Intervention de François de Rugy

Réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 10h15
Mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate

François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Sur les usages du glyphosate, il faut en effet dire les choses de la façon la plus claire. Je rappelle, tout d'abord, que 800 000 tonnes de glyphosate sont utilisées dans le monde, dont 8 800 sont vendues en France. Le glyphosate est, comme je l'ai dit, le premier herbicide dans notre pays. Les quantités de glyphosate vendues ont augmenté fortement entre 2009 et 2014, puis baissé de 7 % entre 2014 et 2017. En 2014, 9 500 tonnes de glyphosate étaient vendues en France sur 27 000 tonnes d'herbicides, soit environ un tiers.

En ce qui concerne les usages, beaucoup le savent mais il faut le rappeler, l'utilisation du glyphosate est liée à certains types de cultures : la viticulture, l'arboriculture et certaines cultures céréalières. Par ailleurs, comme l'a dit le ministre de l'agriculture, le glyphosate est utilisé dans les transports. La SNCF en est la première utilisatrice pour le désherbage des voies, et pas seulement pour les lignes à grande vitesse. Les petites lignes, sur lesquelles les trains passent moins fréquemment, sont très vite envahies par les herbes. Lorsque des voies sont inutilisées pendant un certain temps, ce sont même des arbres qui poussent, soulevant les rails et les rendant impraticables. J'ai été confronté à ce problème lorsque j'occupais d'autres fonctions. Pour rouvrir la ligne, il faut alors refaire intégralement le ballast et les voies. Le président de la SNCF, avec qui je me suis entretenu de ce sujet, juge qu'il sera difficile pour la SNCF de trouver des alternatives au glyphosate. L'entreprise y réfléchit cependant et envisage notamment le désherbage thermique, puisque, bien entendu, le désherbage ne peut être mécanique sur le ballast. Quelle que soit l'alternative qui sera choisie, comme toujours, elle aura un surcoût.

Dans les jours qui ont suivi ma nomination, avant que M. Didier Guillaume ne soit nommé ministre de l'agriculture, j'ai travaillé avec M. Stéphane Travert, à qui je tiens à rendre hommage pour son action et son engagement. Il a fait l'objet de critiques injustes, en particulier sur la question du glyphosate. Pour notre premier déplacement commun, nous avions choisi de nous rendre en Gironde – Mme Bérangère Couillard et Mme Véronique Hammerer étaient d'ailleurs présentes – pour aborder le thème de la réduction des pesticides et de la sortie du glyphosate dans le secteur viticole. L'examen de la loi « agriculture et alimentation » n'était pas achevé, mais nous avions, lors de cette visite, parlé clairement aux responsables de la filière et discuté avec des viticulteurs déjà engagés dans un processus de changement.

Les viticulteurs d'une exploitation de 40 hectares, c'est-à-dire relativement importante pour ce secteur, nous ont expliqué qu'avec le glyphosate, le désherbage des vignes représentait une semaine de travail pour une personne, contre cinq semaines avec le désherbage mécanique. Ils l'ont pourtant adopté parce qu'ils sont décidés à sortir du glyphosate, bien que leur exploitation ne soit pas bio. La sortie du glyphosate est donc possible dans la viticulture, mais elle entraîne un surcoût. D'après un autre exploitant, ce surcoût, ramené à la bouteille, s'élèverait à 50 centimes d'euro, chiffre qu'il faut bien sûr vérifier. Pour un vin d'entrée de gamme et une bouteille vendue 2,50 euros à la sortie de l'exploitation, il s'agit d'un surcoût important. Bien entendu, pour un vin de moyenne ou haute gamme, il est tout à fait absorbable.

Ces exemples précis ont le mérite de poser les enjeux. Notre déplacement en Gironde avait précisément pour objectif de nous apporter des éléments concrets sur la sortie du glyphosate dans le secteur viticole.

Concernant les autorisations de mise sur le marché évoquées par M. Jean-Luc Fugit, 198 produits incluant du glyphosate bénéficient d'une autorisation de mise sur le marché, dont 58 demandent actuellement un renouvellement. Leur cas est en cours d'instruction par l'ANSES. Les autorisations ne seront données qu'après analyse et exclusion des usages pour lesquels existent des alternatives avérées.

M. Didier Guillaume a eu raison de préciser « II+ » en parlant du plan « Écophyto » : il y a eu « Écophyto », puis « Écophtyo II » ; nous en sommes aujourd'hui à « Écophyto II + » car nous sommes encore loin d'avoir atteint les objectifs que nous nous sommes donnés. Le plan « Écophyto II + » sera mis en consultation mi-novembre. L'objectif est bien sûr d'accélérer sa mise en oeuvre.

