Intervention de Benjamin Pitcho

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 15h00
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Benjamin Pitcho, avocat :

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je remercie également la représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s. pour son témoignage.

En effet, deux conditions sont aujourd'hui nécessaires pour la réalisation d'un acte médical dans notre pays : le consentement de la personne et l'existence d'une nécessité médicale ou thérapeutique – une utilité pour la personne elle-même.

M. Benjamin Moron-Puech reviendra sur la nécessité médicale ; quant à moi, je vous parlerai de la notion de consentement.

Le code de la santé publique et les droits fondamentaux prévoient que toute personne doit être mise en capacité de connaître les conséquences de l'acte qu'elle subit, les raisons de cet acte et ses implications. Évidemment, quand on parle de protocoles réalisés sur des enfants dès l'âge de trois ans, il est hors de question de considérer qu'un consentement valide ait pu être donné à ces actes. Nous pourrions considérer, avec une lecture un peu littérale du code de la santé publique, que ce sont les parents, ou plutôt les titulaires de l'autorité parentale, qui doivent donner ce consentement. Or, comme l'a parfaitement rappelé la repréentante du Collectif Intersexes et Allié.e.é.s, leur consentement a malheureusement été biaisé, puisque le regard médical porté sur l'intersexuation est un regard pathologisant, qui consiste à considérer l'intersexuation comme une anomalie qu'il faut corriger.

Il s'ensuit que les informations données sont parcellaires, biaisées, et vont nécessairement, dès lors que l'accord des titulaires de l'autorité parentale est demandé, induire un accord qui lui-même sera biaisé.

J'ai l'honneur de recueillir la confiance de certaines personnes intersexuées qui ont confié à mon cabinet la défense de leurs intérêts. Ainsi, je me suis aperçu que, dans la très grande majorité des cas, aucune information n'est donnée aux parents sur ce qu'est l'intersexuation, sur le caractère complètement sain de l'intersexuation dans l'immense majorité des cas, n'induisant aucune pathologie, ni à long terme ni à court terme, et sur les conséquences pour l'enfant, les parents, et d'autres personnes. Nous pouvons en déduire que ces actes sont réalisés sans le consentement de la personne et sont donc totalement illicites.

Je rappelle que nous parlons d'actes qui sont réalisés dès le plus jeune âge de l'enfant, c'est-à-dire dès trois ans. D'actes qui vont impliquer des conséquences à vie, et une assignation vers un genre qu'il ou qu'elle n'aura pas choisi, sous des prétextes strictement médicaux. Je rappelle aussi que des actes sont réalisés en période anténatale. Si le code de la santé publique accepte aujourd'hui la réalisation d'une interruption médicale de grossesse (IMG) en cas de maladie grave et incurable au moment du diagnostic, de nombreux services de médecine ont tendance à considérer que, lorsque l'intersexuation est développée in vitro et qu'elle est visible, elle relèverait d'une maladie grave et incurable qui justifierait une interruption médicale de grossesse.

La situation actuelle est gravissime. Les actes que subissent les personnes intersexes tout au long de leur vie d'enfant, puis tout au long de leur vie d'adulte, ne sont jamais choisis, jamais consentis. On enferme les personnes dans une situation pathologisante, du fait, non pas de leur intersexuation, mais du regard des autres et des actes qui sont réalisés.

Les personnes que nous représentons ont des parcours excluant toute possibilité d'insertion sociale, puisque, dès leur plus jeune âge, on leur ment. L'équipe médicale leur ment. Personne ne leur explique pourquoi, dès l'âge de trois ans, alors que tous les petits copains et les petites copines passent leurs vacances en famille, chez les grands-parents, ils sont opérés et passent leur enfance dans les hôpitaux à subir des actes chirurgicaux graves. J'insiste sur ce point : ils n'ont jamais eu leur mot à dire.

Parfois, certains interceptent un courrier. C'est le cas de l'une de nos clientes qui a intercepté, à l'âge de vingt-cinq ans, un courrier adressé par le médecin à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) à la suite de sa demande de prestations sociales, mentionnant le fait qu'elle était intersexuée. Ma cliente a ainsi découvert son état à cette occasion. Tout au long de sa jeunesse, les médecins écrivaient textuellement, dans son carnet médical : « il faut impérativement mentir à cette jeune fille, pour lui faire croire que c'est une petite fille et qu'elle n'ait aucun doute sur son genre ». Telle est la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, et qui est gravement préjudiciable aux droits des enfants.

À cette violence sociale s'ajoute évidemment une violence juridique particulièrement insupportable pour ces personnes. Elles viennent nous voir et, quand elles saisissent les tribunaux, ceux-ci leur opposent systématiquement la prescription, les actes ayant été effectués dans leur tendre jeunesse. Or, vous l'imaginez bien, le temps qu'elles puissent réaliser la situation, se construire une personnalité autre que celle qui a été détruite par ces actions et entamer une démarche judiciaire, le délai de prescription est écoulé.

Bien que nous ne favorisions pas systématiquement la voie judiciaire, nous avons plusieurs fois porté plainte avec constitution de partie civile pour actes de mutilation. Le juge d'instruction a parfois refusé d'instruire. Nous nous sommes donc pourvus en cassation pour contester ces arguments, en faisant valoir le fait que les personnes étaient dans l'impossibilité matérielle et psychologique de connaître leur état, rendu pathologique, encore une fois, par ces interventions et aucunement par leur état d'intersexuation. La Cour de cassation a considéré que cela ne revêtait pas le caractère d'un obstacle insurmontable. Un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme est aujourd'hui en cours.

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