Intervention de Moetai Brotherson

Réunion du mercredi 20 février 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMoetai Brotherson, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, avant d'être un élu, je suis, comme chacun d'entre vous, un citoyen, et c'est en tant que citoyen que j'ai entamé la réflexion qui a abouti à cette proposition de loi. Dans notre société démocratique, comme dans un couple, la base de la relation entre le peuple et les élus qui le servent, c'est la confiance. Lorsque celle-ci est altérée, le divorce est inévitable. Les citoyens connaissent la devise de la République, qui érige l'égalité en principe fondateur. Ces dernières années, à cause du comportement de quelques-uns, qui méconnaissent ce principe, c'est nous tous, à la faveur d'un amalgame favorisé par la résonnance et les raccourcis de la pensée qu'autorisent les réseaux sociaux, qui nous sommes retrouvés marqués du signe de la bête.

C'est avec beaucoup d'humilité, mais sans naïveté ni masochisme, que je vous présente cette proposition de loi. L'intention qui est la mienne est avant tout de contribuer à changer les moeurs et les sentiments qui n'en finissent pas de faire vaciller l'attachement du peuple à la démocratie représentative.

En 2017, le Gouvernement, fidèle à ses engagements de campagne, nous soumettait le projet de loi pour la confiance dans la vie politique. Pourtant, après son adoption, j'ai continué à entendre, outre-mer comme en métropole, la même remarque : « Si un élu détourne des millions d'euros qui auraient dû aller à la sécurité de mes enfants dans la rue, à la santé de ma mère à l'hôpital, à la création d'emplois pour les personnes qui ne peuvent plus se nourrir, il doit recevoir un carton rouge ! S'il recommence, la justice doit pouvoir lui dire que la partie est terminée, sans qu'il ait la possibilité de la recommencer. » C'est évidemment encore plus vrai s'il viole ou s'il tue.

Je vous soumets ce texte sans naïveté ni masochisme, disais-je. De fait, il ne s'agit pas de rendre définitivement inéligible un élu qui aurait donné un coup de pied dans une poubelle. Une simple erreur ne doit pas systématiquement entraîner l'inéligibilité. Mais je crois qu'aligner notre régime sur celui de nos concitoyens serait un signe fort de notre volonté de restaurer et de garantir la confiance entre le peuple et ses élus.

Lorsque cette proposition de loi a été déposée, en mars de l'an dernier, elle a été abondamment commentée. Une grande partie de ces commentaires me mettaient en garde : « Tu verras, aucun de tes collègues ne la votera parce qu'ils sont tous pourris ! » À chaque fois, j'ai répondu : « Non, l'immense majorité de mes collègues sont des citoyens et des élus attachés à la notion de probité et ils n'ont rien à craindre d'une telle proposition de loi. » Ce n'est pas par goût douteux pour l'autoflagellation que je vous présente ce texte, mais bien pour nous permettre de dire tous ensemble au peuple qu'il peut avoir confiance dans ses élus et que l'ensemble d'entre eux ne sauraient être assimilés à quelques pommes pourries.

Contrairement à certains d'entre vous, fins bretteurs, je ne suis pas juriste de formation, mais ingénieur en informatique et télécommunications. J'ai donc procédé avec beaucoup d'humilité et de pragmatisme pour aboutir à une rédaction qui tienne compte à la fois des remarques des parlementaires que j'ai pu consulter, de l'avis du Conseil d'État saisi par le président de l'Assemblée nationale, des attentes des citoyens et des garanties démocratiques essentielles à une loi équilibrée. Dans ma circonscription, j'ai pu rencontrer l'ensemble des acteurs du système judiciaire pénal – du parquet au siège en passant par les avocats – et j'ai intégré à ma réflexion les remarques qui leur ont été inspirées par leur pratique quotidienne du droit.

Notre proposition de loi tend à compléter la loi pour la confiance dans la vie politique. Celle-ci dispose que le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité prévue aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal est obligatoire lorsque des sanctions sont décidées en répression des crimes ou des délits dont la liste figure à l'article 131-26-2 dudit code. On y trouve notamment l'abus de confiance, les infractions liées à l'utilisation des fonds publics, au financement des campagnes électorales.

Pour les délits mentionnés dans la loi pour la confiance dans la vie politique, nous proposons que l'inéligibilité encourue soit portée à trente années au plus. L'exemplarité des sanctions doit permettre de restaurer les liens entre la représentation nationale et les citoyens représentés. Les personnes investies d'un mandat électif ont vocation à représenter véritablement la nation. Si la Constitution, la démocratie et le peuple placent en eux la confiance nécessaire pour qu'ils s'expriment au nom de la République, l'élu et le titulaire de fonctions gouvernementales ont le devoir de respecter les valeurs du pacte républicain. Le non-respect de ces valeurs est l'une des raisons qui expliquent le désengagement des Français de la vie de la cité. Cette réalité prive la loi de sa signification primaire : être le reflet de la volonté du peuple.

La sanction se doit d'être suffisamment dissuasive pour garantir l'intégrité des titulaires de fonctions électives et gouvernementales, pour restaurer la confiance. Il s'agit, non d'augmenter de manière immodérée la charge des représentants du peuple ou de créer de nouvelles infractions, puisque l'arsenal législatif existe déjà, mais de faire en sorte que la sanction encourue soit à la mesure du préjudice qu'une personne détenant de telles fonctions cause à la nation en cas de faute. La sanction proposée se veut un outil supplémentaire pour le magistrat du siège, qui peut prononcer une peine d'inéligibilité adaptée aux circonstances de l'infraction. Elle élargit la faculté d'appréciation du juge sans automaticité.

L'article 1er prévoit également la faculté pour la juridiction de prononcer une peine pouvant aller jusqu'à l'inéligibilité à titre définitif. Cette peine exige une condition supplémentaire : la commission d'un crime ou de plusieurs des délits visés. Le fait de prendre la vie d'un citoyen dans des circonstances particulièrement graves donne lieu à une sanction – la réclusion criminelle à perpétuité – qui garantit la réparation de l'atteinte portée à la société, car le caractère sacré de la vie est le fondement de la collectivité. Dans une autre mesure, la gravité d'un comportement doit pouvoir aboutir à une inéligibilité visant à réparer proportionnellement l'atteinte à la confiance des citoyens. Selon nous, c'est un pas nécessaire vers la restauration de la confiance.

Parallèlement à cette possible aggravation des peines, il nous a paru important de respecter le principe, non écrit mais largement admis, du droit à une seconde chance. Nous prévoyons la possibilité d'un relèvement qui, d'une part, est un prérequis pour respecter le droit de tout justiciable à la révision de sa condamnation, et qui, d'autre part, renforce la constitutionnalité du dispositif.

L'article 2 prévoit la création d'une circonstance aggravante. Enfin, l'article 3 rend le dispositif applicable sur l'ensemble du territoire national.

Telles sont, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais vous soumettre en guise d'introduction. Nous aurons bien entendu l'occasion de discuter chacun des articles de la proposition de loi lors de l'examen des amendements.

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