Intervention de Éric Pauget

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Pauget, rapporteur pour avis :

La France est restée en 2017 la première destination touristique au monde, vous l'avez dit, avec près de 87 millions de visiteurs. C'est une vraie source de fierté et la preuve que nous avons réussi notre rebond après avoir subi les répercussions négatives des attentats de 2015 – elles sont de moins en moins perceptibles. Néanmoins, cette réussite demeure fragile et elle ne doit pas être tenue pour acquise. Plusieurs signaux doivent en effet nous alerter. La fréquentation touristique de cet été a été moins bonne que celle de l'été précédent, même si nous devrions enregistrer un progrès sur l'ensemble de l'année 2018. Les bons résultats de Paris et des métropoles masquent aussi les difficultés que connaissent d'autres régions plus rurales. Enfin, certaines activités, comme la restauration et les cafés, sont en recul. C'est pourquoi nous devons conduire une politique volontariste afin de pérenniser les résultats positifs, mais encore fragiles, que nous avons obtenus.

Dans ce contexte, j'émettrai avec regret un avis défavorable aux crédits budgétaires qui nous sont proposés pour 2019. Certes, les crédits d'Atout France, qui figurent dans la mission « Action extérieure de l'État », resteront constants par rapport à 2018, à près de 33 millions d'euros, mais la part du tourisme décroît constamment dans la mission « Économie ». En 2019, les moyens prévus dans ce cadre se réduiront au financement d'études statistiques, et ils seront fusionnés au sein de l'action relative à l'industrie et aux services. Le mot « tourisme » disparaît de la mission « Économie », alors que c'est une activité fondamentale pour notre croissance, pour notre commerce extérieur, mais aussi pour la création d'entreprises et pour l'emploi ! Par ailleurs, le soutien de l'État à l'activité de garantie de BPIfrance, qui s'élève cette année à 40 millions d'euros, sera supprimé. Cela fait courir un grand risque à nos entreprises du secteur touristique, car les garanties sont le premier moyen dont BPIfrance dispose pour les accompagner dans leur transition.

Au-delà de ces aspects budgétaires, trois voies sont à suivre pour que la France demeure la première destination touristique au monde : l'innovation, la numérisation et la diversification.

L'innovation, tout d'abord, est indispensable pour faire de notre pays une destination qui se différencie dans la concurrence internationale. Disposer de « beaux monuments » et d'un patrimoine exceptionnel n'est plus une garantie suffisante. On doit faire de la France une destination à la pointe des tendances, qui réponde aux nouvelles aspirations de clientèles de plus en plus diversifiées et exigeantes. Cela ne se résume pas au numérique, loin de là : les touristes souhaitent de plus en plus expérimenter une nouvelle façon de visiter ne se limitant pas à utiliser une tablette.

L'innovation peut concerner les services, les usages ou encore les conditions de travail. De belles avancées ont été réalisées ces dernières années en matière d'accompagnement public, notamment dans le cadre de l'incubateur Welcome City Lab, à Paris, et de ses équivalents en région, qui sont réunis au sein du réseau France Tourisme Lab – il en résulte un vrai écosystème consacré au tourisme.

La difficulté majeure que les entreprises relèvent concerne l'accès aux financements. Je voudrais signaler deux points de vigilance dans ce domaine.

Tout d'abord, la suppression de la subvention de l'État aux garanties de BPIfrance est une évolution particulièrement inquiétante, car ces garanties constituent la première voie d'action de BPIfrance pour soutenir les entreprises, notamment dans le secteur de l'hôtellerie. Aucune solution alternative n'est prévue, hormis un autofinancement de BPIfrance qui ne pourra pas aller au-delà de 2021.

Le Gouvernement estime que le soutien apporté aux garanties de BPIfrance n'est plus nécessaire dans la mesure où l'accès des entreprises au crédit bancaire s'est rouvert depuis la fin de la crise financière. La situation continue pourtant à être difficile, notamment pour les entreprises qui souhaitent prendre des risques, le taux de sinistre restant important. Alors que le Gouvernement souhaite instaurer un droit à l'erreur en matière entrepreneuriale, il serait indispensable de préserver le financement des garanties par BPIfrance afin que toutes les entreprises, y compris celles qui prennent des risques, puissent accéder au crédit. Des amendements ont été déposés en séance en ce sens.

La deuxième difficulté concerne le financement de la phase de développement des entreprises. Le marché du crédit présente aussi des failles sur ce plan, et il y a, dans le domaine du soutien, un « chaînon manquant » entre la start-up et l'entreprise qui se pérennise : le financement de la phase de maturation est trop faible. BPIfrance a créé le fonds France Investissement Tourisme, dont l'enveloppe va être augmentée, mais ce fonds ne finance qu'une quinzaine d'entreprises par an, ce qui ne suffit pas pour structurer un réseau d'entreprises de taille suffisante pour continuer à innover et à nous différencier.

J'en arrive au numérique, qui offre indéniablement une opportunité. Il a permis aux professionnels de gagner en visibilité et d'accroître ou de fidéliser leur clientèle. Du côté des consommateurs, le numérique permet de réserver et de payer en ligne, de recueillir des informations en amont ou pendant leur voyage, mais aussi de consulter les avis laissés par de précédents voyageurs.

