Intervention de Philippe Berta

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 17h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Berta, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur et de la vie étudiante :

Le budget de l'enseignement supérieur s'inscrit cette année dans la trajectoire dessinée par la loi de finances pour 2018. Les programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante » connaissent une hausse de 0,6 % en autorisations d'engagement et de 1,07 % en crédits de paiement, soit environ 100 et 170 millions d'euros respectivement, dans un contexte budgétaire contraint. Cette hausse vise notamment à financer le plan licence, plan fondamental pour améliorer l'orientation et la réussite des étudiants en premier cycle, à créer une nouvelle bourse devant faciliter la mobilité des étudiants en première année d'études supérieures et à revaloriser les carrières des agents.

Au-delà de l'examen des crédits consacrés à l'enseignement supérieur dans ce projet de loi de finances, j'ai souhaité m'intéresser cette année aux carrières des enseignants-chercheurs, en recherchant les moyens de mieux valoriser leur accomplissement sur tout le spectre de leurs missions et de leur assurer un accompagnement professionnel plus personnalisé.

Les corps d'enseignants-chercheurs assument en effet des missions extrêmement vastes. Outre les tâches relatives à la pédagogie, à l'accompagnement des étudiants et à la recherche, il leur incombe d'assumer des responsabilités administratives et collectives au sein de leurs établissements, de développer la dimension internationale de ces derniers, de contribuer à la diffusion des savoirs auprès du grand public et de valoriser les résultats de la recherche. La loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants a élargi ces missions en prévoyant une aide à l'orientation des futurs étudiants et la mise en place de dispositifs d'accompagnement pédagogique.

C'est pourtant la qualité de la recherche qui est prise en compte, de manière presque exclusive, pour déterminer la progression des carrières. Elle demeure, en effet, le premier critère d'évaluation et de sélection des enseignants-chercheurs lors de leur recrutement et de leur promotion, ou lors de l'attribution de la prime d'encadrement doctoral et de recherche. Ce constat s'applique aux promotions dites nationales, sur proposition du Conseil national des universités (CNU), comme aux promotions locales, sur proposition des établissements. Ses effets sont aggravés par la course à la publication qui affecte les milieux de la recherche et par la concurrence internationale entre les établissements, qui sont bien souvent évalués sur ce critère.

Cette survalorisation de la recherche se double d'un accompagnement professionnel insuffisant. Il n'existe pas, aujourd'hui, de processus satisfaisant de reconnaissance et d'accompagnement de l'enseignant-chercheur dans sa réalisation professionnelle. Les enseignants-chercheurs ne sont évalués que sur leurs activités de recherche, et ce sur une base uniquement volontaire ; l'évaluation n'intervient qu'à l'occasion d'une demande de promotion, d'avancement, de mutation, de prime ou de congé de conversion. Il en résulte des évaluations conduites dans une logique de contrôle, ce qui est contradictoire avec le principe de l'indépendance des enseignants-chercheurs.

Les activités autres que la recherche ne font l'objet que de peu, voire d'aucun suivi. En l'absence de démarche volontaire, aucun rendez-vous régulier ne rythme la carrière de l'enseignant-chercheur pour ouvrir une réflexion commune sur ses missions et proposer une offre de formation pertinente.

Cette carence de l'accompagnement génère des difficultés pour la mobilité des enseignants-chercheurs et des inégalités dans le déroulement des carrières. Je rappellerai que la mobilité des enseignants-chercheurs est très faible, qu'il s'agisse de mobilité hiérarchique, géographique ou fonctionnelle. Passé 35 ans, les mutations d'enseignants-chercheurs concernent moins de 1 % d'entre eux, alors qu'un tiers seulement des demandes sont satisfaites, et à peine 3 % sont placés en position de détachement ou en délégation. En matière de mobilité hiérarchique, on constate une forte autocensure des enseignants-chercheurs, qui se montrent timorés lorsqu'il s'agit de progresser dans leur carrière.

