Intervention de Pierre Pollak

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 14h10
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève :

Monsieur le rapporteur, je ne pense pas que le Human Brain Project doive susciter une attention éthique particulière. Son objectif est de modéliser l'ensemble du cerveau et de réunir toutes les données multi-échelles, de la molécule aux données cliniques et sociales. L'important financement européen ainsi consenti doit faire progresser les neurosciences. Le mind uploading n'est pas pour demain. Henry Markram annonce pour 2030 la modélisation complète du cerveau, mais je n'y crois pas du tout. Nous savons depuis de nombreuses années modéliser des colonnes neuronales au niveau du cervelet, parce que c'est un peu plus simple. Plus récemment, on l'a fait au niveau du cortex cérébral mais, vous le savez, toutes les parties du cerveau sont interconnectées et le cerveau est en connexion avec l'ensemble du corps. Je ne crois donc pas qu'il faille des mesures de vigilance éthique particulière.

L'efficacité du dopage cognitif est aujourd'hui mineure. Il n'y a pas de médicament vraiment efficace. Mais des études montrent que, pour certaines personnes normales qui ne se plaignent de rien, sauf d'un manque de concentration et de performances scolaires ou professionnelles insuffisantes, certains médicaments sont bénéfiques. Pour lutter contre le dopage cognitif, j'imagine difficilement qu'on puisse prévoir, au niveau de la société, des dispositions analogues à celles mises en oeuvre pour les compétitions sportives. Mais comme nous sommes dans un monde de compétition, la question se posera. Va-t-on faire uriner tous les étudiants avant les examens ? On sait le nombre de nuits consacrées à l'écriture d'articles scientifiques. Va-t-on envoyer un échantillon d'urine ou de sang en même temps que le manuscrit ? Cela paraît un peu fou, mais il faut y réfléchir au titre du respect de l'égalité des personnes devant la réussite. La réussite scolaire est un élément de la réussite professionnelle, laquelle est un élément du niveau de vie. Dans les études observationnelles américaines, ce sont les étudiants qui réussissent le moins bien qui prennent le plus de médicaments, et c'est dans cette population que cela fonctionnerait le mieux. Peut-être y a-t-il un effet plafond ? C'est dans les universités qui exigent le plus de leurs étudiants qu'on trouve le plus grand nombre de ceux qui prennent des smart pills.

La neurostimulation cérébrale profonde dans la mémoire peut-elle modifier des capacités émotionnelles puisque les centres sont proches ? Dans l'hippocampe, il y a l'amygdale, structure clé de la vie émotionnelle. Dans l'étude publiée par le New England Journal of Medicine, il n'y a pas eu de modification émotionnelle. Des micro-électrodes avaient été implantées pour enregistrer le signal et l'on peut penser que la stimulation était très focalisée. Dans le cadre d'études cliniques sur la maladie d'Alzheimer, une équipe canadienne a déposé un brevet de stimulation du fornix, un pilier important du circuit de la mémoire, pour améliorer la mémoire. Les émotions sont étudiées, mais probablement de façon incomplète. À ce jour, les effets indésirables ont été mineurs.

Quelles sont les perspectives de recherche en matière de cellules souches neuronales ? La stimulation électrique peut augmenter la production de cellules souches chez l'animal. Les antidépresseurs augmentent le nombre de cellules souches dans l'hippocampe. Cependant, cette notion a récemment été remise en doute. Des problèmes méthodologiques incitent à penser que l'effet n'est peut-être pas si important que cela chez l'homme adulte. La vieille notion selon laquelle on ne fait que perdre des neurones est globalement vraie. Mais la perspective de transformation en neurones greffables de cellules pluripotentes induites à partir de cellules souches prises sur la peau et dans le sang méritera attention. Il n'y aura plus de rejet, puisque les cellules auront été prélevées chez la même personne. C'est dans ce domaine qu'il faudra être attentif à l'encadrement, plutôt que dans celui de la repousse de nos propres cellules souches.

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