Intervention de Ericka Bareigts

Séance en hémicycle du lundi 10 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEricka Bareigts :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le monde du travail est entré dans une phase de profonds changements, avec les bouleversements liés au numérique et à l'émergence de nouvelles formes d'emploi, de nouveaux statuts et de la multi-activité. Face à la fragmentation des parcours professionnels et la mise à mal du triptyque traditionnel « Formation initiale, emploi, retraite », il est indispensable de sécuriser les parcours professionnels pour que chaque salarié puisse se maintenir dans l'emploi ou accéder à la formation professionnelle.

C'est un enjeu primordial pour un pays où la peur de l'échec professionnel et du chômage est parmi les plus élevées d'Europe. Et je dois d'ores et déjà souligner, madame la ministre, que votre texte ne comporte aucun élément qui aille en ce sens. Certains pays comme l'Allemagne ont fait le choix d'une baisse du chômage au profit d'un accroissement massif de l'emploi précaire avec une prolifération des mini-jobs. Ce choix a conduit à un doublement des personnes précaires en emploi entre 2004 et 2010. La précarisation du marché du travail, entraînant une hausse des inégalités, ne saurait être une solution souhaitable.

L'Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE – rendra dans deux jours son rapport d'évaluation du programme macroéconomique du Président de la République. Si l'on ne connaît pas encore ses conclusions, il y en a au moins une que l'on peut anticiper : le risque d'un accroissement des inégalités et d'une hausse de la précarité, à cause des réformes sociales que vous nous proposez. Un récent ouvrage de l'European Trade Union Institute examine l'impact des changements dans la régulation des niveaux et des formes d'emploi dans neuf pays de l'Union européenne, dont la France. Il montre que la réduction de la protection de l'emploi n'a apporté ni avantages du marché du travail, ni avantages économiques.

En outre, les changements postérieurs à la crise ont été accompagnés d'une augmentation de l'emploi précaire dans les pays qui avaient particulièrement misé sur les efforts de dérégulation. Le risque des réformes que vous nous présenterez, dont le texte que nous examinons aujourd'hui constitue la première pierre, est bien celui de la précarisation des emplois.

Une lettre du Trésor de mars 2013, relative aux effets des réformes Hartz sur le marché du travail allemand, fait état du même constat : les réformes du droit du travail se sont accompagnées d'un accroissement de l'emploi précaire. Elle indique aussi que le faible impact de la crise de 2008-2009 sur le marché du travail s'explique moins par ces réformes que par des flexibilités internes plus importantes et par un dialogue social de qualité.

Mes chers collègues, si vous refusez d'adopter la motion de renvoi en commission que je m'apprête à défendre, vous nous obligerez à examiner un projet de loi qui est le terreau fertile d'une précarisation de l'emploi et dont les mesures sont bien éloignées de son titre évoquant un « renforcement du dialogue social ».

Je commencerai mon intervention en critiquant le recours aux ordonnances et la méthode utilisée. J'en viendrai ensuite aux mesures que vous proposez de prendre par ordonnances et aux vives inquiétudes qu'elles suscitent.

D'abord, la méthode. Lors de son discours devant le Congrès, le Président de la République rappelait à juste titre qu'il faut du temps pour discuter la loi. Ce discours présidentiel est très éloigné de la réalité du travail parlementaire que nous avons vécue jusqu'à présent.

Je souhaite rappeler brièvement les faits pour que tous ceux qui nous regardent puissent en prendre la mesure. Jeudi 29 juin, le texte dont nous discutons était déposé sur le bureau de notre assemblée. Quatre jours plus tard, lundi 3 juillet, nous devions avoir déposé nos amendements pour l'examen du texte en commission, alors que le rapporteur n'était même pas désigné et que notre assemblée n'avait pas encore voté la confiance au Gouvernement. Je n'évoque même pas le fait qu'un grand nombre d'entre nous ne disposaient pas de bureau, voire de messagerie professionnelle à l'Assemblée nationale. Quarante-huit heures plus tard, mercredi 5 juillet, nous entamions l'examen du texte en commission des affaires sociales à seize heures, après avoir auditionné au pied levé les organisations syndicales dans la matinée. Se sont alors tenues trois réunions de commission pour un examen express du texte, durant lesquelles pas un seul des 150 amendements déposés par l'opposition n'a été reçu favorablement par le rapporteur et n'a donc été adopté par notre commission.