Par ailleurs, des inégalités dans le déroulement de carrière existent entre les enseignants-chercheurs titulaires dans de petits établissements, dont l'activité en recherche est souvent plus modeste, et ceux affectés dans de grands établissements, dans un environnement scientifique prestigieux. Cette inégalité dans la possibilité de mener des activités de recherche est renforcée par les procédures de promotion, puisque les enseignants-chercheurs des plus petits établissements ne peuvent être promus que par la voie nationale, la voie locale leur étant fermée. La faiblesse de l'accompagnement professionnel est ainsi facteur d'immobilisme, mais aussi d'injustices.

Certes, un suivi de carrière a été mis en place en 2014 pour remédier à certaines de ces difficultés. Ce dispositif, destiné à améliorer l'accompagnement professionnel des enseignants-chercheurs, prévoit que chacun d'entre eux établit, au moins une fois tous les cinq ans, un rapport mentionnant ses activités. Ce rapport est remis au président de l'établissement, qui le transmet au CNU, en même temps qu'un avis sur les activités pédagogiques et les tâches d'intérêt général accomplies par l'enseignant.

Ce suivi de carrière a d'abord été refusé par la plupart des sections du CNU. Seules 6 sections sur les 57 que compte le CNU ont effectivement examiné les dossiers déposés en 2015. Mais l'acceptation progresse : en 2016, 9 sections y avaient pris part, puis 33 en 2017, soit la majorité. Sur les 2 000 dossiers déposés en 2017, 22 % ont suscité de la part du CNU des suggestions d'actions à mettre en oeuvre par l'établissement. Ces suggestions ont pour beaucoup porté sur un allègement des tâches d'enseignement pour certains enseignants-chercheurs ou sur une modification des conditions de l'activité de recherche.

De mieux en mieux accepté, le suivi de carrière permet d'introduire un regard extérieur régulier sur les carrières. Mais il ne répond que très imparfaitement à la nécessité de mieux accompagner l'épanouissement professionnel des enseignants-chercheurs et de mettre en place des mécanismes de promotion correspondant à la réalité du métier.

L'évaluation doit répondre à des critères de transparence, de justesse et d'équité, être porteuse de sens et s'inscrire dans un environnement plus large d'épanouissement professionnel pour emporter l'adhésion. Elle doit permettre la reconnaissance et l'accompagnement des professionnels dans l'ensemble de leurs missions. Dans le cas des enseignants-chercheurs, une attention particulière doit être portée à la spécificité de leur identité professionnelle. Seule une évaluation formative, respectueuse de leurs qualifications et de leur autonomie peut être pertinente. Elle doit également respecter leur indépendance, reconnue par le Conseil constitutionnel comme découlant de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'auto-évaluation doit donc être privilégiée.

Madame la ministre, vous avez annoncé, le 29 mars dernier, une concertation sur la reconnaissance de l'investissement pédagogique des enseignants-chercheurs. Je souhaite que les propositions que je vais formuler, inspirées de pratiques davantage utilisées chez nos voisins européens, puissent contribuer à la dynamique que vous avez lancée.

Pour mieux valoriser les agents investis dans le domaine pédagogique, une pratique vertueuse consiste en la rédaction de dossiers d'enseignement, récapitulant les enseignements créés et dispensés au cours d'une période donnée, et détaillant leur public, les méthodes d'enseignement et les modes d'évaluation employés. Ces dossiers permettent à l'enseignant de mettre en valeur les compétences pédagogiques qu'il a développées et de porter un regard réflexif sur ses pratiques. Pour que cette pratique se diffuse, il serait utile que le ministère fournisse un canevas de dossier d'enseignement aux établissements, à titre indicatif, afin d'ouvrir la réflexion sur les pratiques pédagogiques.

L'évaluation des enseignements par les étudiants constitue un deuxième levier, à condition qu'elle soit utilisée de manière volontaire par les enseignants-chercheurs et que ses résultats demeurent réservés à l'enseignant concerné. Ici encore, le ministère pourrait élaborer une plateforme type que les établissements et les enseignants pourraient ensuite adapter à leurs besoins. Le développement de mécanismes d'auto-évaluation, pour revêtir une réelle efficacité, devrait s'accompagner d'un renforcement de l'accompagnement des enseignants-chercheurs au sein de leur établissement et de la mise en place d'outils dédiés à leur développement professionnel. Il convient, en effet, que les auto-évaluations conduites débouchent sur des actions d'amélioration lorsque le besoin s'en fait ressentir.