Le numérique est déjà extrêmement bien implanté dans le secteur du tourisme, comme le montrent les chiffres croissants du e-tourisme et du m-tourisme. Les offres des professionnels sont de plus en plus « digitales » et les plateformes d'intermédiation se développent rapidement. Ces évolutions ne sont pas entièrement maîtrisées, même si des progrès ont été faits : les dernières dispositions que nous avons adoptées dans ce domaine ont permis d'instaurer un premier cadre réglementaire qui concerne notamment les relations entre les hôteliers et les plateformes, telles que Booking, et l'encadrement de la location touristique entre particuliers. La récente loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) va dans ce sens. Malgré cet encadrement croissant, trois lacunes principales sont à relever.

En premier lieu, il est urgent de renforcer le contrôle des avis en ligne grâce à une obligation d'identification de leurs auteurs et à un contrôle de la consommation effective des prestations qui sont évaluées. Il n'est plus possible de laisser des avis fallacieux circuler de manière anonyme et en toute impunité alors qu'ils peuvent ruiner la réputation d'un établissement, d'une entreprise, voire d'une commune ou d'un site touristique.

Il faudrait ensuite encadrer davantage l'économie collaborative dans le secteur de la restauration, car c'est un phénomène qui s'y développe. Comme pour les restaurants, on doit fixer des obligations en matière d'hygiène, de sécurité et de débit de boisson, en effectuant les contrôles que cela implique.

Enfin, pour ce qui est de la collecte de la taxe de séjour que les plateformes vont devoir assurer à partir du 1er janvier prochain, il convient de garantir que l'information sur les montants décidés par les communes soit accessible et fiable en temps réel, afin que la collecte puisse être réellement efficace. On n'en est pas là aujourd'hui. Il faudrait aussi repenser les modalités de calcul afin d'assurer une plus grande équité entre les différentes formes d'hébergement et d'instaurer davantage de clarté pour les consommateurs.

L'État a une double responsabilité dans le domaine du numérique. Elle concerne la formation des professionnels, qui maîtrisent parfois mal cette dimension, et la question des « zones blanches », qui doivent être réduites car elles pénalisent considérablement l'attractivité touristique et l'adaptation à la demande des clients. Il y va de l'égalité entre les territoires.

La troisième voie à explorer est celle de la diversification. La France doit valoriser sa grande diversité sur le plan des territoires, des cultures et des compétences. Elle a déjà commencé à le faire, avec succès : le tourisme de mémoire, le tourisme spirituel et le tourisme sportif attirent notamment de plus en plus de voyageurs.

Les bienfaits de la diversification de l'offre sont nombreux : elle permet de mettre en valeur des territoires ruraux ou peu fréquentés, de valoriser des productions locales, notamment dans le cadre du tourisme faisant appel à la gastronomie et à l'oenologie, de créer ou de maintenir des emplois non délocalisables car intimement liés à l'histoire ou au patrimoine d'une région, de satisfaire la demande croissante d'un tourisme plus responsable et plus écologique, mais aussi de lutter contre la saisonnalité de certains sites afin d'assurer des revenus bien plus stables sur l'ensemble de l'année.

Afin de tirer pleinement profit de l'ensemble de ses atouts, la France doit créer les conditions de la diversification, ce qui suppose de mener deux actions.

Il faut, tout d'abord, renforcer le tourisme des Français en France. Il existe un fort potentiel d'amélioration dans ce domaine : 35 % des Français ne partent pas en vacances, et ceux qui le font se tournent de plus en plus vers l'étranger plutôt que vers notre pays. Il est donc dommage que la mission d'Atout France ne concerne que les touristes étrangers. Néanmoins, la réunion, qui est en train de se réaliser, entre les offices du tourisme, les comités régionaux du tourisme et les comités départementaux du tourisme en une seule fédération pourrait conduire à créer un pendant d'Atout France, qui disposerait de moyens financiers importants et serait tourné vers la promotion du tourisme à l'égard des Français ainsi que la structuration de cette filière. En parallèle de l'objectif de 100 millions de visiteurs étrangers qui a été fixé par le CIT, je souhaiterais que l'on établisse des objectifs chiffrés à propos des départs en vacances des Français et de leurs nuitées en France, qui doivent augmenter.

Il faut ensuite miser sur la qualité, quelle que soit l'offre proposée. Tous les visiteurs, même ceux dont la venue est très occasionnelle et correspond à un segment de niche, souhaitent être reçus et accueillis convenablement. C'est de cette manière que la France pourra se différencier.

Pour conclure, les professionnels et les pouvoirs publics doivent impérativement et constamment innover, proposer une offre diversifiée et prendre en compte le virage numérique si nous voulons atteindre l'objectif de 100 millions de visiteurs internationaux, mais aussi un nouvel objectif chiffré de visiteurs français. C'est indispensable pour asseoir durablement notre position de première destination touristique mondiale, qui est à l'origine de 7 % de notre PIB et de plus de 2 millions d'emplois directs et indirects.

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