Vous le voyez, nous sommes loin du discours du Président de la République devant le Congrès sur la nécessité de légiférer sans se précipiter. Mes chers collègues, les seules conditions matérielles d'examen du texte en commission et les délais auxquels nous avons été soumis justifieraient un renvoi du projet de loi en commission.

Malheureusement, les raisons justifiant ce renvoi en commission ne s'arrêtent pas là : elles tiennent aussi au recours aux ordonnances. Aujourd'hui, mes chers collègues, il ne nous est pas simplement demandé de travailler dans la précipitation ; il nous est surtout demandé, monsieur le rapporteur, de bien vouloir passer d'un rôle d'acteurs à un rôle de simples observateurs. Il s'agit là d'un renoncement à la confrontation démocratique et au débat serein sur des sujets essentiels, qui touchent au quotidien de nos concitoyens.

Alors, vous justifiez le recours aux ordonnances par l'urgence. Je comprends que vous invoquiez ce motif, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel vous l'impose. Mais l'urgence est-elle réelle quand l'étude d'impact présente un calendrier prévisionnel de six grands chantiers devant se répartir sur dix-huit mois ?

Le Conseil d'État lui-même partage nos inquiétudes. Dans l'avis qu'il vous a remis, il constate en effet que « le projet de loi contient un très grand nombre d'habilitations permettant au Gouvernement de prendre des ordonnances sur des sujets d'une portée et d'une complexité inégales ». Il appelle l'attention du Gouvernement sur « les conséquences d'un tel choix, en termes de hiérarchie des priorités, de calendrier et de temps nécessaire à la préparation de ces différentes réformes ».

Seules l'urgence et une technicité particulière peuvent justifier le recours aux ordonnances. Mais où est l'urgence alors même que nous examinons l'un des tout premiers textes de la nouvelle législature ? Et de quelle technicité le Gouvernement peut-il se prévaloir, dont le Parlement serait incapable ?

Est-ce le plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif ? Notre assemblée en a déjà débattu. Le groupe La République en marche doit le savoir, puisque son président était rapporteur général de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Cette loi a d'ailleurs créé un barème : il s'agit d'un référentiel fixant le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée, en fonction notamment de l'ancienneté, de l'âge et du fait que la personne sera ou non en emploi. D'ailleurs, si les deux parties en font la demande, le juge est tenu d'appliquer strictement ce barème.

Est-ce le nouveau périmètre du licenciement économique, qui signerait la fin de la solidarité entre une société mère et ses filiales ? En voulant réduire le périmètre d'appréciation de la situation économique des entreprises appartenant à un groupe aux entreprises situées sur le territoire national, vous faites primer les investissements étrangers sur les droits sociaux des salariés, alors même que la jurisprudence de la Cour de cassation invite les juges du fond à tenir compte de la situation de l'ensemble des sociétés du groupe appartenant à un même secteur d'activité.

Est-ce le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P ? Vous voulez alléger les obligations de déclaration des expositions en redéfinissant les conditions d'appréciation de l'exposition à certains facteurs de pénibilité et de compensation. Le C3P constitue une avancée sociale fondamentale, car il permet aux salariés exposés à des conditions de travail pénibles d'accéder à des postes moins pénibles grâce à la formation, de réduire leur temps de travail sans perte de salaire ou de partir plus tôt à la retraite. En alliant prévention du traitement des situations de pénibilité au moment où elles se produisent et réparation des expositions à la pénibilité, la réforme de 2013 apporte une réponse à la hauteur de l'enjeu de la pénibilité au travail. Des solutions concrètes ont été adoptées en juin 2014 pour aider opérationnellement les branches professionnelles et les entreprises, en particulier les plus petites d'entre elles, à recenser dans un cadre sécurisé les expositions de leurs salariés.

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