Intervention de Delphine Ernotte

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions :

Concernant le sport, et en particulier du sport féminin, nous sommes victimes de l'inflation des droits sportifs qui ont été multipliés par deux ! Alors que nous avons mis le sport féminin à l'honneur, à un moment où il n'était pas prisé – les droits étaient alors abordables –, nous n'avons aujourd'hui plus les moyens d'en acheter les droits. Finalement tant mieux, cela veut dire que le sport féminin est diffusé et c'est très bien. Mais cela résume aussi bien les choses : dès que nous faisons monter un sport, les droits augmentent et nous n'avons plus les moyens de les acheter.

Nous avons donc décidé de continuer à être présents là où les autres ne le sont pas, et notamment sur le handisport, très peu exposé. Nous avons diffusé les Jeux paralympiques à deux reprises et nous allons continuer.

Alors comment être présents sur les grands rendez-vous sportifs, le Tour de France, les Jeux olympiques, Roland-Garros, le rugby ? S'agissant des Jeux olympiques, nous avons bien entendu fait une offre, mais ils en veulent beaucoup plus ; nous ne désespérons pas de trouver un moyen de négocier. Car évidemment, nous voulons les JO 2024. Il est impensable que les Français n'aient pas accès gratuitement aux JO de Paris.

S'agissant du cadre réglementaire, vous pouvez nous aider, car il n'est pas protecteur pour le service public. Le volume de retransmission en clair est extrêmement faible, avec 200 heures contre 300 heures auparavant, et le décret sur les événements d'importance majeure concerne assez peu les JO.

Nous avons prévu de continuer à être présents sur ces grands événements et à relever le défi des disciplines peu visibles et, bien sûr, du sport féminin.

D'une manière plus générale, s'agissant de l'exposition du sport, du cinéma, de la création, qui est aujourd'hui assez forte sur les petites chaînes que sont France 4 et France Ô, nous allons faire le pari du numérique. France.tvsport progresse énormément, puisque nous disposons maintenant d'offres spécifiques à cette plateforme, qui complètent ce qui est diffusé sur nos antennes.

Le pari que nous faisons est le suivant : moins d'exposition linéaire et plus d'exposition numérique. Pour le sport, nous devons être capables d'acquérir des droits numériques. Pour le cinéma, la difficulté est que nous n'avons aucun droit numérique. Nous ne pouvons même pas, alors que nous diffusons plus de 500 films par an, les proposer sur notre plateforme France.tv. Nous allons bien évidemment travailler sur ce sujet avec les organisations du cinéma.

S'agissant de la pérennité du cinéma français, si Canal + est un grand financeur du cinéma, France Télévisions en est un autre, avec quelque 60 millions d'euros investis chaque année, 60 films, et une attention toute particulière portée au cinéma d'auteur : nous finançons 30 % de premiers ou seconds films. Mais la situation nous inquiète, car nous savons bien que les chaînes payantes sont un soutien fort du cinéma français et que nous n'aurons pas le relais des plateformes américaines. Je n'ai donc pas de réponse à la question de savoir comment nous allons pourvoir continuer à financer le cinéma français pour qu'il demeure de qualité. Car sans l'aide de l'État, nous serions comme nos amis italiens, qui n'ont plus de cinématographie.

Concernant le piratage, même si nous ne disposons pas de tous les pouvoirs pour lutter contre ce phénomène, l'un des moyens est l'exposition gratuite et légale. C'est la raison pour laquelle nous travaillons à étendre notre capacité à exposer les oeuvres sur nos propres environnements numériques et réfléchissons, avec TF1 et M6, non seulement à un moyen de trouver une juste rémunération des producteurs et des auteurs, mais également à une nouvelle offre payante qui pourrait contribuer à l'économie générale du système.

