Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel, rapporteure pour avis du budget Énergie :

Alors que la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) doit être prochainement publiée, il est plus que nécessaire de s'assurer que nous nous donnons, en 2019, les moyens de nos ambitions. Ce budget doit nous permettre d'encourager le développement des énergies renouvelables et de récupération, de faciliter un développement équilibré des réseaux, de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs, notamment des ménages les plus modestes, et de garantir la compétitivité des prix de l'énergie, en particulier pour les entreprises exposées à la concurrence internationale.

Ce budget nous permettra-t-il d'atteindre ces objectifs ? J'ai centré mon analyse sur les programmes 174, 345, 764, 765, 793 et 794, qui concentrent les crédits consacrés à la politique énergétique. Ces crédits ne sont pas en baisse, à l'exception de ceux affectés à la gestion de l'après-mines, en baisse de 8 % par rapport à 2018 en raison de la réduction de la population des bénéficiaires ou ayants droit.

Le programme budgétaire 345 « Service public de l'énergie », qui comprend les charges liées à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées ainsi que celles liées au soutien à la cogénération et aux dispositifs sociaux en électricité et en gaz, est en hausse de 5,7 %, en raison, surtout, de la hausse des crédits consacrés à la solidarité avec les zones non interconnectées.

Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », qui regroupe les charges liées au soutien aux énergies renouvelables et à l'effacement, progresse de 1,3 %.

Les crédits du fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ) sont stables : ce fonds soutient l'effort des collectivités locales finançant et exerçant elles-mêmes la maîtrise d'ouvrage des travaux en zone rurale.

Nous pourrions bien sûr nous réjouir de cette stabilité et de ces quelques hausses consenties mais, compte tenu de l'enjeu environnemental que représente la transition énergétique, nous aurions pu espérer davantage.

De si faibles hausses ne sont pas à la hauteur des défis auxquels nous faisons face en matière de transition écologique et énergétique. Ce budget aurait pu être beaucoup plus ambitieux. Je pense qu'il serait souhaitable de lancer un nouvel appel à projets « Territoires à énergie positive pour la croissance verte ». Un tel choix politique coûterait environ 300 millions d'euros. Pour rappel, le précédent appel à projets, lancé en 2014, a remporté un franc succès. Plus de 560 territoires ont répondu à l'appel à projets et plus de 5 000 projets ont été soutenus. 55 % de ces aides ont porté sur des actions dans le domaine du bâtiment et de l'espace public, 26 % sur la mobilité durable, 8 % sur les énergies renouvelables, 4 % sur la biodiversité, 4 % sur l'éco-sensibilisation et 3 % sur l'économie circulaire. Cela a eu le mérite d'impulser des projets de grandes qualités mais aussi d'associer l'ensemble des collectivités locales à une transition énergétique qui ne peut pas venir que « d'en haut ». Chacun, au-delà des sensibilités, a reconnu l'intérêt de cet outil dont l'effet levier a été très important.

Je pense également qu'il aurait été bon d'augmenter le budget de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Certes, ce budget figure au programme 181 « Prévention des risques » pour lequel je ne suis pas rapporteure, mais j'aimerais en dire quelques mots. Le fonds chaleur, dont la gestion a été déléguée à l'Ademe, contribue à la transition énergétique. Il vise à soutenir la production de chaleur à partir de sources renouvelables et est très efficace puisqu'il génère des investissements trois fois plus élevés que les aides apportées. Le ministre de la transition écologique et solidaire a annoncé une hausse des crédits du fonds en 2019. Je m'en félicite mais je crains que cette promesse ne soit pas tenue, ou alors qu'elle le soit au détriment des autres fonds gérés par l'Ademe. Le PLF pour 2019 prévoit, en effet, non pas une hausse mais une diminution du financement de l'Ademe par l'État...

Je pense qu'il aurait été souhaitable de renforcer davantage le dispositif du chèque énergie. Je me félicite de ce que le montant moyen du chèque sera revalorisé de 150 à 200 euros en 2019. Je trouve néanmoins regrettable que le chèque énergie ne puisse, aujourd'hui, pas être utilisé pour financer les dépenses de carburant. D'après certaines estimations, inclure une composante carburant dans le chèque énergie coûterait 300 millions d'euros et permettrait d'améliorer considérablement le pouvoir d'achat des ménages les plus précaires. Dans le contexte que nous connaissons et face aux alertes nombreuses qui sont adressées par les Français à propos des prix des carburants, nous devons donner des signes. Pour qu'elle soit efficace et rapide, faisons en sorte que la transition énergétique ne soit pas punitive et, surtout, qu'elle ne repose pas seulement sur les plus fragiles. Pas seulement sur ceux qui sont obligés de prendre leur voiture tous les matins, ceux qui ne peuvent pas investir dans un véhicule neuf, faute de moyens… Nous devons encourager plutôt que punir.

Concernant le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), je regrette que les portes, fenêtres et volets isolants ne soient, de nouveau, pas éligibles. Une telle éligibilité améliorerait le pouvoir d'achat des ménages et permettrait de stimuler l'innovation pour orienter les marchés des portes et fenêtres vers des solutions plus performantes sur le plan environnemental. Je regrette également que la transformation du CITE en prime ait été repoussée d'un an : une telle transformation pourrait faciliter le passage à l'acte de rénovation en permettant aux ménages de ne plus percevoir l'aide plusieurs mois après les travaux.

