Intervention de Rachel Lévy

Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 19h40
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Rachel Lévy, vice-présidente de la Fédération des BLEFCO, chef du service Biologie de la reproduction et du CECOS de l'hôpital Tenon :

J'aborderai pour ma part la question de l'AMP pour les couples de femmes et pour les femmes seules.

Interrogés par un sondage, les membres de notre société savante se sont prononcés à 72 % pour l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et à 52 % pour son ouverture aux femmes seules, sous réserve de la prise en compte des conditions d'accès et de faisabilité. L'AMP est déjà possible pour les femmes seules et les couples de femmes dans des pays proches de la France comme la Belgique, le Danemark, le Royaume-Uni ou l'Espagne où un « tourisme procréatif » consistant à recourir à l'AMP avec don de spermatozoïdes dans des centres médicaux d'aide à la procréation permet à ces femmes de contourner la loi française. Mme Françoise Shenfield, qui a étudié cette pratique, a montré que 85 % des femmes françaises qui suivent ce parcours procréatif sont prises en charge en Belgique et que, parmi ces femmes, 64,5 % ont fait ce choix pour contourner le droit français. J'ajouterai que l'obtention directe de spermatozoïdes congelés issus des banques de sperme étrangères privées est également pratiquée sans intervention médicale par des couples de femmes et des femmes seules.

Le récent avis du CCNE sur les demandes sociétales de recours à l'AMP mentionne uniquement la technique d'insémination intra-utérine avec sperme de donneur, qui est la technique d'AMP la plus simple. Mais cette technique peut ne pas être indiquée pour des raisons médicales, par exemple une obstruction tubaire ou une insuffisance ovarienne. Dans ces cas, la fécondation in vitro (FIV) avec injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), qui est une technique plus lourde, peut devenir une indication médicale pour ces couples de femmes et ces femmes seules. De plus, ces techniques de fécondation permettent de limiter le risque de grossesses multiples par le transfert d'un embryon unique, contrairement à l'insémination avec sperme de donneur.

L'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules soulève des interrogations légitimes à la fois sur les modalités de prise en charge médicale de ces femmes et sur le bien-être et la filiation des enfants. Mais s'il est habituel de regrouper sous une même thématique la question de l'AMP des couples de femmes et celle des femmes seules, leurs situations sont très différentes. Plusieurs études, dont celles menées par notre collègue Guido Pennings, montrent que, dans le cadre de l'AMP des couples de femmes, la notion de couple est essentielle en ce qu'elle permet d'assurer le bien-être de l'enfant en le faisant grandir dans un environnement familial construit permettant sa bonne insertion sociale.

Pour la prise en charge des femmes seules, l'expérience de nos collègues belges prouve qu'une évaluation psychologique et sociale préalable est indispensable. Les femmes étudiées dans leurs travaux, n'avaient pas initialement, pour la plupart, de projet de maternité seule mais un projet, pourrait-on dire classique, d'AMP en couple. Elles ont une histoire particulière, en rapport avec leur fertilité sur le point de s'éteindre et le fait qu'elles ne trouvent pas de partenaire, et ont le plus souvent vécu une séparation de couple douloureuse. Ces femmes peuvent par ailleurs présenter une vulnérabilité sociale ou psychologique qui risque d'avoir une répercussion sur le bien-être et l'insertion sociale de l'enfant tout au long de son développement.

Concernant la filiation, l'étude que Wannes Van Hoof a réalisée en 2015 au sujet des couples de femmes et des femmes seules démontre que ces femmes souhaitent recourir à une AMP avec des spermatozoïdes issus d'un donneur anonyme. Sans vouloir relancer les débats qui ont précédé notre audition, il nous semble qu'une modification de la loi concernant la filiation serait nécessaire pour que les enfants conçus dans le cadre de l'AMP au sein d'un couple de femmes puissent avoir deux parents. Par ailleurs, des précautions doivent être prises pour toute demande d'AMP avec sperme de donneur et elles seront à observer avec vigilance : qu'existe un projet parental élaboré rendu évident par des entretiens psychologiques préalables, que soient choisis des protocoles visant à favoriser la naissance d'un enfant unique et qu'ait lieu un suivi des enfants nés. Voilà nos sujets de préoccupation. La prise en charge des couples de femmes et de femmes seules nécessitant le recours au don de sperme, il faudra en outre impérativement mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour le déploiement d'une campagne de sensibilisation encore plus active sur cette forme de don.

Enfin, comme l'a dit ma collègue, il serait nécessaire, dans le cas où cette prise en charge serait autorisée, que les centres disposent de plus de moyens matériels mais aussi de plus de moyens humains, notamment de psychologues, d'infirmières, de sages-femmes, de techniciennes et d'assistantes sociales.

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