La culture et l'éducation sont effectivement deux sujets importants. La culture n'est pas uniquement l'exposition du spectacle vivant ou des événements culturels en tant que tels. Notre plateforme Culturebox est très diversifiée, puisqu'on y trouve de la musique, des concerts, des pièces de théâtre, de l'art, des livres, etc. Mais elle est mal connue, ce qui est un sujet en soi : comment faire connaître nos offres numériques ? À cet égard, nous allons lancer, en collaboration avec nos partenaires de l'audiovisuel public, une offre sur les réseaux sociaux, dénommée Cultureprime, qui va, dans des formats totalement innovants, mettre en avant les offres culturelles de nos différents médias et approfondir des sujets spécifiques, avec l'objectif de toucher des publics qui ne vont ni sur Culturebox, ni sur nos chaînes traditionnelles. Nous travaillons également sur des formats beaucoup plus classiques, avec le retour d'une nouvelle émission culturelle en première partie de soirée, sur la première chaîne du groupe, qui sera lancée au mois de décembre.

Concernant l'éducation, France.tvéducation permet d'ores et déjà aux enfants, aux élèves, de trouver des contenus éducatifs en fonction de leur âge et de leur niveau scolaire. Nous avons la volonté, avec nos partenaires, d'élaborer un projet collectif sur cette offre. Nos journalistes se rendent, par ailleurs, dans les établissements scolaires ; ceux de Radio France également. Nous essayons de couvrir l'ensemble du territoire. Nous sommes à la disposition de l'Éducation nationale quand certains de nos contenus les intéressent. Nous y allons en général avec des comédiens et des réalisateurs pour donner un autre éclairage aux élèves et aux enseignants.

Les fakes news sont un sujet qui nous a beaucoup occupés et qui nous occupera encore de nombreuses années. Nous avons créé un onglet sur Franceinfo, Vrai ou fake, qui recense toutes les fausses idées qui circulent. Nous travaillons sur des petits programmes, tels la Collab' de l'info, que nous lançons à la fois sur France.tvéducation et Franceinfo. Quinze journalistes emblématiques de France Télévisions se sont associés à quinze « youtubeurs » pour faire le point sur les fondamentaux de l'éducation aux médias et à l'information : comment vérifier une information, s'assurer de sa source, ou encore repérer les fausses nouvelles, sous la forme d'une série de petits modules à destination du jeune public.

S'agissant de l'Europe, nous allons d'abord renforcer notre collaboration avec les télévisions européennes à travers l'UER pour lutter en faveur de l'indépendance et de la liberté d'expression, ce qui se manifestera par des prises de position claires. Vous le savez, nous mutualisons déjà des sujets d'information, des acquisitions de droits sportifs ; nous allons renforcer cette mutualisation de nos moyens pour être à même de mieux exposer nos sujets et d'acquérir plus facilement des droits.

Par ailleurs, pour faire face plus efficacement aux médias globaux, nous allons étendre notre collaboration non seulement avec la ZDF et la RAI, mais également avec l'Espagne et les pays du nord de l'Europe qui sont déjà organisés en association pour coproduire des fictions de standards internationaux ; six projets sont déjà en cours. Nous n'en sommes pas encore à une par mois, mais le besoin de collaborer existe bel et bien. Nous allons sans doute étendre cette collaboration aux documentaires. En effet, la BBC réalise des documentaires animaliers incroyables, que nous diffusons sur nos antennes.

Concernant les élections européennes, nous disposons déjà d'émissions sur l'Europe, mais elles sont trop souvent conçues sous l'angle institutionnel ; c'est important, mais cela peut sembler un peu obscur – c'est en tout cas le retour que nous avons des téléspectateurs. Nous avons donc lancé toute une série d'émissions sur la vie quotidienne des pays européens, en vue de créer du lien et un sentiment d'appartenance à une communauté. Enfin, nous allons nous mobiliser pour rendre compte des débats tout au long de la campagne électorale. Nous avons une façon de fonctionner assez similaire aux autres services audiovisuels publics européens, de sorte que nous nous échangeons des sujets sur l'Europe.

