Intervention de Loïc Prud'homme

Réunion du mercredi 13 février 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme, rapporteur :

Merci, madame la présidente. Les quelques passages que j'ai pu faire dans cette salle ayant été très agréables, je suis content de vous retrouver. J'espère que cette matinée sera non seulement agréable mais aussi constructive.

Mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite à une commission d'enquête parlementaire qui s'est déroulée l'année dernière. Je vois dans cette salle des collègues qui ont participé à ce riche travail. La commission d'enquête visait à étudier le développement de l'alimentation industrielle dans notre pays.

Disons d'emblée qu'il n'est pas question ici de refuser l'existence d'une nourriture industrielle transformée qui répond à la réalité de nos modes de vie. Elle remplit un service alimentaire. On peut s'en réjouir ou le regretter, mais c'est la réalité. Cela étant, il existe des façons vertueuses d'apporter ce service alimentaire.

À ce stade, j'aimerais aussi faire une mise au point sémantique. On nous a souvent opposé le fait que l'alimentation industrielle était sûre, faisant croire qu'elle était également saine. Levons cette ambiguïté. L'alimentation est peut-être sûre, c'est-à-dire que l'on ne s'empoisonne pas immédiatement en ingérant notre nourriture, nonobstant les quelques scandales sanitaires qui émaillent l'actualité chaque année. Quoi qu'il en soit, comme l'a constaté la commission d'enquête, elle n'est pas saine à long terme. Il a été établi de manière claire, documentée et non contestée sur le plan scientifique, que cette alimentation était fortement liée à l'explosion des maladies chroniques dans notre société.

Notre pays compte 4 millions de diabétiques – 2 % de la population en 2000 et 5,4 % en 2017. Le coût de leur prise en charge par la sécurité sociale représente 19 milliards d'euros par an, selon la direction du Trésor qui, comme son nom l'indique, est particulièrement près de nos sous et sait fort bien les compter. La population française compte 49 % de personnes en surpoids dont 17 % d'obèses, ce qui engendre un coût d'une vingtaine de milliards d'euros par an. Environ 11 % des cancers sont liés à l'alimentation : 5,5 % des cas lui sont directement imputables et le même pourcentage est dû au surpoids et à l'obésité. C'est la troisième cause de cancer et le nombre de personnes concernées se situe entre 35 000 et 40 000. Des travaux scientifiques montrent aussi que la consommation d'aliments de mauvaise qualité nutritionnelle augmente de 61 % le risque de maladies cardio-vasculaires, ce qui est assez inquiétant. Le coût global de la malbouffe dépasse largement 50 milliards d'euros par an.

Force est de constater, malheureusement, que les avis et les recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – ANSES –, des experts de l'Institut national de la recherche agronomique – INRA – ou des membres du Haut Conseil de la santé publique – HCSP – restent souvent ignorés par les pouvoirs publics et les entreprises du secteur agroalimentaire. Ces avis et recommandations sont peu souvent suivis d'effets concrets.

Il en va de même pour les alertes relatives aux teneurs maximales en sel, en sucre ou en matières grasses, réitérées inlassablement depuis le début des années 1990. Quelques chartes d'engagements volontaires ont été conclues entre les pouvoirs publics et les groupements industriels, mais elles n'ont pas donné satisfaction, loin s'en faut. Le non-respect de ces engagements, pourtant tout à fait modestes et peu ambitieux, se traduit par des réductions très lentes et très faibles des teneurs en sel, en sucre et en matières grasses des aliments. Cette réduction non significative n'a aucun effet bénéfique sur la santé des consommateurs, comme le souligne l'Observatoire de la qualité des aliments – OQALI.

L'autorégulation en vigueur n'ayant pas fait ses preuves, les agences sanitaires, les scientifiques et les nutritionnistes plaident désormais pour l'instauration de mesures contraignantes par les pouvoirs publics. Les experts du HCSP ont formulé des propositions dans ce sens pour le prochain Plan National Nutrition Santé 2017-2021, à la demande du directeur général de la santé.

Dans un chapitre de ce rapport, intitulé « Limite des engagements volontaires et nécessité de mesures contraignantes », les auteurs rappellent que le nombre de chartes signées reste faible et que les efforts de reformulation ne permettent pas de conclure à l'existence de réels progrès nutritionnels. Ils soulignent que les études montrent que les mesures prises par les pouvoirs publics pour introduire des standards minimums de qualité de certains nutriments précis sont plus efficaces que l'autorégulation. Ces mesures contraignantes sont nécessaires pour la protection de la santé publique ; elles sont justifiées scientifiquement et proportionnées car leur mise en place est progressive et ne concerne que certains nutriments et groupes d'aliments. Dans ces conditions, les auteurs du rapport estiment qu'elles ne peuvent être vues comme des mesures d'entrave aux échanges au niveau européen et qu'elles sont conformes au droit de l'Union européenne. Nous pourrons en débattre au moment de l'examen des amendements.

Le constat et les recommandations du rapport de la commission d'enquête ont fait l'objet d'un large consensus. Au regard des enjeux de santé, tout le monde était d'accord pour que des mesures fortes soient prises. C'est pourquoi j'ai décidé de vous présenter cette proposition de loi. Elle comporte quatre articles qui tendent à garantir une amélioration des produits proposés sur les marchés et à protéger nos concitoyens, en particulier les enfants, qui sont victimes de la malbouffe.

