Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 9h35
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges :

Même si le débat intérieur ne va pas disparaître ni en Italie, ni en France où les élections seront la vérification du rapport de force dans la majorité et entre les majorités et les oppositions, la dimension européenne des élections sera plus forte qu'elle n'a été jusqu'à présent. On a toujours vécu en France l'élection européenne comme l'élection de députés pour l'Europe, envoyés comme une ambassade. Maintenant, on se rappelle que se joue la constitution d'une majorité idéologique, programmatique, gouvernementale à l'intérieur d'un ensemble de 705 députés. C'est à ce titre que nous allons nous positionner. Cette dimension est très importante. Il me paraît légitime que le Président de la République française soit intervenu à la télévision italienne dans une démarche d'apaisement. Je considère, par ailleurs, que l'invitation du Président de la République italienne Sergio Mattarella est une très bonne chose.

Le deuxième point que je veux rappeler est que l'élection est à la représentation proportionnelle. Même si, en France, on a tendance à chercher qui va l'emporter, on est en réalité dans la proportionnelle et dans des dosages. On voit dans toutes les simulations qu'il va y avoir une pression populiste assez forte. Nous allons avoir 20 % à 25 % d'élus assez fortement critiques de la démarche de l'Union européenne. Le système va-t-il profondément changer dans les faits ? Arithmétiquement, le PPE et le sociaux-démocrates ont une majorité, mais celle-ci a toujours été théorique car il y a énormément de perte en ligne à chaque vote, en raison des biais nationaux et de l'indiscipline. En réalité, pour avoir une majorité, il fallait beaucoup plus que les voix de cette alliance. J'ai vu, au Parlement européen, des accords adoptés à une voix de majorité à cause de ces pertes en ligne. De ce point de vue, les choses ne seront pas très différentes. Le PPE ne s'en sortira sans doute pas trop mal, mais il est profondément divisé, les socialistes se sont fait tailler des croupières et les centristes sont une nébuleuse entre des libéraux et des démocrates à l'américaine. La majorité qui se constituera, avec les écologistes en plus, sera composite. Mais, à mon avis, elle fonctionnera idéologiquement car le système européen stimule ceux qui veulent un accord. S'il n'y a pas accord au Parlement, c'est alors le Conseil qui décide et c'est tout. Je pense qu'il y aura une mutation qui se fera plutôt au profit de la nébuleuse centriste mais qui ne sera pas décisive.

Je fais deux autres remarques. Il y a deux autres « premières fois ». Premièrement, jamais l'Europe n'a été aussi seule. On a été avec les Américains jusqu'à la fin de la guerre froide, ou plutôt les Américains ont-ils été avec nous, puis nous avons eu l'illusion d'être les rois du monde, porteurs de valeurs universelles. C'était la fin de l'Histoire, tout le monde allait nous suivre. Aujourd'hui, on s'est aperçu que le monde était réfractaire par rapport à nos valeurs, qu'il s'agisse du monde arabo-musulman ou du monde chinois, et que nos alliés avaient un comportement profondément erratique. C'est une première fois qui nous interpelle en profondeur. Pourrons-nous surmonter ce défi et faire face de manière solidaire à de nouvelles menaces géopolitiques ? Pour les Allemands, c'est un traumatisme absolu, car ils vivaient avec un logiciel dans lequel était inscrit depuis toujours : « ich bin ein Berliner », de J.F. Kennedy.

La deuxième chose, plus négative, c'est la rupture idéologique à l'intérieur de nos frontières. Le consensus idéologique de la construction européenne depuis les années 1950 est partiellement remis en cause, qu'il s'agisse des libertés fondamentales accompagnant le vote au suffrage universel, de l'ouverture économique, du multilatéralisme. Notre rôle est de refuser la remise en cause des valeurs fondamentales sans fracturer l'Europe. C'est un équilibre essentiel à retrouver pour relancer la machine. M. le président, peut-on relancer l'Union européenne sans poser les trois questions fondamentales : Qui ? Quoi ? Comment ? Qui sont les gens qui ont vocation à être dans l'Union ? Que veulent-ils faire ensemble et que veulent-ils faire de leur côté ? Quel est le modèle « demoïcratique » sur lequel nous nous appuyons ? Sur ces trois questions, c'est un grand blanc.

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