Intervention de Éric Alauzet

Réunion du mercredi 19 décembre 2018 à 16h25
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet, rapporteur pour avis :

Je vous livre quelques éléments essentiels de mon rapport. Dans les conditions que nous connaissons, qui ne nous facilitent pas les choses, celui-ci n'a pu vous être distribué, mais je pense qu'il sera disponible ce soir ou, au plus tard, demain matin.

Ce projet de loi s'inscrit dans des circonstances exceptionnelles et le Gouvernement n'a disposé que d'un délai extrêmement serré pour le préparer. Bien entendu, cela a un impact sur les conditions de son examen par le Parlement et, en ce qui nous concerne ici et maintenant, par la commission des finances.

Ces conditions imparfaites reflètent l'urgence de l'adoption des mesures en faveur du pouvoir d'achat, très attendues par les Français, que le Président de la République a proposées.

Les manifestations, ces dernières semaines, des « gilets jaunes », ont exprimé une colère en partie liée à la question du pouvoir d'achat et des fins de mois. Les causes profondes de cette détresse sont anciennes et multiples, mais la politique menée depuis un an et demi par le Gouvernement et la majorité parlementaire, selon les mots même du Président de la République, n'a sans doute pas apporté « une réponse suffisamment rapide et forte » à des aspirations légitimes et identifiées de longue date.

Plusieurs dispositions pour améliorer le pouvoir d'achat des Français avaient pourtant été prises depuis l'été 2017 : la baisse massive des cotisations sociales, qui représente près de 20 milliards d'euros ; la suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des redevables, qui représentera 6,5 milliards d'euros en 2019 ; la revalorisation exceptionnelle du montant forfaitaire de la prime d'activité ; la revalorisation du minimum vieillesse ; la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

La difficulté rencontrée tient notamment à la mise en oeuvre progressive, trop progressive peut-être, de ces mesures, sur deux, trois ou quatre ans – notamment la revalorisation de la prime d'activité –, et donc insuffisamment percutante. À l'inverse, l'augmentation de la fiscalité énergétique et celle de la CSG pour 60 % des retraités ont pu paraître trop brutales.

Quel est le contenu de ce projet de loi ? Les circonstances le nécessitant, le Président de la République a décrété l'état d'urgence économique et sociale et présenté plusieurs mesures à l'impact massif et quasiment immédiat sur le pouvoir d'achat de millions de Français. Il s'agit, d'une part, de mesures d'anticipation, de correction ou encore d'amplification des dispositifs déjà prévus et, d'autre part, de dispositifs nouveaux et efficaces pour améliorer les conditions de vie des Français à court terme, avant, bien entendu, qu'un grand débat national ne permette d'aller plus au fond sur les sujets économiques, sociaux, écologiques et institutionnels.

L'article 1er a pour objet de permettre aux employeurs de verser une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat exonérée d'impôts et de cotisations jusqu'à 1 000 euros pour les salaires inférieurs à trois SMIC. Elle doit être versée entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019, en excluant bien entendu les effets d'aubaine. Si ce dispositif n'entraîne pas de pertes pour les finances publiques, il peut a priori les priver de recettes au titre de l'impôt sur les sociétés. Nous attendons des informations du Gouvernement à ce sujet.

L'article 2, relatif au régime fiscal et social des heures supplémentaires, ajoute la défiscalisation à l'exonération sociale prévue en loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. En outre, il avance au 1er janvier 2019 l'application de cette exonération sociale qui devait entrer en vigueur le 1er septembre. Le gain moyen pour un salarié du secteur privé au niveau du SMIC sera de 155 euros en 2019, hors effet éventuel de la défiscalisation. Un salarié célibataire sans enfant à charge, à 1,5 SMIC gagnera en moyenne 232 euros au titre de l'exonération sociale ; après prise en compte de la défiscalisation, le gain sera de 748 euros. Pour plusieurs raisons, dont nous aurons l'occasion de discuter, j'avais envisagé de proposer de transformer ce plafond en euros par un plafond en nombre d'heures, mais j'y ai renoncé pour des raisons que j'exposerai plus tard.

