Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du mardi 23 octobre 2018 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Madame la présidente, madame la ministre des solidarités et de la santé, monsieur le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, aujourd'hui s'ouvre la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

À la suite des annonces faites par le Président de la République dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté et du plan « ma santé 2022 », ce PLFSS était très attendu, par les professionnels de santé, les établissements sanitaires et médico-sociaux et leurs personnels, les associations de santé et, bien sûr, nos concitoyens. Il était censé traduire budgétairement les ambitions affichées : force est de constater que nous sommes loin du compte.

Il s'organise en quatre grandes parties : poursuivre la trajectoire de redressement des comptes sociaux, soutenir l'activité économique et renforcer la compétitivité des entreprises par un allégement des cotisations sociales, protéger les plus vulnérables, investir dans la transformation de notre système de santé.

Si nous pouvons nous accorder sur la nécessité d'un retour à l'équilibre des comptes sociaux, nous constatons qu'il s'effectue au prix d'efforts considérables imposés aux acteurs de santé, avec des mesures drastiques, souvent préjudiciables à la qualité des soins et qui ne répondent pas à l'objectif d'une plus grande justice sociale.

Une fois encore, ce sont les classes moyennes et les retraités qui vont en faire les frais et, plus largement, les familles. En effet, la branche famille devient la variable d'ajustement compensant la progression des dépenses de l'assurance maladie – qui atteindra 6,8 % entre 2018 et 2021 – comme de l'assurance vieillesse. Dans le même temps, les dépenses de la branche famille n'augmenteront que de 1,8 %. Tout cela n'est pas acceptable !

Le désengagement de la politique familiale se traduit, dès 2019, par un transfert du produit de la taxe sur les salaires au profit des branches maladie et vieillesse. Qui plus est, la diminution des recettes liée à la baisse des cotisations sociales des entreprises pour la branche famille ne sera plus intégralement compensée par l'État, contrairement aux engagements pris.

Toutes ces mesures auront un effet négatif en matière de politique familiale, au moment où nous constatons une dégradation du taux de fécondité, une chute du recours au congé parental et une insuffisance des dispositifs d'accueil de la petite enfance. Investir dans la politique familiale, c'est investir pour l'avenir, et nous regrettons qu'au moment où d'autres pays européens développent leurs politiques publiques en faveur de la famille, nous abandonnions cette orientation, alors que la France conserve la plus forte natalité d'Europe.

En ce qui concerne le soutien à l'activité économique, ce texte prévoit l'exonération des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, qui se soldera par un gain de 300 euros par an, ce qui améliorera le pouvoir d'achat du salarié.

Il est également prévu de remplacer le CICE et le CITS par une exonération renforcée des cotisations sociales. En revanche, la suppression du dispositif pour les travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi, TODE, largement utilisé dans le secteur agricole pour l'emploi de saisonniers, est une orientation que nous ne partageons pas et qui, si elle était appliquée, porterait un coup dur, voire insupportable, au secteur agricole. Lors de l'examen du texte en commission des affaires sociales, vous nous avez demandé de retirer nos amendements de suppression, car une proposition devait être faite avant la lecture en séance. Nous resterons très attentifs à l'évolution du dispositif TODE, et nous attendons la proposition du Gouvernement.

Ce PLFSS concrétise par ailleurs certaines avancées qui étaient attendues pour protéger les plus vulnérables. Il présente ainsi des avantages pour certaines de nos concitoyennes, telle la prolongation du congé maternité pour les travailleuses indépendantes et les exploitantes agricoles. Cette mesure assurera l'uniformisation des règles relatives au congé de maternité.

Ce texte permet aussi de simplifier et de renforcer l'accès aux soins pour les personnes les plus modestes, puisqu'il prévoit une fusion entre l'aide à la complémentaire santé, l'ACS et la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C.

De la même façon, les soins dentaires, optiques et d'audiologie seront plus accessibles pour l'ensemble des Français, avec une prise en charge de ce type de soins à 100 %. Nous resterons toutefois vigilants sur ces mesures. En effet, avec ce panier 100 % santé, la cotisation de mutuelle de chaque assuré augmentera, particulièrement pour les retraités, qui subiront une augmentation d'au moins 5 % de leur cotisation annuelle, au détriment, une nouvelle fois, de leur pouvoir d'achat.

