Intervention de Nasser Kamel

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Nasser Kamel, secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée :

C'est un plaisir d'être devant vous, mesdames et messieurs les députés, pour parler de la Méditerranée au sens large mais aussi de l'Union pour la Méditerranée, le cadre institutionnel intergouvernemental qui a pour ambition de structurer le partenariat régional.

Plus que jamais, la Méditerranée est au coeur de nos débats. Il est indispensable de renforcer la coopération entre les deux rives de cette mer partagée. Permettez-moi de commencer par rappeler le contexte historique dans lequel l'Union pour la Méditerranée a été créée. En 1995, à une époque de grand optimisme faisant suite à la fin de la guerre froide, à l'adoption du traité de Maastricht et au renforcement du projet d'intégration européenne, aux accords d'Oslo qui ont débouché sur la création de l'Autorité palestinienne et sur l'espoir de donner une solution pacifique à un conflit qui durait depuis des décennies, les pays du pourtour de la Méditerranée, cette mer de culture et de civilisation, berceau de la démocratie, de la philosophie et des règles qui régissent jusqu'à aujourd'hui les relations internationales, ont nourri l'ambition de renforcer leurs liens en créant une plateforme afin de structurer leur coopération. C'est à cette époque que fut lancé le partenariat euro-méditerranéen, ou processus de Barcelone.

Ce processus a permis de mettre au point des structures et des modalités d'échange et de coopération dans plusieurs secteurs. Reconnaissons toutefois qu'il s'est heurté à des lacunes d'ordre régional et structurel. La situation régionale s'est peu à peu dégradée : le processus de paix d'Oslo a rencontré de grandes difficultés et les attentats du 11 septembre 2001 ont produit un fort effet psychologique et géopolitique et ont conduit, deux ans plus tard, à l'invasion de l'Irak, qui a provoqué une tension sans précédent au sud de la Méditerranée. À cela s'ajoute le fait que le processus de Barcelone, qui était principalement géré par l'Union européenne, était perçu au Sud comme le symptôme d'une relation Nord-Sud déséquilibrée, fondée sur une certaine conditionnalité et sur un face-à-face entre donateurs et bénéficiaires.

En 2008 est né, en France comme en Égypte et ailleurs autour de la Méditerranée, le désir de faire émerger quelque chose de neuf. Le président Sarkozy a saisi ce besoin et a lancé l'idée d'une structure nouvelle. Le sommet de Paris organisé cette année-là s'intitulait : « Processus de Barcelone – Union pour la Méditerranée », le premier étant partie intégrante de ce qui est aujourd'hui la seconde. La nouvelle organisation a d'ailleurs intégralement repris les acquis du processus de Barcelone et en a élargi le cadre non plus à un niveau bilatéral entre l'Europe et la rive Sud mais au niveau régional, avec une structure organisationnelle unique et une approche opérationnelle tenant compte de la dimension régionale de cette relation.

Le point le plus important concernait la structure de gouvernance. L'Union pour la Méditerranée a été fondée sur les principes de la copropriété, de la coprésidence et du consensus afin d'assurer l'équilibre entre le Nord et le Sud dans la prise de décisions, dans l'organisation et dans le choix des projets.

Ensuite, l'Union s'est voulue axée sur les projets. L'un de ses premiers projets emblématiques était l'installation d'une station de désalinisation à Gaza. Aujourd'hui, plus de cinquante projets sont envisagés pour un budget total de plus de 5 milliards d'euros. L'organisation a adopté une méthode de travail pragmatique fondée sur trois « P » : le premier d'entre eux désigne le dialogue politique au niveau ministériel, sectoriel et technique – entre hauts fonctionnaires – afin d'élaborer des plans d'action commun dans tous les domaines qui lient les deux rives de la Méditerranée – environnement, emploi, industrie, commerce, jeunesse, autonomisation des femmes, et ainsi de suite. Ces dernières années, dix-sept réunions ministérielles ont été organisées dans différents secteurs. Le deuxième « P » désigne les plateformes de dialogue, qui réunissent la société civile et les principaux acteurs impliqués – les syndicats, les entrepreneurs et toutes les composantes de nos sociétés au sens large – pour définir des orientations générales susceptibles d'alimenter le dialogue politique intergouvernemental et adresser des propositions concrètes aux décideurs afin qu'ils adoptent à leur tour des stratégies, des plans d'action et des projets. Le troisième « P » désigne les projets, précisément, où l'UPM joue un rôle fédérateur de mobilisation de fonds, d'accompagnement voire de promotion des projets le cas échéant.

