Intervention de Anne-Laurence Petel

Réunion du mardi 4 décembre 2018 à 16h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Laurence Petel, rapporteure :

Je voudrais d'abord remercier les nombreuses personnes qui ont répondu à nos demandes d'audition et celles qui nous ont accueillis lors de nos déplacements.

Historiquement, la terre est un enjeu de propriété et son acquisition un moyen d'émancipation. Pourtant, lorsque l'on parle de foncier agricole, nous évoquons un bien commun, support de l'agriculture et condition nécessaire de notre subsistance.

Dès lors, comment faire cohabiter l'urgence vitale de préservation de la terre et les intérêts privés ou publics du développement économique ? Comment faire de la terre agricole une préoccupation partagée, lorsqu'elle est concurrencée par les intérêts personnels ou individuels ? Comment placer cette préoccupation au-dessus de toutes les autres si l'adhésion et la volonté de tous n'y sont pas ?

Au-delà du foncier agricole, l'enjeu de cette mission est donc aussi la prise de conscience d'un intérêt général supérieur au travers de la préservation et du partage de la terre, par une opinion qui, si elle a acquis une conscience écologique, n'en perçoit pas forcément l'intérêt stratégique.

M. Jean-Bernard Sempastous l'a dit, les enjeux sont universels : subsistance alimentaire en raison de la démographie mondiale en constante évolution ; partage de la terre agricole dans un secteur en difficulté qui voit de nouveaux profils entrer dans la profession ; problématique de la dégradation généralisée des sols nous obligeant à repenser nos pratiques agriculturales.

Au-delà des enjeux universels, la profession agricole elle-même fait face à plusieurs défis majeurs liés à la remise en question des outils de régulation créés dans les années 1960 qui ne jouent plus leur rôle protecteur dans le partage des terres. La SAFER, le contrôle des structures, le statut du fermage font l'objet de critiques.

On constate également l'agrandissement de la taille des exploitations, le développement du travail délégué et du phénomène sociétaire qui hypothèquent la mutation du modèle agricole, ainsi que l'arrivée de nouveaux entrants dans la profession d'agriculteur.

Il nous faut donc travailler à une meilleure protection et un meilleur partage de la terre en termes de gestion des usages et de planification mais aussi d'accès plus équitable au sein de la profession.

Face à ces constats, il nous faut répondre aussi à des problèmes concrets par des solutions elles-mêmes concrètes, pragmatiques, dans une recherche d'adhésion suscitée plus que contrainte.

À l'instar du président de la mission, je suis convaincue que la réponse aux défis se trouve dans les territoires, dans le respect de leur diversité et de leurs agricultures. C'est pourquoi les propositions que je fais vont dans le sens de la différenciation et de l'expérimentation.

J'ai articulé mes propositions autour de trois défis du foncier agricole et de l'agriculture de demain : d'abord, celui de l'artificialisation des terres, caractérisée par l'étalement urbain et le mitage ; ensuite, puisque 40 % des agriculteurs partiront d'ici 2022 à la retraite, celui du renouvellement générationnel, donc de la transmission à une nouvelle génération d'agriculteurs, qui ne se fera que par un accès plus équitable au foncier agricole ; enfin, le défi environnemental et alimentaire. Mon projet est donc de remettre l'agriculture au coeur des enjeux du territoire et d'organiser les synergies nécessaires à cette mutation.

Le président l'a répété, il nous faut, au préalable, observer, recenser, mesurer, et nous doter pour cela des outils adéquats, qui aujourd'hui n'existent pas. Il en existe seulement de très disparates, qui donnent des résultats partiels et inégaux en matière de mesure de l'artificialisation et de recensement des friches agricoles. Nous sommes donc tombés d'accord sur le choix de plusieurs outils capables de donner une vision plus fine de l'artificialisation et du recensement des friches.

Afin de préserver le foncier agricole et de lutter efficacement contre l'artificialisation, je propose d'agir sur trois axes complémentaires : des documents d'urbanisme plus prescriptifs, une incitation à densifier la ville, une dynamique territoriale autour de l'alimentation. L'objet de mes propositions est de réconcilier l'urbain et le rural, l'agriculteur et le citoyen.

La planification dans les territoires s'est développée de manière différenciée et décalée. Tous les PLUI et tous les SCoT ne se valent pas. Mais certains territoires, je pense à Montpellier, Le Havre ou Grenoble, sont proactifs sur la préservation du foncier agricole et sur les politiques alimentaires – lier les deux me semble nécessaire. C'est pourquoi je propose de laisser la place à l'expérimentation et à la différenciation en identifiant en premier lieu les territoires consommateurs d'espaces, de définir des SCoT et des PLUI plus prescriptifs, avec des limites stratégiques ou des espaces agricoles stratégiques, des objectifs de pourcentages de rénovation urbaine, et d'intégrer les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) ou les zones agricoles protégées (ZAP) directement dans les SCoT, en s'appuyant sur les expériences et les initiatives déjà portées par certains territoires.