Faut-il rappeler qu'en janvier dernier, la hausse de 1,7 point du taux de la contribution sociale généralisée sur les pensions de retraite supérieures à 1 200 euros a été un coup dur pour les retraités, entraînant une baisse conséquente du montant des pensions pour 60 d'entre eux % ? Vous ne nous avez pas entendus, l'an dernier, lorsque nous demandions une augmentation du seuil. Vous proposez aujourd'hui une mesure en ce sens, mais sa portée est insuffisante.

Certains ménages bénéficient certes de mesures favorables, comme l'exonération de la taxe d'habitation ou la revalorisation de l'allocation de solidarité aux personnes âgées. Mais, en parallèle, ils subissent une baisse de leur pouvoir d'achat. Les mauvaises surprises vont s'enchaîner, comme la faible revalorisation des pensions en 2019 et 2020 – 0,3 % par an, soit nettement moins que l'inflation, la faible revalorisation des aides au logement et la hausse de la CSG, enclenchée dès 2018.

Alors qu'en 2018, près de six ménages sur dix comptant au moins un retraité sont perdants en matière de pouvoir d'achat à cause des réformes engagées, ce ratio devrait passer à plus de sept sur dix en 2019. Du fait de la sous-indexation des pensions de retraite, décorrélée de l'inflation, l'impact des mesures proposées sera globalement négatif sur le revenu disponible des retraités, en dépit de l'annulation de la hausse de la CSG pour 300 000 d'entre eux. Cette faible revalorisation concerne aussi l'ensemble des prestations sociales, y compris les allocations familiales, et aura donc un impact sur le pouvoir d'achat des ménages les plus fragiles.

La transformation de notre système de santé présentée dans le plan « ma santé 2022 » peine à se traduire concrètement.

Si nous saluons l'augmentation du taux de l'ONDAM, porté à 2,5 %, soit le taux le plus élevé depuis cinq ans, elle ne nous semble pas suffisante pour faire face à la situation financière préoccupante des hôpitaux publics, dont la dette avoisine les 30 milliards d'euros et le déficit de fonctionnement atteint un record de presque 1,4 milliard, ce qui obère toute capacité d'investissement qui permettrait de les rendre plus performants.

En matière de mode de rémunération, nous notons avec satisfaction le développement du financement forfaitaire pour la prise en charge de certaines maladies chroniques, mais nous regrettons qu'elle ne soit applicable que dans les établissements hospitaliers et ne concerne pas la médecine de ville. Notre inquiétude porte aussi sur les prestataires de soins à domicile, à qui vous demandez de faire 150 millions d'euros d'économies, soit 50 % de plus. À l'heure où vous prônez, madame la ministre, le développement de la médecine ambulatoire et l'amélioration du lien entre la médecine de ville et l'hôpital, cela paraît plutôt incohérent.

Le médicament reste le principal vecteur d'économies dans le budget de l'assurance maladie, à hauteur d'1 milliard d'euros. Cela entraînera d'importantes difficultés pour l'ensemble du secteur, notamment les grossistes répartiteurs, qui, contraints de réduire leurs livraisons, mettront les officines des territoires ruraux et de montagne dans de graves difficultés. Le maillage territorial sera durablement affecté, et nous craignons que cela se traduise par des fermetures de pharmacies dans des territoires déjà touchés par la désertification médicale. À ce propos, nous regrettons que les mesures nécessaires pour lutter contre la désertification médicale ne soient pas à la hauteur, si bien que ce phénomène s'aggravera au cours des dix prochaines années.

Nous voulons aussi vous dire notre forte opposition à la création du forfait de réorientation versé à l'établissement de santé, lorsque les services d'urgence réorientent un patient vers la médecine de ville. Même si 60 % des patients accueillis aux urgences peuvent relever d'une prise en charge par la médecine de ville, il est nécessaire, avant toute décision, de s'assurer qu'une véritable prise en charge en ville est possible, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Par ailleurs, il paraît étrange de rémunérer l'hôpital pour renvoyer un patient vers un médecin généraliste, qui percevra le même tarif de consultation, alors que le forfait de réorientation perçu par l'hôpital sera le double, voire le triple. Il est à craindre que de nombreux problèmes de responsabilité médicale se posent pour des patients renvoyés à tort, à cause d'un mauvais diagnostic de leurs symptômes.

En définitive, même s'il présente certaines avancées, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 n'est pas à la hauteur des ambitions exprimées. Il s'appuie davantage sur la politique du rabot que sur la volonté d'améliorer concrètement notre système de santé.

Nous resterons très attentifs et vigilants quant à l'évolution de ce texte qui, en l'état, ne recueille pas notre assentiment. Nous l'aurions souhaité plus équilibré et plus équitable en matière de justice sociale.

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