S'agissant du délégué interministériel à la sortie du glyphosate, en l'occurrence M. le préfet Pierre-Étienne Bisch, qui sera bientôt nommé, il a déjà remis un rapport, à la demande de nos deux ministères, sur la question de l'eau. Ce rapport a été commandé à une période où ni M. Didier Guillaume ni moi-même n'étions ministres mais il nous sera très utile. Le délégué interministériel s'appuiera sur la task force « glyphosate », les chambres d'agriculture, les instituts agricoles, l'INRA et les deux ministères. Sa lettre de mission sera bientôt signée par le Premier ministre.

M. Didier Guillaume répondra sans doute aux questions posées par M. Jean-Baptiste Moreau, notamment sur la start-up d'État. J'aimerais aborder quant à moi le sujet du biocontrôle et de la recherche, que nous avons également évoqué avec M. Stéphane Travert lors de notre déplacement en Gironde. Nous avons rencontré à cette occasion les représentants d'une société qui a mené des recherches sur les fongicides et conçu un produit à partir de micro-algues destiné aux vignes. Le produit fonctionne, mais six à huit ans de procédure sont nécessaires pour obtenir l'autorisation de mise sur le marché. Quant au coût de la procédure, il se situe entre 500 000 euros et 5 millions d'euros. Autant dire qu'en l'état actuel des choses, cette start-up envisage de mettre fin au projet. Pour une grande société comme Monsanto, en revanche, six à huit ans de procédure ne sont pas un problème. Elle en a l'habitude et compte d'ailleurs de nombreux produits en attente d'autorisation de mise sur le marché. Le coût de la procédure n'est pas non plus à même de l'effrayer ou de la faire reculer.

De toute évidence, les procédures d'autorisation de mise sur le marché ont été créées pour un type de molécule, un type de produit et un type d'entreprise. Pour mettre en place le biocontrôle, il faut donc non seulement financer la recherche, mais encore changer les procédures. Comment imaginer sortir un produit dans trois ou cinq ans si l'application de la procédure prend à elle seule six à huit ans ? Il ne s'agit évidemment pas d'en rabattre sur nos exigences en termes de sécurité sanitaire ou environnementale. Je le précise, car je sais d'expérience que lorsqu'on propose d'alléger les procédures, immédiatement s'élèvent des voix dans le débat politique pour dénoncer le démantèlement de la sécurité sanitaire et les cadeaux faits aux industriels. Encore faut-il, pour alléger les procédures, obtenir au niveau européen le droit à des dérogations, en France, pour certaines expérimentations. La région Nouvelle-Aquitaine est d'ailleurs volontaire pour copiloter avec l'État ce type de démarche.

En tout état de cause, si nous écoutons ceux qui s'opposent systématiquement à l'allégement des procédures, nous ne ferons rien, ce qui est vrai pour un grand nombre de sujets. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui exigent des changements immédiats, comme si l'on pouvait sortir du glyphosate du jour au lendemain. J'ai parfaitement en mémoire les débats sur ce sujet. On a fait croire aux Français que des députés étaient pour l'interdiction du glyphosate aussitôt que la loi serait entrée en vigueur et que d'autres étaient contre et voulaient le maintien du glyphosate. (Applaudissements.)

Ce n'était évidemment pas la vérité, puisque les amendements déposés ne visaient pas une interdiction immédiate mais une interdiction dans trois ans. Il s'agissait donc simplement d'un changement de méthode et non d'un changement d'objectif. Interdire le glyphosate dès l'entrée en vigueur de la loi aurait en outre placé un grand nombre de filières agricoles dans l'incapacité de produire et la SNCF dans l'incapacité de faire circuler les trains. Les Français se seraient retournés contre nous et nous auraient traités d'irresponsables, à juste titre, parce que nous aurions mis des filières économiques très importantes pour la France en grande difficulté.

Vous savez peut-être qu'on a interdit du jour au lendemain le métam-sodium, un pesticide utilisé dans les cultures maraîchères d'une région que je connais bien. On a considéré, pour des raisons sanitaires, que l'utilisation de ce produit représentait trop de risques, notamment pour les ouvriers agricoles. Il a donc été interdit, ce qui a posé immédiatement de grandes difficultés aux maraîchers, qui peinent aujourd'hui à trouver un produit de substitution. Nous devons toujours garder cela en tête.

Sachez-le, il n'y aura pas d'opposition entre M. Didier Guillaume et moi, entre l'agriculture et l'écologie. Esprit de responsabilité pour la santé, esprit de responsabilité pour l'environnement, esprit de responsabilité pour l'économie. On ne peut opposer les uns aux autres, car nous vivons tous de santé, d'environnement et d'économie.

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