Ces mesures bénéficieront surtout aux salariés à revenus modestes et intermédiaires, qui recourent le plus aux heures supplémentaires, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Elles coûteront 3 milliards d'euros en 2019 : 2 milliards d'euros au titre de l'exonération sociale et environ 1 milliard d'euros au titre de la défiscalisation. Par rapport à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, le coût supplémentaire sera de 2,4 milliards d'euros, puisque 650 millions d'euros étaient déjà budgétés au titre de la mesure entrant en vigueur au 1er septembre.

L'article 3 rétablit un taux de CSG de 6,6 % sur les pensions de retraite pour la moitié des retraités qui ont subi la hausse de 1,7 point intervenue en 2018. Il s'agit de ceux dont le revenu net se situe autour de 2 000 euros, pour les célibataires, ou de 3 000 euros, pour les couples, à supposer qu'ils ne touchent pas d'autres revenus et conformément à la logique de la familialisation qui s'applique d'ailleurs pour d'autres dispositifs. Compte tenu des propos entendus ici ou là, il est toujours bon de le rappeler. Chacun ici connaît bien ce système de la familialisation et la conjugalisation : on ne peut pas faire semblant de le découvrir.

Le taux applicable dépend, comme vous le savez, du revenu fiscal de référence (RFR), qui prend en compte l'ensemble des revenus du foyer. La mesure bénéficiera aux personnes dont le RFR est inférieur à 22 580 euros pour la première part, et 6 028 euros pour chaque demi-part supplémentaire. Cela correspond à un revenu de 2 000 euros nets mensuels pour un retraité célibataire. La mesure bénéficiera à 3,8 millions de foyers fiscaux et environ 5 millions de retraités, soit la moitié des retraités qui étaient concernés par l'augmentation de la CSG ; son coût net s'élèvera à 1,6 milliard d'euros en 2019.

Pour des raisons techniques, la mise en oeuvre effective de la mesure interviendra dans le courant du premier semestre. Une régularisation interviendra avant le 1er juillet 2019 pour prendre en compte les trois ou quatre premiers mois de l'année durant lesquels la baisse de CSG n'a pas été appliquée. Lorsque l'augmentation a été appliquée, c'était à la suite d'une décision prise au cours de l'été : la mise en oeuvre avait donc pu être préparée pendant six mois. Il n'est évidemment pas possible de préparer la mise en oeuvre de cette nouvelle mesure dans les quelques jours qui nous séparent de l'année 2019. Des remboursements interviendront donc, au plus tard au mois de juillet.

L'article 4 prévoit que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité, les paramètres de la prime d'activité étant essentiellement définis par voie réglementaire.

La prime d'activité est un dispositif existant, connu et maîtrisé qui a fait ses preuves et qui permet de viser l'ensemble des travailleurs, quel que soit leur statut – salarié du privé, salarié du public, indépendant, agriculteur. Comme l'a annoncé le Président de la République, dès le début de l'année 2019, tous ces travailleurs aux revenus modestes bénéficieront d'un gain de pouvoir d'achat de 100 euros : ce gain comprend d'une part l'augmentation du SMIC prévue pour le 1er janvier 2019, soit 16 euros nets par mois, et la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité à hauteur de 90 euros.

La revalorisation de la prime initialement prévue – quatre fois 20 euros, sur quatre exercices successifs – a non seulement été accélérée, puisque concentrée sur le début de l'année 2019, mais également amplifiée, puisqu'elle atteint 110 euros et non plus 80. Le projet de loi de finances prévoyait initialement un bonus de 20 euros pour la fin de l'année 2019, 40 euros pour la fin de l'année 2020, pour parvenir ensuite à 60, puis 80 euros.

Le dispositif évolue pour s'adresser à des personnes qui en étaient jusque-là exclues. J'insiste sur ce point. En gros, le plafond sera supérieur de 200 à 300 euros par rapport à ce qui existe avec la prime actuelle, sur chaque catégorie, qu'il s'agisse d'une personne seule, d'une famille monoparentale avec enfant, d'un couple ou d'un couple avec enfant : le Gouvernement va donc bien au-delà de la proposition faite par le Président de la République. Pour une personne seule, la bonification s'appliquera désormais jusqu'à 1,5 SMIC, contre 1,3 SMIC précédemment.