L'outil « toile alimentaire » du Havre, conçu avec l'Agence d'urbanisme de la région du Havre et de l'estuaire de la Seine (AURH), qui gère la demande et l'offre et met en lien distributeurs, producteurs, transformateurs, clients publics et privés pour faire vivre un réseau d'échanges, me semble être un outil innovant et pertinent pour développer ce secteur économique et, par ricochet, permettre une réappropriation et une redistribution du foncier agricole.

Une série d'outils fiscaux dissuasifs et incitatifs peuvent être mis en place, mais à la condition de faire préalablement un état des lieux de la fiscalité, d'en évaluer strictement les effets, notamment concernant la suppression de la taxe sur les plus-values pour le changement de destination ou la modulation de la taxe d'aménagement.

Après avoir préservé le foncier, il convient d'en garantir un partage plus équitable. Comment répondre aux enjeux de demain avec les outils de régulation d'hier ? Comment permettre aux agriculteurs de demain d'accéder au foncier ?

En termes sociologiques, nous sommes face à un défi générationnel. Les 10 000 entrants dans le métier d'agriculteur à l'horizon 2025 auront des profils plus diversifiés et seront plus âgés, notamment du fait des arrivées tardives dans le métier. Cette métamorphose sociologique n'est pas sans conséquence sur l'émergence de pratiques innovantes, sur la multi-activité et sur le lien à la terre, notamment à la propriété qui, dès lors, devient moins essentielle.

Les défis du monde agricole, au-delà de cette problématique, sont multiples et interdépendants. Les friches agricoles, la rétention foncière, la déprise agricole réduisent la disponibilité du foncier et posent la question du fermage, devenu très contraignant pour les propriétaires. Le phénomène nouveau et d'ampleur observé par les SAFER est celui de la concentration du foncier sous la forme sociétaire, par des firmes pour la plupart françaises, qui réduisent la capacité d'accès au foncier. Cette concentration sociétaire développe un modèle intensif plutôt qu'extensif et un travail délégué à des sociétés agricoles plutôt que par l'exploitant lui-même.

Parallèlement, je propose de résoudre le défi générationnel en organisant de manière innovante une véritable task force en faveur de la transmission, chargée d'anticiper les départs en retraite et l'arrivée des nouveaux entrants pour créer les conditions de l'émergence de nouveaux projets.

Pour garantir l'accès au foncier pour les nouvelles générations, les propositions que je formule ne sont pas symboliques : elles sont opérationnelles. Elles tiennent compte à la fois de la modernisation des outils, de la mise en oeuvre d'un mécanisme simple afin de contrer la concentration sociétaire et de plus de transversalité et d'anticipation

En premier lieu, la création de ce que j'appelle un « cluster foncier régional », facile à mettre en oeuvre, regroupant les moyens et les missions des SAFER, des établissements publics fonciers (EPF) et du contrôle des structures, permettrait de traiter d'une même main le projet agricole. Les SAFER sont déjà en train de développer des partenariats, qu'il faudrait globaliser et généraliser, en intégrant dans leur gouvernance les collectivités ainsi que des structures comme Terre de Liens ou Coop de France.

Dans ce cluster, le contrôle des structures, sous l'autorité du préfet, conduirait désormais à demander systématiquement une autorisation d'exploiter, y compris lorsque l'exploitant titulaire de l'autorisation conserve des parts dans la société. Cet agrément répondrait à un cahier des charges avec des objectifs de types de cultures, d'emplois, d'équilibre de l'exploitation drastiques, en adéquation avec le SRDEA. Sans ce permis d'exploiter, il serait impossible de déposer au greffe l'acte de création de la société.

Il nous est apparu que la CDPENAF devait avoir un contrôle renforcé sur les SCoT et les PLUI, ainsi qu'un rôle accru dans le cadre de la compensation environnementale et agricole.

Enfin, comme je l'ai dit, le défi de la transmission doit être anticipé et animé par une task force qui étudie le marché des cédants, le marché des entrants, celui de la location, celui des entreprises de travaux agricoles et la viabilité des exploitations à céder.

Avec la pression foncière, l'expansion des villes, la mutation du modèle agricole, le changement climatique et l'exigence de souveraineté alimentaire, le foncier agricole fait face à des défis économiques et environnementaux, auxquels s'ajoutent des défis sociétaux : le lien entre zones urbaines et rurales, l'exigence de consommation éthique des Français, le nouveau profil des agriculteurs de demain, la réconciliation entre l'agriculture et le citoyen.

À situation nouvelle, réponses nouvelles. C'est pourquoi je souhaite placer l'alimentation et les territoires au coeur du dispositif, en créant les synergies dans les territoires et en respectant leurs différences, par l'adhésion et la convergence des énergies entre citoyens, agriculteurs et élus autour d'un projet de territoire, sans figer les outils mais, au contraire, en privilégiant leur souplesse et l'adaptation au changement.

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