ce texte est améliorable. Il sera peut-être adoptable, qui sait ?

Vous regrettez que certaines dispositions soient dans ce texte plutôt que dans celui sur l'audiovisuel ou celui sur l'école. Pour m'inscrire dans la dynamique des propos tenus hier par le ministre de l'éducation nationale, je dirais qu'il y a un effet psychologique de la loi. L'un des mérites du présent texte est de traiter cette problématique globale d'une façon globale.

Certaines mesures sont absolument nécessaires, d'autres sont essentielles. Il est nécessaire d'adapter les pouvoirs du CSA, de faire cette préfiguration de la régulation à l'ère numérique. Nous aurons l'occasion d'y revenir jeudi lors de la remise du rapport d'Aurore Bergé et de Pierre-Yves Bournazel. Il est essentiel d'éduquer aux médias et à l'information. Les mesures annoncées par Françoise Nyssen vont dans le bon sens. La semaine prochaine, avec les membres de la mission, j'aurai l'occasion de remettre un rapport sur l'école dans la société numérique dans lequel nous préconisons de muscler les questions liées aux médias et à l'information. Je me réjouis aussi sincèrement des mesures qui ont été prises, notamment dans les quartiers prioritaires, sur le dédoublement des classes de cours préparatoire (CP) et de cours élémentaire première année (CE1). C'est aussi là que se joue la lutte contre la manipulation de l'information : il faut que tous les jeunes de ce pays puissent lire, écrire, décrypter et avoir un esprit critique, ce qui est la mission essentielle de l'école de la République.

Pourquoi, monsieur Reiss, faudrait-il renoncer à renforcer les pouvoirs d'une autorité de régulation par peur de mesures de rétorsion aux sanctions qu'elle pourrait prendre ? Ce n'est pas le sens de la politique que nous voulons.

Le CSA construit une jurisprudence qui ne concerne pas que la période électorale, madame Pau-Langevin. Une seule des dispositions sur le CSA concerne la période électorale, les autres valent pour le reste du temps. Cela étant, la période électorale est, effectivement, un moment important. Vous avez émis le souhait que ce soit traité dans d'autres textes, mais des échéances électorales importantes arrivent. Tout le monde s'accorde à dire que le problème peut être traité de façon efficace à l'échelon européen. J'espère donc que nous en ferons tous un thème de campagne lors des élections européennes. Néanmoins, il me semble important de protéger le prochain scrutin européen qui peut particulièrement prêter à des campagnes de manipulation de l'information.

Pour toutes ces raisons, je pense qu'il était nécessaire de faire le choix que nous avons fait. Après le combat qu'a mené la France à Strasbourg et à Bruxelles pour les droits voisins des éditeurs de presse, ce texte a vocation à protéger ceux qui font de l'information « sourcée » et vérifiée. J'ai entendu dire que c'était un texte dangereux pour la liberté d'expression. Prenons l'exemple d'un journaliste qui, pendant une période de campagne électorale, produit une information manifestement fausse et la diffuse massivement de façon mécanique. En effet, il n'y a pas de liberté d'expression absolue. Il existe des libertés fondamentales. C'est aussi une liberté fondamentale de pouvoir participer à un scrutin qui se déroule dans de bonnes conditions. C'est parce qu'il faut trouver un équilibre entre ces libertés fondamentales que nous avons fait le choix de vous proposer ce texte.

Au passage, je répète qu'il faut cesser d'employer la notion de fake news. D'abord, c'est de l'anglais. Ensuite, cette expression a été popularisée par le président américain qui l'a utilisée contre les journalistes. Enfin, elle se traduit littéralement en français par « fausse nouvelle ». Or cette notion de fausse nouvelle n'est pas opérante, je voudrais vraiment vous en convaincre. Une fausse nouvelle a un caractère inédit. Nous pouvons, vous et moi, nous accorder sur le fait que, dans l'espace numérique, il est absolument impossible d'établir le caractère inédit d'une information.

Tout est bordé pour que la ligne de crête entre la protection du scrutin et la protection de la liberté d'expression soit respectée. Ce texte apporte une première réponse à un problème global. Elle est bien entendu insuffisante et il faudra aller plus loin. La loi ne pourra pas tout régler en matière de fausses informations et de manipulations de l'information. D'autres réponses devront être apportées aux niveaux national et européen. Je me suis rendu à plusieurs reprises à Bruxelles pour échanger sur le sujet. Il me semble important que l'Assemblée nationale française dise à quel point il est nécessaire de réfléchir ensemble au statut des plateformes. C'est l'un des défis que nous aurons à affronter au cours des prochaines années.

Je vous remercie encore pour vos questions. C'est bien parce que le sujet est très important que nous avons regretté de ne pas avoir pu profiter du travail des sénateurs. À l'occasion d'autres CMP sur d'autres textes, nous avons pu constater l'intérêt de la confrontation qui est le coeur et la substance de la démocratie.

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