Au-delà des crédits, je souhaite insister sur la nécessaire amélioration de l'information du Parlement. Le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE) constitue l'un des principaux instruments de la politique de maîtrise de la demande énergétique. Or, ce dispositif passe par un circuit essentiellement extrabudgétaire, qui échappe donc au contrôle du Parlement. Les CEE pèsent de plus en plus sur la facture des consommateurs (ils représentent actuellement 2 à 3 % de la facture). Il serait bon de cibler davantage les CEE sur les opérations les plus efficaces en matière d'efficacité énergétique ou sur les consommateurs les plus précaires. Plus généralement, l'existence d'engagements de long terme liés aux appels d'offres énergie lancés par l'État justifie la mise en place de mesures de suivi et d'information particulières. Le Gouvernement m'a indiqué qu'il fournirait désormais, en complément des documents budgétaires classiques annexés au PLF, des estimations des dépenses pluriannuelles induites par les décisions sous-jacentes à la construction du budget « Énergie ». J'espère que ces documents seront établis pour le prochain PLF !

J'ai souhaité conférer une dimension prospective à cet avis budgétaire en consacrant la partie thématique de mon rapport à la décentralisation du monde de l'énergie. Lorsqu'est évoquée la transformation de notre modèle énergétique, la notion de « révolution des 3 D » revient souvent. Les 3 D sont la Décarbonation, la Digitalisation et la Décentralisation du monde de l'énergie. J'ai souhaité me concentrer sur la troisième dimension, la décentralisation, qui est encore trop peu abordée aujourd'hui alors même que la décentralisation de notre modèle énergétique est indéniable.

La production décentralisée d'énergie fonctionne à rebours du modèle classique où une grande centrale alimente en énergie tout un territoire. Aujourd'hui, plus de 376 000 installations de production sont raccordées au réseau de distribution d'électricité. Ce nombre est en forte croissance car près de 20 000 nouvelles installations sont raccordées à ce réseau chaque année. La décentralisation de la production est liée au développement des énergies renouvelables (EnR) et concerne toutes les sources d'énergie. Elle répond à des attentes sociétales fortes. Les individus aspirent désormais à des modèles de consommation plus horizontaux dans lesquels ils se sentent acteurs. La décentralisation de la production d'énergie requiert une adaptation importante des réseaux, jusqu'alors dimensionnés pour transporter et distribuer l'énergie produite par des moyens de production centralisés, dont le productible était peu dépendant des conditions météorologiques.

La décentralisation est en cours et, par beaucoup d'aspects, souhaitable, mais elle doit être anticipée et encadrée, dans un souci d'intérêt général et de maîtrise des coûts pour les consommateurs. Ce rapport se concentre sur deux des principaux enjeux que sont la sécurité d'approvisionnement et l'égalité entre les consommateurs, afin de montrer que la décentralisation peut être à la fois un atout et un risque et qu'il faut donc l'anticiper au mieux.

Concernant la sécurité d'approvisionnement, la multiplication des productions énergétiques décentralisées contribue à la diversification de notre mix énergétique et donc à la sécurité énergétique du pays. Elle peut également garantir l'approvisionnement en énergie de zones rurales ou isolées. Néanmoins, la décentralisation crée des besoins de flexibilité supplémentaires pour faire en sorte qu'à chaque instant, l'équilibre entre la production et la consommation soit assuré. Le risque est que les outils de flexibilité ne se développent pas assez vite par rapport aux moyens de production décentralisés. Le soutien public à la structuration d'une filière industrielle du stockage de l'énergie doit être accru. Il est également important de préserver nos moyens de stockage déjà matures que sont les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP). Je ne reviendrai pas sur les débats que nous avons déjà eus en commission sur l'ouverture totale à la concurrence des concessions hydroélectriques, et que nous aurons de nouveau prochainement dans cette même commission à l'occasion d'un débat avec le directeur général adjoint de la DG Concurrence de la Commission européenne.

Concernant l'égalité de traitement entre des consommateurs, nous avons en France un très beau modèle, celui de la péréquation tarifaire : à profil de consommation égal, un utilisateur du réseau électrique s'acquittera du même tarif d'utilisation du réseau où qu'il se trouve sur le territoire français. Ce système doit être préservé dans un monde énergétique décentralisé. Or, force est de constater qu'il est aujourd'hui fragilisé. Certains acteurs, autoconsommateurs ou collectivités, sont tentés par l'autarcie énergétique, estimant qu'en consommant l'énergie qu'ils produisent, ils peuvent devenir totalement indépendants du réseau électrique, et donc ne plus avoir à payer son coût d'utilisation (le TURPE). Ces tentations sont à la fois irréalistes et dangereuses.

Elles sont irréalistes car il est impossible de se passer entièrement du réseau. Elles sont dangereuses car elles risquent de mettre en péril la solidarité entre les territoires. Dès lors qu'un usager se déconnecte du réseau national, les coûts globaux pèsent un peu plus sur le reste des usagers. Pour rappel, la répartition des coûts de réseau électrique entre les utilisateurs dépend non seulement de l'énergie totale consommée (la part « énergie » du TURPE est d'actuellement de 80 %) mais également des moments où cette consommation a lieu, puisque le dimensionnement des réseaux est fondé sur les pointes de puissance (la part « puissance » du TURPE est actuellement de 20 %). Il serait judicieux de réformer la structure du TURPE pour prendre en compte la nature de plus en plus assurantielle du réseau : il faudrait ainsi augmenter sa part « puissance » et réduire sa part « énergie ». Tout l'enjeu est de maintenir un juste équilibre entre la volonté de valoriser les services rendus au réseau par l'autoconsommation notamment, et la nécessité d'éviter des effets d'aubaine, qui seraient néfastes pour l'équilibre du système électrique et la solidarité entre consommateurs.

Pour résumer, la production centralisée est la garantie assurantielle de la production décentralisée qui, elle-même, peut-être la garantie assurantielle de la production centralisée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.