La Déclaration de Paris a été adoptée en 2008, mais le secrétariat de l'UPM n'a été mis sur pied qu'en 2010 et ce n'est qu'en 2011 que l'Union a vraiment pu entamer ses travaux : une année historique sur le plan géopolitique. Le printemps arabe a suscité l'ambition d'une Méditerranée démocratique et prospère mais a aussi ouvert une période de transition incertaine. L'Égypte et la Tunisie se sont stabilisées rapidement tandis que l'État et les institutions se sont totalement effondrés en Syrie et en Libye. Parallèlement, les phénomènes extrémistes et terroristes ont connu un développement sans précédent et les flux migratoires ont atteint des niveaux jamais connus depuis la Seconde Guerre mondiale – un défi qui concernait tout à la fois les deux rives de la Méditerranée. En outre, la crise financière de 2008 était encore récente et avait surtout frappé l'Europe méridionale – l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la France dans une moindre mesure. Ces grands acteurs de la coopération euro-méditerranéenne étaient donc préoccupés tout à la fois par des enjeux sécuritaires – lutte contre le terrorisme et migrations – et par leurs propres difficultés économiques.

Malgré ce contexte défavorable, l'UPM est parvenue à s'adapter de façon assez extraordinaire, et tout le crédit en revient à mon prédécesseur, Fathallah Sijilmassi, un diplomate et haut fonctionnaire marocain de grande valeur qui a exercé la fonction de secrétaire général pendant six années difficiles en adoptant une approche très pragmatique avec les États membres. Il a assuré la poursuite du dialogue afin d'établir d'ambitieux agendas régionaux communs. Il a organisé dix-sept réunions ministérielles sur des questions allant du renforcement du rôle des femmes jusqu'à l'emploi, le commerce, l'économie numérique, la coopération industrielle, l'eau, le développement urbain, les transports ou encore l'énergie.

Nous avons même récemment élargi le champ de notre action à un domaine lié à la lutte contre les changements climatiques : la protection civile. Pour la première fois, les pays riverains de la Méditerranée vont travailler ensemble pour faire face à des catastrophes naturelles voire, dans certains cas, d'origine humaine.

L'organisation a poursuivi ses travaux. J'en citerai un exemple qui m'est cher : l'ambitieux programme d'autonomisation des femmes. Avec le consensus total des 43 pays membres, nous avons mis au point un plan précis assorti d'indicateurs et d'objectifs pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes et pour que les femmes puissent prendre toute leur place dans la vie publique et sur le marché du travail. Nous élaborons même actuellement un mécanisme d'évaluation par les pairs qui permettra de détecter les éventuels retards par rapport aux objectifs. C'est le signe d'une volonté commune de mettre en oeuvre un programme dans un domaine que je juge très important.

Il en va de même au sujet de l'eau. La Méditerranée est l'une des régions les plus pauvres en eau du monde. Nous avons donc mis au point une stratégie de gestion et de financement de cette ressource très chère et très rare, ainsi qu'une stratégie d'atténuation des effets des changements climatiques, notamment sur l'eau.

Autre défi majeur, au sud comme au nord de la Méditerranée : l'emploi des jeunes. Au sud, les jeunes constituent 60 % voire 70 % de la population ; en Europe méditerranéenne, souvent 40 % ou davantage. Nous avons donc lancé l'initiative Med4Jobs. Nous avons également déployé d'autres projets concrets comme la dépollution du lac de Bizerte afin d'améliorer les conditions de vie du demi-million d'habitants de la région, l'usine de désalinisation de Gaza qui répondra aux besoins de 2 millions d'habitants et qui a connu des progrès considérables ces derniers temps, ou encore la régénération urbaine d'un quartier très pauvre du Caire peuplé de 2 millions d'habitants. Voilà ce que l'UPM est capable de faire pour produire un impact sur le terrain.

Où en est l'Union aujourd'hui ? De nombreux signes me rendent optimistes. La coopération méditerranéenne suscite un regain d'intérêt, comme en témoigne l'initiative très pertinente du président Macron en faveur d'un « Sommet des Deux Rives ». Je constate en outre une relative amélioration de la situation géopolitique régionale : relance économique timide mais stable au nord, diminution sensible de la pression migratoire – les migrants qui voulaient traverser la mer se comptaient par millions il y a encore trois ans et ne se comptent plus que par dizaines de milliers aujourd'hui ; la crise est donc passée – et essor de la coopération sous-régionale avec le mécanisme 5+5 et les projets de coopération autour du gaz dans l'est de la Méditerranée pour assurer l'indépendance énergétique de la zone au sens large.

Nos instances ont retrouvé une certaine normalité : l'instance suprême de l'UPM, le conseil des ministres des affaires étrangères, s'est réunie tous les ans depuis 2016. Ce retour à la normale se reflète dans l'intérêt que les médias portent à l'organisation : la Méditerranée n'est plus seulement envisagée au prisme des crises et des tensions mais comme une zone de coopération possible et même espérée par les populations et par leurs dirigeants.

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