Madame Genevard, je ne dis pas que cette baisse de budget est facile à gérer, et si je suis plus confiante que les années précédentes, c'est parce que la réforme décidée par le Gouvernement est globale : la réforme a été pensée en même temps que l'enveloppe budgétaire. Ce qui est bien différent d'une coupe nette de 50 millions accompagnée de la consigne de ne rien changer… En outre, le basculement vers le numérique est une demande cohérente. Je ne dis pas que tout sera facile, mais je pense que c'est faisable, d'autant que les coupes budgétaires se feront dans le temps, que la réforme attendue est accompagnée et se fera sur quatre ans. Et que, je le répète, les salariés sont compétents et disposent d'un grand savoir-faire. Il est important qu'une ligne soit tracée et tenue, contrairement aux dix dernières années, où chaque année le plan stratégique et le budget de l'entreprise étaient revus. Aucune entreprise ne peut être pilotée dans ces conditions.

Concernant la « BBC à la française », je ne me suis pas exprimée, car il ne m'appartient pas de le faire. Mais j'ai bien évidemment un avis de chef d'entreprise. Nous devons prendre cette nouvelle de manière pragmatique, les réformes d'organisation ne servent qu'un seul but : la ligne stratégique. La BBC à la française n'est donc pas un but en soi : cela ne résoudra pas les problèmes liés, par exemple, à Netflix, aux réseaux sociaux ou au piratage. D'ailleurs, mon homologue à la BBC rencontre les mêmes problèmes que moi. Cela étant, je n'ai pas d'avis tranché sur cette question. Il est vrai que les collaborations seraient facilitées, qu'une fusion des entreprises de l'audiovisuel public permettrait potentiellement plus de synergies. Mais d'un autre côté, nous le savons car nous l'avons vécu à France Télévisions, une fusion, c'est lourd et cela prend du temps. Il faut, par exemple, unifier les systèmes d'information. Les ressources humaines, lors de la fusion de France Télévisions, ont été occupées durant deux ans uniquement à verser les salaires, n'ayant pas le temps de faire quoi que ce soit d'autres. Dans tous les cas, une telle fusion s'étudie, s'anticipe et s'accompagne. Et, surtout, elle ne peut pas être une réponse à tous les problèmes que nous connaissons.

Qu'est-ce que j'attends de la future loi ? J'ai énormément d'attentes, car sans réforme sur les droits, notamment, je ne saurai pas mettre en oeuvre cette réforme. Aujourd'hui, il m'est demandé de basculer les investissements vers le numérique, or je n'ai aucun droit sur le numérique ! Bien entendu, je n'attends pas la loi pour discuter des droits, j'ai commencé les négociations avec les syndicats de producteurs.

Le deuxième point essentiel est la taxation des « GAFAN ». La question qui se pose est la suivante : comment favoriser l'audiovisuel public local ? Comment restaurer la compétitivité pour l'audiovisuel français, public et privé ? Nous avons tous besoin d'être plus forts pour résister aux médias mondialisés. En Suède, Netflix a déjà 58 % des parts de marché !

Monsieur Juanico, Saint-Étienne n'est en effet pas très loin de Lyon, et nous avons besoin d'une vue simplifiée, l'écran de télévision n'étant pas très précis. Vous n'êtes pas le seul à nous faire une telle demande, que nous comprenons bien, mais nous ne pouvons pas le faire sur une carte nationale. C'est d'ailleurs tout l'intérêt des météos régionales de France 3. Nous avons besoin d'une juste représentation de la France et c'est la raison pour laquelle les outre-mer sont représentés, mais nous ne pouvons pas être aussi précis que ce que vous souhaitez, monsieur le député.

Enfin, s'agissant de la consultation citoyenne, je ne suis pas en mesure de vous donner les premières tendances, car elle se termine dimanche. Mais je communiquerai dès que notre société de sondage nous les aura révélées. Nous avons eu 100 000 retours, ce qui était notre objectif.

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