Je me permets d'entrer davantage dans le détail, même si les modalités de calcul de la prime d'activité sont particulièrement complexes et que nous ne disposons pas encore du projet de décret. Oui, je le dis et je le redis, la prime d'activité est une prestation familiarisée. Par exemple, dans un couple, on prend en compte les revenus du conjoint. De ce fait, tous les salariés au SMIC ne bénéficieront pas de la hausse exceptionnelle de 90 euros s'ils ne sont pas éligibles à la prime d'activité : il s'agit de cibler ceux qui sont vraiment dans le besoin. Si, dans un couple, l'un des membres perçoit le SMIC, il est éligible à la prime d'activité dès lors que son conjoint gagne jusqu'à 1,4 SMIC, soit environ 1 700 euros nets, contre 1,1 SMIC aujourd'hui. On améliore donc la situation actuelle pour les couples – en réalité, on améliore toutes les situations. La bonification en revanche est prévue à titre individuel : si les deux membres du couple reçoivent chacun un SMIC, ils percevront 90 euros chacun, soit 180 euros pour le ménage. L'effort réalisé par le Gouvernement pour soutenir les travailleurs aux revenus modestes est d'une ampleur inédite, parce qu'il faut que le travail paie.

L'impact budgétaire est évalué à 2,8 milliards d'euros, après quelques ajustements successifs opérés au projet de loi de finances, au Sénat et hier soir à l'Assemblée nationale, le Gouvernement ayant présenté un amendement pour assurer le financement du dispositif. Il s'agit d'une mesure forte en faveur du pouvoir d'achat qui s'ajoute aux dispositions déjà mises en oeuvre – je pense notamment à l'augmentation de 20 euros du montant forfaitaire de la prime d'activité intervenu en 2018, d'où les 90 euros plus 20 euros, soit 110 euros, ou la suppression des cotisations salariales maladie et chômage pour près de 20 milliards d'euros.

Les conséquences financières et l'impact macro-économique de ces mesures sont importantes. Si l'on ajoute les mesures sur la fiscalité énergétique et le chèque énergie, l'effort est d'environ 11 milliards d'euros par rapport au projet de loi de finances pour 2019. Il faut remonter loin pour trouver une proposition d'une telle ampleur. L'essentiel de la dépense sera financé par le déficit. Restent 4 milliards d'euros qui seront financés à hauteur de 1 à 1,5 milliard d'euros d'efforts supplémentaires sur la dépense de l'État et 2,5 milliards d'euros de mesures en recettes. Ce financement ne fait pas partie du périmètre de ce projet de loi ; nous aurons l'occasion d'en discuter plus longuement à d'autres occasions.

S'agissant des mesures en recettes, le Gouvernement entend solliciter les plus grandes entreprises et les géants du numérique. Il souhaite reporter le passage du taux d'impôt sur les sociétés à 31 % en 2019 pour les entreprises réalisant plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour un impact de 1,8 milliard d'euros. Il proposera d'instaurer une taxe sur les services numériques, dont le rendement s'élèverait à 500 millions d'euros. Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2019 a modifié le régime d'imposition des plus-values de cession intra-groupe – la fameuse niche Copé – pour un rendement de 200 millions d'euros. Ces mesures fiscales sont justes et nécessaires.

Enfin, j'appelle votre attention sur l'impact macro-économique de ces mesures. Elles ciblent des ménages aux revenus modestes et intermédiaires qui ont tendance à consommer une part importante de leurs revenus. Dans sa note de conjoncture parue hier, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) prévoit une forte hausse du pouvoir d'achat des ménages, grâce notamment à ces dispositions. Il prévoit que la consommation des ménages en 2019 augmenterait de 3 %, ce qui soutiendrait sensiblement la croissance.

Ces mesures montrent que la majorité est à l'écoute des Français, qu'elle réagit vite et qu'elle en attend un gain massif de pouvoir d'achat pour les ménages. Je pense que nous avons tous à coeur qu'elles soient rapidement adoptées, et surtout qu'elles entrent rapidement en application dès le début de l'année 2019. C'est la raison pour laquelle le groupe La République en Marche a limité au minimum – en fait à zéro – le nombre d'amendements soumis au débat.

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