Ainsi, des points d'étape périodiques et confidentiels avec les services des ressources humaines des établissements pourraient être mis en place tous les deux ans et demi, exception faite des années où le suivi de carrière a lieu. Ces moments d'échange permettraient la formulation de conseils personnalisés et la proposition d'outils et de formations appropriés aux besoins de l'enseignant-chercheur.

Concernant l'accompagnement en matière pédagogique, je tiens à saluer la mise en place de formations obligatoires pour les maîtres de conférences en année de stage. Je suggère que leur volume soit augmenté et qu'y soient incluses de nouvelles dimensions dans les champs de la connaissance du monde économique, de la psychologie, de l'éthique, du numérique et de la protection des données. Il faudrait également renforcer les services pédagogiques existant au sein de nos établissements, auxquels tous les enseignants-chercheurs devraient avoir accès. Pour les établissements qui n'en sont pas encore dotés, des centres de pédagogie communs à deux ou plusieurs universités pourraient être mis en place. Enfin, il serait utile de développer les pratiques d'observation par les pairs, qui permettent non seulement de recevoir un retour sur son enseignement, mais aussi de prendre conscience de la diversité des approches d'enseignement, ainsi que celle de tiers-temps pendant lesquels les enseignants-chercheurs pourraient échanger sur leurs choix et leurs difficultés d'enseignement.

Outre l'accompagnement professionnel dont il permettrait de faire bénéficier les enseignants-chercheurs, un suivi de carrière plus régulier et plus complet devrait aboutir à un système plus juste d'attribution des promotions, des congés et des primes.

Les entretiens de suivi avec les services des ressources humaines, ainsi que la documentation par les enseignants-chercheurs de leurs activités sur tout le spectre de leurs missions, permettraient de lever l'autocensure de nombreux agents qui hésitent à solliciter une promotion. Ils permettraient également de mieux reconnaître les enseignants-chercheurs exerçant dans des établissements où l'activité de recherche est moindre, et d'octroyer des modulations de services correspondant mieux à la situation professionnelle réelle des intéressés.

Sur ce sujet, je me félicite de l'annonce que vous avez faite, madame la ministre, concernant l'élargissement des congés pour recherche et conversion thématique. J'estime que leur durée, aujourd'hui fixée à six ou douze mois, devrait être modulée de manière plus précise en fonction de leurs objectifs. Les congés consacrés à la valorisation de la recherche constituent, à mon sens, une priorité.

Je souhaite également rappeler que les établissements constituent l'échelon le plus pertinent pour appréhender toutes les dimensions de l'activité des enseignants-chercheurs qui ne relèvent pas de la recherche. Une plus grande confiance devrait donc leur être témoignée sur ce sujet.

Enfin, pour remédier aux inégalités de carrière, il serait souhaitable d'attribuer au CNU un quota de promotions réservé aux promotions dans les petits établissements.

J'en viens à présent à mes questions. La première porte sur les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (EESPIG), qui bénéficient de subventions à hauteur de 72 millions d'euros dans le programme 150. Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer les critères qui président à la reconnaissance de la qualité d'EESPIG et les objectifs de ces subventions ?

Par ailleurs, je m'interroge sur la réduction de l'aide au mérite destinée aux étudiants bénéficiant d'une bourse sur critères sociaux et ayant obtenu une mention « très bien » au baccalauréat. Cette baisse s'explique en partie par la réduction de moitié de cette aide décidée par un arrêté du 11 mai 2015 mais, comme l'indique le projet annuel de performance, elle résulte aussi d'une diminution du nombre de bourses octroyées. Au vu de l'importance sociale et symbolique de ce dispositif, pourquoi réduire le nombre de ces bourses ?

Ma dernière question porte sur la concertation au sujet de la reconnaissance de l'investissement pédagogique des enseignants-chercheurs, que vous avez annoncée le 29 mars dernier. Pourriez-vous nous indiquer l'état d'avancement et le calendrier de cette concertation ?

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