Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du lundi 19 novembre 2018 à 16h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Par touches successives, peu à peu, les contours de ce qui devait être une réforme ambitieuse de la justice ont été dessinés depuis un peu plus d'un an. Nous voilà déjà à la mi-novembre 2018 – oui, plus d'un an déjà. S'il est bon de donner du temps au temps, comme le disait un ancien Président de la République, le sentiment dominant constaté ici et là, ces derniers mois et ces dernières semaines, est celui d'une perte de temps, alors que le redressement de notre justice est impératif.

Dès le début pourtant, vous disposiez d'une réforme clef en main, prête à être appliquée dès le changement de Président de la République, avec un remarquable rapport du Sénat, puis deux belles propositions de loi votées dans cette même chambre dès le 24 octobre. Mais c'était sans doute trop simple.

Les chantiers de la justice ont donc été ouverts à l'automne 2017. Ont suivi une présentation de cinq grands axes à la mi-janvier, puis des mesures d'urgence, hélas un peu de rafistolage, adoptées à la suite de la grève des personnels pénitentiaires en février. Le Président s'est exprimé à Agen le 6 mars sur la réforme des peines puis, le 9 mars, c'était au tour du Premier ministre et de vous-même, madame la garde des sceaux. On aurait préféré une seule et même présentation à la fin de l'hiver plutôt qu'un tel saucissonnage, un tronçonnage empêchant toute vue d'ensemble.

Cela montrait alors, sans doute, le poids des orientations présidentielles face au reste du Gouvernement, Premier ministre en tête, et de celui très relatif du ministère de la justice, qui, d'une certaine façon, se trouvait pris entre l'enclume présidentielle et le marteau primo-ministériel. Mais cette histoire est désormais derrière nous et, si nous ne partageons pas toutes vos orientations et propositions, loin s'en faut, je vous donne volontiers acte – et que de tout cela il soit dressé procès-verbal, comme on dit dans les tribunaux – de ce que vous portez réellement ce projet, sans aucun doute. À mon tour, je vous remercie de l'ambiance constructive des débats d'il y a quinze jours. Mon propos s'adresse également à la présidente de la commission des lois, et ce n'est pas un simple échange d'amabilités ; on peut s'opposer et assumer ses différences tout en se respectant ; cela s'appelle l'éthique du politique, tout simplement.

Globalement – et c'est une nouveauté dont il faut se réjouir – , on ne peut que partager le constat d'une justice malade, d'un monde pénitentiaire qui ne va pas bien, d'une politique pénale à remettre à plat, à tout le moins. Notre justice est sinistrée, clochardisée même, comme l'a souligné à l'été 2017, la Conférence nationale des procureurs, dans son livre noir, qui avait fait date. Les mots sont forts, car les maux sont bien là !

Cependant, il ne suffit pas d'augmenter le budget de la justice et de créer des postes. Encore faut-il que ceux-ci soient pourvus. Hélas, ce n'est pas toujours le cas depuis plusieurs années, notamment dans l'administration pénitentiaire. En dépit d'une légère amélioration en 2018, je ne vois pas par quel miracle cela pourrait s'arranger subitement. En réalité, il y a une crise des vocations, faute d'attractivité des emplois concernés. Se pose également le problème des vacances de postes. Dans la Manche, département que je connais bien, le dernier projet de mutation des magistrats, publié en octobre 2018, prévoit le départ d'un substitut au parquet de Coutances – c'est un exemple parmi d'autres – , effectif au 1er avril 2019, ce qui portera le nombre de postes du parquet à trois sur cinq, soit un taux de vacance de 40 %, rendez-vous compte ! Et pourtant, ce parquet couvre un territoire de la taille de cinq départements franciliens et est compétent pour 300 000 habitants. La réforme en cours sera, selon vous, de nature à améliorer la situation ; j'en doute.

La justice française a été laissée en jachère de 2012 à 2016. Pire sans doute, elle a été sacrifiée par dogmatisme, avec notamment le refus d'une évolution de la politique pénale, qui pourtant s'imposait. Le plan prison, issu de la loi de programmation du 27 mars 2012, a ainsi été interrompu sans même tenir compte, a minima, des besoins, connus et reconnus par tous, de modernisation des établissements pénitentiaires, qui pour certains sont tout sauf dignes – enfin si, ils sont dignes du XIXe siècle, époque de la création de nombre d'entre eux.

C'est le cas, dans la Manche – on prend les exemples qu'on connaît bien – , où les deux maisons d'arrêt du département connaissent une surpopulation patente, avec des dortoirs, oui, des dortoirs de six ou neuf détenus, parfois plus encore, lors des sessions d'assises mais aussi en été, et des matelas à même le sol. Et si les personnels, que je salue, y font un travail remarquable dans de telles conditions, tentant de garder, si je puis dire, un esprit de famille, l'État a été fort logiquement condamné, à plusieurs reprises, à verser des dommages et intérêts à des détenus pour traitement dégradant. Je pourrais citer Fresnes, où plusieurs membres de la commission des lois, sa présidente au premier chef, se sont rendus il y a un mois, et tant d'autres lieux que vous connaissez, mes chers collègues, pour les avoir aussi visités, y compris en outre-mer. Je peux vous dire que le centre pénitentiaire de Nouméa – madame la présidente de la commission des lois le sait parfaitement – ne fait absolument pas rêver ; celui qui penserait y trouver un hôtel cinq étoiles en serait pour sa réservation… Il a fallu attendre les quelques mois durant lesquels Jean-Jacques Urvoas – je le salue – fut garde des sceaux pour entrevoir enfin un début d'amélioration de la politique pénitentiaire. C'est peu sur un quinquennat.

Dans ces conditions, comment s'étonner que notre justice se classe au vingtième rang sur vingt-huit dans l'Union européenne ? Certes, me direz-vous, madame la garde des sceaux et sans doute quelques collègues, il faut se méfier des classements. Le système français d'échevinage, que d'autres pays ignorent, fausse les statistiques car certains magistrats n'y sont pas considérés comme tels. Sans doute, mais pas de quoi nous placer sur les premières marches du podium !

Oui, notre justice est bien malade : pas assez de magistrats ni de personnels, une surpopulation carcérale endémique. Mais vos propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux. Je prendrai plusieurs éléments pour étayer ma démonstration, qui sera complétée et enrichie par l'intervention d'Antoine Savignat, mon collègue du groupe Les Républicains membre de la commission des lois.

En ce qui me concerne, pas de difficultés – au moins de principe, mais comme toujours le diable est dans les détails – avec l'aménagement des peines de prison ferme. En 2009, nous avions inscrit dans la loi pénitentiaire, qui fait toujours référence, l'aménagement des peines de moins de deux ans.

La prison reste indispensable, elle est incontournable dans de nombreux cas. Pour autant, elle n'est pas, selon moi, l'alpha et l'oméga des politiques pénales. Ce qui importe, c'est l'existence d'une vraie sanction, d'une vraie peine, qui est ensuite réellement exécutée, à l'intérieur et parfois à l'extérieur du milieu pénitentiaire. C'est trop souvent là que le bât blesse de nos jours : trop souvent, trop de peines ne sont pas exécutées.

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