L'article 1er traite des additifs. Il est proposé de réglementer leur présence dans l'alimentation et de n'accepter que ceux qui figurent dans la liste des produits et substances autorisées sous le label « agriculture biologique ». Le nombre d'additifs autorisés passerait ainsi de 338 à une petite cinquantaine. Cette mesure permettrait de protéger la population de cette présence massive d'additifs qui jouent un rôle majeur dans la prévalence de maladies chroniques de toutes sortes et de cancers. Cet article répond à sa manière à la problématique de l'effet cocktail – non mesuré – de ces additifs. Il est d'ailleurs illusoire de penser que nous pourrons un jour le mesurer. Sachant qu'il existe 338 additifs autorisés, si vous en mettez 5 dans chaque aliment transformé, ce qui correspond à une estimation basse, vous obtenez 41 milliards de combinaisons possibles. Comme il est impossible de mesurer cet effet cocktail, le principe de précaution doit s'appliquer.

L'article 2 vise à encadrer les taux de sucre, de sel et d'acides gras saturés dans nos rations journalières de nourriture, comme le recommande l'Organisation mondiale de la santé – OMS. Ces recommandations journalières sont assez claires : 5 grammes de sel, 25 grammes de sucre et 2,2 grammes d'acides gras. Pour que vous ayez une vision claire des enjeux, nos concitoyens consomment en moyenne le double de la dose recommandée de sel, de sucre et d'acides gras. L'article 2 propose une trajectoire de réduction, en fixant une valeur cible par famille de produits, car la teneur en sel, en sucre et en acides gras varie fortement d'une catégorie à l'autre. Nous pourrions ramener tout le monde vers des valeurs moyennes, en nous servant des outils élaborés par l'OQALI après un travail de collecte de données et d'enquêtes particulièrement précieux, riche, robuste et documenté.

L'article 3 a pour objet de réglementer la publicité alimentaire, en particulier celle qui cible nos enfants. L'obésité touche de plus en plus nos jeunes concitoyens et il est temps d'enrayer cette épidémie. Lors des auditions, tous les professionnels nous ont confirmé que les enfants étaient les personnes les plus perméables aux messages publicitaires car ils ne savent pas faire la part des choses. Ils ne distinguent pas une vérité d'un message publicitaire destiné à les convaincre des bienfaits de tel ou tel aliment.

En raison de cette perméabilité, les enfants sont souvent les prescripteurs des achats de la famille. Une fois qu'ils ont absorbé ces messages publicitaires, nos enfants – des plus petits jusqu'aux adolescents – savent nous convaincre, à l'usure, d'acheter des produits qui ne sont pas les meilleurs pour la santé.

Enfin, la loi Gattolin, destinée à réduire la publicité dans les programmes pour la jeunesse, montre ses limites. Les enfants se retrouvent en effet aussi devant des programmes familiaux de grande écoute comme cette émission où des aventuriers sont isolés sur une île et constitués en équipes rouge, verte ou jaune. À vingt heures, 800 000 enfants sont parfois devant ce programme et ils échappent complètement au champ d'application de la loi Gattolin. Il y a là un vide à combler de manière assez urgente.

Lors de la discussion des amendements, je vous proposerai une autre entrée que celle que j'ai rédigée en première intention, en utilisant le Nutri-Score. La publicité serait limitée à des aliments dont la valeur nutritionnelle est avérée ou, en tout cas, qui n'ont pas d'effet délétère documenté.

L'article 4, qui se situe dans la même veine que le précédent, vise à éduquer les enfants à l'alimentation et à la prévention des maladies. Perméables aux messages publicitaires, les enfants le sont aussi aux apprentissages. Or, l'alimentation est notre premier médicament. Cette mesure a été plébiscitée par de nombreux scientifiques.

L'éducation à l'alimentation fait actuellement l'objet de mesures très disparates car elle est laissée à l'appréciation des équipes éducatives. Il n'y a pas d'uniformité sur notre territoire. Chacun agit en fonction de sa bonne volonté et des moyens dont il dispose. Cette disparité géographique et financière offre à des lobbies la possibilité d'apporter un soutien logistique dans le cadre de programmes d'éducation qui peuvent être rapidement dévoyés. Certains lobbyistes s'étaient ainsi rapprochés de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions – ONISEP – pour proposer des programmes aux équipes éducatives, comme je l'avais dénoncé à l'époque.

Je m'étonne que la majorité ait déposé un amendement de suppression pour chacun de ces quatre articles. Quelques signes rassurants me font néanmoins penser que la discussion reste possible. Je l'espère car ces propositions reposent sur un consensus transpartisan dans la mesure où elles visent à améliorer la santé de nos concitoyens et à faire prévaloir l'intérêt général plutôt que des intérêts particuliers.

Pour répondre par avance à certaines critiques, je signale que mes propositions ne mettent pas le secteur agroalimentaire en péril. Elles permettent de faire mieux et plus vertueux pour la santé de tous. Quelques filières de l'industrie alimentaire, notamment celle qui promeut l'agriculture biologique, ont prouvé que c'était possible. La filière des produits alimentaires biologiques affiche un taux de croissance à deux chiffres depuis plusieurs années, sans même avoir accès à la publicité. Elle propose des produits – certains étant transformés, voire ultra-transformés – sans conséquence délétère pour notre santé. De nombreux industriels conventionnels investissent d'ailleurs massivement ce créneau, en regardant sa croissance avec beaucoup d'appétit.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.